Tasuta

Vie de Benjamin Franklin, écrite par lui-même – Tome II

Tekst
iOSAndroidWindows Phone
Kuhu peaksime rakenduse lingi saatma?
Ärge sulgege akent, kuni olete sisestanud mobiilseadmesse saadetud koodi
Proovi uuestiLink saadetud

Autoriõiguse omaniku taotlusel ei saa seda raamatut failina alla laadida.

Sellegipoolest saate seda raamatut lugeda meie mobiilirakendusest (isegi ilma internetiühenduseta) ja LitResi veebielehel.

Märgi loetuks
Šrift:Väiksem АаSuurem Aa

AVIS

À CEUX QUI VEULENT ALLER S'ÉTABLIR

EN AMÉRIQUE

Plusieurs personnes en Europe, sachant que l'auteur de cet avis connoît très-bien l'Amérique septentrionale, lui ont parlé ou écrit pour lui communiquer l'intention où elles sont d'aller s'y établir. Mais il lui semble qu'elles ont formé ce projet par ignorance, et en se fesant de fausses idées de ce qu'on peut se procurer dans le pays où elles veulent se rendre. Ainsi, il croit devoir donner ici quelques notions plus claires que celles qu'on a eues jusqu'à présent sur cette partie du monde, afin de prévenir l'émigration et les voyages dispendieux et infructueux de ceux à qui ne conviennent pas de pareilles entreprises.



Beaucoup de gens s'imaginent que les habitans des États-Unis de l'Amérique sont riches, en état de faire de la dépense, et disposés à récompenser toute sorte de talens; mais qu'en même-temps ils ne connoissent point les sciences, et que par conséquent des étrangers, qui possèdent la littérature et les beaux-arts, doivent être très-estimés dans ces contrées, et assez bien payés pour y devenir bientôt riches. On croit aussi qu'il y a beaucoup d'emplois lucratifs que les gens du pays ne sont pas propres à remplir; et que comme peu de personnes y sont d'une noble origine, les étrangers qui portent un nom distingué doivent y être très-respectés, obtenir les meilleures places et y faire fortune. – On va jusqu'à se flatter que, pour encourager l'émigration des Européens, les divers gouvernemens des États-Unis, non-seulement payent le voyage de ceux qui viennent pour s'établir chez eux, mais leur font présent à leur arrivée, de terres, de nègres, de bétail et d'instrumens de labourage.



Toutes ces choses-là sont imaginaires; et ceux qui fondent leurs espérances sur cela, et passent en Amérique, sont sûrement bien trompés.



La vérité est que quoique dans ce pays il y ait très-peu de gens aussi misérables que les classes pauvres d'Europe, il y en a aussi très-peu qu'on pût regarder en Europe comme riches. On y trouve plutôt une heureuse et générale médiocrité. On y voit peu de grands propriétaires de terres, et peu de fermiers qui cultivent les terres des autres. La plupart des Américains labourent leurs propres champs, exercent quelque métier ou font quelque commerce. Il en est très-peu d'assez riches pour vivre dans l'oisiveté, et pour payer aussi chèrement, qu'on le fait en Europe, les tableaux, les statues, l'architecture et les autres productions des arts, qui sont plus curieuses qu'utiles. Aussi ceux qui sont nés en Amérique avec le goût de cultiver ces arts, ont communément quitté leur patrie, et sont allés s'établir en Europe, où ils pouvoient être mieux récompensés.



Certes, la connoissance des belles-lettres et de la géométrie est très-estimée dans les États-Unis; mais elle y est, en même-temps, plus commune qu'on ne le pense. Il y a déjà neuf grands colléges ou universités; savoir quatre à la Nouvelle-Angleterre

35

35


  La province de Massachusett, dont Boston est la capitale. (

Note du Traducteur.

)



, et un dans chacune des provinces de New-York, de New-Jersey, de Pensylvanie, de Maryland et de Virginie. Ces universités ont des professeurs très-savans. Il y a, en outre, un grand nombre de petits colléges, ou d'écoles; et l'on apprend à beaucoup de jeunes gens les langues, la théologie, la jurisprudence et la médecine.



Il n'est nullement défendu aux étrangers d'exercer ces professions; et le rapide accroissement de la population dans toutes les parties des États-Unis, leur promet une occupation qu'ils peuvent partager avec les gens du pays. Il y a peu d'emplois civils, et il n'y en a point d'inutile comme en Europe. D'ailleurs, l'on a établi pour règle, dans quelques-unes de nos provinces, qu'aucune place ne seroit assez lucrative, pour tenter la cupidité de ceux qui voudroient la remplir. Le trente-sixième article de la constitution de Pensylvanie, dit expressément: – «Comme pour conserver son indépendance, tout homme libre, qui n'a point une propriété suffisante, doit avoir quelque profession, métier, commerce ou ferme qui le fasse subsister honnêtement, il n'est pas nécessaire de créer des emplois lucratifs; parce que leur effet ordinaire est d'inspirer à ceux qui les possèdent ou qui les postulent, un esprit de dépendance et de servitude, indigne d'hommes libres. Ainsi, toutes les fois que les émolumens d'un emploi augmenteront au point de le faire désirer à plusieurs personnes, il faudra que la législature en diminue les profits.»



Ces idées ont été plus ou moins adoptées par tous les États-Unis. Or, il ne vaut pas la peine qu'un homme, qui a quelque moyen de vivre chez lui, s'expatrie dans l'espoir d'obtenir une place avantageuse en Amérique. Quant aux emplois militaires, il n'y en a plus depuis la fin de la guerre, puisque les armées ont été licenciées.



Il convient encore moins d'aller dans les États-Unis, lorsqu'on n'a à y porter qu'une naissance illustre. En Europe, cela peut être de quelque prix: mais une pareille marchandise ne peut être offerte dans un plus mauvais marché qu'en Amérique, où, en parlant d'un étranger, les habitans demandent, non pas

qui il est

, mais

ce qu'il sait faire

. S'il a quelque talent utile, il est bien accueilli; et s'il exerce son talent et qu'il se conduise bien, il est respecté par tous ceux qui le connoissent. Mais celui qui n'est qu'

homme de qualité

, et qui, par rapport à cela, veut obtenir un emploi et vivre aux dépens du public, est rebuté et méprisé.



Le laboureur et l'artisan sont honorés en Amérique, parce que leur travail est utile. Les habitans y disent que Dieu lui-même est un artisan, et le premier de l'univers; et qu'il est plus admiré, plus respecté, à cause de la variété, de la perfection, de l'utilité de ses ouvrages, que par rapport à l'ancienneté de sa famille. – Ils aiment beaucoup à citer l'observation d'un nègre, qui disoit: – «Boccarorra

36

36


  C'est-à-dire l'homme blanc.



 fait travailler l'homme noir, le cheval, le bœuf, tout, excepté le cochon. – Le cochon mange, boit, se promène, dort quand il veut, et vit comme un gentilhomme.» —



D'après cette façon de penser des Américains, l'un d'entr'eux croiroit avoir beaucoup plus d'obligation à un généalogiste qui pourroit lui prouver que, depuis dix générations, ses ancêtres ont été laboureurs, forgerons, charpentiers, tourneurs, tisserands, taneurs, même cordonniers, et que conséquemment ils étoient d'utiles membres de la société, que s'il lui démontroit qu'ils étoient seulement nobles, ne fesant rien de profitable, vivant nonchalamment du travail des autres, ne sachant que

consommer les fruits de la terre

37

37


  … Born


  Merely to eat up the corn.


  Wotts.



, et n'étant enfin propres à rien, jusqu'à ce qu'à leur mort, leurs biens ont été dépecés comme le cochon gentilhomme du nègre.



Quant aux encouragemens que le gouvernement donne aux étrangers, ils ne sont réellement que ce qu'on doit attendre de la liberté et des loix sages. Les étrangers sont bien reçus en Amérique, parce qu'il y a assez de place pour tous; et les habitans n'en sont point jaloux. Les loix les protégent assez, pour qu'ils n'aient besoin de l'appui d'aucun homme en place; et chacun d'eux peut jouir en paix du produit de son industrie. Mais s'ils n'apportent point de fortune, il faut qu'ils soient laborieux et qu'ils travaillent pour vivre. Une ou deux années de séjour leur donnent tous les droits de citoyen. Mais le gouvernement ne fait point aujourd'hui ce qu'il pouvoit faire autrefois. Il n'engage plus les étrangers à s'établir, en payant leur passage, et leur donnant des terres, des nègres, du bétail, des instruments de labourage, ou en leur fesant aucune autre espèce d'avances. En un mot, l'Amérique est la terre du travail, et non point ce que les Anglais appellent une contrée de fainéans

38

38


  Lubberland.



; et les Français un pays de cocagne, où les rues sont pavées de miches, les maisons couvertes d'omelettes, et où les poulets volent tout rôtis, en criant:

Approchez-vous pour nous manger.



Quels sont donc les hommes auxquels il peut être avantageux de passer en Amérique? Et quels sont les avantages qu'ils peuvent raisonnablement s'y promettre?



La terre est à bon marché dans ces contrées, à cause des vastes forêts qui manquent d'habitans, et qui probablement en manqueront encore plus d'un siècle. La propriété de cent acres d'un sol fertile, couvert de bois en divers endroits, voisin des frontières, peut s'acquérir pour huit ou dix guinées. Ainsi, des jeunes gens laborieux qui s'entendent à cultiver le bled et à soigner le bétail, ce qui se fait dans ces contrées à-peu-près comme en Europe, ont de l'avantage à aller s'y établir. Quelques épargnes sur les bons gages qu'ils y recevront pendant qu'ils travailleront pour les autres, les mettront bientôt à même d'acheter de la terre et de commencer à la défricher. Ils seront aidés par des voisins de bonne volonté, et ils trouveront du crédit. Beaucoup de pauvres colons, sortis d'Angleterre, d'Irlande, d'Écosse et d'Allemagne, sont, de cette manière, devenus, en peu d'années, de riches fermiers; mais s'ils étoient restés dans leur pays, où toutes les terres sont occupées et le prix des journaliers fort médiocre, ils ne se seroient jamais élevés au-dessus de la triste condition dans laquelle ils étoient nés.

 



La salubrité de l'air, la bonté du climat, l'abondance de bons alimens, la facilité qu'on a à se marier de bonne heure, par la certitude de ne pas manquer de subsistance en cultivant la terre, font que l'accroissement de la population est très-rapide en Amérique; et elle le devient encore davantage par l'immigration des étrangers. Aussi, on y voit sans cesse augmenter le besoin des ouvriers de toute espèce, pour construire des maisons aux agriculteurs, et leur faire les meubles et ustensiles grossiers qu'il ne seroit pas aussi commode de faire venir d'Europe.



Des ouvriers qui peuvent faire passablement les choses dont je viens de parler, sont sûrs de ne pas manquer d'occupation et d'être bien payés, car rien ne gêne les étrangers qui veulent travailler, et ils n'ont pas même besoin de permission pour cela. S'ils sont pauvres, ils commencent par être domestiques ou journaliers; et s'ils sont sobres, laborieux, économes, ils deviennent bientôt maîtres, s'établissent, se marient, élèvent bien leurs enfans, et sont des citoyens respectables.



Les gens qui, ayant une médiocre fortune, et une nombreuse famille, désirent d'élever leurs enfans au travail, et de leur assurer une propriété, peuvent aussi passer en Amérique. Ils y trouveront des ressources dont ils manquent en Europe. Là, ils pourront apprendre et exercer des arts mécaniques, sans que cela leur procure aucun désagrément. Au contraire, leur travail leur attirera du respect. Là, de petits capitaux employés à acheter des terres qui acquièrent chaque jour plus de prix par l'accroissement de la population, donnent à ceux qui en font cet usage, la certitude de laisser d'assez grandes fortunes à leurs enfans.



L'auteur de cet écrit a vu plusieurs exemples de grands terrains, achetés à raison de dix livres sterlings pour cent acres, dans le pays, qu'on appeloit alors les frontières de la Virginie, lesquels, au bout de vingt ans, ayant été défrichés, et se trouvant en-deçà de nouveaux établissemens, ont été vendus trois livres sterlings l'acre. L'acre américain est le même que l'acre anglais et l'acre de Normandie

39

39


  Le département de la Seine-Inférieure. Cet acre n'existe plus depuis que la république a sagement établi l'égalité des mesures. (

Note du Tra.

)



.



Ceux qui veulent connoître le gouvernement des Américains, doivent lire les constitutions des différens États-Unis, et les articles de confédération qui les lient les uns aux autres, sous la direction d'une assemblée générale, appelée

Congrès

. Ces constitutions ont été imprimées en Amérique, par ordre du congrès. L'on en a fait deux éditions à Londres, et la traduction française en a été publiée dernièrement à Paris.



Depuis quelque temps, divers princes de l'Europe, croyant qu'il y auroit de l'avantage pour eux à multiplier les manufactures dans leurs états, de manière à diminuer l'importation des marchandises étrangères, ont cherché à attirer des ouvriers des autres pays, en leur accordant de gros salaires et des privilèges. – Beaucoup de personnes, qui prétendent être très-habiles dans divers genres de manufactures précieuses, s'imaginant que l'Amérique devoit avoir besoin d'elles, et que le congrès seroit probablement disposé à imiter les princes dont je viens de faire mention, lui ont proposé de se rendre dans les États-Unis, à condition qu'il paieroit leur passage et qu'il leur donneroit des terres, des appointemens, et des privilèges pour un certain nombre d'années. Mais si ces personnes lisent les articles de la confédération des États-Unis, elles verront que le congrès n'a ni le pouvoir ni l'argent nécessaire pour faire ce qu'elles désirent. Si de tels encouragemens peuvent avoir lieu, ce n'est que de la part du gouvernement de quelqu'un des états. Cependant, cela arrive rarement en Amérique; et quand on l'a fait, le succès a souvent mal répondu aux espérances. On a vu que le pays n'étoit pas encore assez avancé pour engager des particuliers à y établir des manufactures. La main-d'œuvre y est communément trop chère; il est trop difficile d'y rassembler des journaliers, parce que chacun veut y travailler pour son compte; et le bas prix des terres y excite beaucoup d'ouvriers à abandonner leur métier pour s'adonner à l'agriculture.



Le peu de manufactures qui y ont réussi, sont celles qui exigent peu de bras, et dans lesquelles la plus grande partie du travail se fait avec des machines. Les marchandises trop volumineuses, et qui ne sont pas d'un prix assez considérable pour supporter les dépenses du fret, peuvent être faites dans le pays et vendues à meilleur marché, que lorsqu'on les y transporte. Mais ce ne sont que ces sortes d'objets qu'il est avantageux d'y fabriquer lorsqu'on en trouve le débit. Les fermiers américains ont tous les ans beaucoup de laine et de lin: mais au lieu d'en exporter, on emploie le tout dans le pays. Chaque fermier a chez lui sa petite manufacture pour l'usage de sa famille. L'on a essayé, dans plusieurs provinces, d'acheter une grande quantité de laine et de lin, pour les faire filer et tisser, et former des établissemens où l'on pût vendre beaucoup de toile et d'étoffes de laine: mais ces projets n'ont presque jamais réussi, parce que les marchandises pareilles qui viennent de l'étranger, sont moins chères.



Lorsque le gouvernement a été invité à soutenir ces établissemens, par des encouragemens, par des avances de fonds, ou en mettant des impôts sur l'importation des marchandises étrangères, il a presque toujours refusé; car il a pour principe que si le pays est déjà en état d'avoir des manufactures, des particuliers trouveront assez d'avantage à les entreprendre; et que s'il ne l'est pas encore, c'est une folie de vouloir forcer la nature.



L'établissement de grandes manufactures exige qu'il y ait un grand nombre de pauvres ouvriers, qui travaillent pour un faible salaire. Il peut y avoir de ces pauvres ouvriers en Europe: mais il ne s'en trouvera point en Amérique, jusqu'à ce que toutes les terres soient occupées et cultivées, et qu'il y ait un surcroît de population, qui, ne pouvant avoir de terres, manque de travail.



Les manufactures de soieries sont, dit-on, naturelles en France, comme celles de drap en Angleterre; parce que chacun de ces pays produit abondamment les matières premières. Mais si l'Angleterre vouloit fabriquer des soieries, comme elle fabrique des draps, et la France fabriquer des draps, comme elle fabrique des soieries, ces entreprises contre nature auroient besoin d'être soutenues par des prohibitions mutuelles, ou par des droits considérables mis sur les marchandises importées d'un de ces états dans l'autre. Par ce moyen les ouvriers feroient payer un plus haut prix aux consommateurs, tandis que le surcroît de salaires qu'ils recevroient, ne les rendroit ni plus heureux, ni plus riches, car ils boiroient davantage et travailleroient moins.



Les gouvernemens américains croient donc ne pas devoir encourager ces sortes de projets. Aussi, ni les marchands, ni les ouvriers, ne font la loi à personne. Si le marchand veut vendre trop cher une paire de souliers qui vient de l'étranger, l'acheteur s'adresse à un cordonnier; et si le cordonnier demande un trop haut prix, l'acheteur retourne an marchand: ainsi la concurrence retient dans de justes limites le marchand et l'ouvrier. Cependant le cordonnier gagne en Amérique, beaucoup plus qu'il ne gagneroit en Europe, parce qu'il peut ajouter au prix qu'il vend ses souliers, une somme presqu'égale aux dépenses de fret, de commission, d'assurances, que fait nécessairement payer le marchand. Il en est de même pour les ouvriers dans tous les autres arts mécaniques. Aussi, les artisans vivent en général beaucoup mieux en Amérique qu'en Europe; et ceux qui sont économes ramassent aisément de quoi vivre dans leur vieillesse, et laisser du bien à leurs enfans. – Les hommes qui ont un métier peuvent donc avoir de l'avantage à aller s'établir dans les États-Unis.



L'Europe est depuis long-temps habitée; et là, les arts, les métiers, les professions de toute espèce sont si bien fournis, qu'il est difficile à un pauvre homme, qui a des enfans, de les placer de manière à leur faire gagner, ou apprendre à gagner une honnête subsistance. L'artisan qui craint de se créer des rivaux refuse de prendre des apprentis, à moins qu'on ne lui donne de l'argent, qu'on ne les nourrisse ou qu'on ne se soumette à d'autres conditions trop onéreuses pour les parens. Aussi les jeunes gens restent souvent dans l'ignorance