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Loe raamatut: «Mémoires pour servir à l'Histoire de France sous Napoléon, Tome 1», lehekülg 6

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La nomination de Gaudin au ministère des finances, laissa vacante la place de commissaire du gouvernement près l'administration des postes, place de confiance fort importante. Elle fut confiée à Laforêt, qui alors était chef de la division des fonds aux relations extérieures. C'était un homme habile qui avait été long-temps consul-général de France, en Amérique.

§ IV

L'école polytechnique n'était qu'ébauchée; Monge fut chargé d'en rédiger l'organisation définitive, qui depuis a été sanctionnée par l'expérience. Cette école est devenue la plus célèbre du monde. Elle a fourni une foule d'officiers, de mécaniciens, de chimistes, qui ont recruté les corps savants de l'armée, ou qui, répandus dans les manufactures, ont porté si haut la perfection des arts, et donné à l'industrie française sa haute supériorité.

Cependant le nouveau gouvernement était environné d'ennemis qui s'agitaient publiquement. La Vendée, le Languedoc et la Belgique étaient déchirés par les troubles et les insurrections. Le parti de l'étranger, qui, depuis plusieurs mois, faisait tous les jours des progrès, voyait avec dépit un changement qui détruisait ses espérances. Les anarchistes n'écoutaient que leur animosité contre Siéyes6. La loi rendue le 19 brumaire à Saint-Cloud, avait chargé le gouvernement de prendre les mesures qui seraient nécessaires pour rétablir la tranquillité de la république. Elle avait expulsé du corps-législatif cinquante-cinq députés. Un grand nombre d'autres étaient mécontents de l'ajournement des chambres; ils persistaient à rester à Paris et à s'y réunir. C'était la première fois, depuis la révolution, que la tribune était muette et le corps-législatif en vacances. Les bruits les plus sinistres agitaient l'opinion; le ministre de la police proposa en conséquence des mesures qui devaient réprimer l'audace du parti anarchiste. Un décret condamna à la déportation cinquante-neuf des principaux meneurs: trente-sept à la Guyane, et vingt-deux à l'île d'Oléron; ce décret fut généralement désapprouvé, l'opinion répugnait à toute mesure violente: cependant il eut un effet salutaire. Les anarchistes, frappés à leur tour de terreur, se dispersèrent. C'était tout ce qu'on voulait, et peu de temps après le décret de déportation fut converti en une simple mesure de surveillance qui cessa bientôt elle-même.

Le public s'attribua le rapport de ce décret. On crut que l'administration avait rétrogradé: on eut tort, elle n'avait voulu qu'épouvanter; elle avait atteint son but.

Bientôt l'esprit public changea dans toute la France. Les citoyens s'étaient réunis, les actes d'adhésion des départements arrivaient en foule, et les malveillants de quelque parti qu'ils fussent, cessaient d'être dangereux. La loi des ôtages, qui avait jeté un grand nombre de citoyens dans les prisons fut rapportée7. Des lois intolérantes avaient été rendues contre les prêtres par les gouvernements précédents; la persécution avait été poussée aussi loin que le pouvait faire la haine des théophilanthropes. Prêtres réfractaires ou prêtres assermentés, tous étaient cependant dans la même proscription; les uns avaient été déportés à l'île de Rhé, d'autres à la Guyane, d'autres à l'étranger, d'autres gémissaient dans les prisons. On adopta pour principe que la conscience n'était pas du domaine de la loi, et que le droit du souverain devait se borner à exiger obéissance et fidélité.

§ V

Si la question eût été ainsi posée à l'assemblée constituante, et qu'on n'eût point exigé un serment à la constitution civile du clergé, ce qui était entrer dans des discussions théologiques, aucun prêtre n'eût été réfractaire. Mais Talleyrand et d'autres membres de cette assemblée imposèrent ce serment, dont les conséquences ont été si funestes à la France.

La constitution civile du clergé, devenue loi de l'état, il fallait protéger les prêtres, en assez grand nombre, qui s'y étaient conformés, et il est probable que ce clergé aurait formé l'église nationale; mais, quand l'assemblée législative et la convention firent fermer les églises, supprimèrent les dimanches, et traitèrent avec le même mépris les prêtres assermentés et les réfractaires, on donna gain de cause à ces derniers.

Napoléon, qui avait beaucoup médité sur les matières de religion, en Italie et en Égypte, avait à cet égard des idées arrêtées; il se hâta de faire cesser les persécutions. Son premier acte fut d'ordonner la mise en liberté de tous les prêtres mariés ou assermentés, qui étaient détenus ou déportés. L'emportement des factions avait été tel, que même ces deux classes avaient été persécutées en masse. – On décréta que tout prêtre déporté, emprisonné, etc., qui ferait serment d'être fidèle au gouvernement établi, serait sur-le-champ mis en liberté. Peu de temps après ce décret, plus de vingt mille vieillards rentrèrent dans leurs familles. Quelques prêtres ignorants persistèrent dans leur obstination, ils restèrent dans l'exil. Mais alors ils se condamnaient eux-mêmes; car les préceptes du christianisme ne sont pas susceptibles d'interprétation, et le serment de fidélité au gouvernement ne peut être refusé sans crime.

Dans le même temps, les lois sur les décades furent rapportées, les églises rendues au culte et des pensions accordées aux religieux et religieuses qui prêteraient serment de fidélité au gouvernement. La plupart se soumirent, et, par là, des milliers d'individus furent arrachés à la misère. Les églises se rouvrirent dans les campagnes, les cérémonies intérieures furent permises, tous les cultes furent protégés, et le nombre des théophilanthropes diminua beaucoup.

§ VI

Le pape Pie VI était mort, à l'âge de quatre-vingt-deux ans, à Valence, où il s'était retiré après les évènements d'Italie. Napoléon, revenant d'Égypte, s'était entretenu quelques instants dans cette ville avec monsignor Spina, aumônier du pape, et que depuis il fit nommer cardinal et archevêque de Gênes. Il apprit qu'aucun honneur funèbre n'avait été rendu à ce pontife; et que son corps était déposé dans la sacristie de la cathédrale. Un décret des consuls ordonna que les honneurs accoutumés lui fussent décernés, et qu'un monument en marbre fût élevé sur sa tombe. C'était un hommage à un souverain malheureux, et au chef de la religion du premier consul et de la pluralité des Français.

Chaque jour le gouvernement consulaire, par des actes de justice et de générosité, s'efforçait de réparer les fautes et les injustices des gouvernements précédents. Les membres de l'assemblée constituante, qui avaient reconnu la souveraineté du peuple, furent rayés de la liste des émigrés par une décision adoptée comme principe. Cela excita beaucoup d'inquiétudes; les émigrés vont rentrer en foule, disait-on; le parti royal va relever la tête, comme en fructidor; les républicains vont être massacrés.

La Fayette8, Latour-Maubourg, Bureau de Puzy, etc., rentrèrent en France, et dans la jouissance de leurs biens, qui n'étaient pas aliénés.

Depuis le 18 fructidor un grand nombre d'individus restaient déportés à la Guyane, à Sinnamary, à l'île d'Oléron. Ils avaient été traités ainsi sans jugement. Plusieurs d'entre eux étaient plus distingués par leurs talents que par leur caractère. Napoléon voulut user d'indulgence à leur égard, mais le parti à prendre était difficile et fort contesté; c'était faire le procès au 18 fructidor. Les commissions législatives étaient composées de députés qui avaient pris part à la loi du 19. Rapporter cette loi eût été une véritable réaction; Pichegru, Imbert Colombès, Willot, rentreraient donc en France! D'ailleurs, la révolution de fructidor, quelque injuste, quelque illégale qu'elle fût, avait évidemment sauvé la république; et dès lors, on ne pouvait pas la condamner. On conçut l'idée de déclarer que les déportés seraient considérés comme émigrés. C'était les mettre à la disposition du gouvernement, qui ne tarda pas de laisser rentrer tous ceux qui n'avaient pas eu des intelligences coupables avec l'étranger. Leur conduite fut surveillée pendant quelque temps, et ils finirent par être définitivement rayés de la liste des émigrés. Plusieurs d'entre eux, tels que Portalis, Carnot, Barbé-Marbois, etc., furent même appelés à remplir des fonctions publiques. C'était le règne d'un gouvernement fort et au-dessus des factions. Napoléon disait: «J'ai ouvert un grand chemin; qui marchera droit sera protégé; qui se jettera à droite ou à gauche, sera puni.»

§ VII

D'autres malheureux gémissaient entre la vie et la mort. Il y avait quelques années qu'un bâtiment parti d'Angleterre, pour se rendre dans la Vendée, ayant à bord neuf personnes des plus anciennes familles de France, des Talmont, des Montmorency, des Choiseul, avait fait naufrage sur la côte de Calais; ces passagers étaient des émigrés. On les avait arrêtés, et, depuis lors, ils avaient été traînés de prisons en prisons, de tribunaux en tribunaux, sans que leur sort fût décidé. Le fait de leur arrivée en France n'était pas de leur volonté; c'étaient des naufragés: mais on arguait contre eux du lieu de leur destination. Ils disaient bien qu'ils allaient dans l'Inde; mais le bâtiment, ses provisions, tout témoignait qu'ils allaient dans la Vendée. Sans entrer dans ces discussions, Napoléon vit que la position de ces hommes était sacrée; ils étaient sous les lois de l'hospitalité. Envoyer au supplice des malheureux qui avaient mieux aimé se livrer à la générosité de la France, que de se jeter dans les flots, eût été une singulière barbarie. Napoléon jugea que les lois contre les émigrés étaient des lois politiques, et que la politique de ces lois ne serait pas violée, s'il usait d'indulgence envers des personnes qui se trouvaient dans un cas tout-à-fait extraordinaire.

Il avait déja jugé une question pareille, lorsque étant général d'artillerie, il armait les côtes du midi. Des membres de la famille Chabrillant, se rendant d'Espagne en Italie, avaient été pris par un corsaire, et amenés à Toulon; ils avaient été aussitôt jetés dans les prisons. Le peuple, sachant qu'ils étaient émigrés, voulait les massacrer. Napoléon profita de sa popularité; par le moyen des canonniers et des ouvriers de l'arsenal, qui étaient les plus exaltés, il préserva cette famille de tout malheur; mais craignant une nouvelle insurrection du peuple, il la fit monter dans des caissons vides qu'il envoya aux îles d'Hyères, et la sauva.

Le gouvernement anglais ne montra pas une générosité pareille envers Napper-Thandy, Blackwell et autres Irlandais, qui, jetés par un naufrage sur les côtes de Norwège, traversaient le territoire de Hambourg pour retourner à Paris. Ils avaient été naturalisés Français, et étaient officiers au service de la république. Le ministre anglais, à Hambourg, força le sénat de les arrêter à leur passage; et, qui le croirait? l'Europe entière s'ameuta contre ces malheureux! Les gouvernements russe et autrichien appuyaient les demandes de celui d'Angleterre, pour qu'ils lui fussent remis. Les citoyens de Hambourg avaient résisté quelque temps; mais, voyant la France déchue de sa considération, et accablée de revers, tant en Allemagne qu'en Italie, ils avaient fini par céder.

La France avait d'autant plus de raisons de se trouver offensée de cette conduite, que la ville de Hambourg avait été long-temps le refuge de vingt mille émigrés français, qui, de là, avaient organisé des armées, et tramé des complots contre la république; tandis que deux malheureux officiers au service de la république, ayant le caractère sacré du malheur et du naufrage, étaient livrés à leurs bourreaux.

Un décret des consuls mit un embargo sur les bâtiments hambourgeois qui se trouvaient dans les ports de France, rappela de Hambourg les agents diplomatiques et commerciaux français, et renvoya ceux de cette ville.

Bientôt, après ce temps, les armées françaises ayant eu des succès, et les heureux changements du 18 brumaire se faisant sentir chaque jour, le sénat se hâta d'écrire une longue lettre à Napoléon pour lui témoigner son repentir. Napoléon répondit celle-ci:

«J'ai reçu votre lettre, messieurs; elle ne vous justifie pas. Le courage et la vertu sont les conservateurs des états: la lâcheté et le crime sont leur ruine. Vous avez violé l'hospitalité, ce qui n'est jamais arrivé parmi les hordes les plus barbares du désert. Vos concitoyens vous le reprocheront à jamais. Les deux infortunés que vous avez livrés meurent illustres; mais leur sang fera plus de mal à leurs persécuteurs que ne le pourrait faire une armée.»

Une députation solennelle du sénat vint aux Tuileries faire des excuses publiques à Napoléon. Il leur témoigna de nouveau toute son indignation, et lorsque ces envoyés alléguèrent leur faiblesse, il leur dit: «Eh bien! n'aviez-vous pas la ressource des états faibles? n'étiez-vous pas les maîtres de les laisser échapper?»

Le directoire avait adopté le principe d'entretenir les prisonniers français en Angleterre, pendant que l'Angleterre entretiendrait les siens en France: nous avions en Angleterre, plus de prisonniers que cette puissance n'en avait en France. Les vivres en Angleterre étaient plus chers qu'en France; dès lors cet état de choses était onéreux pour celle-ci. A cet inconvénient se joignait celui d'autoriser le gouvernement anglais à avoir, sous le prétexte de comptabilité, des intelligences dans l'intérieur de la république. Le gouvernement consulaire s'empressa de changer cet arrangement. Chaque nation se trouva chargée du soin des prisonniers qu'elle gardait.

§ VIII

Dans la situation où se trouvaient les esprits, on avait besoin de rallier, de réunir les différents partis qui avaient divisé la nation, afin de pouvoir l'opposer tout entière à ses ennemis extérieurs.

Le serment de haine à la royauté fut supprimé comme inutile et contraire à la majesté de la république, qui, reconnue partout, n'avait pas besoin de pareils moyens. Il fut également décidé qu'on ne célébrerait plus le 21 janvier. Cet anniversaire ne pouvait être considéré que comme un jour de calamité nationale. Napoléon s'en était déja expliqué au sujet du 10 août. On célèbre une victoire, disait-il; mais on pleure sur les victimes même ennemies. La fête du 21 janvier est immorale, continuait-il, sans juger si la mort de Louis XVI fut juste ou injuste, politique ou impolitique, utile ou inutile; et même dans le cas où elle serait jugée juste, politique et utile, ce n'en serait pas moins un malheur. En pareille circonstance, l'oubli est ce qu'il y a de mieux.

Les emplois furent donnés à des hommes de tous les partis et de toutes les opinions modérées. L'effet fut tel, qu'en peu de jours il se fit un changement général dans l'esprit de la nation. Celui qui, hier, prêtait l'oreille aux propositions de l'étranger et aux commissaires des Bourbons, parce qu'il craignait par-dessus tout les principes de la société du Manège et le retour de la terreur, prenant aujourd'hui confiance dans le gouvernement vraiment national, fort et généreux, qui venait de s'établir, rompait ses engagements, et se replaçait dans le parti de la nation et de la révolution. La faction de l'étranger en fut un moment étonnée; bientôt elle se consola, et voulut donner le change à l'opinion, en cherchant à persuader que Napoléon travaillait pour les Bourbons.

§ IX

Un des principaux agents du corps diplomatique demanda et obtint une audience de Napoléon. Il lui avoua qu'il connaissait le comité des agents des Bourbons, à Paris; que, désespérant du salut de la patrie, il avait pris des engagements avec eux, parce qu'il préférait tout au règne de la terreur: mais, le 18 brumaire, venant de recréer un gouvernement national, non-seulement il renonçait à ses relations, mais venait lui faire connaître ce qu'il savait, à condition toutefois que son honneur ne serait pas compromis, et que ces individus pourraient s'éloigner en sûreté.

Il présenta même à Napoléon deux des agents, Hyde-de-Neuville et Dandigné. Napoléon les reçut à dix heures du soir dans un des petits appartements du Luxembourg. Il y a peu de jours, lui dirent-ils, nous étions assurés du triomphe, aujourd'hui tout a changé. Mais, général, seriez-vous assez imprudent pour vous fier à de pareils évènements! vous êtes en position de rétablir le trône, de le rendre à son maître légitime; nous agissons de concert avec les chefs de la Vendée, nous pouvons les faire tous venir ici. Dites-nous ce que vous voulez faire; comment vous voulez marcher; et si vos intentions s'accordent avec les nôtres, nous serons tous à votre disposition.

Hyde-de-Neuville parut un jeune homme spirituel, ardent sans être passionné. Dandigné parut un furibond. Napoléon leur répondit: «Qu'il ne fallait pas songer à rétablir le trône des Bourbons en France, qu'ils n'y pourraient arriver qu'en marchant sur cinq cent mille cadavres; que son intention était d'oublier le passé, et de recevoir les soumissions de tous ceux qui voudraient marcher dans le sens de la nation; qu'il traiterait volontiers avec Châtillon, Bernier, Bourmont, Suzannet, d'Autichamp, etc.: mais à condition que ces chefs seraient désormais fidèles au gouvernement national, et cesseraient toute intelligence avec les Bourbons et l'étranger.»

Cette conférence dura une demi-heure, et l'on se convainquit de part et d'autre, qu'il n'y avait pas moyen de s'entendre sur une pareille base.

Les nouveaux principes adoptés par les consuls, et les nouveaux fonctionnaires firent disparaître les troubles de Toulouse, les mécontents du midi, et l'insurrection de la Belgique. La réputation de Napoléon était chère aux Belges, et influa heureusement sur les affaires publiques dans ces départements, que la persécution des prêtres avait mis en feu l'année précédente.

Cependant la Vendée et la chouannerie troublaient dix-huit départements de la république. Les affaires allaient si mal, que Châtillon, chef des Vendéens, s'était emparé de Nantes; il est vrai qu'il n'avait pu s'y maintenir vingt-quatre heures. Mais les chouans exerçaient leurs ravages jusqu'aux portes de la capitale. Les chefs repondaient aux proclamations du gouvernement par d'autres proclamations, où ils disaient qu'ils se battaient pour le rétablissement du trône et de l'autel, et qu'ils ne voyaient dans le directoire ou les consuls que des usurpateurs.

Un grand nombre de généraux et d'officiers de l'armée, trahissaient la république, et s'entendaient avec les chefs des chouans. Le peu de confiance que leur avait inspiré le directoire, l'ancien désordre qui régnait dans toutes les parties de l'administration, avaient porté ces officiers à oublier leur honneur et leur devoir, pour se ménager un parti qu'ils croyaient au moment de triompher. Plusieurs furent assez éhontés pour en venir faire la confidence à Napoléon, en lui déclarant avoir obéi aux circonstances, et lui offrant de racheter ce moment d'incertitude par des services d'autant plus importants, qu'ils étaient dans la confidence des chouans et des Vendéens.

Des négociations furent ouvertes avec des chefs de la Vendée, en même temps que des forces considérables furent dirigées contre eux. Tout annonçait la destruction prochaine de leurs bandes; mais les causes morales agissaient davantage. La renommée de Napoléon qui était grande dans la Vendée, fit craindre aux chefs que l'opinion du pays ne les abandonnât.

Le 17 janvier, à Montluçon, Châtillon, Suzannet, d'Autichamp, l'abbé Bernier, chefs de l'insurrection de la rive gauche de la Loire, se soumirent.

Le général Hédouville négocia le traité qui fut signé, le 17 janvier, à Montluçon. Cette pacification n'avait rien de commun avec celles qui avaient précédé: c'étaient des Français qui rentraient dans le sein de la nation, et se soumettaient avec confiance au gouvernement. Toutes les mesures administratives, financières, ecclésiastiques, consolidèrent de jour en jour davantage la tranquillité de ces départements.

Ces chefs vendéens furent reçus plusieurs fois à la Malmaison. La paix une fois faite, Napoléon n'eut qu'à se louer de leur conduite.

Bernier était curé de Saint-Lô. C'était un homme de peu de taille et d'une mince apparence. Il était bon prédicateur, rusé, et savait inspirer le fanatisme à ses paysans sans le partager. Il avait eu une grande influence dans la Vendée; son crédit avait un peu diminué, mais restait cependant encore assez considérable pour rendre des services au gouvernement. Il s'attacha au premier consul, et fut fidèle à ses engagements: il fut chargé de négocier le concordat avec la cour de Rome. Napoléon le nomma évêque d'Orléans.

– Châtillon était un vieux gentilhomme de soixante ans, bon, loyal, ayant peu d'esprit, mais quelque vigueur. Il venait de se marier, ce qui contribua à le rendre fidèle à ses promesses. Il habitait alternativement Paris, Nantes, et ses terres. Il obtint dans la suite plusieurs graces du premier consul. Châtillon pensait qu'on aurait pu continuer la guerre de la Vendée quelques mois de plus; mais que, depuis le 18 brumaire, les chefs ne pouvaient plus compter sur la masse de la population. Il avouait aussi que vers la fin des campagnes d'Italie, la réputation du général Bonaparte avait tant exalté l'imagination des paysans vendéens, qu'on avait été au moment de laisser là les droits des Bourbons, et d'envoyer une députation pour lui proposer de se mettre sous son influence.

– d'Autichamp avait fait plusieurs campagnes comme simple hussard dans les troupes de la république, pendant la grande terreur. C'était un homme d'un esprit borné; mais ayant le ton, les manières et l'élégance que comportaient son éducation et l'usage du grand monde.

– Sur la rive droite de la Loire, Georges et la Prévelaye étaient à la tête des bandes de Bretagne; Bourmont commandait celles du Maine; Frotté, celles de Normandie. La Prevelaye et Bourmont se soumirent, et vinrent à Paris. Georges et Frotté voulurent continuer la guerre. C'était un état de licence qui leur permettait, sous des couleurs politiques, de se livrer à toute espèce de brigandage; de rançonner les riches, sous prétexte qu'ils étaient acquéreurs de domaines nationaux; de voler les diligences, parce qu'elles portaient les déniers de l'état; de piller les banquiers, parce qu'ils avaient des relations avec les caisses publiques, etc. Ils interceptaient les communications entre Brest et Paris. Ils entretenaient des intelligences avec tout ce que la capitale nourrit de plus vil, avec des hommes qui vivent dans les antres de jeu et les mauvais lieux: ils y apportaient leurs rapines, y faisaient leurs enrôlements, y puisaient des renseignements pour rendre profitables les guet-apens qu'ils tendaient sur les routes.

Les généraux Chambarlhac et Gardanne entrèrent dans le département de l'Orne, à la tête de deux colonnes mobiles, pour se saisir de Frotté. Ce chef, jeune, actif, rusé, était redouté et causait beaucoup de désordres. Il fut surpris dans la maison du nommé Guidal, général commandant à Alençon, qui avait des intelligences avec lui, qui jouissait de sa confiance, et qui le trahit. Il fut jugé, et passa par les armes.

Ce coup d'éclat rétablit la tranquillité dans cette province. Il ne resta plus que Brulard et quelques chefs de peu de valeur, qui, profitant de la facilité que leur offrait la croisière anglaise, débarquaient sur les côtes, répandaient des libelles, et exerçaient l'espionnage en faveur de l'Angleterre.

Georges se soutenait dans le Morbihan, au moyen des secours d'armes et d'argent que lui fournissaient les Anglais. Attaqué, battu, cerné à Grand-Champ par le général Brune, il capitula, rendit ses canons, ses armes, et promit de vivre en bon et paisible sujet. Il demanda l'honneur d'être présenté au premier consul, et reçut la permission de se rendre à Paris. Napoléon chercha inutilement à faire sur lui l'impression qu'il avait faite sur un grand nombre de Vendéens, à faire parler la fibre française, l'honneur national, l'amour de la patrie: aucune de ces cordes ne vibra…

La guerre de l'Ouest se trouvait ainsi terminée; plusieurs bons régiments devinrent disponibles.

Pendant que tout s'améliorait, le travail de la constitution touchait à sa fin; les deux consuls et les deux commissions s'en occupaient sans relâche. Le gouvernement s'occupa peu de politique extérieure. Toutes ses démarches se bornèrent à la Prusse. Le roi avait une armée sur pied au moment où le duc d'Yorck avait débarqué en Hollande; cela avait donné de l'inquiétude.

L'aide-de-camp Duroc fut envoyé à Berlin avec une lettre au roi; son but était de sonder les dispositions du cabinet. Il réussit dans sa mission, fut accueilli avec distinction, avec bienveillance, par la reine. Les courtisans de cette cour, toute militaire, se complaisaient dans le récit des guerres d'Italie et d'Égypte; ils étaient fort satisfaits du triomphe qu'avait obtenu le parti militaire en France, en arrachant aux avocats les rênes du gouvernement. On eut tout lieu d'être content des dispositions de la Prusse, qui peu après mit son armée sur le pied de paix.

6.Siéyes était fréquemment alarmé de ce que les jacobins tramaient dans Paris, et des menaces qu'ils faisaient d'enlever les consuls. Ce qui fit dire à Napoléon réveillé à trois heures du matin par ce consul que venait d'inquiéter un rapport de police: «Laissez-les faire, en guerre comme en amour, pour en finir, il faut se voir de près; qu'ils viennent. Autant terminer aujourd'hui qu'un autre jour.»
  Ces craintes étaient exagérées. Les menaces sont plus faciles à faire qu'à effectuer, et dans la manière des anarchistes, elles précèdent toujours de beaucoup toute espèce d'exécution.
7.La loi des ôtages avait été rendue le 12 juillet 1799: elle avait été dictée par les jacobins du manège; elle pesait sur cent cinquante à deux cents mille citoyens qu'elle mettait hors de la protection des lois; elle les rendait responsables, dans leurs personnes et leurs propriétés, de tous les évènements provenant des troubles civils. Ces individus étaient les parents des émigrés, les nobles, les aïeuls, aïeules, pères et mères de tout ce qui faisait partie des bandes armées, chouans ou voleurs de diligence. Par l'article 5, les administrateurs des départements étaient autorisés à réunir des ôtages pris dans ces classes, dans une commune centrale de leur département, et à déporter, à la Guyane, quatre de ces ôtages pour tout fonctionnaire public, militaire ou acquéreur de domaines nationaux, assassiné: ces classes devaient en outre pourvoir, par des amendes extraordinaires, aux dépenses qu'occasioneraient les dénonciateurs et surveillants; ils étaient passibles des indemnités dues aux patriotes par l'effet des troubles civils. En conséquence de cette loi, plusieurs milliers de vieillards, de femmes, étaient arrêtés. Un grand nombre était en fuite. Cette loi fut rapportée. Des courriers furent envoyés aussitôt dans tous les départements pour faire ouvrir les prisons.
8.Le général La Fayette qui avait commencé la révolution, avait abandonné son armée devant Sedan, et passé à l'étranger. Arrêté par les Prussiens, il avait été livré au gouvernement autrichien, qui le tenait en prison. A l'époque du traité de Léoben, quoique le gouvernement français ne prît aucun intérêt à ce général, Napoléon crut de l'honneur de la France, d'exiger que la cour d'Autriche le mît en liberté; il l'obtint; mais La Fayette était sur la liste des émigrés, et ne pouvait encore rentrer en France.
  Cet homme, qui a joué un si grand rôle dans nos premières dissensions politiques, est né en Auvergne. Lors de la guerre d'Amérique, il avait servi sous Washington, et s'y était distingué. C'était un homme sans talents, ni civils ni militaires; esprit borné, caractère dissimulé, dominé par des idées vagues de liberté, mal digérées chez lui et mal conçues. Du reste, dans la vie privée, La Fayette était un honnête homme.