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Loe raamatut: «Mémoires pour servir à l'Histoire de France sous Napoléon, Tome 1», lehekülg 8

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§ II

Au mois de janvier 1800, cette armée d'Helvétie était cantonnée en Suisse; celle du Bas-Rhin, sous le général Lecourbe, dans ses quartiers d'hiver, sur la rive gauche du Rhin; celle de Hollande, sous Brune, voyait s'embarquer la dernière division du duc d'Yorck9.

L'armée d'Italie, battue à Genola, se ralliait en désordre sur les cols des Apennins; Coni capitulait; Gênes était menacée, mais le lieutenant-général Saint-Cyr repoussa un des corps de l'armée autrichienne au delà de la Bocchetta, ce qui lui mérita un sabre d'honneur; ce fut la première récompense nationale que Napoléon décerna, comme chef de l'état.

Les deux armées entrèrent en quartier d'hiver: les Autrichiens sur les belles plaines du Piémont et du Mont-Ferrat; les Français, sur les revers de l'Apennin, de Gênes au Var. Ce pays, bloqué par mer depuis long-temps, sans communication avec la vallée du Pô, était épuisé. L'administration française mal organisée, était confiée à des mains infidèles.

La cavalerie, les charrois périrent de misère; les maladies contagieuses et la désertion désorganisèrent l'armée; enfin le mal empira au point que des corps entiers, tambour battant, drapeau déployé, abandonnèrent leur position, et repassèrent le Var. Ce qui donna lieu à divers ordres du jour de Napoléon aux soldats d'Italie. Il leur disait:

«Soldats, les circonstances qui me retiennent à la tête du gouvernement, m'empêchent de me trouver au milieu de vous; vos besoins sont grands; toutes les mesures sont prises pour y pourvoir. La première qualité du soldat est la constance à supporter la fatigue et la privation; la valeur n'est que la seconde. Plusieurs corps ont quitté leurs positions; ils ont été sourds à la voix de leurs officiers: la dix-septième légère est de ce nombre. Sont-ils donc morts les braves de Castiglione, de Rivoli, de Newmarkt! Ils eussent péri plutôt que de quitter leurs drapeaux, et ils eussent ramené leurs jeunes camarades à l'honneur et au devoir. Soldats, vos distributions ne vous sont pas régulièrement faites, dites-vous? Qu'eussiez-vous fait, si comme les quatrième et vingt-deuxième légères, les dix-huitième et trente-deuxième de ligne, vous vous fussiez trouvés au milieu du désert, sans pain, ni eau, mangeant du cheval et du chameau? La victoire nous donnera du pain, disaient-elles; et vous, vous désertez vos drapeaux! Soldats d'Italie, un nouveau général vous commande; il fut toujours à l'avant-garde, dans les plus beaux moments de votre gloire; entourez-le de votre confiance, il ramènera la victoire dans vos rangs. Je me ferai rendre un compte journalier de la conduite de tous les corps, et spécialement de la dix-septième légère et de la soixante-troisième de ligne; elles se ressouviendront de la confiance que j'avais en elles

Ces paroles magiques arrêtèrent le mal comme par enchantement: l'armée se réorganisa, les subsistances furent assurées, les déserteurs réjoignirent.

Napoléon rappela Masséna d'Helvétie, et lui confia l'armée d'Italie; ce général, qui connaissait parfaitement les débouchés des Apennins, était plus propre que personne à cette guerre de chicane; il arriva le 10 février à son quartier-général de Gênes.

Le général Brune, d'abord appelé au conseil-d'état, fut quelques semaines après envoyé sur la Loire pour commander l'armée de l'Ouest; le général Augereau le remplaça dans le commandement de la Hollande; la proclamation suivante fut mise à l'ordre des armées:

«Soldats! en promettant la paix au peuple français, j'ai été votre organe, je connais votre valeur, vous êtes les mêmes hommes qui conquirent la Hollande, le Rhin, l'Italie, et donnèrent la paix sous les murs de Vienne. Soldats! ce ne sont plus vos frontières qu'il faut défendre, ce sont les états ennemis qu'il faut envahir. Il n'est aucun de vous qui n'ait fait campagne, qui ne sache que la qualité la plus essentielle d'un soldat, c'est de savoir supporter les privations avec constance: plusieurs années d'une mauvaise administration ne peuvent être réparées dans un jour. Premier magistrat de la république, il me sera doux de faire connaître à la nation entière les corps qui mériteront, par leur discipline et leur valeur, d'être les soutiens de la patrie. Soldats! lorsqu'il en sera temps je serai au milieu de vous, et l'Europe se souviendra que vous êtes de la race des braves.»

Telle était la position des armées; le premier consul ordonna sur-le-champ la réunion de celles du Rhin et d'Helvétie en une seule sous le nom d'armée du Rhin; il en donna le commandement au général Moreau, qui lui avait montré le dévouement le plus absolu dans la journée du 18 brumaire10. Les troupes françaises manquaient de tout, leur dénuement était extrême, tout l'hiver fut employé à recruter, habiller, solder cette armée. Un détachement de l'armée de Hollande fut dirigé sur Mayence, et bientôt l'armée du Rhin devint une des plus belles qu'ait jamais eues la république; elle comptait 150,000 hommes, et était formée de toute les vieilles bandes.

§ III

Paul I était mécontent de la politique de l'Autriche et de l'Angleterre; l'élite de son armée avait péri en Italie sous Suvarow, en Suisse sous Korsakow, en Hollande sous Hermann. Les prétentions anciennes et nouvelles des Anglais sur la navigation des neutres, l'indisposaient tous les jours davantage; le commerce des neutres, surtout celui des puissances de la Baltique était troublé; des convois escortés par des bâtiments de guerre étaient insultés et soumis à des visites. D'un autre côté les changemens survenus dans les principes du gouvernement français, depuis le 18 brumaire, avaient neutralisé, suspendu sa haine contre la révolution: il estimait le caractère que le premier consul avait montré en Italie, en Égypte, et qu'il déployait tous les jours; ces dernières circonstances déterminèrent sa conduite, et s'il n'abandonna pas la coalition, du moins ordonna-t-il à ses armées de quitter le champ de bataille et de repasser la Vistule.

L'abandon de l'armée russe ne découragea pas l'Autriche, elle déploya tous ses moyens et mit deux grandes armées sur pied.

L'une en Italie, forte de 140,000 hommes, sous les ordres du feld-maréchal Mélas, fut destinée à prendre l'offensive, s'emparer de Gênes, de Nice et de Toulon. Sous les murs de cette place, elle devait être rejointe par l'armée anglaise de 18,000 hommes qui devaient se rassembler à Mahon, et par l'armée napolitaine de 20,000 hommes. Willot était au quartier-général de Mélas, pour insurger le Midi de la république, où les Bourbons pensaient avoir des partisans.

L'autre en Allemagne, commandée par le feld-maréchal Kray, forte de 120,000 hommes, y comprises les troupes de l'empire et celles à la solde de l'Angleterre. Cette dernière armée était destinée à rester sur la défensive pour couvrir l'Allemagne. L'expérience de la campagne passée avait convaincu l'Autriche de toutes les difficultés attachées à la guerre de Suisse.

Le feld-maréchal Kray avait son quartier-général à Donau-Schingen; ses principaux magasins à Stockach, Engen, Mœrskirch, Biberach. Son armée était composée de quatre corps.

Celui de droite, commandé par le feld-maréchal-lieutenant Starray, était sur le Mein.

Celui de gauche, sous les ordres du prince de Reuss, était en Tyrol.

Les deux autres étaient sur le Danube, tenant des avant-gardes: l'une sous le général Kienmayer, vis-à-vis de Kehl; l'autre sous les ordres du général-major Giulay, dans le Brisgaw; une troisième sous les ordres du prince Ferdinand, dans les villes forestières aux environs de Bâle; une quatrième sous les ordres du prince de Vaudémont, vis-à-vis Schaffhouse.

Dans ces circonstances, il devenait donc urgent que l'armée du Rhin prît vigoureusement l'offensive; ses forces étaient presque doubles de celles de l'ennemi, tandis que l'armée autrichienne d'Italie était plus que double de l'armée française, qui, complétée à 40,000 hommes, gardait l'Apennin et les hauteurs de Gênes. Une armée de réserve de 35,000 hommes fut réunie sur la Saône, pour se porter au soutien de l'armée d'Allemagne si cela était nécessaire, déboucher par la Suisse sur le Pô, et prendre l'armée autrichienne d'Italie à revers.

Le cabinet de Vienne comptait que ses armées seraient, au milieu de l'été, au cœur de la Provence; et celui des Tuileries avait calculé que son armée du Rhin serait avant ce temps-là sur l'Inn.

§ IV

Le premier consul ordonna au général Moreau de prendre l'offensive et d'entrer en Allemagne, afin d'arrêter le mouvement de l'armée autrichienne d'Italie, qui déja était arrivée sur Gênes. Toute l'armée du Rhin devait se réunir en Suisse et passer le Rhin à la hauteur de Schaffhouse; le mouvement de la gauche de l'armée sur sa droite devant se faire derrière le rideau du Rhin, et d'ailleurs, étant préparé beaucoup à l'avance, l'ennemi n'en aurait aucune connaissance. En jetant quatre ponts à la fois à la hauteur de Schaffhouse, toute l'armée française passerait en vingt-quatre heures, arriverait sur Stockach, et culbuterait la gauche de l'ennemi, prendrait par derrière tous les Autrichiens placés entre la rive droite du Rhin et les défilés de la forêt Noire. En six ou sept jours de l'ouverture de la campagne, l'armée serait devant Ulm; ce qui pourrait s'échapper de l'armée autrichienne se rejetterait en Bohême. Ainsi, le premier mouvement de la campagne aurait eu pour résultat de séparer l'armée autrichienne de Ulm, Philisbourg et Ingolstadt, et de mettre en notre pouvoir le Wurtemberg, toute la Souabe et la Bavière. Ce plan d'opération devait donner lieu à des évènements plus ou moins décisifs, selon les chances de la fortune, l'audace et la rapidité des mouvements du général français. Le général Moreau était incapable d'exécuter et même de comprendre un pareil mouvement; il envoya le général Dessolles à Paris, présenter un autre projet au ministre de la guerre, suivant la routine des campagnes de 1796 et 1797; il proposait de passer le Rhin à Mayence, Strasbourg et Bâle. Le premier consul, fortement contrarié, pensa un moment à aller lui-même se mettre à la tête de cette armée, il calculait qu'il serait sous les murs de Vienne avant que l'armée autrichienne d'Italie ne fût devant Nice. Mais l'agitation intérieure de la république s'opposa à ce qu'il quittât sa capitale, et s'en éloignât pour autant de temps: le projet de Moreau fut modifié, et le général fut autorisé à exécuter un projet mitoyen, qui consistait à faire passer le fleuve par sa gauche à Brisach, par son centre à Bâle, par sa droite au-dessus de Schaffhouse. Il lui était surtout prescrit de n'avoir qu'une seule ligne d'opération; encore dans l'exécution ce dernier plan lui parut-il trop hardi, et il y fit des changements.

§ V

Moreau avait son quartier-général à Bâle; son armée était composée de quatre corps d'infanterie, d'une réserve de grosse cavalerie et de deux divisions détachées, savoir

Le lieutenant-général Sainte-Suzanne commandant la gauche: les divisions Souham et Legrand; le lieutenant-général Saint-Cyr commandant le centre: les divisions Baraguai-d'Hilliers et Ney; le général en chef commandant la réserve: les divisions Delmas, Leclerc et Richepanse; le lieutenant-général Lecourbe commandant la droite: les divisions Vandamme, Montrichard et Lorge.

Le général d'Hautpoult commandant la réserve de grosse cavalerie; le général Éblé, l'artillerie.

Les corps détachés étaient commandés par les généraux Collaud et Moncey, en Suisse.

Le 25 avril Sainte-Suzanne, commandant la gauche, passa le Rhin à Strasbourg; Saint-Cyr, avec le centre, le passa le même jour à Brisach; le général Moreau, à la tête d'un corps de réserve, passa le 27 à Bâle.

Le corps de Sainte-Suzanne culbuta un corps ennemi de 12 à 15,000 hommes, qui était en position en avant d'Offembourg; Saint-Cyr entra à Fribourg, que l'ennemi ne lui disputa pas; de là il se porta sur Saint-Blaise, où déja la réserve, qui avait passé à Bâle, était arrivée. Richepanse resta à Saint-Blaise, les deux autres divisions, remontant la rive droite du Rhin, se portèrent à l'embouchure de l'Alb. Le 26 et le 27, les trois divisions se réunirent sur le Wuttach; le 28, elles prirent position à Neukirch; Saint-Cyr se porta de Saint-Blaise sur le Wuttach à Stühlingen.

Cependant Moreau sentit la nécessité de rappeler Sainte-Suzanne, qui dut passer à Kehl le 27, pour venir par la rive gauche du Rhin à Vieux-Brisach, passer de nouveau le fleuve et se trouver en deuxième ligne du corps de Saint-Cyr; il marcha sur Fribourg, traversa le Val-d'Enfer, et prit position à Neustadt.

Telle était la position de la réserve du centre et de la gauche française, lorsque le 1er mai la droite, sous Lecourbe, passa le Rhin près Stein, sans presque aucun obstacle, et se porta sur le fort Hohentwœl, qui capitula. Il avait quatre-vingts bouches à feu; ainsi, ce fut cinq jours après le signal de l'ouverture de la campagne, que Lecourbe put entrer en opération. Le 2 mai, l'armée resta inactive dans ses positions, où elle se trouvait en bataille sur une ligne de quinze lieues obliques au Danube, depuis le fort Hohentwœl jusqu'à Neustadt.

§ VI

Le feld-maréchal Kray eut ainsi le temps de réunir ses troupes le 2 mai; il était en position avec 45,000 hommes en avant de la petite ville d'Engen, ayant sur sa gauche, à Stockach, à six lieues, le prince de Vaudémont, avec un corps de 12,000 hommes, liant sa position d'Engen avec le lac de Constance, gardant ses magasins, et assurant sa retraite sur Mœskirch. Le 3, à la pointe du jour, Lecourbe, avec ses trois divisions, se dirigea sur Stockach; Moreau, avec les trois divisions de la réserve, sur Engen; Saint-Cyr et Sainte-Suzanne, trop éloignés du champ de bataille, ne purent y arriver à temps. Lecourbe marcha sur trois colonnes; Vandamme, à la droite, tourna Stockach; Montrichard, au centre, entra au pas de charge dans la ville; le général Lorge, à la gauche, coupa avec une brigade la communication de Stockach avec Engen, et seconda avec son autre brigade l'attaque de la réserve. Le prince de Vaudémont fut mis en déroute; il se retira en toute hâte sur Mœskirch, laissant 3,000 prisonniers, cinq pièces de canon et des drapeaux au pouvoir de Lecourbe. Pendant ce temps, les trois divisions de la réserve s'engagèrent avec les avant-gardes du feld-maréchal Kray sur un chemin d'Engen, aux approches de la rivière d'Aach. Le combat devint bientôt vif à Wetterdingen, à Mulhausem; mais Moreau étendit bientôt sa ligne sur sa gauche: il fit attaquer par Richepanse le mamelon de Hohenhoven, celui-ci l'attaqua en vain toute la journée; les trois divisions de la réserve, avec la brigade de la division Lorge et la réserve de grosse cavalerie, formaient une force de 40,000 hommes, c'est-à-dire un peu moins que l'ennemi n'avait devant Engen. La victoire penchait en faveur des Autrichiens, lorsque Kray fut instruit de la défaite du prince de Vaudémont, des grands succès de Lecourbe et de l'arrivée de Saint-Cyr sur Hohenhoven; il battit en retraite. Saint-Cyr était parti le matin de Stühlingen; il avait remonté la rive droite du Wuttach, et il fut arrêté au défilé de Zollhaus; à la nuit, sa brigade d'avant-garde, commandée par le général Roussel, occupa le plateau de Hohenhoven. La perte fut de 6 à 7,000 hommes de chaque côté, les Autrichiens perdirent en outre 4,000 prisonniers et quelques pièces de canon, la plupart pris par Lecourbe à Stockach.

Bataille de Mœskirch

Pendant la journée du 4, le feld-maréchal Kray joignit à Mœskirch le prince de Vaudémont, et fut rejoint par la division que commandait l'archiduc Ferdinand; il ordonna l'évacuation de ses magasins, et fit ses dispositions pour se porter sur le Danube, qu'il voulait passer sur le pont de Sigmaringen: pendant cette journée l'armée française ne fit aucun mouvement; mais le général Lecourbe se porta de Stockach sur Mœskirch. St. – Cyr, qui n'avait pas donné à Engen, se porta sur Liptingen: les trois divisions de la réserve marchèrent en deuxième ligne à l'appui de Lecourbe; celui-ci marcha sur Mœskirch sur trois colonnes; Vandamme à la droite sur Kloster-Wald; Montrichard au centre, appuyé par la réserve de grosse cavalerie; Lorge à la gauche, par Neuhausen: il couvrait ainsi un front de deux grandes lieues. La rencontre des troupes légères de l'ennemi ne tarda pas à lui indiquer la présence de l'armée: bientôt les trois divisions furent aux mains contre toute l'armée autrichienne; elles étaient fort compromises, lorsque, dans l'après-midi, elles furent soutenues par trois divisions de la réserve. Le combat devint fort chaud, les armées se maintinrent sur leur champ de bataille. Saint-Cyr eut décidé de la victoire; mais il n'arriva à Liptingen que la nuit, encore éloigné du champ de bataille de plusieurs lieues. Pendant la nuit Kray battit en retraite: la moitié de ses troupes avaient passé le Danube à Sigmaringen; l'autre moitié était sur la rive droite, lorsque Saint-Cyr, qui avait suivi la rive droite du Danube, arriva le 6 sur les hauteurs qui dominent ce fleuve. Si Moreau eût marché, de son côté, à la suite de l'ennemi, une partie de l'armée autrichienne aurait été détruite, mais Moreau ne connaissait pas le prix du temps; il le passait toujours le lendemain des batailles, dans une fâcheuse indécision.

Bataille de Biberach

Quelques jours après la bataille de Mœskirch, Lecourbe se porta sur Wurzach et envoya ses flanqueurs au pied des montagnes du Tyrol. Saint-Cyr se porta sur Buchau; Moreau, avec la réserve, marcha en deuxième ligne; Sainte-Suzanne continua son mouvement par la rive gauche du Danube, et se porta à Geissingen, séparé de l'armée par le fleuve. Kray avait fait sa retraite sans être inquiété. Se trouvant le 7 à Riedlingen, et ayant eu avis du mouvement décousu de la droite de l'armée sur le Tyrol, et de celui de Sainte-Suzanne sur la rive gauche du Danube, il passa ce fleuve au pont de Riedlingen, et se porta derrière Biberach, plaçant une avant-garde de dix mille hommes sur la route de Buchau, et toute son armée derrière la Riess, la gauche à Ochsenhausen, la droite sur le plateau de Mettenberg. Le 9 mai, Saint-Cyr partit de Buchau, attaqua cette avant-garde, qui était séparée du corps de bataille par la Riess, la culbuta dans la rivière, lui fit quinze cents prisonniers, et lui prit du canon; il la suivit sur la rive droite; deux divisions de la réserve étaient survenues dans ces entrefaites. Kray se mit en route sur l'Iller; Lecourbe l'attaqua à Memmingen, lui fit douze cents prisonniers, et lui prit du canon; il se refugia dans son camp d'Ulm.

Manœuvres et combats autour d'Ulm

Du 10 au 12 mai, l'armée française occupait les positions suivantes: la droite, sous Lecourbe, avait son quartier-général à Memmingen; la réserve et le centre le long de l'Iller, jusqu'au Danube; le général Sainte-Suzanne, sur la gauche du Danube, à une journée d'Ulm. L'armée autrichienne était toute réunie dans le camp retranché d'Ulm, hormis le corps du prince de Reuss, de 20,000 hommes, qui était dans le Tyrol. Ulm avait une enceinte bastionnée; le mont Saint-Michel qui la domine, était occupé par des fortifications de campagne faites avec soin, et armées d'une nombreuse artillerie: sur la rive droite, de forts retranchements protégeaient deux ponts. De grands magasins de fourrages, vivres et munitions de guerre y étaient réunis. Le général autrichien pouvait manœuvrer sur les deux rives du Danube, protégeant à la fois la Souabe et la Bavière, couvrant la Bohême comme l'Autriche; il recevait tous les jours des recrues, des vivres, et paraissait résolu à vouloir se maintenir dans cette position centrale, malgré l'infériorité bien constatée de ses forces, et les échecs qu'il avait essuyés.

Moreau, pour le déposter, résolut de marcher en avant, la droite en tête: Lecourbe quitta Memmingen, et s'approcha du Lech. Le quartier-général passa le Günt; Saint-Cyr, avec le centre, le suivit en échelon, longeant le Danube; Sainte-Suzanne s'approcha d'Ulm par la rive gauche. La division Legrand prit position à Erbach sur le Danube, à deux lieues de la place; la division Souham, à la même distance sur la Blau. Les deux divisions couvraient ainsi une ligne de deux lieues. Sainte-Suzanne n'avait aucun pont sur le Danube; il affrontait avec son seul corps toute l'armée de Kray, qui s'était contenté d'envoyer le général Merfeld derrière le Lech, et continua à occuper en force toute la rive gauche du Danube, depuis Ulm jusqu'à l'embouchure de cette rivière, poussant des avant-gardes jusque sur la chaussée d'Augsbourg, où elles escarmouchaient avec les flanqueurs de gauche de l'armée française.

Le 16, à la pointe du jour, l'archiduc Ferdinand déboucha sur le général Legrand, ainsi qu'une autre colonne sur le général Souham. Les avant-postes des deux divisions françaises furent bientôt reployés, leurs communications coupées, le corps des divisions rejeté deux lieues en arrière; à mesure qu'elles reculaient, la distance qui les séparait s'augmentait.

Sainte-Suzanne était percé; il ordonna au général Legrand d'abandonner le Danube, afin de se rapprocher de la division Souham: ce mouvement de concentration, avantageux sous ce point de vue, avait le terrible inconvénient de l'éloigner de l'armée; mais Saint-Cyr, au bruit de la canonade, rétrograda avec son arrière-garde, et plaça sur la rive droite du Danube des batteries, qui battaient la route d'Ulm à Erbach, et donnèrent de l'inquiétude à l'archiduc: il crut que toute l'armée allait passer ce fleuve, et le couper; il se reploya sur Ulm. La perte du corps de Sainte-Suzanne fut considérable en tués et blessés, moindre cependant qu'elle n'aurait dû l'être, vu la fausse position où on l'avait abandonné: l'intrépidité des troupes, l'habileté du général, sauvèrent ce corps d'une destruction totale.

Moreau, étonné de cet évènement, contremanda la marche sur le Lech; ordonna à Saint-Cyr et à d'Hautpoult de passer le Danube à Erbach, pour soutenir Sainte-Suzanne; se porta lui-même sur l'Iller, et rappela Lecourbe. Sainte-Suzanne passa la Blau, de sorte que des onze divisions qui composaient son armée, cinq étaient sur la rive gauche, et six étaient sur la rive droite du Danube, à cheval sur ce fleuve, occupant une ligne de quatorze lieues; il passa plusieurs jours dans cette position.

Attaquera-t-il Kray sur la rive gauche? repassera-t-il sur la rive droite? il se décida de nouveau à ce dernier parti. Lecourbe se reporta sur Landsberg, où il arriva le 27 mai; le 28, sur Augsbourg, où il passa le Lech; St. – Cyr se porta sur la Günzt; Sainte-Suzanne passa sur la droite du Danube, et prit position à cheval sur l'Iller. L'armée française se trouva en bataille, la gauche au Danube, la droite au Lech, occupant une ligne de vingt lieues. Le 24 mai, le feld-maréchal Kray fit passer une avant-garde sur la rive droite, qui attaqua à la fois les deux divisions de Sainte-Suzanne: le combat fut vif, il dura toute la journée: la perte de part et d'autre fut considérable; mais le soir, les Autrichiens repassèrent le Danube.

A cette nouvelle, le général Moreau changea encore de résolution: il arrêta son mouvement, et se rapprocha du Danube. Lecourbe abandonna pour la deuxième fois le Lech. Mais le 4 juin, le feld-maréchal Kray, ayant réuni une partie de ses forces, passa sur le pont d'Ulm, et attaqua le corps de Sainte-Suzanne, conduit par Richepanse. Sainte-Suzanne avait été prendre le commandement des troupes de Mayence, qui se trouvaient en position sur l'Iller. Richepanse, environné par des forces supérieures, se reploya toute la journée: sa position devenait des plus critiques, lorsque le général Grenier (il avait remplacé Saint-Cyr, renvoyé de l'armée par Moreau), fit déboucher par le pont de Kellmuntz sur l'Iller la division Ney; le combat se rétablit. Le général Moreau se concentra tout-à-fait sur l'Iller: c'était justement ce que voulait Kray, qui, trop faible pour faire tête à l'armée française, voulait l'empêcher de cheminer, et la consumer dans des combats de détail.

Après avoir séjourné plusieurs jours dans cette position, enhardi par l'attitude défensive de Kray, qui ne faisait aucun mouvement, et restait dans son camp retranché, Moreau reprit pour la troisième fois son projet d'attaque sur la Bavière; il fit mine de passer le Lech.

Lecourbe repassa de nouveau le Lech, et les 10, 11 et 12 juin, toute l'armée se rapprocha de cette rivière. Ainsi il y avait un mois que le combat de Biberach avait eu lieu, et l'armée était toujours dans la même position; elle avait perdu ce temps en marches et contre-marches, qui l'avaient compromise, et avaient donné lieu à des combats où les troupes françaises, en nombre inférieur, avaient perdu beaucoup de monde. L'arrière-garde de Lecourbe avait perdu deux mille hommes, en évacuant Augsbourg, au combat de Shwamunchen. Cette hésitation avait indisposé quelques généraux de l'armée. Moreau avait renvoyé Saint-Cyr, qu'il avait remplacé par le général Grenier; il reprochait à ce général les lenteurs de sa marche à Engen, surtout à Mœskirch, et d'être mauvais camarade, de laisser écraser les divisions voisines, lorsqu'il pouvait les secourir; de son côté, Saint-Cyr critiquait amèrement la conduite de son général en chef, et manifestait hautement la désapprobation des manœuvres qui avaient été faites depuis l'ouverture de la campagne. On voit dans les dépêches de Lecourbe plusieurs lettres pleines d'énergie et de plaintes sur ses lenteurs, ses incertitudes, ses hésitations, ses ordres et contre-ordres. Cela décida enfin le général en chef à se porter sur la rive gauche du Danube, en passant la rivière, du 19 au 20 juin, 40 jours après être arrivé sur le fleuve, à la hauteur d'Ulm.

9.Les généraux Masséna, Brune, Lecourbe, Championnet étaient attachés à la personne de Napoléon, mais fort ennemis de Siéyes; ils partageaient plus ou moins les opinions des jacobins du manège: il devenait nécessaire de rompre tous les fils en changeant sans retard tous les généraux en chef. Si jamais l'armée devait donner de l'inquiétude, ce ne serait que par l'influence du parti exagéré et non pas celui des modérés, qui était alors en grande minorité.
10.Moreau était ennemi du directoire, et surtout de la société du manège; quoiqu'il n'eût eu que des revers dans la campagne qui venait de se terminer, qu'il eût alors moins de considération que les généraux qui venaient de sauver la Suisse, à Zurich, et la Hollande à Alkmaer, en faisant capituler le fils du roi d'Angleterre, il avait une connaissance particulière du champ d'opération de l'armée d'Allemagne: ce qui décida le premier consul à lui donner toute sa confiance, et à le mettre à la tête de l'armée.