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Le nain noir

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Le nain noir
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CHAPITRE I

Préliminaire
 
«Berger, as-tu de la philosophie?»
 
Shakespeare. (Comme il vous plaira.)

C'était une belle matinée d'avril, quoique la neige fût tombée abondamment pendant la nuit; aussi la terre était couverte d'un manteau éblouissant de blancheur, lorsque deux voyageurs à cheval arrivèrent à l'auberge de Wallace. Le premier était un homme grand et robuste, vêtu d'une redingote grise (Riding-coat: manteau de cavalier), avec une toile cirée sur son chapeau, un grand fouet garni en argent, des bottes et de gros éperons. Il montait une grande jument baie, au poil rude, mais en bon état, avec une selle de campagne et une bride militaire à double mors un peu rouillé. Celui qui l'accompagnait paraissait être son domestique; il montait un poney gris (Petit bidet d'Écosse), portait un bonnet bleu, une grosse cravate autour du cou, et de longs bas bleus au lieu de bottes. Ses mains, sans gants, étaient noircies de goudron, et il avait vis-à-vis de son compagnon un air de respect et de déférence, mais aucun de ces égards affectés que prodiguent à leurs maîtres les valets des grands. Au contraire, les deux cavaliers entrèrent de front dans la cour, et la dernière phrase de leur entretien fut cette exclamation: – Dieu nous soit en aide! si ce temps-là dure, que deviendront les agneaux? Ces mots suffirent à mon hôte, qui s'avança pour prendre le cheval du principal voyageur, et le tint par la bride pendant que celui-ci descendait; le garçon d'écurie rendit le même service à son compagnon; et mon hôte, saluant l'étranger, lui demanda: – Eh bien! quelles nouvelles des montagnes du sud? (Par opposition aux montagnes du nord. C'est le nom qu'on donne aux montagnes des comtés de Rosburgh, de Selkirk, etc.)

– Quelles nouvelles? dit le fermier; d'assez mauvaises, je crois; si nous pouvons sauver les brebis, ce sera beaucoup; quant aux agneaux, il faudra les laisser aux soins du Nain noir.

– Oui, oui, ajouta le vieux berger (car c'en était un) en hochant la tête, le Nain aura beaucoup à faire avec les morts ce printemps.

– Le Nain noir! dit mon savant ami et patron Jedediah Cleishbotham; et quel personnage est celui-là?

– Allons donc, mon brave homme, vous devez avoir entendu parler du bon Elsy, le Nain noir, ou je me trompe fort… Chacun raconte son histoire à son sujet; mais ce ne sont que des folies, et je n'en crois pas un mot depuis le commencement jusqu'à la fin,

– Votre père y croyait bien, dit le vieux berger, évidemment fâché du scepticisme de son maître.

– Oui, sans doute, Bauldy; mais c'était le temps des têtes noires (Black-faces, loups-garous); on croyait alors à tant d'autres choses curieuses qu'on ne croit plus aujourd'hui.

– Tant pis, tant pis, reprit le vieillard; votre père, je vous l'ai dit souvent, aurait été bien contrarié de voir démolir sa vieille masure pour faire des murs de pare, et ce joli tertre couronné de genêts où il aimait tant à s'asseoir au coucher du soleil, enveloppé de son plaid pour voir revenir les vaches du loaning (endroit découvert, près de la ferme, où l'on trait les vaches);… pensez-vous que le pauvre homme serait bien aise de voir son joli tertre bouleversé par la charrue comme il l'a été depuis sa mort?

– Allons, Bauldy, prends ce verre que t'offre l'hôte, dit le fermier, et ne t'inquiète plus des changements dont tu es témoin, tant que pour ta part tu seras bien toi-même.

– A votre santé, messieurs, dit le berger; puis, après avoir vidé son verre et protesté que le whisky était toujours la chose par excellence, il continua: – Ce n'est pas, certes, à des gens comme nous qu'il appartient de juger, mais c'était un joli tertre que le tertre des genêts, et un bien brave abri dans une matinée froide comme celle-ci.

– Oui, dit le maître, mais vous savez qu'il nous faut avoir des navets pour nos longues brebis, mon camarade, et que, pour avoir ces navets, il nous faut travailler rudement avec la charrue et la houe; ça n'irait guère bien de s'asseoir sur le tertre des genêts pour y jaser à propos du Nain noir et autres niaiseries, comme on faisait autrefois, lorsque c'était le temps des courtes brebis.

– Oui bien, oui bien, maître, dit le serviteur, mais les courtes brebis payaient de courtes rentes, que, je crois.

Ici mon respectable et savant patron s'interposa de nouveau, et remarqua qu'il n'avait jamais pu apercevoir aucune différence matérielle, en fait de longueur, entre une brebis et une autre.

Cette remarque occasionna un grand éclat de rire de la part du fermier, et un air d'étonnement de la part du berger. – C'est la laine, mon brave homme, c'est la laine, et non la bête elle-même, qui fait appeler la brebis courte ou longue. Je crois que si vous mesuriez leur dos, la courte brebis serait la plus longue des deux, mais c'est la laine qui paie la rente au jour où nous sommes, et nous en avons bon besoin.

– Sans doute, Bauldy a bien parlé, les courtes brebis payaient de courtes rentes, mon père ne donnait pour notre ferme que soixante pounds, et elle m'en coûte à moi trois cents, pas un plack ni un bowbie de moins (Le pound d'Écosse ne vaut que la vingtième partie du pound anglais ou livre sterling, environ un shelling ou vingt-cinq sous de notre monnaie. Le plack et le bowbie répondent à peu près à nos liards); et il est vrai aussi que je n'ai pas le temps de rester ici à conter des histoires. – Mon hôte, servez-nous à déjeuner, et voyez si nos rosses ont à manger. Il me faut aller voir Christy Wilson, afin de nous entendre sur le luckpenny (C'est l'escompte qu'obtient dans un marché celui qui paie comptant), que je lui dois, depuis notre dernier compte; nous avions bu six pintes ensemble en faisant le marché à la foire de Saint Boswell; et j'espère que nous n'en viendrons pas à un procès, dussions-nous passer autant d'heures à régler ce petit compte qu'il nous en coûta pour le marché lui-même. Mais, écoutez, voisin, ajouta-t-il en s'adressant à mon digne et savant patron, si vous voulez savoir quelque chose de plus sur les brebis longues et les brebis courtes, je reviendrai manger ma soupe aux choux vers une heure de l'après-midi, ou si vous voulez entendre de vieilles histoires sur le Nain noir, et d'autres semblables, vous n'aurez qu'à inviter Bauldy, que voici, à boire une demi-pinte; il vous craquera comme un canon de plume. Et je promets de fournir moi-même une pinte entière si je m'arrange avec Christy Wilson.

Le fermier revint à l'heure dite, et avec lui Christy Wilson, leur différend ayant été terminé sans qu'ils eussent eu recours aux messieurs en robes longues. Mon digne et savant patron ne manqua pas de se trouver à leur arrivée, autant pour entendre les contes promis, que pour les rafraîchissements dont il avait été question, quoiqu'il soit reconnu pour être très modéré sur l'article de la bouteille.

Notre hôte se joignit à nous, et nous restâmes autour de la table jusqu'au soir, assaisonnant la liqueur avec maintes chansons et maints contes. Le dernier incident que je me rappelle fut la chute de mon savant et digne patron, qui tomba de sa chaise en concluant une longue morale sur la tempérance par deux vers du gentil berger (Pastorale de Ramsay), qu'il appliqua très heureusement à l'ivresse, quoi que le poète parle de l'avarice:

«En avez-vous assez, dormez tranquillement;

«Le superflu n'est bon qu'à causer du tourment.»

Dans le cours de la soirée, le Nain noir n'avait pas été oublié: le vieux berger Bauldy nous fit sur ce personnage un grand nombre d'histoires qui nous intéressèrent vivement. Il parut aussi, avant que nous eussions vidé le troisième bol de punch, qu'il y avait beaucoup d'affectation dans le scepticisme prétendu de notre fermier, qui croyait sans doute qu'il ne convenait pas à un homme faisant une, rente annuelle de trois cents livres de croire les traditions de ses ancêtres; mais au fond du coeur il y avait foi. Selon mon usage, je poussai plus avant mes recherches, en m'adressant à d'autres personnes qui connaissaient le lieu où s'est passée l'histoire suivante, et je parvins heureusement à me faire expliquer certaines circonstances qui mettent dans leur vrai jour les récits exagérés des traditions vulgaires.

CHAPITRE II

«Vous voulez donc, passer pour Hearne le chasseur?» Shakespeare. (Les Joyeuses Femmes de Windsor.) (Dans la pièce d'où ce vers est tiré, on persuade Falstaff de se faire passer pour Hearne le chasseur, espèce d'esprit qui revient, dans la forêt de Windsor. C'est une des mystifications dont le pauvre chevalier est la dupe.)

Dans un des cantons les plus reculés du sud de l'Écosse (L'auteur désigne ici le comté de Roxhurgh), où une ligne imaginaire, tracée sur le froid sommet des hautes montagnes, sépare ce pays du royaume voisin, un jeune homme, nommé Halbert ou Hobby Elliot, fermier aisé qui se vantait de descendre de l'ancien Martin Elliot de la tour de Preakin, si fameux dans les traditions et les ballades nationales des frontières (Mentionné dans les Chants populaires de l'Écosse (Border-Minstrerlsy)), revenait de la chasse et regagnait son habitation. Les daims, autrefois si multipliés dans ces montagnes solitaires, étaient bien diminués. Ceux qui restaient, en petit nombre, se retiraient dans des endroits presque inaccessibles où il était fort difficile de les atteindre, quelquefois même dangereux de les poursuivre. Il y avait cependant encore plusieurs jeunes gens du pays qui se livraient avec ardeur à cette chasse, malgré les périls et les fatigues qui y étaient attachés. L'épée des habitants des frontières avait dormi dans le fourreau, depuis la pacifique union des deux couronnes, sous le règne de Jacques, premier roi de ce nom qui occupa le trône de la Grande-Bretagne; mais il restait dans ces contrées des traces de ce qu'elles avaient été naguère. Les habitants, dont les occupations paisibles avaient été tant de fois interrompues par les guerres civiles pendant le siècle précédent, ne s'étaient pas encore faits complètement aux habitudes d'une industrie régulière. Ce n'était encore que sur une très petite échelle que l'exploitation des bêtes à laine était établie, et l'on s'occupait principalement à élever le gros bétail. Le fermier ne songeait qu'à semer la quantité d'orge et d'avoine nécessaire aux besoins de sa famille; et le résultat d'un pareil genre de vie était que bien souvent lui et ses domestiques ne savaient que faire de leur temps. Les jeunes gens l'employaient à la chasse et à la pêche; et, à l'ardeur avec laquelle ils s'y livraient, on reconnaissait encore l'esprit aventureux qui jadis guidait les habitants du Border dans leurs déprédations.

 

Les plus hardis parmi les jeunes gens de la contrée, à l'époque où commence cette histoire, attendaient avec plus d'impatience que de crainte une occasion d'imiter les exploits guerriers de leurs ancêtres dont le récit faisait une partie de leurs amusements domestiques. L'acte de sécurité publié en Écosse, avait donné l'alarme à l'Angleterre, en ce qu'il semblait menacer les deux royaumes d'une séparation inévitable, après la mort de la reine Anne. Godolphin, qui était alors à la tête de l'administration anglaise, comprit que le seul moyen d'écarter les malheurs d'une guerre civile était de parvenir à l'incorporation et à l'unité des deux royaumes. On peut voir dans l'histoire de cette époque comment cette affaire fut conduite, et combien on fut loin de pouvoir espérer d'abord les heureux résultats qui en furent la suite. Il suffit, pour l'intelligence de notre récit, de savoir que l'indignation fut générale en Écosse, quand on y apprit à quelles conditions le parlement de ce royaume avait sacrifié son indépendance. Cette indignation donna naissance à des ligues, à des associations secrètes, et aux projets les plus extravagants. Les Caméroniens mêmes, qui regardaient avec raison les Stuarts comme leurs oppresseurs, étaient sur le point de prendre les armes pour le rétablissement de cette dynastie; et les intrigues politiques de cette époque présentaient l'étrange spectacle des papistes, des épiscopaux et des presbytériens, cabalant contre le gouvernement britannique, et poussés par un même ressentiment des outrages de la patrie commune. La fermentation était universelle, et comme la population de l'Écosse avait été exercée au maniement des armes, depuis la proclamation de l'acte de sécurité, elle n'attendait que la déclaration de quelques-uns des chefs de la noblesse qui voulussent diriger le soulèvement, pour se porter à des actes hostiles. C'est à cette époque de confusion générale que commence notre histoire.

Le Cleugh, ou la ravine sauvage, où Hobby Elliot venait de poursuivre le gibier, était déjà loin de lui, et il était à peu près à mi-chemin de sa ferme, quand la nuit étendit ses premiers voiles sur l'horizon. Il n'existait pas dans les environs un buisson ni une pointe de rocher qu'il ne connût parfaitement, et il aurait regagné son gîte les yeux fermés; mais ce qui l'inquiétait malgré lui, c'est qu'il se trouvait près d'un endroit qui ne jouissait pas d'une bonne réputation dans le pays. La tradition disait qu'il était hanté par des esprits, et qu'on y voyait des apparitions surnaturelles. Il avait entendu faire ces contes depuis son enfance, et personne n'y ajoutait plus de foi que le bon Hobby de Heugh-Foot, car on le nommait ainsi pour le distinguer d'une vingtaine d'autres Elliot qui avaient le même nom.

Il faut convenir que le lieu dont il s'agit prêtait un peu à la superstition, et Hobby n'eut pas besoin de faire de grands efforts pour se rappeler les événements merveilleux qu'il avait entendu raconter tant de fois. Ce lieu sinistre était un common, ou bruyère communale, appelé Mucklestane-Moor (La plaine de la Grande-Pierre), à cause d'une colonne de granit brut placée sur une éminence au centre de la bruyère, peut-être pour servir de mausolée à un ancien guerrier enseveli en ce lieu, ou comme le monument de quelque combat. On ignorait quelle était l'origine de cette espèce de monument; mais la tradition, qui transmet souvent autant de mensonges que de vérités, y avait suppléé par une légende que la mémoire d'Hobby ne manqua pas de lui rappeler. Autour de la colonne, le terrain était semé ou plutôt encombré d'un grand nombre de fragments énormes du même granit, que leur forme et leur disposition sur la bruyère avaient fait appeler les oies grises de Mucklestane-Moor. La légende avait trouvé l'explication de la forme et du nom de ces pierres dans la catastrophe d'une fameuse et redoutable sorcière qui fréquentait jadis les environs, faisait avorter les brebis et les vaches, et jouait tous les autres méchants tours qu'on attribue aux gens de son espèce. C'était sur cette bruyère que la vieille faisait son sabbat avec ses soeurs les sorcières. On montrait encore des places circulaires dans lesquelles jamais ne pouvait croître ni bruyère ni gazon, le terrain étant en quelque sorte calciné par les pieds brûlants des diables qui venaient prendre part à la danse.

Un jour la vieille sorcière fut obligée de traverser ce lieu pour conduire, dit-on, des oies à une foire voisine; car on n'ignore pas que le diable, tout prodigue qu'il est de ses funestes dons, est assez peu généreux pour laisser ses associés dans la nécessité de travailler pour vivre. Le jour était avancé; et, pour obtenir un meilleur prix de ses oies, il fallait que la vieille arrivât la première au marché; mais, aux approches de cette lande sauvage, coupée par des flaques d'eau et des fondrières, son troupeau, qui jusqu'alors docile s'était avancé en bon ordre, se dispersa tout-à-coup pour se plonger dans son élément favori. Furieuse de voir ses efforts inutiles, et oubliant les termes du pacte qui obligeait Belzébuth à lui obéir pendant un temps convenu, la sorcière s'écria: – Démon! que je ne sorte plus de ce lieu, ni mes oies ni moi! A peine ces mots furent-ils prononcés, que, par une métamorphose aussi subite qu'aucune de celles d'Ovide, la vieille et le troupeau réfractaire furent convertis en pierres, l'ange du mal, qu'elle servait, ayant saisi avec empressement l'occasion de compléter la perte de son corps et de son âme, en obéissant littéralement à ses ordres. On dit que, se sentant transformée, elle s'écria en s'adressant au démon perfide: – «Ah! traître! tu m'avais promis depuis long-temps une robe grise, celle que tu me donnes durera!» Ces louangeurs du temps passé qui, dans leur opinion consolante, soutiennent la dégénération graduelle du genre humain, citaient souvent la taille du pilier et celle des pierres pour prouver quelle était autrefois la stature des femmes et des oies.

Tous ces détails se retracèrent à l'esprit d'Hobby. Il se rappela aussi qu'il n'existait pas un seul villageois qui n'évitât soigneusement cet endroit, surtout à la nuit tombante, parce qu'on le regardait comme un repaire de kelpies, de spunkies et d'autres démons écossais, jadis les compagnons de la sorcière, et continuant à se donner rendez-vous au même lieu pour y tenir compagnie à leur maîtresse pétrifiée. Hobby, quoique superstitieux, ne manquait pas de courage; il appela près de lui les chiens qui l'avaient suivi à la chasse, et qui, comme il le disait, ne craignaient ni chiens ni diables; il regarda si son fusil était bien amorcé, et, comme le paysan du conte de Burns (Halloween), il se mit à siffler le refrain guerrier de Jock of the Side (Voyez les Chants populaires de l'Écosse), comme un général fait battre le tambour pour animer des soldats dont le courage est douteux.

Dans cette situation d'esprit, on juge bien qu'Hobby ne fut pas fâché d'entendre derrière lui une voix de sa connaissance. Il s'arrêta sur-le-champ, et fut joint par un jeune homme qui demeurait dans les environs, et qui avait, comme lui, passé la journée à la chasse.

Patrick Earnscliff d'Earnscliff venait d'atteindre sa majorité, et d'entrer en possession de sa fortune, qui était encore fort honnête, quoiqu'elle ne fût que le reste de biens plus considérables qu'avaient possédés ses ancêtres avant les guerres civiles du temps. Il était d'une bonne famille, universellement respectée dans le pays, et il paraissait devoir maintenir la réputation de ses aïeux, ayant reçu une excellente éducation, et étant doué d'excellentes qualités.

– Allons, Earnscliff, s'écria Hobby, je suis toujours aise de rencontrer votre Honneur, et il fait bon d'être en compagnie dans un désert comme celui-ci. – C'est un endroit tout rempli de fondrières. – Où avez-vous chassé aujourd'hui?

– Jusqu'au Carla-Cleugh, Hobby, répondit Earnscliff en lui rendant son salut d'amitié; mais croyez-vous que nos chiens vivront en paix?

– Ah! ne craignez rien des miens, ils sont si fatigués qu'ils ne peuvent mettre une patte devant l'autre. Diable! les daims ont déserté le pays, je crois. Je suis allé jusqu'à Inger-Fell-Foot; de toute la journée, je n'ai vu d'autre gibier que trois vieilles perdrix rouges, dont je n'ai jamais pu approcher à portée de fusil, quoique j'aie fait un détour de plus d'un mille pour prendre le vent. Du diable si je ne m'en moquerais pas; – mais je suis contrarié de n'avoir pas une pièce de gibier à rapporter à ma vieille mère. – La bonne dame est là-bas qui parle toujours des chasseurs et des tireurs de jadis. – Ah! je crois, moi, qu'ils ont tué tout le gibier du pays.

– Hé bien! Hobby, j'ai tué ce matin un chevreuil, que mon domestique a porté à Earnscliff; je vous en enverrai la moitié pour votre grand'mère.

– Grand merci, monsieur Patrick. Vous êtes connu dans tout le pays pour votre bon coeur. Ah! je suis sûr que cela fera plaisir à la bonne femme, surtout quand elle saura que c'est vous qui l'avez tué. Mais j'espère que vous viendrez en prendre votre part; car je crois que vous êtes seul à la tour d'Earnscliff maintenant. Tous vos gens sont à cet ennuyeux Édimbourg. Que diable font-ils dans ces longs rangs de maisons de pierres avec un toit d'ardoises, ceux qui pourraient vivre dans le bon air de leurs vertes montagnes?

– Ma mère a été retenue pendant plusieurs années à Édimbourg par mon éducation et celle de ma soeur; mais je me propose bien de réparer le temps perdu.

– Et vous sortirez un peu de la vieille tour pour vivre en bon voisin avec les vieux amis de la famille, comme doit faire le laird d'Earnscliff. Savez-vous bien que ma mère… je veux dire ma grand'mère; mais depuis la mort de ma mère, je l'appelle tantôt d'une façon, tantôt de l'autre. N'importe, je voulais vous dire qu'elle prétend qu'il y a une parenté éloignée entre vous et nous.

– Cela est vrai, Hobby; et j'irai demain dîner à Heugh-Foot de tout mon coeur.

– Voilà qui est bien dit. Quand nous ne serions point parents, au moins nous sommes d'anciens voisins après tout. Ma mère a tant d'envie de vous voir! Elle jase si souvent de votre père, qui a été tué il y a long-temps.

– Paix, Hobby! ne parlez pas de cela. C'est un malheur qu'il faut tâcher d'oublier.

– Je n'en sais trop rien! Si cela était arrivé à mon père, je m'en souviendrais jusqu'à ce que je m'en fusse vengé, et mes enfants s'en souviendraient après moi. Mais, vous autres seigneurs, vous savez ce que vous avez à faire. J'ai entendu dire que c'était un ami d'Ellieslaw qui avait frappé votre père, lorsque le laird lui-même venait de le désarmer.

– Laissons cela, laissons cela, Hobby. Ce fut une malheureuse querelle occasionnée par le vin et par la politique. Plusieurs épées furent tirées en même temps, et il est impossible de dire qui frappa le coup.

– Quoi qu'il en soit, le vieux Ellieslaw était fauteur et complice, car c'est le bruit général; et je suis sûr que si vous vouliez en tirer vengeance, personne ne vous blâmerait, car le sang de votre père rougit encore ses mains… Et d'ailleurs il n'a laissé que vous pour venger sa mort… Et puis Ellieslaw est un papiste et un jacobite… Ah! il est bien certain que tout le pays s'attend à ce qu'il se passe quelque chose entre vous.

– N'êtes-vous pas honteux, Hobby, vous qui prétendez avoir de la religion, d'exciter votre ami à la vengeance, et à contrevenir aux lois civiles et religieuses, et cela dans un endroit où nous ne savons pas qui peut nous écouter?

– Chut! chut! dit Hobby en se rapprochant de lui, j'avais oublié… Mais je vous dirais bien, monsieur Patrick, ce qui arrête votre bras. Nous savons bien que ce n'est pas manque de courage. Ce sont les deux yeux d'une jolie fille, de miss Isabelle Vere, qui vous tiennent si tranquille.

– Je vous assure que vous vous trompez, Hobby, répondit Earnscliff avec un peu d'humeur, et vous avez grand tort de parler et même de penser ainsi. Je n'aime pas qu'on se donne la liberté de joindre inconsidérément à mon nom celui d'une, jeune demoiselle.

 

– Là! ne vous disais-je pas bien que si vous étiez si calme; ce n'était pas faute de courage? Allons, allons, je n'ai pas eu dessein de vous offenser. Mais il y a encore une chose qu'il faut que je vous dise entre amis. Le vieux laird d'Ellieslaw a plus que vous dans ses veines l'ancien sang du pays. Il n'entend rien à toutes ces nouvelles idées de paix et de tranquillité. Il est tout pour les expéditions et les bons coups du vieux temps. On voit à sa suite une foule de vigoureux garçons qu'il tient en bonne disposition et qui sont pleins de malice comme de jeunes poulains. Il vit grandement, dépense trois fois ses revenus tous les ans, paie bien tout le monde, et personne ne peut dire où il prend son argent. Aussi, dès qu'il y aura un soulèvement dans le pays, il sera un des premiers à se déclarer. Or croyez bien qu'il n'a pas oublié son ancienne querelle avec votre famille; je parierais qu'il rendra quelque visite à la vieille tour d'Earnscliff.

– S'il est assez malavisé pour le faire, Hobby, j'espère lui prouver que la vieille tour est encore assez solide pour lui résister, et je saurai la défendre contre lui, comme mes ancêtres l'ont défendue contre les siens.

– Fort bien! très bien! vous parlez en homme à présent… Hé bien! si jamais il vous attaque ainsi, faites sonner la grosse cloche de la tour, et en un clin d'oeil vous m'y verrez arriver avec mes deux frères, le petit Davie de Stenhouse, et tous ceux que je pourrai ramasser.

– Je vous remercie, Hobby; mais j'espère que dans le temps où nous vivons nous ne verrons pas arriver des événements si contraires à tous les sentiments de religion et d'humanité.

– Bah! bah! monsieur Patrick, ce ne serait qu'un petit bout de guerre entre voisins: le ciel et la terre le savent bien, dans un pays si peu civilisé, c'est la nature du pays et des habitants. Nous ne pouvons pas vivre tranquilles comme les gens de Londres. Ce n'est pas possible: nous n'avons pas comme eux tant à faire.

– Pour un homme qui croit aussi fermement que vous, Hobby, aux apparitions surnaturelles, il me semble que vous parlez du ciel un peu légèrement. Vous oubliez encore dans quel lieu nous nous trouvons.

– Est-ce que la plaine de Mucklestane m'effraie plus que vous, monsieur Earnscliff? Je sais bien qu'il y revient des esprits, qu'on y voit là nuit des figures effroyables; mais qu'est-ce que j'ai à craindre? J'ai une bonne conscience, elle ne me reproche rien… Peut-être quelques gaillardises avec de jeunes filles, ou quelques débauches dans une foire: est-ce donc un si grand crime? Malgré tout ce que je vous ai dit, j'aime la paix et la tranquillité tout autant que…

– Et Dick Turnbull, à qui vous cassâtes la tête? et Williams de Winton, sur qui vous fîtes feu?

– Ah! monsieur Earnscliff, vous tenez donc un registre de mes mauvais tours? La tête de Dick est guérie, et nous devons vider notre différend le jour de Sainte-Croix à Jeddart; c'est donc une affaire arrangée à l'amiable. Quant à Willie, nous sommes redevenus amis, le pauvre garçon: – il n'a eu que quelques grains de grêle après tout. – J'en recevrais volontiers autant pour une pinte d'eau-de-vie. Mais Willie a été élevé dans la plaine, et il a bientôt peur pour sa peau; quant aux esprits, je vous dis que quand il s'en présenterait un devant moi…

– Comme cela n'est pas impossible, dit Earnscliff en souriant, car nous approchons de la fameuse sorcière.

– Je vous dis, reprit Hobby comme indigné de cette provocation, que, quand la vieille sorcière sortirait elle-même de terre, je n'en serais pas plus effrayé que… – Mais Dieu me préserve! monsieur Earnscliff, qu'est-ce que j'aperçois là-bas?