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Loe raamatut: «L'île des pingouins», lehekülg 20

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Section 3.

À compter de ce jour les attentats anarchistes se succédèrent durant une semaine sans interruption. Les victimes furent nombreuses, elles appartenaient presque toutes aux classes pauvres. Ces crimes soulevaient la réprobation publique. Ce fut parmi les gens de maison, les hôteliers, les petits employés et dans ce que les trusts laissaient subsister du petit commerce que l’indignation éclata le plus vivement. On entendait, dans les quartiers populeux, les femmes réclamer des supplices inusités pour les dynamiteurs. (On les appelait ainsi d’un vieux nom qui leur convenait mal, car, pour ces chimistes inconnus, la dynamite était une matière innocente, bonne seulement pour détruire des fourmilières et ils considéraient comme un jeu puéril de faire détoner la nitroglycérine au moyen d’une amorce de fulminate de mercure.) Les affaires cessèrent brusquement et les moins riches se sentirent atteints les premiers. Ils parlaient de faire justice eux-mêmes des anarchistes. Cependant les ouvriers des usines restaient hostiles ou indifférents à l’action violente. Menacés, par suite du ralentissement des affaires, d’un prochain chômage ou même d’un lock-out étendu à tous les ateliers, ils eurent à répondre à la fédération des syndicats qui proposait la grève générale comme le plus puissant moyen d’agir sur les patrons et l’aide la plus efficace aux révolutionnaires; tous les corps de métiers, à l’exception des doreurs, se refusèrent à cesser le travail.

La police fit de nombreuses arrestations. Des troupes, appelées de tous les points de la confédération nationale, gardèrent les immeubles des trusts, les hôtels des milliardaires, les établissements publics, les banques et les grands magasins. Une quinzaine se passa sans une seule explosion. On en conclut que les dynamiteurs, une poignée selon toute vraisemblance, peut-être moins encore, étaient tous tués, pris, cachés ou en fuite. La confiance revint; elle revint d’abord chez les plus pauvres. Deux ou trois cent mille soldats, logés dans les quartiers populeux, y firent aller le commerce; on cria «Vive l’armée!»

Les riches, qui s’étaient alarmés moins vite, se rassuraient plus lentement. Mais à la Bourse le groupe à la hausse sema les nouvelles optimistes, et par un puissant effort enraya la baisse; les affaires reprirent. Les journaux à grand tirage secondèrent le mouvement; ils montrèrent, avec une patriotique éloquence, l’intangible capital se riant des assauts de quelques lâches criminels et la richesse publique poursuivant, en dépit des vaines menaces, sa sereine ascension; ils étaient sincères et ils y trouvaient leur compte. On oublia, on nia les attentats. Le dimanche, aux courses, les tribunes se garnirent de femmes chargées, apesanties de perles, de diamants. On s’aperçut avec joie que les capitalistes n’avaient pas souffert. Les milliardaires, au pesage, furent acclamés.

Le lendemain la gare du sud, le trust du pétrole et la prodigieuse église bâtie aux frais de Thomas Morcellet sautèrent; trente maisons brûlèrent; un commencement d’incendie se déclara dans les docks. Les pompiers furent admirables de dévouement et d’intrépidité. Ils manoeuvraient avec une précision automatique leurs longues échelles de fer et montaient jusqu’au trentième étage des maisons pour arracher des malheureux aux flammes. Les soldats firent avec entrain le service d’ordre et reçurent une double ration de café. Mais ces nouveaux sinistres déchaînèrent la panique. Des millions de personnes, qui voulaient partir tout de suite en emportant leur argent, se pressaient dans les grands établissements de crédit qui, après avoir payé pendant trois jours, fermèrent leurs guichets sous les grondements de l’émeute. Une foule de fuyards, chargée de bagages, assiégeait les gares et prenait les trains d’assaut. Beaucoup, qui avaient hâte de se réfugier dans les caves avec des provisions de vivres, se ruaient sur les boutiques d’épicerie et de comestibles que gardaient les soldats, la baïonnette au fusil. Les pouvoirs publics montrèrent de l’énergie. On fit de nouvelles arrestations; des milliers de mandats furent lancés contre les suspects.

Pendant les trois semaines qui suivirent il ne se produisit aucun sinistre. Le bruit courut qu’on avait trouvé des bombes dans la salle de l’Opéra, dans les caves de l’Hôtel de Ville et contre une colonne de la Bourse. Mais on apprit bientôt que c’était des boîtes de conserves déposées par de mauvais plaisants ou des fous. Un des inculpés, interrogé par le juge d’instruction, se déclara le principal auteur des explosions qui avaient coûté la vie, disait-il, à tous ses complices. Ces aveux, publiés par les journaux, contribuèrent à rassurer l’opinion publique. Ce fut seulement vers la fin de l’instruction que les magistrats s’aperçurent qu’ils se trouvaient en présence d’un simulateur absolument étranger à tout attentat.

Les experts désignés par les tribunaux ne découvraient aucun fragment qui leur permît de reconstituer l’engin employé à l’oeuvre de destruction. Selon leurs conjectures, l’explosif nouveau émanait du gaz que dégage le radium; et l’on supposait que des ondes électriques, engendrées par un oscillateur d’un type spécial, se propageant à travers l’espace, causaient la détonation; mais les plus habiles chimistes ne pouvaient rien dire de précis ni de certain. Un jour enfin, deux agents de police, en passant devant l’hôtel Meyer, trouvèrent sur le trottoir, près d’un soupirail, un oeuf de métal blanc, muni d’une capsule à l’un des bouts; ils le ramassèrent avec précaution, et, sur l’ordre de leur chef, le portèrent au laboratoire municipal. À peine les experts s’étaient-ils réunis pour l’examiner, que l’oeuf éclata, renversant l’amphithéâtre et la coupole. Tous les experts périrent et avec eux le général d’artillerie Collin et l’illustre professeur Tigre.

La société capitaliste ne se laissa point abattre par ce nouveau désastre. Les grands établissements de crédit rouvrirent leurs guichets, annonçant qu’ils opéreraient leurs versements partie en or, partie en papiers d’État. La bourse des valeurs et celle des marchandises, malgré l’arrêt total des transactions, décidèrent de ne pas suspendre leurs séances.

Cependant l’instruction concernant les premiers prévenus était close. Peut-être les charges réunies contre eux eussent, en d’autres circonstances, paru insuffisantes; mais le zèle des magistrats et l’indignation publique y suppléaient. La veille du jour fixé pour les débats, le Palais de Justice sauta; huit cents personnes y périrent, dont un grand nombre de juges et d’avocats. La foule furieuse envahit les prisons et lyncha les prisonniers. La troupe envoyée pour rétablir l’ordre fut accueillie à coups de pierres et de revolvers; plusieurs officiers furent jetés à bas de leur cheval et foulés aux pieds. Les soldats firent feu; il y eut de nombreuses victimes. La force publique parvint à rétablir la tranquillité. Le lendemain la Banque sauta.

Dès lors, on vit des choses inouïes. Les ouvriers des usines, qui avaient refusé de faire grève, se ruaient en foule sur la ville et mettaient le feu aux maisons. Des régiments entiers, conduits par leurs officiers, se joignirent aux ouvriers incendiaires, parcoururent avec eux la ville en chantant des hymnes révolutionnaires et s’en furent prendre aux docks des tonnes de pétrole pour en arroser le feu. Les explosions ne discontinuaient pas. Un matin, tout à coup, un arbre monstrueux, un fantôme de palmier haut de trois kilomètres s’éleva sur l’emplacement du palais géant des télégraphes, tout à coup anéanti.

Tandis que la moitié de la ville flambait, en l’autre moitié se poursuivait la vie régulière. On entendait, le matin, tinter dans les voitures des laitiers les boîtes de fer blanc. Sur une avenue déserte, un vieux cantonnier, assis contre un mur, sa bouteille entre les jambes, mâchait lentement des bouchées de pain avec un peu de fricot, Les présidents des trusts restaient presque tous à leur poste. Quelques-uns accomplirent leur devoir avec une simplicité héroïque. Raphaël Box, le fils du milliardaire martyr, sauta en présidant l’assemblée générale du trust des sucres. On lui fit des funérailles magnifiques; le cortège dut six fois gravir des décombres ou passer sur des planches les chaussées effondrées.

Les auxiliaires ordinaires des riches, commis, employés, courtiers, agents, leur gardèrent une fidélité inébranlable. À l’échéance, les garçons survivants de la banque sinistrée allèrent présenter leurs effets par les voies bouleversées, dans les immeubles fumants, et plusieurs, pour effectuer leurs encaissements, s’abîmèrent dans les flammes.

Néanmoins, on ne pouvait conserver d’illusions: l’ennemi invisible était maître de la ville. Maintenant le bruit des détonations régnait continu comme le silence, à peine perceptible et d’une insurmontable horreur. Les appareils d’éclairage étant détruits, la ville demeurait plongée toute la nuit dans l’obscurité, et il s’y commettait des violences d’une monstruosité inouïe. Seuls les quartiers populeux, moins éprouvés, se défendaient encore. Des volontaires de l’ordre y faisaient des patrouilles; ils fusillaient les voleurs et l’on se heurtait à tous les coins de rue contre un corps couché dans une flaque de sang, les genoux pliés, les mains liées derrière le dos, avec un mouchoir sur la face et un écriteau sur le ventre.

Il devenait impossible de déblayer les décombres et d’ensevelir les morts. Bientôt la puanteur que répandaient les cadavres fut intolérable. Des épidémies sévirent, qui causèrent d’innombrables décès et laissèrent les survivants débiles et hébétés. La famine emporta presque tout ce qui restait. Cent quarante et un jours après le premier attentat, alors qu’arrivaient six corps d’armée avec de l’artillerie de campagne et de l’artillerie de siège, la nuit, dans le quartier le plus pauvre de la ville, le seul encore debout, mais entouré maintenant d’une ceinture de flamme et de fumée, Caroline et Clair, sur le toit d’une haute maison, se tenaient par la main et regardaient. Des chants joyeux montaient de la rue, où la foule, devenue folle, dansait.

– Demain, ce sera fini, dit l’homme, et ce sera mieux ainsi.

La jeune femme, les cheveux défaits, le visage brillant des reflets de l’incendie, contemplait avec une joie pieuse le cercle de feu qui se resserrait autour d’eux:

– Ce sera mieux ainsi, dit-elle à son tour.

Et, se jetant dans les bras du destructeur, elle lui donna un baiser éperdu.

Section 4.

Les autres villes de la fédération souffrirent aussi de troubles et de violences, puis l’ordre se rétablit. Des réformes furent introduites dans les institutions; de grands changements survinrent dans les moeurs; mais le pays ne se remit jamais entièrement de la perte de sa capitale et ne retrouva pas son ancienne prospérité. Le commerce, l’industrie dépérirent; la civilisation abandonna ces contrées qu’elle avait longtemps préférées à toutes les autres. Elles devinrent stériles et malsaines; le territoire qui avait nourri tant de millions d’hommes ne fut plus qu’un désert. Sur la colline du Fort Saint-Michel, les chevaux sauvages paissaient l’herbe grasse.

Les jours coulèrent comme l’onde des fontaines et les siècles s’égouttèrent comme l’eau à la pointe des stalactites. Des chasseurs vinrent poursuivre les ours sur les collines qui recouvraient la ville oubliée; des pâtres y conduisirent leurs troupeaux; des laboureurs y poussèrent la charrue; des jardiniers y cultivèrent des laitues dans des clos et greffèrent des poiriers. Ils n’étaient pas riches; ils n’avaient pas d’arts; un pied de vigne antique et des buissons de roses revêtaient le mur de leur cabane; une peau de chèvre couvrait leurs membres hâlés; leurs femmes s’habillaient de la laine qu’elles avaient filée. Les chevriers pétrissaient dans l’argile de petites figures d’hommes et d’animaux ou disaient des chansons sur la jeune fille qui suit son amant dans les bois et sur les chèvres qui paissent tandis que les pins bruissent et que l’eau murmure. Le maître s’irritait contre les scarabées qui mangeaient ses figues; il méditait des pièges pour défendre ses poules du renard à la queue velue, et il versait du vin à ses voisins en disant:

– Buvez! Les cigales n’ont pas gâté ma vendange; quand elles sont venues les vignes étaient sèches.

Puis, au cours des âges, les villages remplis de biens, les champs lourds de blé furent pillés, ravagés par des envahisseurs barbares. Le pays changea plusieurs fois de maîtres. Les conquérants élevèrent des châteaux sur les collines; les cultures se multiplièrent; des moulins, des forges, des tanneries, des tissages s’établirent; des routes s’ouvrirent à travers les bois et les marais; le fleuve se couvrit de bateaux. Les villages devinrent de gros bourgs et, réunis les uns aux autres, formèrent une ville qui se protégea par des fossés profonds et de hautes murailles. Plus tard, capitale d’un grand État, elle se trouva à l’étroit dans ses remparts désormais inutiles et dont elle fit de vertes promenades.

Elle s’enrichit et s’accrut démesurément. On ne trouvait jamais les maisons assez hautes; on les surélevait sans cesse et l’on en construisait de trente à quarante étages, où se superposaient bureaux, magasins, comptoirs de banques, sièges de sociétés, et l’on creusait dans le sol toujours plus profondément des caves et des tunnels. Quinze millions d’hommes travaillaient dans la ville géante.

Vanusepiirang:
12+
Ilmumiskuupäev Litres'is:
30 august 2016
Objętość:
310 lk 1 illustratsioon
Õiguste omanik:
Public Domain