Il Suffira D'Un Duc

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Il Suffira D'Un Duc
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Table des Matières

IL SUFFIRA D’UN DUC

Chapitre Un

Chapitre Deux

Chapitre Trois

Chapitre Quatre

Chapitre Cinq

Chapitre Six

Chapitre Sept

Chapitre Huit

Chapitre Neuf

Chapitre Dix

Chapitre Onze

Chapitre Douze

Chapitre Treize

Chapitre Quatorze

Chapitre Quinze

Chapitre Seize

Chapitre Dix-sept

Chapitre Dix-huit

Chapitre Dix-neuf

Chapitre Vingt

Chapitre Vingt-et-un

Chapitre Vingt-deux

Chapitre Vingt-trois

Chapitre Vingt-quatre

Chapitre vingt-cinq

Chapitre Vingt-six

Chapitre Vingt-sept

Chapitre vingt-huit

Épilogue

À propos de l’auteure




IL SUFFIRA D’UN DUC


Elle doit se marier… Et il va lui trouver un époux.

Quand la mère de Margaret Carberry la force à l’accompagner à l’étage lors d’un bal, Margaret ne s’imagine pas que ce soit pour l’attacher sur un lit et fermer la porte à double tour. Hélas, la mère de Margaret a pris l’initiative de déclarer la réputation de sa fille compromise – que Margaret ait envie ou non de recourir à de telles stratégies pour piéger un futur mari.

Jasper Tierney, duc de Jevington, est surpris de tomber nez-à-nez avec une jeune femme à moitié dévêtue étendue sur son lit. Il est encore plus stupéfait de découvrir son identité. Margaret Carberry a la réputation d’être incorrigiblement réservée, pas d’être une séductrice, peu importe combien sa peau nue sur la literie paraît tentante. Quand Margaret déclare ne pas vouloir accepter les manœuvres de sa mère et souhaiter trouver un mari par elle-même, Jasper promet de lui apporter son aide, de peur que la mère de Margaret ne concocte un autre plan pour la placer dans une situation compromettante. Jasper est certain d’une chose : il n’a aucune envie de se marier.

Tandis que Jasper travaille à unir Margaret à un duc de ses amis, la perspective d’un mariage forcé avec elle perd de son ignominie initiale. Peut-être a-t-il manqué l’occasion de trouver le bonheur ?

This is a work of fiction. Similarities to real people, places, or events are entirely coincidental.

IL SUFFIRA D’UN DUC

Copyright © 2020 Bianca Blythe.

Written by Bianca Blythe.

Translated by Sabine Ingrao.

Published by Tektime.




Chapitre Un


––––––––


JUIN 1820

Londres

La première règle pour faire tapisserie était de se procurer un excellent siège.

Margaret Carberry, fille du magnat écossais du même nom et parente d’absolument aucun aristocrate, n’était plus une novice dans l’art de participer aux bals : sa mère acceptait chaque invitation.

Margaret se dirigeait d’un bon pas vers la partie la plus calme de la salle, le plus loin possible des musiciens et des danseurs, exactement comme elle le faisait à chaque bal. Juliette et Geneviève seraient là, et elle se fraya un chemin parmi la foule des invités avec expertise. Les femmes portaient de fines robes de bal blanches ornées de rubans pastel et garnies de dentelle, une tentative indéniable de contrecarrer la chaleur estivale. Les hommes arboraient des sourires contraints, visiblement mal à l’aise avec leurs cravates savamment nouées, leurs gilets aux couleurs chatoyantes et leurs redingotes un peu étroites, cette dernière étroitesse étant le résultat d’une saison de festins.

La deuxième règle pour faire tapisserie était de n’interagir avec personne. Margaret n’avait pas besoin de voir l’expression des invités changer quand ils s’inquiétaient de devoir lui faire la conversation. Bien que l’échelon supérieur de la bonne société ne soit pas enclin à la timidité, peu désiraient être vu en conversation avec elle.

Les mamans entremetteuses et les fiers papas ne s’interrogeaient plus sur le bien-fondé de trainer leurs deuxièmes et troisièmes fils pour faire sa connaissance, et Margaret ne se sentait plus embarrassée de tenter de converser avec la haute société : après tout, les résultats demeuraient identiques. Les premières notes chantantes de son accent écossais rencontraient la désapprobation de la crème de la crème, et quand ils établissaient l’identité de son père, ils s’excusaient avec empressement. Même ceux possédant des dettes considérables jugeaient préférable de supporter des rencontres embarrassantes avec leur tailleur et de sabrer dans le nombre de leurs domestiques que de mettre en danger leur respectabilité.

La haute société jugeait suspecte la présence de Margaret aux occasionnelles festivités, voyant en elle un indésirable nivellement par le bas de la société, évoquant des idéaux probablement partagés par les paysans armés de fourches qui avaient un jour peuplé l’autre côté de la Manche. Le père de Margaret avait beau être plus fortuné que beaucoup d’entre eux réunis, elle-même avait beau avoir fréquenté les mêmes finishing schools que les autres filles de la haute société, cela ne signifiait pas qu’elle en faisait partie.

Margaret se trouverait tout simplement un bon siège, puis discuterait avec ses chères amies. Même Maman ne s’attendrait pas à ce qu’elle trouve un mari au dernier bal de la saison. Margaret sourit, alors que lors de sa première participation à un bal, ses joues avaient été douloureuses à force de feindre le ravissement. À présent, elle appréciait presque de se rendre à ces soirées mondaines.

La foule s’épaissit, et Margaret posa une main sur son turban pour entraver tout instinct que les plumes qui le décoraient pourraient avoir de prendre leur envol. La seule chose pire que de porter une monstruosité emplumée serait de porter une monstruosité déplumée.

Aucune importance.

C’était la dernière réception de la saison : c’était presque terminé.

 

Margaret n’avait peut-être pas trouvé de mari, mais elle ne serait pas la première femme à ne pas être fiancée après une seule saison. En outre, Papa n’était pas exactement appauvri. Maman conviendrait peut-être qu’elle n’avait nul besoin d’une seconde saison, et qu’elle pourrait tout simplement se trouver un cottage dans le Dorset et vivre heureuse, confortablement installée avec ses volumes scientifiques préférés.

Les violons murmuraient plaisamment. Le corps de Margaret s’allégea, et elle accéléra le pas.

Soudain, quelque chose de mouillé ruissela le long de sa robe, et une immanquable odeur d’alcool envahit ses narines. Elle fronça les sourcils, mais elle n’avait pas rêvé – un liquide glacé lui coulait bien le long du dos.

Sapristi !

Une flûte de champagne se brisa sous son pied sur le parquet en pin ciré du duc de Jevington, gâchant le dessin élaboré à la craie, et Margaret réprima un cri. Qu’avait-elle fait ? De toute évidence, la récente expérience de Margaret en matière de bals ne l’avait pas préparée à éviter de renverser des verres. Du liquide s’écoula à travers la robe de Margaret.

Double sapristi.

Elle tâtonna dans son dos avec hésitation et baissa les yeux sur les éclats de verre brisé, décorés avec un motif doré complexe.

Eh bien, le motif était à présent moins élaboré.

Quelques dames plus âgées lancèrent à Margaret des regards horrifiés, ouvrant la bouche et fronçant les sourcils avec un mépris inhabituel pour l’éventuelle formation de rides.

Un valet de pied se précipita, un mouchoir blanc serré dans la main. Il plongea au sol pour rassembler les éclats de verre.

Certaines débutantes tournèrent le buste vers toute cette agitation et sourirent d’un air suffisant. Leurs manches bouffantes demeuraient sans la moindre tâche due au contact inopiné avec un liquide, et leur tissu recouvert de broderies dégageait un parfum de perfection non-alcoolisée.

Le ventre de Margaret se tordit. Ce bal était supposé être agréable. Et elle venait de tout gâcher.

Quelqu’un agrippa le coude de Margaret, et lorsqu’elle se retourna, elle vit sa propre mère.

— J’ai vu ce qui s’est passé, dit Maman d’un ton brusque. Comme c’était maladroit de votre part. Je suis accourue aussitôt.

— Je-Je suis désolée, bégaya Margaret, prise de court par l’apparition impromptue de sa mère. Je ne sais pas comment…

Maman agita la main d’une manière désinvolte peu habituelle chez elle.

— Cela n’a aucune importance, ma chère.

Margaret en resta bouche bée. La plupart des choses étaient d’une importance capitale pour Maman. Faire une bonne impression au duc de Jevington se classait probablement en tête des désirs de Maman. C’était le bal du duc, et il ne s’éprendrait très probablement pas d’une femme qui avait transformé son parquet ciré et étincelant en zone dangereuse.

Le duc ne se serait évidemment pas épris d’elle, même si Margaret n’avait pas accidentellement renversé un verre de champagne. Même d’autres jeunes femmes faisant tapisserie jugeaient Margaret sans intérêt. Aucun duc ne désirait avoir une duchesse qui bafouillait quand elle parlait et dont les joues rougissaient à intervalles réguliers. La capacité de Margaret à énoncer des faits scientifiques avec le même enthousiasme que d’autres mettaient à vanter leurs vagues relations avec la noblesse, était une piètre consolation.

— Il faut vous sécher.

Maman passa le bras de Margaret sous le sien, comme si elle craignait que Margaret ne décide de gambader vers les autres danseurs pour entamer un quadrille dans sa tenue dégoulinante.

Elles progressèrent lentement vers la sortie, comme un plus grand nombre de gens affluaient vers la salle. Certaines personnes regardèrent Margaret avec curiosité, se demandant peut-être pourquoi elle avait décidé qu’une musique agréable, la danse et la nourriture étaient des expériences à délaisser, plutôt qu’à savourer. D’autres étaient occupés à lever la tête vers les merveilles peintes au plafond, comprenant des chérubins et des cieux céruléens, même si on ne voyait fréquemment ni les uns ni les autres au-dessus de Grosvenore Square.

Enfin, Margaret et sa mère purent franchir les solides portes en bois sculpté et se retrouvèrent sur l’étincelant carrelage noir et blanc du vestibule du duc. Margaret se dirigea vers le vestiaire. Partir en avance était embarrassant, mais au moins elles n’avaient pas aperçu le duc : cela devait être considéré comme une victoire. Le moment manquait de gloire, mais Margaret releva tout de même le menton. De l’alcool lui dégoulina le long du dos, et elle frissonna.

Maman tira sur la manche de Margaret.

— Allons à l’étage.

— À l’étage ? dit Margaret d’une voix tremblante. M-Mais.

Margaret s’arrêta. Les invités ne s’aventuraient pas dans les étages. Elle se sentit ridicule de devoir rappeler les règles de l’étiquette à sa mère. Après tout, c’était sa mère qui les lui avait enseignées.

Maman laissa échapper un petit gloussement, et Maman ne gloussait jamais.

Margaret la regarda d’un air soupçonneux. Sa mère agissait de façon très étrange. Margaret avait souvent souhaité que sa mère soit moins stricte et catégorique, mais elle ne s’était certainement pas attendue à voir Maman se transformer en une femme qui batifole dans la résidence du duc.

— Ne soyez pas aussi collet monté, ma chère, dit Maman. Si je dis que c’est convenable, ça l’est.

Maman avait toujours été l’incarnation de la bienséance, auparavant.

Margaret hésita, mais sa mère la tira d’un coup sec vers un escalier imposant. Un frisson, à ne pas mettre uniquement sur le compte du champagne renversé, descendit furtivement le long de la colonne vertébrale de Margaret.

— Nous ne devrions pas aller là, dit Margaret. Ce sont les appartements du duc.

— Balivernes, chuchota Maman. Vous ne pouvez pas garder du champagne sur votre robe. C’est inconvenant. En outre, le duc est dans la salle de bal.

Les yeux de Maman pétillèrent, et ses lèvres restèrent recourbées d’une façon plus communément aperçue chez les gens assistant à un opéra-comique. Elle entreprit l’ascension des marches de marbre avec détermination, balayant l’ourlet de sa robe contre la balustrade avec une telle force que certains des rubans qui s’y trouvaient cousus se dénouèrent. Visiblement, la femme de chambre de Maman n’avait pas été préparée à l’énergie de Maman.

Margaret frémit à l’idée de ce que Maman pourrait faire à l’étage, où elle risquait de céder à l’envie de fureter partout. Maman pouvait difficilement errer seule dans les recoins privés de la résidence.

Margaret jeta un coup d’œil en direction du majordome. Heureusement, il était occupé à surveiller la porte – pas ce qui se passait à l’intérieur de la résidence. Margaret soupira et suivit sa mère, glissant une main gantée de dentelle sur la rampe. Dans des cadres dorés, des peintures de différents paysages magnifiques, vraisemblablement les immenses terres du duc, garnissaient les escaliers. Tout était superbe, même s’il était peu probable que des amateurs d’art ne se hissent en haut des marches pour détailler les peintures. S’il y avait d’autres peintures dans la résidence, elles devaient être encore plus exceptionnelles.

Le pallier non-éclairé sembla un peu inquiétant, mais une bonne s’approcha bientôt d’elles en tenant une lanterne. Margaret se recroquevilla. Elles étaient découvertes.

Sapristi.

Margaret se dandina, se préparant à affronter un regard glacé et un mot sévère, comme ceux adressés à ses camarades de classe à leur finishing school, mais qui n’avaient jamais été dirigés vers elle. Margaret obéissait aux règles, même celles qui n’étaient pas écrites. Elle était suffisamment maligne pour ne pas errer dans les étages, même si le duc ne se promenait pas en ce moment dans les couloirs sombres.

La bonne allait leur dire de partir d’une minute à l’autre. Mais à la place, la bonne hocha la tête à l’adresse de Maman.

— Par ici.

Margaret cligna des paupières. La bonne avait-elle assisté à l’incident et était-elle montée par un autre escalier ? Mais les bonnes n’étaient généralement pas présentes lors des bals. Peut-être un valet l’avait-il informée ? Margaret fronça les sourcils.

La bonne avançait d’un bon pas, passant devant des buffets et des vases démesurés en porcelaine bleu et blanc qui avaient l’air somptueux même dans cette pauvre lumière, et Maman et Margaret se dépêchèrent après elle. Leurs pieds s’enfoncèrent dans des tapis luxueux qui assourdissaient leurs pas, mais l’étrange silence n’apaisait pas le cœur battant toujours plus vite de Margaret. Un sourire béat rayonnait sur les lèvres de Maman, alors que d’ordinaire elle aurait marmonné que la démarche rapide de la bonne n’était pas nécessaire.

Enfin, la bonne s’arrêta devant une porte.

— C’est ici.

— Merci, dit Maman en pressant quelque chose dans les mains de la bonne. J’ai bien peur d’avoir besoin de votre aide.

La bonne hocha gravement la tête.

— Bien sûr. Elle est plutôt grande.

L’instant d’après, la bonne saisissait les poignets de Margaret et la trainait à l’intérieur de la pièce.

— Que faites-vous ? s’écria Margaret en luttant contre la solide prise de la bonne.

Margaret était en pleine confusion. Les bonnes n’étaient pas supposées tirer quelqu’un dans les chambres. Personne n’était supposé faire cela.

— Maman ? plaida Margaret.

Des mains poussèrent Margaret. Des mains qui n’appartenaient pas à la bonne. Les deux mains de la bonne étaient refermées autour des poignets de Margaret, comme des menottes de fortune. Le parfum de lavande préféré de sa mère qui flotta autour de Margaret, ne laissa aucune équivoque : Maman la forçait à entrer dans la pièce. Maman n’était pas encline à faire des câlins, et pourtant, à présent, elle poussait le dos de Margaret.

— Le lit est sur la droite, dit la bonne d’un ton professionnel, comme si elle expliquait la disposition de la chambre à une nouvelle invitée qui était entrée de manière normale, avec une invitation.

— S’il vous plaît, relâchez-moi, dit Margaret de sa voix la plus autoritaire. Que se passe-t-il, au juste ?

— Je garantis votre paix et votre bonheur futurs, dit Maman avec un petit cri de joie. N’est-ce pas merveilleux ?

Margaret sentit son cœur s’alourdir.

Une idée lui vint.

Une idée abominable, atroce et alarmante.

— À qui appartient cette chambre ?

La voix de Margaret tremblota, peinant dans une gorge soudainement sèche, comme si elle venait d’entrer au Sahara, et pas dans une chambre somptueuse située dans la très humide et moite Angleterre.

— Celle du duc de Jevington, déclara Maman. Votre futur mari.

Juste ciel.

Margaret ferma les yeux avec force. Malheureusement, quand elle les rouvrit, le monde demeurait le même qu’auparavant.

— Vous plaisantez, dit Margaret. Vous devez être en train de plaisanter.

Maman n’avait peut-être jamais fait de plaisanterie auparavant, et elle avait peut-être enrôlé cette étrange bonne pour l’assister dans sa blague, mais cela ne signifiait pas qu’elle n’était pas en train de plaisanter.

Sûrement pas.

Maman n’allait pas réellement mettre en scène une situation compromettante, n’est-ce pas ?

— Le duc m’a peut-être invitée à sa résidence, mais cela ne veut pas dire qu’il désire me trouver installée dans son lit, dit Margaret.

Maman éclata de rire et referma la porte. La bonne posa la lanterne sur la table avec un bruit métallique. La lumière dorée illumina un plafond à caissons. L’atmosphère embaumait le cèdre et le citron, une odeur masculine bien différente de la senteur de lavande de la chambre de Margaret.

Une rosette tomba de sa robe sur le tapis visiblement coûteux juste en-dessous. Non pas que le duc doive en connaitre le coût. Le père de Margaret gagnait de l’argent, mais un noble conservait le sien, et personne n’était plus noble que le duc de Jevington. Ses ancêtres avaient probablement fait rapporter le tapis depuis l’Empire ottoman à dos d’ânes par-delà les Alpes durant les croisades.

Sapristi.

Le cœur de certaines femmes devait battre plus fort à l’idée d’être la femme du duc de Jevington. Contrairement à la plupart des ducs, il était en âge de se marier ; cependant, contrairement à la plupart des ducs, il n’était pas marié.

 

Maman souhaitait sans aucun doute changer ce fait précis.

Le physique séduisant du duc était de notoriété publique, suscitant chez les grands-mères potentielles d’agréables visions de bébés aux visages symétriques, quand elles n’étaient pas en train de penser aux vastes domaines de cet homme et à ses caisses convenablement remplies d’argent. Le duc avait réussi à ne pas se laisser attraper, en dépit d’une résidence à Mayfair lui donnant un accès aisé aux mères marieuses et à leurs filles débutantes désespérées.

En outre, le duc de Jevington n’autoriserait personne à le compromettre. Elle l’avait déjà rencontré auparavant : c’était le meilleur ami du mari de son amie, Lady Metcalfe. Elle avait passé deux très inconfortables semaines en présence du duc lors d’une partie de campagne. Ils n’avaient même pas réellement eu la moindre conversation, mais assurément, si le duc avait dû, pour quelque étrange raison, déclarer sa passion pour elle, il aurait eu amplement l’occasion de le faire alors.

Il accueillerait probablement le scandale avec plaisir même si la mère de Margaret faisait entrer la totalité des invités de la salle de bal pour admirer bouche bée Margaret sur le lit. C’était le genre de situation qui pouvait assurer à un homme une place de choix sur la liste convoitée des Séducteurs à Adorer que Mariages pour Jeunes Filles Sages publiait chaque année.

Margaret s’arcbouta contre l’emprise de la bonne, mais celle-ci n’avait rien perdu de sa fermeté.

La bonne ricana, mais Margaret résista à l’envie de pleurer.

Tout se passerait bien.

Il le fallait.

Elle convaincrait sa mère et la bonne de la relâcher, ramasserait sa rosette sur le sol, et si le duc remarquait une odeur de champagne en entrant dans sa chambre ce soir, il l’attribuerait à un agréable souvenir des festivités.

Margaret n’allait pas accepter de devenir la risée de la haute société.

Pas à nouveau.

Margaret releva le menton.

— J’exige de partir.

Maman la fixa du regard un instant. Ses sourcils et sa lèvre inférieure partirent dans des directions opposées, comme s’ils désiraient se séparer.

Margaret refusa de trembler.

Puis Maman partit d’un rire juvénile.

— Vous n’allez rien exiger, dit-elle en se tournant vers la bonne. Où sont les entraves ?

Entraves ?

Margaret leva brusquement les sourcils.

La bonne retira un long ruban de la poche de son tablier. Le ruban avait l’air affreusement solide, et Margaret recula. Sa mère resserra son étreinte sur Margaret.

— Vous ne pouvez pas m’attacher, dit vivement Margaret. En outre, personne ne croira qu’il m’ait compromise. Votre plan ne marchera pas.

La bonne eut un sourire narquois. Elle était plus que probablement consciente de l’absurdité de ce plan. Combien d’argent exactement Maman lui avait-elle promis ?

— Ma chère enfant, dit Maman. Je suis très heureuse que votre innocence soit encore intacte, mais je vous assure que les gens croiront que vous avez été compromise s’ils vous découvrent attachée.

Maman força Margaret à s’allonger sur le lit à baldaquin et s’assit sur ses jambes. Margaret se débattit, mais Maman était lourde, et la bonne attacha un poignet de Margaret à chaque montant du lit. Des tentures couleur saphir en descendait majestueusement, enveloppant Margaret de leur somptuosité. Le lit serait considéré comme luxueux dans la plupart des circonstances, mais Margaret frissonna lorsque sa peau s’appuya contre la couverture du duc. Elle ne devrait pas être ici. Sans aucun doute, d’autres rosettes cousues sur sa robe étaient-elles en train de se dénouer.

— Dois-je lui lier les chevilles, demanda la bonne.

— Quoi ?

Margaret gigota sur le lit, essayant de se libérer.

— On ne dit pas ‘quoi’, ma chère, dit Maman par automatisme. J’ai appris que c’était assez grossier. ‘Excusez-moi’ est de loin préférable. Il y a un nombre supplémentaire de syllabes, mais le but est toujours la politesse.

— La courtoisie n’est pas mon souci actuel, souffla Margaret.

Une mèche de cheveux s’échappa de sa coiffure.

Et puis une autre.

Et puis une autre.

Margaret aurait aimé être un pirate pour avoir un large éventail de jurons à proférer.

— Lorsque le duc reviendra dans sa chambre, dit Maman. Il vous découvrira.

— Et il saura qu’il ne m’a pas mise là.

— Cela n’a aucune d’importance. Vous serez découverts ensemble. Un témoin m’accompagnera. Je serai bouleversée.

Maman joignit les mains, et ses lèvres tremblèrent. Puis elle eut un sourire radieux, comme si elle se réjouissait de ses talents d’actrice.

Margaret la regarda fixement.

— Il y a un bon moment que vous avez réfléchi à tout ceci.

— J’en ai rêvé toute éveillée. Et à présent, grâce à de généreux paiements, cela se réalisera, dit Maman en lançant un regard reconnaissant vers la bonne et en applaudissant. Oh, pensez au mariage que nous allons organiser pour vous. Toute la société y assistera.

— Parce qu’ils auront peine à croire que le duc et moi nous mariions jamais.

— Votre impopularité ne sera plus qu’un lointain souvenir, dit Maman d’une voix débordant de confiance.

Margaret fronça les sourcils.

Maman était impossible. Depuis que Papa les avaient rendus riches, Maman avait voulu marier Margaret à un excellent parti. Malheureusement, il semblait plus facile que Papa invente quelque chose et, à partir de cela, crée une entreprise toute entière, que pour Maman de piéger un beau-fils possédant un titre. Clairement, Maman ne devrait pas viser un duc. Même les plus expérimentées des mères marieuses devaient hésiter devant cet objectif.

— Vous perdrez votre poste si vous faites cela, dit Margaret à la bonne. Je le raconterai au duc.

— Son futur est assuré, dit Maman avec précipitation en hochant la tête vers la bonne. Notre résidence peut toujours être plus étincelante.

La mère de Margaret ouvrit son réticule en brocart de velours et en sortit un pot. Maman enleva le couvercle et une senteur florale agréable se diffusa dans la pièce.

— Ce parfum ne me calmera pas, dit Margaret.

— Très chère, ce ne sont pas de vos émotions dont je me soucie.

Maman voleta dans la pièce, passant du lit à baldaquin à la méridienne.

Elle répandit quelque chose en chantonnant.

Margaret écarquilla les yeux.

— Êtes-vous en train de répandre des pétales de rose ?

— Je pensais que c’était évident, dit Maman. Mieux vaut rendre cela romantique, ma chère.

C’était insensé.

Margaret lutta contre la tentation de hurler. Selon toute vraisemblance, cela lui vaudrait uniquement d’être bâillonnée. En outre, cet étage était désert, et le bruit des festivités avait pratiquement causé des vibrations.

Elle pourrait peut-être retirer ces liens. C’était peu probable, mais pour l’instant, c’était son seul espoir.

— Vous souhaitez qu’elle garde ses vêtements ? demanda la bonne.

— La réponse est oui. De toute évidence, s’exclama Margaret.

— Une déchirure suffira, dit Maman.

— Bien sûr.

La bonne déchira le corsage de la robe de bal de Margaret avec efficacité.

— Vous n’êtes pas obligée de faire cela, Maman, supplia Margaret. Ce plan ne marchera pas. Ce n’est pas le bon moyen pour me marier. Et nous pourrions simplement partir. Personne ne le saura. Et je ferai davantage d’efforts – je le promets.

Maman pinça les lèvres, puis marcha d’un pas décidé vers Margaret.

Margaret reprit espoir.

Maman allait peut-être vraiment la libérer. Peut-être que tout se passerait bien.

Au lieu de cela, Maman retira les épingles des cheveux de Margaret. Elle retira un peigne de son réticule et lui lissa les cheveux.

Ses yeux s’éclairèrent, et elle pinça les joues de Margaret.

— Beaucoup mieux. Vous avez l’air très indécente, comme si l’on venait de vous ravir.

Puis Maman se retourna et sortit de la pièce avec la bonne.

Margaret fut seule.

Elle avait toujours su que Maman était enthousiaste à l’idée de la marier, mais elle n’avait pas réalisé qu’elle se résoudrait à cela. N’aurait-elle pas dû s’y attendre ? Maman n’avait-elle pas soudoyé quelqu’un pour l’assister quand le marquis de Metcalfe avait ouvertement cherché une épouse ?

La gorge de Margaret se teinta de nausée.

Si seulement elle avait travaillé plus dur afin de trouver un mari cette saison. La prochaine fois que quelqu’un de même vaguement convenable montrerait le moindre intérêt pour elle, Margaret jurait de l’épouser.

Elle n’aurait probablement même pas ma chance de le faire. Margaret serait perdue une fois qu’elle serait découverte dans le lit du duc.

Son cœur trembla, et elle étudia son nouvel environnement.

Du tissu vert foncé habillait les murs, comme s’il avait été choisi pour s’assortir avec l’habit de chasse du duc. De lourds meubles des siècles passés garnissaient la pièce. Des bustes royaux d’empereurs romains étaient perchés sur la table. Clairement, la personne qui les y avait placés n’avait pas prévu que des femmes puissent être trainées dans cette pièce par leurs mères marieuses.

En matière de literie, celui-ci surpassait les autres par sa somptuosité. Les coussins possédaient une plaisante densité de plumes, et le cordage du sommier ne s’affaissait pas de façon intolérable. La courtepointe était confortablement moelleuse, et aucune brise de soufflait à travers la fenêtre. Le duc avait le bon nombre d’oreillers, et sa literie était convenablement douce. Aucun doute, les nuages pourraient en prendre exemple.

Mais en dépit de la texture soyeuse, le cœur de Margaret tambourinait toujours, comme si elle était une criminelle en fuite, et pas allongée sur l’un des lits les plus luxueux de Grande-Bretagne.

Margaret méprisait la danse, mais elle n’avait que peu d’envie de passer toute la durée du bal ici. Elle songea avec envie à la nourriture alignée sur la table de banquet. Geneviève et Juliette se demanderaient probablement où elle était.

À un moment donné, le duc de Jevington entrerait dans la pièce, et tout se passerait horriblement.

Margaret continua à tirer sur ses liens.

Malheureusement, ils ne montrèrent aucun signe de faiblesse.