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Loe raamatut: «Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 2»

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LE LIBRE-ÉCHANGE 1
ASSOCIATION POUR LA LIBERTÉ DES ÉCHANGES

1. – DÉCLARATION

10 mai 1846.

Au moment de s'unir pour la défense d'une grande cause, les soussignés sentent le besoin d'exposer leur croyance; de proclamer le but, la limite, les moyens et l'esprit de leur association.

L'ÉCHANGE est un droit naturel comme la PROPRIÉTÉ. Tout citoyen, qui a créé ou acquis un produit, doit avoir l'option ou de l'appliquer immédiatement à son usage, ou de le céder à quiconque, sur la surface du globe, consent à lui donner en échange l'objet de ses désirs. Le priver de cette faculté, quand il n'en fait aucun usage contraire à l'ordre public et aux bonnes mœurs, et uniquement pour satisfaire la convenance d'un autre citoyen, c'est légitimer une spoliation, c'est blesser la loi de la justice.

C'est encore violer les conditions de l'ordre; car quel ordre peut exister au sein d'une société où chaque industrie, aidée en cela par la loi et la force publique, cherche ses succès dans l'oppression de toutes les autres!

C'est méconnaître la pensée providentielle qui préside aux destinées humaines, manifestée par l'infinie variété des climats, des saisons, des forces naturelles et des aptitudes, biens que Dieu n'a si inégalement répartis entre les hommes que pour les unir, par l'échange, dans les liens d'une universelle fraternité.

C'est contrarier le développement de la prospérité publique; puisque celui qui n'est pas libre d'échanger ne l'est pas de choisir son travail, et se voit contraint de donner une fausse direction à ses efforts, à ses facultés, à ses capitaux, et aux agents que la nature avait mis à sa disposition.

Enfin c'est compromettre la paix entre les peuples, car c'est briser les relations qui les unissent et qui rendront les guerres impossibles, à force de les rendre onéreuses.

L'Association a donc pour but la liberté des Échanges.

Les soussignés ne contestent pas à la société le droit d'établir, sur les marchandises qui passent la frontière, des taxes destinées aux dépenses communes, pourvu qu'elles soient déterminées par la seule considération des besoins du Trésor.

Mais sitôt que la taxe, perdant son caractère fiscal, a pour but de repousser le produit étranger, au détriment du fisc lui-même, afin d'exhausser artificiellement le prix du produit national similaire et de rançonner ainsi la communauté au profit d'une classe, dès cet instant la Protection ou plutôt la Spoliation se manifeste; et c'est là le principe que l'Association aspire à ruiner dans les esprits et à effacer complétement de nos lois, indépendamment de toute réciprocité et des systèmes qui prévalent ailleurs.

De ce que l'Association poursuit la destruction complète du régime protecteur, il ne s'ensuit pas qu'elle demande qu'une telle réforme s'accomplisse en un jour et sorte d'un seul scrutin. Même pour revenir du mal au bien et d'un état de choses artificiel à une situation naturelle, des précautions peuvent être commandées par la prudence. Ces détails d'exécution appartiennent aux pouvoirs de l'État; la mission de l'Association est de propager, de populariser le principe.

Quant aux moyens qu'elle entend mettre en œuvre, jamais elle ne les cherchera ailleurs que dans des voies constitutionnelles et légales.

Enfin l'Association se place en dehors de tous les partis politiques2. Elle ne se met au service d'aucune industrie, d'aucune classe, d'aucune portion du territoire. Elle embrasse la cause de l'éternelle justice, de la paix, de l'union, de la libre communication, de la fraternité entre tous les hommes; la cause de l'intérêt général, qui se confond, partout et sous tous les aspects, avec celle du Public consommateur.

2. – LIBRE-ÉCHANGE

19 Décembre 1846.

On nous reproche ce titre. «Pourquoi ne pas déguiser votre pensée! nous dit-on. Les villes hésitent, les hommes pratiques sentent qu'il y a quelque chose à faire. Vous les effrayez. N'osant aller à vous et ne pouvant rester neutres, les voilà qui vont grossir les rangs de vos adversaires.»

Quelques défections passagères ne nous feront pas déserter le drapeau auquel nous avons mis notre confiance. Libre-échange! Ce mot fait notre force. Il est notre épée et notre bouclier. Libre-échange! C'est un de ces mots qui soulèvent des montagnes. Il n'y a pas de sophisme, de préjugé, de ruse, de tyrannie qui lui résiste. Il porte en lui-même et la démonstration d'une Vérité, et la déclaration d'un Droit, et la puissance d'un Principe. Croyez-vous que nous nous sommes associés pour réclamer tel ou tel changement partiel dans la pondération des tarifs! Non. Nous demandons que tous nos concitoyens, libres de travailler, soient libres d'échanger le fruit de leur travail; et il y a trop de justice dans cette demande pour que nous essayions de l'arracher à la loi par lambeaux et à l'opinion par surprise.

Cependant, et pour éviter toute fausse interprétation, nous répéterons ici qu'il est à la liberté d'échanger une limite qu'il n'entre pas dans nos vues, en tant qu'association, de conseiller ou de repousser. Échange, propriété, c'est la même chose à nos yeux, malgré l'opinion contraire de M. Billault3.

Si donc l'État a besoin d'argent, qu'il le prélève sur la propriété ou sur l'échange, nous ne voyons pas là la violation d'un principe. Peut-être l'impôt sur l'échange a-t-il plus d'inconvénients que l'impôt sur la propriété. On le croit en Suisse, on pense le contraire aux États-Unis. Peut-être la France, avec son budget, n'est-elle pas libre de choisir. En tout cas, l'association ne s'est pas formée pour comparer entre elles les diverses natures de taxes; et ceux qui l'accusent de ne point combattre l'octroi prouvent qu'elle sait se renfermer dans sa mission.

Mais si un simple citoyen vient dire à un autre: «Tu as travaillé, tu as touché ton salaire; je te défends de l'échanger d'une façon qui t'arrange, mais qui me dérange,» nous disons que c'est là une insupportable tyrannie.

Et si, au lieu de prononcer l'interdiction de sa pleine autorité, il a assez de crédit pour la faire prononcer par la loi, nous disons que la tyrannie n'en est que plus insupportable et plus scandaleuse.

Et si, de plus, il a pour lui l'opinion égarée, cela peut bien nous forcer d'agir sur l'opinion pour arriver à la loi; mais non nous faire reconnaître que l'acte en soit moins tyrannique dans sa nature et dans ses effets.

Nous répétons encore que nous n'avons jamais demandé une réforme brusque et instantanée; nous désirons qu'elle s'opère avec le moins de dommage possible, en tenant compte de tous les intérêts. Sachons une fois où nous allons, et nous verrons ensuite s'il convient d'aller vite ou lentement. La Presse4 nous disait ces jours-ci que si elle croyait, comme nous, le régime protecteur injuste et funeste, elle réclamerait la liberté immédiate. Nous l'engageons à faire l'application de ce puritanisme à la question de l'esclavage.

Partisans de l'affranchissement du commerce, si le sentiment de la justice entre pour quelque chose dans vos convictions, levez courageusement le drapeau du Libre-Échange. Ne cherchez pas de détours; n'essayez pas de surprendre nos adversaires. Ne cherchez point un succès partiel et éphémère par d'inconséquentes transactions. – Ne vous privez pas de tout ce qu'il y a de force dans un principe, qui trouvera tôt ou tard le chemin des intelligences et des cœurs. On vous dira que le pays repousse les abstractions, les généralités, qu'il veut de l'actuel et du positif, qu'il reste sourd à toute idée qui ne s'exprime pas en chiffres. Ne vous rendez pas complice de cette calomnie. La France se passionne pour les principes et aime à les propager. C'est le privilége de sa langue, de sa littérature et de son génie.

La lassitude même dont elle donne au monde le triste spectacle en est la preuve; car si elle se montre fatiguée des luttes de parti, c'est qu'elle sent bien qu'il n'y a rien derrière que des noms propres. Plutôt que de renoncer aux idées générales, on la verrait s'engouer des systèmes les plus bizarres. N'espérez pas qu'elle se réveille pour une modification accidentelle du tarif. L'aliment qu'il faut à son activité, c'est un principe qui renferme en lui-même tout ce qui, depuis des siècles, a fait battre son cœur. La liberté du commerce, les libres relations des peuples, la libre circulation des choses, des hommes et des idées, la libre disposition pour chacun du fruit de son travail, l'égalité de tous devant la loi, l'extinction des animosités nationales, la paix des nations assurée par leur mutuelle solidarité, toutes les réformes financières rendues possibles et faciles par la paix, les affaires humaines arrachées aux dangereuses mains de la diplomatie, la fusion des idées et par conséquent l'ascendant progressif de l'idée démocratique, voilà ce qui passionnera notre patrie, voilà ce qui est compris dans ce mot: Libre-Échange; et il ne faut point être surpris si son apparition excite tant de clameurs. Ce fut le sort du libre examen et de toutes les autres libertés dont il tire sa populaire origine.

Ce n'est pas que nous soyons assez fanatiques pour voir dans cette question la solution de tous les problèmes sociaux et politiques. Maison ne peut nier que la libre communication des peuples ne favorise le mouvement de l'humanité vers le bien-être, l'égalité et la concorde; et s'il est vrai que chaque peuple ait sa mission et chaque génération sa tâche, la preuve que l'affranchissement de l'échange est bien l'œuvre dévolue à nos jours, c'est que c'est la seule où les hommes de tous les partis trouvent un terrain neutre et peuvent travailler de concert. Gardons-nous donc de compromettre ce principe par des transactions inintelligentes, par le puéril attrait d'un succès partiel et prématuré. Vit-on jamais le système des expédients réaliser dans le monde quelque chose de grand5?

3. – BORNES QUE S'IMPOSE L'ASSOCIATION POUR LA LIBERTÉ DES ÉCHANGES

3 Janvier 1847.

Nous appelons l'impartiale et sérieuse attention du lecteur sur les limites que nous déclarons très-hautement imposer à notre action.

Certes, si nous courions après un succès de vogue, nous nous bornerions à crier: liberté! liberté! sans nous embarrasser dans des distinctions subtiles et risquer de consumer de longues veilles à nous faire comprendre. Mais ces subtilités, nous les avons regardées en face; nous nous sommes assurés qu'elles sont dans la nature des choses et non dans notre esprit. Dès lors, aucune considération ne nous induira à rejeter la difficile tâche qu'elles nous imposent.

Croit-on que nous ne sentions pas tout ce que, en commençant, nous aurions de force si nous nous présentions devant le public avec un programme d'un seul mot: Liberté? Si nous demandions l'abolition pure et simple de la douane, ou si du moins, ainsi que cela a eu lieu en Angleterre, nous posions comme ultimatum la radiation totale et immédiate d'un article bien impopulaire du tarif?

Nous ne le faisons pas néanmoins. Et pourquoi? Parce que nous mettons nos devoirs avant nos succès. Parce que nous sacrifions, volontairement, et les yeux bien ouverts, un moyen certain de popularité à ce que la raison signale comme juste et légitime, acceptant d'avance toutes les lenteurs, tous les travaux auxquels cette résolution nous expose.

La première limite que nous reconnaissons à la liberté des transactions, c'est l'honnêteté. Est-il nécessaire de le dire? et ces hommes ne se découvrent-ils pas, ne laissent-ils pas voir qu'ils nous cherchent des torts imaginaires, ne pouvant nous en trouver de réels, qui nous accusent d'entendre par liberté le droit de tout faire, le mal comme le bien, – de tromper, frelater, frauder et violenter?

Le mot liberté implique de lui-même absence de fraude et de violence; car la fraude et la violence sont des atteintes à la liberté.

En matière d'échanges, nous ne croyons pas que le gouvernement puisse se substituer complétement à l'action individuelle, dispenser chacun de vigilance, de surveillance, avoir des yeux et des oreilles pour tous. Mais nous reconnaissons que sa mission principale est précisément de prévenir et réprimer la fraude et la violence; et nous croyons même qu'il la remplirait d'autant mieux, qu'on ne mettrait pas à sa charge d'autres soins qui, au fait, ne le regardent pas. Comment voulez-vous qu'il perfectionne l'art de rechercher et punir les transactions déshonnêtes, quand vous le chargez de la tâche difficile et, nous le croyons, impossible, de pondérer les transactions innocentes, d'équilibrer la production et la consommation6?

Une autre limite à la liberté des échanges, c'est l'IMPÔT. Voilà une distinction, ou si l'on veut une subtilité à laquelle nous ne chercherons pas à échapper.

Il est évident pour tous que la douane peut être appliquée à deux objets fort différents, si différents que presque toujours ils se contrarient l'un l'autre. Napoléon a dit: La douane ne doit pas être un instrument fiscal, mais un moyen de protection. – Renversez la phrase, et vous avez tout notre programme.

Ce qui caractérise le droit protecteur, c'est qu'il a pour mission d'empêcher l'échange entre le produit national et le produit étranger.

Ce qui caractérise le droit fiscal, c'est qu'il n'a d'existence que par cet échange.

Moins le produit étranger entre, plus le droit protecteur atteint son but.

Plus le produit étranger entre, plus le droit fiscal atteint le sien.

Le droit protecteur pèse sur tous et profite à quelques-uns.

Le droit fiscal pèse sur tous et profite à tous.

La distinction n'est donc point arbitraire. Ce n'est pas nous qui l'avons imaginée. En l'acceptant nous ne faisons pas une concession, un pas rétrograde. Dès le premier jour, nous avons dit dans notre manifeste: «Les soussignés ne contestent pas à la société le droit d'établir, sur les marchandises qui passent la frontière, des taxes destinées aux dépenses communes, pourvu qu'elles soient déterminées par la seule considération des besoins du trésor.»

Pour rendre notre pensée plus claire, nous comparerons la douane à l'octroi.

Le tarif de l'octroi peut être plus ou moins bien conçu. Mais enfin chacun comprend qu'il a pour but exclusif l'impôt. Si un propriétaire parisien, qui aurait des arbres dans l'enclos de son hôtel, venait dire au conseil municipal: «Quadruplez, décuplez, centuplez le droit d'entrée sur les bûches, prohibez-les même, afin que je tire un meilleur parti de mon bois; et si, les bûches n'arrivant plus du dehors, vous perdez une partie de vos recettes, frappez un impôt sur le peuple pour combler le vide.» N'est-il pas clair que cet homme voudrait enter sur l'octroi un nouveau principe, une nouvelle pensée; – qu'il chercherait à le faire dévier de son but; et ne serait-il pas naturel qu'une société se formât dans Paris pour combattre cette prétention, sans pour cela s'élever contre le tarif fiscal de l'octroi, sans le juger, sans même s'en occuper.

Cet exemple montre quelle est l'attitude que la Société du libre-échange entend garder à l'égard des impôts.

Cette attitude est celle de la neutralité.

Ainsi que nous l'avons dit dans notre manifeste, nous aspirons à ruiner la protection dans les esprits, afin qu'elle disparaisse de nos lois.

Vouloir en outre détruire la douane fiscale, ce serait nous donner une seconde mission toute différente de la première. Ce serait nous charger de juger les impôts, dire ceux qu'il faut supprimer, par quoi il faut les remplacer.

Certes aucun de nous ne renonce au droit sacré de scruter et combattre au besoin telle ou telle taxe. Nous trouvons même naturel que des associations se forment dans ce but. Mais ce n'est pas le nôtre. En tant qu'association, nous n'avons qu'un adversaire, c'est le principe restrictif qui s'est enté sur la douane et s'en est fait un instrument.

On nous demande: Pourquoi, dans ce cas, demander le libre-échange et non l'abolition du régime des douanes?

Parce que nous ne regardons pas l'impôt en lui-même comme une atteinte à la liberté.

Nous demandons la liberté de l'échange comme on demandait la liberté de la presse, sans exclure qu'une patente dût être payée par l'imprimeur.

Nous demandons la liberté de l'échange comme on demande le respect de la propriété, sans refuser d'admettre l'impôt foncier.

On nous dit: Quand la douane, à vos yeux, cesse-t-elle d'être fiscale pour commencer à être protectrice?

Quand le droit est tel que, s'il était diminué, il donnerait autant de revenu.

On insiste et l'on dit: Comment reconnaître dans la pratique ce point insaisissable?

Eh! mon Dieu, c'est bien simple, avec de la bonne volonté. Que l'opinion soit amenée à comprendre, c'est-à-dire à repousser la protection, et le problème sera bientôt résolu. Il n'y a pas de ministre des finances qui n'y donne la main. La difficulté, la seule difficulté est de faire qu'il soit soutenu par l'opinion publique.

4. – SUR LES GÉNÉRALITÉS

13 Décembre 1846.

Le grand reproche qui nous arrive de divers quartiers, amis et ennemis, c'est de rester dans les généralités. «Abordez donc la pratique, nous dit-on, entrez dans les détails, descendez des nuages et laissez-y en paix les principes. Qui les conteste? qui nie que l'échange ne soit une bonne, une excellente chose, in abstracto

Il faut pourtant bien que nous ne nous soyons pas tout à fait fourvoyés et que nos coups n'aient pas toujours porté à faux. Car, s'il en était ainsi, comment expliquerait-on la fureur des protectionnistes? Qu'on lise le placard qu'ils ont fait afficher dans les fabriques, pour l'édification des ouvriers, et la lettre qu'ils ont adressée aux ministres7. Croit-on que ce soit la pure abstraction qui les jette ainsi hors de toute mesure?

Nous sommes dans les généralités! – Mais cela est forcé, car nous défendons l'intérêt général. – N'avons-nous pas d'ailleurs à combattre une généralité? Le système protecteur est-il autre chose? Sur quoi s'appuie-t-il? sur des raisonnements subtils: l'épuisement du numéraire, l'intérêt du producteur, le travail national, l'inondation, l'invasion, l'inégalité des conditions de production, etc., etc. – Charitables donneurs d'avis, faites-nous la grâce de nous dire ce qu'on peut opposer à de faux arguments, si ce n'est de bons arguments?

«Opposez-leur des faits, nous dit-on, citez des faits, de petits faits bien simples, bien isolés, bien actuels, entremêlés de quelques chiffres bien frappants.»

C'est à merveille; mais le fait et le chiffre n'apprennent rien par eux-mêmes. Ils ont leurs causes et leurs conséquences, et comment les démêler sans raisonner?

Le pain est cher, voilà un fait. Qui le vend s'en réjouit; qui le mange s'en afflige. Mais comment ce fait affecte-t-il en définitive l'intérêt général? Tâchez de me l'apprendre sans raisonner.

Le peuple souffre; voilà un autre fait. Souffrirait-il moins si un plus vaste marché s'ouvrait à ses ventes et à ses achats? Essayez de résoudre le problème sans raisonner.

La restriction élève le prix du fer; voilà un troisième fait. Et remarquez qu'il n'y a pas contestation sur le fait lui-même. M. Decaze ne le nie pas, ni sa clientèle non plus. Seulement l'un dit: tant mieux; et l'autre: tant pis. Des deux côtés on raisonne pour prouver qu'on a raison. Entreprenez donc de juger sans raisonner.

Nous dirons à nos amis: Vos intentions sont excellentes sans doute; mais en nous interdisant les généralités, vous ne savez pas toute la force que vous portez à nos communs adversaires; vous abondez dans leur sens, allez au-devant de leurs désirs. Ils ne demandent pas mieux que de voir bannir de la discussion les idées générales de vérité, liberté, égalité, justice; car ils savent bien que c'est avec ces idées que nous les battrons.

Ils ne peuvent souffrir qu'on sorte du fait actuel et tout au plus de son effet immédiat. Pourquoi? Parce que toute injustice a pour effet immédiat un bien et un mal. Un bien, puisqu'elle profite à quelqu'un; un mal, puisqu'elle nuit à quelque autre. Dans ce cercle étroit, le problème serait insoluble et le statu quo éternel. C'est ce qu'ils veulent. Laissez-nous donc suivre les conséquences de la protection jusqu'à l'effet définitif, qui est un mal général.

Et puis, ne faites-vous pas trop bon marché de l'intelligence du pays? À vous entendre, on croirait nos concitoyens incapables de lier deux idées. Nous avons d'eux une autre opinion, et c'est pourquoi nous continuerons à nous adresser à leur raison.

Les prohibitionnistes aussi en veulent beaucoup aux généralités. Que trouve-t-on dans leurs journaux, au rang desquels le Constitutionnel vient de s'enrôler? d'interminables déclamations contre le raisonnement. Il faut que ces messieurs en aient bien peur.

Vous voulez des faits, messieurs les prohibitionnistes, rien que des faits; eh bien! en voici:

Le fait est que nous sommes trente-cinq millions de Français à qui vous défendez d'acheter du drap en Belgique, parce que vous êtes fabricants de drap.

Le fait est que nous sommes trente-cinq millions de Français à qui vous défendez de faire les choses contre lesquelles nous pourrions acheter du drap en Belgique. – Il est vrai que ceci sent un peu la généralité, car il faut raisonner pour comprendre que cette seconde prohibition est impliquée dans la première. – Revenons donc aux faits.

Le fait est que vous avez introduit dans la loi dix-huit prohibitions de ce genre.

Le fait est que ces prohibitions sont bien votre œuvre, car vous les défendez avec acharnement.

Le fait est que vous avez fait charger le fer et la houille, d'un droit énorme, afin d'en élever le prix, parce que vous êtes marchands de fer et de houille.

Le fait est que, par suite de cette manœuvre, les actions, de vos mines ont acquis une valeur fabuleuse, à tel point qu'il est tel d'entre vous qui ne les céderait pas pour dix fois le capital primitif.

Le fait est que le salaire de vos ouvriers n'a pas haussé d'une obole; d'où il est permis d'inférer, si vous voulez bien nous permettre cette licence, que, sous prétexte de défendre le salaire des ouvriers, vous défendez vos profits.

Or, ces faits, d'ailleurs incontestables, sont-ils conformes à la justice? Vous aurez bien de la peine à le prouver sans raisonner… et même en déraisonnant.

1
  En composant ce volume presque exclusivement d'articles extraits d'une feuille hebdomadaire, lesquels, dans la pensée de l'auteur, n'étaient pas destinés à être ainsi réunis, nous essayons de les classer dans l'ordre suivant: 1o Exposition du but de l'association libre-échangiste, de ses principes et de son plan d'opérations; – 2o articles relatifs à la question des subsistances; – 3o polémique contre les journaux, et appréciation de divers faits; – 4o discours publics; – 5o variétés et nouvelle série de sophismes économiques.
(Note de l'éditeur.)

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2
  L'année suivante, l'auteur commentait ainsi cette phrase:
  «Est-il possible de penser de même sur la liberté commerciale et de différer en politique?»
  Il nous suffirait de citer des noms d'hommes et de peuples pour prouver que cela est très-possible et très-fréquent.
  Le problème politique, ce nous semble, est celui-ci:
  «Quelles sont les formes de gouvernement qui garantissent le mieux et au moindre sacrifice possible à chaque citoyen sa sûreté, sa liberté et sa propriété?»
  Certes, on peut ne pas être d'accord sur les formes gouvernementales qui constituent le mieux cette garantie, et être d'accord sur les choses mêmes qu'il s'agit de garantir.
  Voilà pourquoi il y a des conservateurs et des hommes d'opposition parmi les libre-échangistes. Mais, par cela seul qu'ils sont libre-échangistes, ils s'accordent en ceci: que la liberté d'échanger est une des choses qu'il s'agit de garantir.
  Ils ne pensent pas que les gouvernements, n'importe leurs formes, aient mission d'arracher ce droit aux uns pour satisfaire la cupidité des autres, mais de le maintenir à tous.
  Ils sont encore d'accord sur cet autre point qu'en ce moment l'obstacle à la liberté commerciale n'est pas dans les formes du gouvernement, mais dans l'opinion.
  Voilà pourquoi l'Association du libre-échange n'agite pas les questions purement politiques, quoique aucun de ses membres n'entende aliéner à cet égard l'indépendance de ses opinions, de ses votes et de ses actes.»
  Extrait du Libre-échange, du 14 novembre 1847.
(Note de l'éditeur.)

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3
  M. Billault, récemment ministre de l'intérieur, a plusieurs fois émis comme avocat et comme représentant, des vues protectionnistes. (V. tome IV, pages 511 et suiv.)
(Note de l'éditeur.)

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4
  À cette époque, le journal la Presse n'était pas encore converti au principe de la liberté.
(Note de l'éditeur.)

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5
  V. ci-après, no 44, la fin du discours prononcé à la salle Taranne, le 3 juillet 1847.
(Note de l'éditeur.)

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6
  V. au tome IV, pages 327 et 342, les pamphlets l'État, la Loi; et dans les Harmonies, le chap. XVII.
(Note de l'éditeur.)

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7
  La lettre adressée au conseil des ministres, et signée de MM. A. Odier, A. Mimerel, J. Périer et L. Lebeuf, finissait par cette menace: «Ne faites jamais que vos ennemis soient armés par ceux qui veulent toujours contribuer avec vous à la prospérité du pays.»
  Quant au placard, en voici quelques phrases:
  «Ils (les libre-échangistes) semblent ne pas s'apercevoir que, par là, ils travaillent à ruiner leur pays et qu'ils appellent l'Anglais à régner en France…
  «Celui qui veut une semblable chose n'aime pas son pays, n'aime pas l'ouvrier.»
(Note de l'éditeur.)

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Ilmumiskuupäev Litres'is:
30 juuni 2017
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