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Loe raamatut: «Clio», lehekülg 3

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III

L'hiver vint recouvrir la Gaule d'ombre, de glace et de neige. Le cœur des guerriers s'émut, dans la hutte de roseaux, au souvenir des chefs et des serviteurs tués par César ou vendus à l'encan. Parfois un homme venait, à la porte de la hutte, mendiant du pain et montrant ses poignets coupés par le licteur. Et les guerriers s'indignaient dans leur cœur. Ils échangeaient entre eux des paroles de colère. Des assemblées nocturnes se tenaient au fond des bois et dans le creux des rochers.

Cependant le roi Komm chassait avec ses fidèles à travers les forêts, au pays des Atrébates. Chaque jour, un messager portant la saie rayée et les braies rouges venait, par des sentiers inconnus, au-devant du roi, et, ralentissant près de lui le pas de son cheval, lui disait à voix basse:

– Komm, ne veux-tu pas être un homme libre dans un pays libre? Komm, subiras-tu longtemps l'esclavage des Romains?

Et le messager disparaissait dans l'étroit chemin où les feuilles tombées amortissaient le galop de son cheval.

Komm, roi des Atrébates, demeurait l'ami des Romains. Mais, peu à peu, il se persuada qu'il convenait que les Atrébates et les Morins fussent libres, puisqu'il était leur roi. Il lui déplaisait aussi de voir les Romains, établis à Némétocenne, siéger dans des tribunaux, où ils rendaient la justice, et des géomètres venus d'Italie tracer des routes à travers les forêts sacrées. Enfin il admirait moins les Romains depuis qu'il avait vu leurs liburnes brisées contre les falaises bretonnes et les légionnaires pleurer la nuit, sur la grève. Il continuait d'exercer la souveraineté au nom de César. Mais il parlait à ses fidèles, en termes obscurs, de guerres prochaines.

Trois ans plus tard, l'heure était venue; le sang romain avait coulé dans Genabum. Les chefs conjurés contre César assemblaient des guerriers dans les monts Arvernes. Komm n'aimait pointées chefs; il les haïssait au contraire, les uns parce qu'ils étaient plus riches que lui en hommes, en chevaux et en terres, les autres à cause de l'or et des rubis qu'ils avaient en abondance, et plusieurs de ce qu'ils se disaient plus braves que lui et de plus noble race. Pourtant il reçut leurs messagers, auxquels il remit une feuille de chêne et une pointe de noisetier en signe d'amour. Et il correspondit avec les chefs ennemis de César au moyen de branches d'arbres taillées et nouées entre elles de manière à présenter un sens intelligible aux Gaulois, qui connaissaient le langage des feuilles.

Il ne poussa point le cri de guerre. Mais il allait par les villages atrébates et, visitant les guerriers dans les huttes, il leur disait:

– Trois choses sont nées les premières: l'homme, la liberté, la lumière.

Il s'assura que, lorsqu'il pousserait le cri de guerre, cinq mille guerriers morins et quatre mille guerriers atrébates boucleraient à son appel leur ceinturon de bronze. Et, songeant avec joie que dans la forêt le feu couvait sous la cendre, il passa secrètement chez les Trévires, afin de les gagner à la cause gauloise.

Or, tandis qu'il chevauchait avec ses fidèles le long des saules de la Moselle, un messager, vêtu de la saie rayée, lui remit une branche de frêne liée à une tige de bruyère, pour lui faire entendre que les Romains avaient soupçon de ses desseins et pour l'engager à la prudence. Car telle était la signification de la bruyère unie au frêne. Mais il poursuivit sa route et pénétra dans le territoire des Trévires. Titus Labienus, lieutenant de César, y était cantonné avec dix légions. Averti que le roi Commius venait secrètement visiter les chefs des Trévires, il soupçonna que c'était pour les détourner de l'amitié de Rome. L'ayant fait suivre par des espions il reçut des avis qui le confirmèrent dans l'idée qu'il s'était formée. Il résolut alors de se défaire de cet homme. Il était Romain, fils de la Ville déesse, exemple à l'univers, et il portait par les armes la paix romaine aux extrémités du monde. Il était bon général, expert dans la mathématique et dans la mécanique. Pendant les loisirs de la paix, il conversait dans sa villa de Campanie, sous les térébinthes, avec des magistrats, sur les lois, les mœurs et les usages des peuples. Il vantait les vertus antiques et la liberté. Il lisait les livres des historiens et des philosophes grecs. C'était un esprit plein de noblesse et d'élégance. Et parce que Komm l'Atrébate était un barbare, étranger à la chose romaine, il lui parut convenable et bon de le faire assassiner.

Averti du lieu où il se trouvait, il lui envoya son préfet de la cavalerie, Caius Volusenus Quadratus, qui connaissait l'Atrébate, car ils avaient été chargés tous deux de reconnaître ensemble les côtes de l'île de Bretagne, avant l'expédition de César; mais Volusenus n'avait pas osé débarquer. Donc, sur l'ordre de Labienus, lieutenant de César, Volusenus choisit quelques centurions et les emmena avec lui dans le village où il savait qu'il trouverait Komm. Il pouvait compter sur eux. Le centurion était un légionnaire monté en grade et qui portait, comme insigne de ses fonctions, un cep de vigne dont il frappait ses subordonnés. Ses chefs faisaient de lui tout ce qu'ils voulaient. Il était, après le terrassier, le premier instrument de la conquête. Volusenus dit à ses centurions:

– Un homme s'approchera de moi. Vous le laisserez avancer. Je lui tendrai la main. À ce moment, vous le frapperez par derrière et vous le tuerez.

Ayant donné ces ordres, Volusenus partit avec son escorte. Il rencontra, dans un chemin creux, près du village, Komm accompagné de ses fidèles. Le roi des Atrébates, qui se savait suspect aux Romains, aurait tourné bride. Mais le préfet de la cavalerie l'appela par son nom, l'assura de son amitié et lui tendit la main.

Rassuré par ces signes de bienveillance, l'Atrébate s'approcha. Au moment où il allait prendre la main qui lui était tendue, un centurion lui abattit son épée sur la tête et le fit tomber tout sanglant de son cheval. Les fidèles du roi se jetèrent alors sur la petite troupe romaine, la dispersèrent, relevèrent Komm et l'emportèrent jusqu'au prochain village, tandis que Volusenus, qui croyait sa besogne achevée, regagnait le camp ventre à terre avec ses cavaliers.

Le roi Komm n'était pas mort. Il fut porté secrètement dans le pays des Atrébates et il guérit de sa terrible blessure. S'étant remis debout, il fit ce serment:

– Je jure de ne me trouver face à face avec un Romain que pour le tuer.

Bientôt il apprit que César avait subi une grande défaite au pied de la montagne de Gergovie et que quarante-six centurions de son armée étaient tombés sous les murailles de la ville. Il fut averti ensuite que les confédérés, que commandait Vercingétorix, étaient assiégés dans Alésia des Mandubes, forteresse célèbre des Gaules, fondée par Hercule Tyrien. Il se rendit alors avec ses guerriers morins et ses guerriers atrébates sur la frontière des Eduens où se rassemblait l'armée qui devait secourir les Gaulois d'Alésia. On fit le dénombrement de cette armée et il se trouva qu'elle était composée de deux cent quarante mille fantassins et de huit mille cavaliers. Le commandement en fut donné à Virdumar et à Eporedorix, Eduens, à Vergasillaun, Arverne, et à Komm l'Atrébate.

Après les longs jours d'une marche embarrassée, Komm parvint avec les chefs et les soldats au pays montueux des Eduens. D'une des hauteurs qui environnent le plateau d'Alésia, il vit le camp romain et la terre remuée tout alentour par ces petits hommes bruns qui faisaient la guerre plus avec la pioche et la pelle qu'avec le javelot et l'épée. Il en tira un mauvais augure, sachant que les Gaulois valaient moins contre les fossés et les machines que contre des poitrines humaines. Lui-même, qui connaissait bien des ruses de guerre, il n'entendait pas grand'chose aux arts des ingénieurs latins. Après trois grandes batailles, durant lesquelles les fortifications des Romains ne furent point entamées, Komm fut emporté comme un brin de paille dans la tempête par la déroute épouvantable des Gaulois. Il avait vu dans la mêlée le manteau rouge de César et pressenti la défaite. Maintenant il fuyait par les chemins, furieux, maudissant les Romains, mais satisfait du mal qu'avaient soufferts avec lui les chefs gaulois dont il était jaloux.

IV

Komm vécut un an caché dans les forêts atrébates. Il y était en sûreté parce que les Gaulois haïssaient les Romains et, leur étant soumis, estimaient grandement ceux qui ne leur obéissaient pas. Accompagné de ses fidèles, il menait sur le fleuve et dans la futaie une existence qui ne différait pas beaucoup de celle qu'il avait menée étant chef de beaucoup de tribus. Il se livrait à la chasse et à la pêche, méditait des ruses, et buvait des boissons fermentées qui, lui faisant perdre l'intelligence des choses humaines, lui communiquaient celle des choses divines. Mais son âme était changée, et il souffrait de ne plus se sentir libre. Tous les chefs des peuples étaient tués dans les combats, ou morts sous les verges, ou liés par le licteur et conduits dans les prisons de Rome. Il n'était plus animé contre eux d'une âcre envie, et il gardait maintenant sa haine tout entière aux Romains. Il attachait à la queue de son cheval le cercle d'or qu'il avait reçu du dictateur comme ami du Sénat et du Peuple romain. Il donnait à ses dogues les noms de César, de Caius et de Julius. Quand il voyait un porc, il l'appelait Volusenus en lui jetant des pierres. Et il composait des chants imités de ceux qu'il avait entendus dans sa jeunesse et qui exprimaient en fortes images l'amour de la liberté.

Or un jour que, chassant des oiseaux, il avait, seul et loin de ses fidèles, gravi le haut plateau, recouvert de bruyères, qui domine Némétocenne, il vit avec stupeur que les huttes et les palissades de sa ville avaient été abattues et que, dans une enceinte de murailles, s'élevaient des portiques, des temples et des maisons d'une architecture prodigieuse, qui lui inspiraient l'horreur et l'effroi que causent les ouvrages magiques. Car il ne pensait pas que ces demeures eussent été construites, en un si petit espace de temps, par des moyens naturels.

Il oublia de poursuivre les oiseaux dans la bruyère, et, couché sur la terre rouge, il regarda longtemps la ville étrange. La curiosité, plus forte que la peur, lui tenait les yeux ouverts. Et il contempla ce spectacle jusqu'au soir. Alors il lui vint au cœur une irrésistible envie de pénétrer dans la ville. Il cacha sous une pierre, dans la bruyère, ses colliers d'or, ses bracelets, ses ceintures de pierreries et ses armes de chasse, ne gardant qu'un couteau sous sa saie, et il descendit les pentes de la forêt. En traversant les halliers humides, il cueillit des champignons pour avoir l'air d'un pauvre homme allant vendre sa récolte sur le marché. Et il entra dans la ville, à la troisième veille, par la Porte dorée. Elle était gardée par des légionnaires qui laissaient passer les paysans portant des provisions. Aussi le roi des Atrébates, qui avait pris l'aspect d'un pauvre homme, put-il pénétrer facilement dans la voie Julienne. Elle était bordée de villas et conduisait au temple de Diane, dont le blanc fronton s'élevait, orné déjà de rinceaux de pourpre, d'azur et d'or. Aux lueurs grises du matin, Komm vit des figures peintes sur les murs des maisons. C'étaient des images aériennes de danseuses et les scènes d'une histoire qu'il ignorait: une jeune vierge offerte en sacrifice par des héros, une mère furieuse poignardant ses deux enfants encore à la mamelle, un homme aux pieds de bouc dressant de surprise ses oreilles pointues, quand il dévoile une vierge couchée et dormante et trouve qu'elle est un jeune garçon en même temps qu'une femme. Et il y avait dans les cours d'autres peintures qui enseignaient des façons d'aimer inconnues aux peuples de la Gaule. Quoiqu'il aimât furieusement le vin et les femmes, il ne concevait rien aux voluptés ausoniennes, parce qu'il ne se faisait pas une idée sensible des formes variées des corps et qu'il n'était pas tourmenté par le désir de la beauté. Venu dans cette ville, qui avait été sienne, pour satisfaire sa haine et donner à manger à sa colère, il nourrissait son cœur de fureur et de dégoût. Il détestait les arts latins et les artifices mystérieux des peintres. Et, de toutes les scènes représentées sous les portiques, il ne discernait que peu de chose, parce que ses yeux n'étaient savants qu'à connaître les feuillages des arbres et les nuées du ciel sombre.

Portant sa cueillette de morilles dans un pli de sa saie, il allait par les voies pavées de larges dalles. Sous une porte que surmontait un phallus éclairé par une petite lampe, il vit des femmes vêtues de tuniques transparentes, qui guettaient les passants. Il s'approcha dans l'idée de faire quelque violence. Une vieille survint, qui glapit aigrement:

– Passe ton chemin. Ce n'est pas une maison pour les paysans qui puent le fromage. Va retrouver tes vaches, bouvier!

Komm lui répondit qu'il avait eu cinquante femmes, les plus belles parmi les femmes atrébates, et des coffres pleins d'or. Les courtisanes se mirent à rire et la vieille cria:

– Au large, ivrogne!

Et la vieille semblait un centurion armé du cep de vigne, tant la majesté du Peuple romain éclatait dans l'Empire!

Komm, d'un coup de poing, lui brisa la mâchoire et s'éloigna tranquille, tandis que l'étroit couloir de la maison s'emplissait de cris aigus et de hurlements lamentables. Il laissa sur sa gauche le temple de Diane ardenaise et traversa le forum entre deux rangs de portiques. Reconnaissant, debout sur son socle de marbre, la déesse Rome, la tête coiffée du casque et le bras étendu pour commander aux peuples, il accomplit devant elle, avec une intention injurieuse, la plus ignoble des fonctions naturelles.

Il avait traversé toute la partie bâtie de la ville. Devant lui s'étendait le cercle de pierres à peine esquissé, déjà immense, de l'amphithéâtre. Il soupira:

– Ô race de monstres!

Et il s'avança parmi les débris abattus et foulés aux pieds des huttes gauloises, dont les toits de chaume s'étendaient naguère ainsi qu'une armée immobile et qui maintenant faisaient, non pas même une ruine, mais un fumier sur le sol. Et il songea:

–Voilà ce qui reste de tant d'âges d'hommes! Voilà ce qu'ils ont fait des demeures où les chefs atrébates suspendaient leurs armes!

Le soleil s'était levé sur les gradins de l'amphithéâtre, et le Gaulois parcourait avec une haine insatiable et curieuse le vaste chantier de briques et de pierres. De ces durs monuments de la conquête il remplissait le regard de ses grands yeux bleus, et il secouait dans l'air frais sa longue crinière fauve. Se croyant seul, il murmurait des imprécations. Mais, à quelque distance du chantier, il aperçut, au pied d'un tertre couronné de chênes, un homme assis sur une pierre moussue, la tête couverte de son manteau et penchée. Il ne portait point d'insignes, mais il avait au doigt l'anneau de chevalier, et l'Atrébate avait assez l'habitude du camp romain pour reconnaître un tribun militaire. Ce soldat écrivait sur des tablettes de cire et semblait tout entier à ses pensées intérieures. Demeuré longtemps immobile, il leva la tète, pensif, le poinçon sur la lèvre, regarda sans voir, puis, rebaissant les yeux, recommença d'écrire. Komm le vit en face et s'aperçut qu'il était jeune, avec un air de noblesse et de douceur.

Alors le chef atrébate se rappela son serment. Il tâta son couteau sous sa saie, se glissa derrière le Romain avec une agilité sauvage et lui enfonça la lame au défaut de l'épaule. C'était une lame romaine. Le tribun poussa un grand soupir et s'affaissa. Un filet de sang coula du coin de la lèvre. Les tablettes de cire restaient sur la tunique entre les genoux. Komm les prit et regarda avidement les signes qui y étaient tracés, pensant que c'étaient des signes magiques dont la connaissance lui donnerait un grand pouvoir. C'étaient des lettres qu'il ne put lire et qui étaient prises à l'alphabet grec, alors employé préférablement à l'alphabet latin par les jeunes lettrés d'Italie. Ces lettres étaient en grande partie effacées par l'extrémité plate du stylet. Celles qui subsistaient donnaient des vers composés en langue latine sur des mètres grecs et présentaient, par endroits, un sens intelligible:

À PHOEBÉ, SUR SA MESANGE
 
O toi que Varius aime plus que ses yeux,
Ton Varius, errant sous le ciel pluvieux
Du Galate…
 
 
Et leur couple chantant dans la cage dorée
 
 
Ô ma blanche Phœbé, donne d'un doigt prudent
Le millet et l'eau pure à ta frêle captive.
 
 
Elle couve, elle est mère; une mère est craintive.
Oh! ne viens pas aux bords de l'Océan brumeux,
Phœbé, de peur …
 
 
… Tes pieds blancs et tes flancs
Savants à se mouvoir au rythme du crotale.
 
 
Et ni l'or de Crésus ni la pourpre d'Attale,
Mais tes bras frais, tes seins …
 

Une faible rumeur montait de la ville éveillée. L'Atrébate s'enfuit à travers les restes des huttes gauloises où quelques Barbares demeuraient terrés, humbles et farouches, et, par une brèche du mur, il sauta dans la campagne.

V

Lorsque enfin, par le glaive du légionnaire, par les verges du licteur et par les paroles flatteuses de César, la Gaule fut pacifiée tout entière, Marcus Antonius, questeur, vint prendre ses quartiers d'hiver à Némétocenne des Atrébates. Il était fils de Julia, sœur de César. Ses fonctions consistaient à payer la solde des troupes et à répartir, selon les règles établies, le butin qui était énorme, car les conquérants avaient trouvé des barres d'or et des escarboucles sous les pierres des lieux sacrés, au creux des chênes, dans l'eau tranquille des étangs, et recueilli beaucoup d'ustensiles d'or dans les huttes des chefs et des peuples exterminés.

Marcus Antonius amenait avec lui des scribes en grand nombre et des arpenteurs qui procédèrent à la répartition des meubles et des terres, et qui eussent fait beaucoup d'écritures inutiles; mais César leur prescrivit des méthodes simples et rapides de travail. Des marchands asiatiques, des colons, des ouvriers, des légistes venaient en foule à Némétocenne; et les Atrébates qui avaient quitté leur ville y rentraient les uns après les autres, curieux, surpris, pleins d'admiration. Les Gaulois, pour la plupart, étaient fiers maintenant de porter la toge et de parler la langue des fils magnanimes de Rémus. Ayant rasé leurs longues moustaches, ils ressemblaient à des Romains. Ceux d'entre eux qui avaient gardé quelque richesse demandaient à un architecte romain de leur bâtir une maison avec un portique intérieur, des chambres pour les femmes et une fontaine ornée de coquillages. Ils faisaient peindre Hercule, Mercure et les Muses dans leur salle à manger, et soupaient accoudés sur des lits.

Komm, bien qu'illustre et fils d'un père illustre, avait perdu la plupart de ses fidèles. Cependant il refusait de se soumettre et menait une vie errante et guerrière avec quelques hommes unis à lui par l'âpre volonté d'être libres, par la haine des Romains ou par l'habitude du pillage et du viol. Ils le suivaient dans les forêts impénétrées, dans les marécages, et jusque dans ces îles mouvantes formées à la vaste embouchure des rivières. Ils lui étaient tout dévoués, mais ils lui parlaient sans respect, ainsi qu'un homme parle à son égal, parce qu'ils l'égalaient en effet par le courage, dans l'excès constant des souffrances, du dénuement et de la misère. Ils habitaient des arbres touffus ou les fentes des rochers. Ils recherchaient les cavernes creusées dans la pierre friable par l'eau puissante des torrents au fond des étroites vallées. Quand ils ne trouvaient pas d'animaux à chasser, ils se nourrissaient de mûres et d'arbouses. Ils ne pouvaient pénétrer dans les villes gardées contre eux par les Romains ou seulement par la peur des Romains. Dans la plupart des villages ils n'étaient pas reçus volontiers. Komm trouva pourtant accueil dans les huttes éparses sur les sables toujours battus des vents, au bord des bouches endormies de la rivière Somme. Les habitants de ces dunes se nourrissaient de poissons. Pauvres, épars, perdus dans les chardons bleus de leur sol stérile, ils n'avaient point éprouvé la force romaine. Ils le recevaient avec ses compagnons dans leurs maisons souterraines, couvertes de roseaux et de pierres roulées par la mer. Ils l'écoutaient attentivement, n'ayant jamais entendu un homme parler aussi bien que lui. Il leur disait:

– Sachez qui sont les amis des Atrébates et des Morins qui vivent sur le rivage de la mer et dans la forêt profonde.

»La lune, la forêt et la mer sont les amies des Morins et des Atrébates. Et ni la mer, ni la forêt, ni la lune n'aime les petits hommes bruns amenés par César.

»Or, la mer m'a dit: – Komm, je cache tes navires vénètes dans une anse déserte de mon rivage.

»La forêt m'a dit: – Komm, je donnerai un abri sur à toi qui es un chef illustre et à tes compagnons fidèles.

»La lune m'a dit: – Komm, tu m'as vue, dans l'île des Bretons, briser les navires des Romains. Je commande aux nuages et aux vents, et je refuserai ma lumière aux conducteurs des chariots qui portent des vivres aux Romains de Némétocenne, en sorte que tu pourras les surprendre, la nuit.

»Ainsi m'ont parlé la mer, la forêt et la lune. Et je vous dis:

» – Laissez là vos barques et vos filets et venez avec moi. Vous serez tous des chefs de guerre et des hommes illustres. Nous livrerons des combats très beaux et très profitables. Nous nous procurerons des vivres, des trésors et des femmes en abondance. Voici comment:

»Je connais de mémoire tout le pays des Atrébates et des Morins si parfaitement qu'il n'y a point dans tout ce pays une rivière, un étang, un rocher dont je ne sache pas très bien la place. Et tous les chemins, tous les sentiers sont aussi présents dans mon esprit, avec leur vraie longueur et leur vraie direction, qu'ils le sont sur le sol des aïeux. Et il faut que ma pensée soit grande et royale pour contenir ainsi toute la terre atrébate. Or sachez qu'elle contient beaucoup d'autres pays encore, bretons, gaulois, germains. C'est pourquoi, si le commandement m'avait été donné sur les peuples, j'aurais vaincu César et chassé les Romains de cette terre. Et c'est pourquoi nous surprendrons ensemble les courriers de Marcus Antonius et les convois de vivres destinés à la ville qu'ils m'ont volée. Nous les surprendrons aisément, parce que je connais les routes qu'ils prennent, et leurs soldats ne pourront nous atteindre, parce qu'ils ne connaissent pas les chemins que nous prendrons. Et s'ils parvenaient à suivre notre trace, nous leur échapperions dans mes navires vénètes, qui nous porteraient à l'île des Bretons.»

Par de tels discours, Komm inspira une grande confiance à ses hôtes du rivage brumeux. Il acheva de les gagner en leur donnant quelques morceaux d'or et de fer, restes des trésors qu'il avait possédés. Ils lui dirent:

– Nous te suivrons partout où il te plaira de nous mener.

Il les mena par des chemins inconnus jusques aux abords de la voie romaine. Quand il voyait dans une prairie humide, autour de l'habitation d'un homme riche, des chevaux paissant, il les donnait à ses compagnons.

Il forma ainsi une troupe de cavalerie à laquelle venaient se joindre plusieurs Atrébates, désireux de faire la guerre pour acquérir des richesses, et quelques déserteurs du camp romain. Ceux-ci, le chef Komm ne les recevait pas, pour ne point violer le serment qu'il avait fait de ne jamais voir en face un Romain. Il les faisait interroger par un homme intelligent et les renvoyait avec des vivres pour trois jours. Parfois tous les hommes d'un village, jeunes et vieux, le suppliaient de les recevoir parmi ses fidèles. Ces hommes, les fiscaux de Marcus Antonius les avaient entièrement dépouillés, levant, après le tribut imposé par César, des tributs indus, et frappant d'amendes les chefs pour des fautes imaginaires. En effet, les officiers du fisc, après avoir rempli les coffres de l'État, prenaient soin de s'enrichir aux dépens de ces barbares qu'ils jugeaient stupides et qu'ils pouvaient toujours livrer au bourreau, pour faire taire les plaintes importunes. Komm choisissait les hommes les plus forts. Les autres, malgré leurs larmes et la peur qu'ils lui exprimaient de mourir de faim ou des Romains, étaient congédiés. Il ne voulait point avoir une grande armée, parce qu'il ne voulait point faire une grande guerre, ainsi que Vercingétorix.

Avec sa petite troupe, il enleva en peu de jours plusieurs convois de farine et de bestiaux, massacra, jusque sous les murs de Némétocenne, des légionnaires isolés et terrifia la population romaine de la ville.

– Ces Gaulois, disaient les tribuns et le centurions, sont des barbares cruels, contempteurs des Dieux, ennemis du genre humain. Au mépris de la foi jurée, ils offensent la majesté de Rome et de la Paix. Ils méritent une peine exemplaire. Nous devons à l'humanité de châtier les coupables.

Les plaintes des colons, les cris des soldats montèrent jusqu'au tribunal du questeur. Marcus Antonius d'abord n'y prit pas garde. Il était occupé à représenter, dans des salles closes et bien chauffées, avec des histrions et des courtisanes, les travaux de cet Hercule auquel il ressemblait par les traits du visage, la barbes courte et bouclée, la vigueur des membres. Vêtu d'une peau de lion, sa massue à la main, le fils robuste de Julia abattait des monstres feints, perçait de ses flèches une machine en forme d'hydre. Puis soudain, changeant la dépouille du lion pour la robe d'Omphale, il changeait en même temps de fureurs.

Cependant les convois étaient inquiétés; les détachements de soldats, surpris, harcelés, mis en fuite; et l'on trouva un matin le centurion G. Fusius pendu, la poitrine ouverte, à un arbre, près de la Porte dorée.

On savait dans le camp romain que l'auteur de ces brigandages était Commius, autrefois roi par l'amitié de Rome, maintenant chef de bandits. Marcus Antonius donna l'ordre d'agir avec énergie pour assurer la sécurité des soldats et des colons. Et, prévoyant qu'on ne prendrait pas de si tôt le rusé Gaulois, il invita le préteur à faire tout de suite un exemple terrible. Pour se conformer aux intentions de son chef, le préteur fit amener à son tribunal les deux Atrébates les plus riches qu'il y eût à Némétocenne.

L'un se nommait Vergal et l'autre Ambrow. Ils étaient tous deux d'illustre naissance et ils avaient, les premiers entre tous les Atrébates, fait amitié avec César. Mal récompensés de leur prompte soumission, dépouillés de tous leurs honneurs et d'une grande partie de leurs biens, sans cesse vexés par des centurions grossiers et par des légistes cupides, ils avaient osé murmurer quelques plaintes. Imitateurs des Romains et portant la toge, ils vivaient à Némétocenne, naïfs et vains, dans l'humiliation et l'orgueil. Le préteur les interrogea, les condamna à la peine des parricides et les livra aux licteurs en une même journée. Ils moururent doutant de la justice latine.

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28 september 2017
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