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Loe raamatut: «Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome II»

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SUITE DE LA CHRONOLOGIE D’HÉRODOTE

Chronologie des rois de Perse cités par les Orientaux modernes, sous le nom de Dynastie Pishdad et Kéan.—Époques de Zohak, de Feridoun et du législateur Zerdoust, dit Zoroastre.


EN quel temps a vécu le législateur célèbre appelé Zoroaster par les Grecs, et Zardast ou Zerdoust par les Orientaux? et en quels siècles doit-on placer les deux dynasties Pishdâd et Kéân ou Kaîan, que les Perses modernes prétendent avoir existé chez eux antérieurement ou contradictoirement aux récits des Grecs? Tels sont les deux problèmes qui vont nous occuper dans ce chapitre: examinons d’abord le premier.

§ 1.
Époque du législateur Zoroastre

Tous les historiens nous parlent de Zoroastre comme d’un législateur religieux, beaucoup plus célèbre en Asie et presque aussi ancien que Moïse; et néanmoins, dès le premier siècle de l’ère chrétienne, l’époque où il vécut était devenue une question si obscure, que Pline le Naturaliste, cet homme d’une érudition si vaste, qui eut en main les écrits de tant d’auteurs, n’osa prononcer autre chose que le doute. Dans nos temps modernes, et surtout dans les XVIe et XVIIe siècles, la réserve de Pline a été imitée par le plus grand nombre des savants, qui n’ont pu concilier les dissonances chronologiques des auteurs grecs et latins; mais ceux du XVIIIe siècle, plus hardis, se sont crus plus heureux. Les extraits d’une foule de livres orientaux ayant été produits, d’abord par notre d’Herbelot, en sa Bibliothèque orientale (publiée en 1697), puis par le professeur Thomas Hyde, Anglais, dans son livre latin de la Religion des anciens Perses, imprimé en 1700, l’on crut avoir découvert dans l’Asie moderne une vérité historique restée inconnue dans l’Occident. En effet, tous les livres arabes et persans que l’on cite, semblent s’accorder à placer Zoroastre vers le règne de Darius Hystaspes, roi de Perse; et néanmoins, en les pressant sur les dates précises, on les trouve indécis et flottants entre les années 250, 280 et même 300 avant Alexandre. Les critiques sont surtout choqués de voir réduire à cinq générations la série des rois de Perse, que les monuments les plus authentiques des Macédoniens et des Romains, attestent avoir été de treize princes; et de ne rencontrer aucune mention distincte des règnes de Xercès et de Kyrus, qui agitèrent si profondément l’Asie. Ces objections et plusieurs autres non moins graves que nous verrons, ne durent pas échapper au professeur Hyde; mais séduit par l’éclat de la nouveauté et par le paradoxe spécieux, que les Orientaux, à titre d’indigènes, doivent connaître leur pays mieux que des étrangers, tels que les Grecs et les Romains, Hyde épousa avec passion le système asiatique, et crut avoir prouvé le premier que réellement Zoroastre avait paru sous le règne de Darius Hystaspes. Entraîné par l’autorité de son compatriote, Prideaux s’efforça de colorer son hypothèse, et la répandit de plus en plus dans son livre de l’Histoire des Juifs; et parce qu’ensuite elle a été adoptée par les auteurs de l’Histoire universelle, l’on peut dire que l’opinion de Hyde est devenue dominante et presque classique. Elle faillit d’être renversée chez nous, lorsqu’Anquetil du Perron nous apporta de l’Inde les prétendus ouvrages de Zoroastre, et que dans la Vie de ce législateur1, il déclara que l’opinion de Hyde lui semblait une hypothèse sujette à de grandes difficultés; mais par la suite il lui donna une nouvelle force, en l’adoptant dans un mémoire spécial2, où, par un trait bizarre et caractéristique, il censure Hyde pour avoir eu trop de confiance aux Orientaux, et pour avoir mal soutenu leur thèse: par un autre cas singulier, c’est en lisant la censure d’Anquetil et ses arguments, que nous avons senti les plus grands motifs de douter, et qu’ensuite découvrant le vice de sa méthode et de celle de Hyde, nous en avons employé une meilleure, en prenant, non pas le rôle d’avocat qui plaide une cause, mais de rapporteur qui pèse les raisons de part et d’autre, et qui surtout interroge les narrateurs par ordre de dates, pour remonter aux sources premières des faits et des opinions: le lecteur va juger ce débat.

D’abord il est bien reconnu que les livres apportés de l’Inde par Anquetil, comme livres de Zoroastre, n’ont jamais été écrits par ce législateur, et qu’ils sont simplement des légendes et des liturgies composées par des mages mobeds et herbeds3, à des époques non déterminées, mais tardives et parallèles aux règnes des Sasanides, c’est-à-dire depuis l’an 226 de notre ère jusque vers l’an 1200. Le Boundehesch lui-même, que du Perron nous présente comme une Genèse ou Cosmogonie perse, le Boundehesch porte des preuves incontestables de modernité, puisque parmi ses résumés des temps écoulés, après avoir parlé de Zohâk, de Féridoun, etc., il cite d’abord Eskander Roumi, c’est-à-dire Alexandre le romain, comme ayant régné 14 ans; puis les rois Asganiens (Arsakides), comme ayant régné 284 ans; puis la durée des Sasanides, 260 ans; puis enfin la venue des Arabes4. Et l’auteur de ce livre, le plus important, le seul important de toutes ces ennuyeuses et stériles légendes, nous donne la preuve de son ignorance (disons même de sa mauvaise foi), lorsqu’il attribue 14 ans de règne à Alexandre le romain, au lieu du grec, qui n’en régna que 6; et lorsqu’il réduit à 284, l’intervalle écoulé entre Arsak et Ardechir, qui fut de 481.

Un second fait également certain, c’est qu’aucun des écrivains persans ou arabes dont on s’autorise n’a publié avant le premier siècle de l’ère musulmane (730 à 750 de notre ère), et que les plus célèbres historiens et poètes, tels que Ferdousi et Mirkhond, ne datent, savoir, le premier que de l’an 1000, et le second de l’an 1500 de notre ère; et de quelles sources, de quels monuments ont-ils tiré leurs récits? Quelques Européens, préoccupés ou superficiels, nous répondent que ce fut de leurs monuments nationaux. Mais les Musulmans eux-mêmes conviennent que les Arabes, vainqueurs de Iezdeguerd, en 652, et, depuis cette époque, dévastateurs plutôt que possesseurs de la Perse, proscrivirent les adorateurs du feu et leurs livres, avec ce zèle et cette fureur qui leur firent brûler la bibliothèque d’Alexandrie; et ces livres, tous manuscrits, par conséquent rares et chers, comme ils le sont toujours en Asie, purent d’autant moins échapper à la proscription, qu’ils étaient écrits en lettres absolument différentes des lettres arabes…; que déja ils avaient subi des persécutions de secte à secte, sous leurs propres rois, et que les guerres non interrompues depuis Alexandre, après avoir détruit les originaux, s’étaient opposées à la reproduction des copies et à la culture de l’histoire. Telle fut la dépopulation des monuments et des livres perses, que vers l’an 1000 de notre ère, le sultan Mahmoud, fils de Sebekteghin, voulant connaître l’histoire du pays qu’il avait conquis, ne put se procurer aucun écrit de ce genre, et qu’il fut obligé de donner commission à l’Arabe Deqiqi, de recueillir les romances, les traditions, les contes populaires des diverses contrées de l’empire persan, pour en retirer quelque instruction. Or comment l’Arabe Deqiqi rend-il compte de ses recherches? En vers, c’est-à-dire en poète arabe, riche de contes et d’hyperboles; et c’est sur ce canevas principal que Ferdousi a composé son Histoire royale (Shah-Nameh), également en vers, au nombre de 60 mille distiques. Or que peut-on attendre de traditions populaires, défigurées de génération en génération par les narrateurs, et brodées ensuite par l’imagination sans frein qui dicta les Mille et une Nuits? Aussi ces prétendues histoires de la Perse ancienne, et même moderne, jusqu’au temps des Arabes, ne sont-elles qu’un tissu d’anachronismes et d’invraisemblances: l’on ne conçoit pas comment des Européens, hommes sensés, tels que Prideaux et les auteurs de l’Histoire universelle, au lieu d’examiner d’abord et de discuter les sources et les moyens d’instruction des écrivains persans et arabes, semblent ne s’être étudiés qu’à établir l’authenticité de leurs récits, et à substituer au désordre le plus évident un ordre factice, ayant pour objet d’en masquer les grossiers défauts5. Sans doute, avec ce qu’on nomme de l’esprit il est possible de tout soutenir et de tout contester; mais, en histoire, l’esprit n’est que l’art d’apercevoir la vérité ou de la faire ressortir; et dans le démenti que l’on a voulu donner par les Asiatiques modernes, aux anciens auteurs grecs, l’on choque tellement toutes les vraisemblances, qu’il est inconcevable qu’une telle hypothèse ait des partisans. L’on a voulu établir, comme principe de droit, «que les Asiatiques méritent d’être crus de préférence sur l’histoire de leur pays, parce qu’à titre d’indigènes ils doivent mieux savoir ce qui s’est passé chez eux, que des étrangers tels que les Grecs et les Romains».

Mais cette proposition générale et vague par elle-même, ne présente, lorsqu’on l’analyse, qu’un paradoxe et un abus de mots. En effet, outre que la connaissance de ce qui se passe dans un pays dépend infiniment de la nature de son gouvernement, et que la publicité, la libre circulation, n’ont point lieu dans les états despotiques, comme l’ont été le plus souvent ceux de l’Asie; il est encore de fait que ces prétendus indigènes, spécialement de la Perse, sont, de leur propre aveu et par leur histoire, le produit, en majeure partie, des races étrangères venues à la suite des conquérants qui ont successivement envahi et possédé ces contrées. Laissons à part Alexandre, dont le système politique fut de mêler les races et les opinions, pour détruire les haines et les guerres de secte à secte et de nation à nation: après lui, les révolutions des Séleucides et des Arsakides continuèrent d’agiter et de mêler l’empire perse dissous; d’y introduire, par le recrutement des armées, une multitude d’étrangers de toute espèce, qui, en s’alliant aux femmes indigènes, produisirent dans les familles des modifications de mœurs, de langage, etc. Ce qui avait été peuple distinct devenant province confondue, il fut possible aux habitants de passer d’un pays à l’autre et de s’y établir, chose qui n’était pas praticable auparavant. La dynastie Sasanide, en ravissant le sceptre aux Parthes, produisit de nouveaux changements: le nord de la Perse avait régi le midi; alors le midi commanda au nord. Ensuite sont venus les Arabes de Mahomet, puis les Tartares de Tamerlan, qui, les uns après les autres, mais surtout les Arabes, ont exterminé l’ancienne race et changé sa religion, ses mœurs, ses usages, ses traditions, ses livres, et jusqu’à son système d’écriture. Les seuls Parses, chassés comme les Juifs, errants comme eux, mais bien moins nombreux, sont les restes de la race persane de Darius et d’Ardechir. Or, dans leur mélange inévitable avec les peuples qui les tolèrent, ou les persécutent, dira-t-on que les Juifs de Portugal et de Pologne, si divers entre eux, ressemblent aux Hébreux de Salomon? D’ailleurs que signifie ce mot, descendance directe? Parce que les Suisses descendent des Helvetii, et les Auvergnats des Arverni, dira-t-on qu’ils connaissent l’histoire d’Arioviste et de Vercingetorix, mieux que le conquérant romain qui nous l’a tracée? Passe encore si le peuple indigène opposait aux récits de l’étranger, des récits et des monuments du même temps: la question est là; c’est dans l’identité de temps, bien plus que dans l’identité de pays, qu’elle consiste; et sous ce rapport elle est toute à l’avantage des Grecs; sous l’autre même, elle est encore en leur faveur, puisqu’Hérodote, Ktésias, Strabon, étaient aussi des Asiatiques, et que les deux premiers étaient nés sujets du Grand-Roi. Mais d’ailleurs eussent-ils été des étrangers venus du fond de l’Europe, l’on peut assurer que des voyageurs tels qu’Hérodote, Xénophon, Polybe, et tant d’autres écrivains qui suivirent les armées grecques et romaines, ont eu, pour bien observer, pour bien décrire le pays et ses événements, des moyens égaux et à certains égards supérieurs aux moyens des indigènes. Prétendre aujourd’hui que leurs récits, si bien détaillés, si bien liés entre eux par toutes les circonstances qui établissent les probabilités ou la certitude morale, méritent moins de confiance que les récits fabuleux, délirants et absurdes dont se composent, presque sans aucune exception, les histoires orientales; nous le répétons, c’est un paradoxe monstrueux, qui ne peut convenir qu’à des Musulmans.

Mais, d’ailleurs, veut-on connaître avec quel scrupule véridique, avec quel respect religieux, les Asiatiques, leurs rois et leurs savants conservent la mémoire des événemens et leur série chronologique? Écoutons un fait vraiment curieux et décisif, que nous a transmis Masoudi, l’un des plus savants historiens arabes, qui, vers les années 930 et 940 de notre ère, voyagea dans toute la Perse jusqu’aux frontières de l’Inde, et qui, plus qu’aucun écrivain de sa nation, connut les livres des Grecs6.

«Il y a (dit-il) entre l’opinion des Perses et celle des autres peuples, une grande différence au sujet de l’époque d’Alexandre: ce que beaucoup de personnes n’ont point remarqué...... C’est là un des mystères de la religion et de la politique des Perses, qui n’est connu que des plus savants mobeds et herbeds, comme nous l’avons vu nous-mêmes dans la province de Fars, dans le Kirman, et dans les autres provinces perses: il n’en est fait mention dans aucun des livres composés sur l’histoire de Perse, ni dans aucune annale et chronique. Voici en quoi il consiste: Zerdust, fils de Poroschasp, fils d’Asinman, dans le livre qui lui a été révélé, nommé Abesta, annonce que l’empire des Perses éprouvera dans 300 ans une grande révolution, sans que la religion soit détruite; mais qu’au bout de 1000 ans la religion et l’empire périront à la fois. Or, entre Zerdust et Alexandre, il y a environ 300 ans; car Zerdust a paru du temps de Kaï Bistap, fils de Kaï Lohrasp, comme nous l’avons dit ci-devant. Ardechir, fils de Babek, s’empara de l’empire et de tous les pays qui en dépendaient, environ 500 ans après Alexandre: nous voyons qu’il ne restait plus que 200 ans à peu près, pour compléter les 1000 ans de ce prophète. Ardechir voulut augmenter de 100 ans cet espace de temps, parce qu’il craignait que, lorsqu’après lui 100 ans se seraient écoulés, les hommes ne refusassent de prêter secours et obéissance au roi, par la conviction où ils seraient de la ruine future de l’empire, conformément à la tradition qui avait cours parmi eux. Pour obvier à cela, il supprima environ la moitié du temps écoulé entre Alexandre et lui, et il ne fit mention que d’un certain nombre des Molouk-Taouâïef (rois des nations parthiques) qui remplissaient tout ce temps; il retrancha les autres: puis il eut soin de faire répandre dans son empire, qu’il avait commencé son règne 260 ans après Alexandre. En conséquence, cette époque fut admise et se répandit dans le monde: voilà pourquoi il y a une différence entre les Perses et les autres nations au sujet de l’ère d’Alexandre; et c’est cette cause qui a introduit la confusion dans les annales des Molouk-Taouâïef. Ardechir fait lui-même mention de cela dans les avis qu’il a laissés à ses successeurs; et l’herbed (ou prêtre parsi) qui se rendit l’apôtre de ce prince près les gouverneurs des provinces, parle également de cette prédiction».

Maintenant le lecteur peut juger du degré de confiance que méritent les histoires et chroniques orientales. Si cette anecdote eût été connue plus tôt, elle eût épargné bien des discussions et de faux raisonnements. Elle est d’autant plus précieuse, qu’elle résout sans réplique l’énorme abréviation de temps officiellement établie dans presque tous les écrivains asiatiques, entre les règnes d’Alexandre et d’Ardechir, et qu’en nous donnant la mesure de la superstition, de la mauvaise foi et de l’audace de tout un gouvernement, tant laïque qu’ecclésiastique, elle nous montre à quel point d’ignorance étaient déja parvenus ou réduits les Persans en l’an 226, sur l’époque de Zoroastre, puisque celle qu’ils indiquent dans Masoudi, et qui répond au règne de Kyaxarès, est manifestement fausse, comme nous le verrons… Mais pour procéder méthodiquement à découvrir l’époque véritable, commençons par examiner tout ce que les Orientaux nous racontent, de ce législateur, afin que leurs traditions, confrontées aux récits des anciens Grecs et Latins, nous conduisent au maximum de probabilité dont cette question est susceptible.

Selon Anquetil du Perron7, le recueil principal des traditions des Parsis sur Zoroastre, est le livre intitulé Zerdust-Namah, qui, dit-on, fut traduit de l’ancien idiome pehlevi, en persan moderne, par Zerdust-Behram, écrivain et prêtre parsi, vers l’an 1275. Hyde a connu ce livre, et en a cité les titres des chapitres. Laissant à part la date, qui n’est pas prouvée, admettons dans le traducteur une instruction suffisante, et surtout une grande fidélité à ne rien retrancher ni rien ajouter (chose sans exemple), et voyons ce que les Parsis nous disent de leur législateur.

§ II.
Récits des Parsis sur Zoroastre

Selon eux, Zerdoust naquit dans l’Aderbidjan (ancienne Médie), et Aboulfeda ajoute, d’après plusieurs auteurs anciens, que ce fut à Ourmi. Sa naissance fut accompagnée de prodiges, dont le moindre fut de rire en respirant pour la première fois. Pline8, qui cite ce trait, nous indique par là que ces traditions existaient, du moins en partie, dès son temps. L’enfance de Zerdust subit de rudes épreuves de la part des magiciens, qui sont dépeints comme étant alors tout-puissants auprès des peuples et des rois: ce règne des magiciens, qui rappelle leurs enchantements devant Pharaon, leurs services auprès de Sémiramis, indique réellement des temps reculés. Les écrivains parsis racontent les plus petits détails de ces enchantements, comme s’ils en eussent été témoins; mais, d’autre part, leur stérilité sur les faits vraiment historiques et géographiques, annonce que ces légendes ont été recueillies après coup, et composées sur des récits populaires, comme tous les faits de ce genre....... A 30 ans, Zoroastre est appelé par le dieu Ormusd, de la même manière qu’Abraham et Moïse le furent par le dieu Iéhou.... Il se retire dans l’antre d’une montagne, pour y recevoir les inspirations; mais les Parses ont oublié les curieuses circonstances de cet antre, décrites par Eubulus, dans Porphyre9. Après une retraite (de 20 ans, selon Pline), Zoroastre met au jour un nouveau système de théologie, qu’il prétend, selon l’usage de ses pareils, être le seul véritable, le seul révélé de Dieu. Pour établir sa religion, il choisit le pays de Balk (l’ancienne Bactra), dont il convertit le roi Kesht-asp, qui, à son tour, veut convertir ses sujets, et même les princes ses voisins, entre autres Zâl et Roustam, princes de la Perse propre: Zoroastre, ainsi appuyé, fait construire des Atesh-gâb ou Temples du feu, plante un cyprès, et institue un grand pèlerinage, suivant l’usage de ces temps....... Un brâhme de l’Inde, entendant parler de ce nouveau culte, vient pour le réfuter, et finit par s’en rendre prosélyte. Au bout de 8 ans10, Kesht-asp, tributaire d’un roi de Tour-ân, nommé Ardjasp11, lequel possédait un grand pays à l’ouest de la Caspienne, lui refuse l’hommage accoutumé. La guerre éclate; Ardjasp vient attaquer Kesht-asp, qui eût été vaincu sans son fils Esfendiar, dont les exploits chevaleresques décident la victoire...... Kesht-asp, pour récompense, le fait enfermer dans un château fort, et se rend lui-même en Perse pour convertir les paladins Zâl et Roustam. Pendant son absence, Ardjasp apprend que la ville de Balk est dégarnie de troupes; que Lohrasp, père de Kesht-asp, y vit dans un couvent, la tête rasée, et pratiquant les mortifications à la manière des Indiens; il accourt avec une armée d’élite, surprend le pays, emporte la ville, tue Lohrasp et les prêtres du feu, c’est-à-dire les mages; Zoroastre périt alors, selon les Musulmans; mais les Parsis gardent le silence sur sa mort quelconque. Kesht-asp arrive, est battu, a recours à son fils, Esfendiar, qui le sauve une seconde fois; et pour seconde récompense, le père l’envoie contre Roustam, qui, après un duel périlleux, le perce d’une flèche. Telle est sommairement la vie de Zoroastre, selon ses sectateurs, qui, comme l’on voit, n’indiquent rien dans leurs récits que l’on puisse appliquer ni au roi Darius, élu successeur de Cambyse, et fils d’Hystaspes, simple particulier perse; ni au roi Xercès, fils de Darius, dont l’histoire nous est si bien connue par les Grecs contemporains. Ce silence de la part des Parsis est d’autant plus remarquable, qu’étant les représentants, les descendants directs des anciens Perses de Darius, ils ont eu plus de motifs et de moyens de connaître ce monarque et son père, que n’en ont eu les Perses musulmans, intrus dans le pays, en grande partie. Comment donc et pourquoi arrive-t-il que les écrivains orientaux, tant musulmans que chrétiens, aient cru Zoroastre contemporain, les uns de Smerdis ou de Cambyse, comme le disent Aboulfarage et Eutychius12; les autres du prophète Élie, ou d’Esdras, ou de Jérémie, comme le disent El-Tabari, Abou Mohammed, etc.13? Déja ces discordances, qui passent 100 et 150 ans, prouvent leur incertitude et leur ignorance; mais avant d’admettre leurs narrations remplies de fables extravagantes et d’anachronismes grossiers, un préliminaire indispensable pour Hyde et pour ses imitateurs, était de remonter aux sources de ces opinions, et, d’auteur en auteur, arriver à connaître le premier qui les avait avancées. Ce qu’ils n’ont point fait, essayons de le faire, et par un exemple intéressant, prouvons combien est utile cette étude chronologique des opinions.

D’abord nous trouvons Agathias, qui, vers l’an 560, a écrit une histoire dans laquelle il s’est occupé spécialement des Perses, et où nous lisons le passage suivant, page 62:

«Les Perses de nos jours ont presque entièrement négligé et quitté leurs anciennes mœurs et coutumes, pour adopter des institutions étrangères, et, pour ainsi dire, bâtardes, dont la doctrine de Zoroastre l’Ormazdéen leur a offert l’attrait. En quel temps ce Zoroastre, ou Zoradas, a-t-il fleuri et publié ses lois? voilà ce qui n’est point clairement établi. Les Perses actuels disent nûment qu’il vécut sous Hystasp, sans y joindre aucun éclaircissement; de sorte qu’il reste équivoque et tout-à-fait incertain si ce fut le père de Darius, ou quelque autre (roi) Hystasp. En quelque temps qu’il ait fleuri, il fut l’auteur et le chef de la religion des mages, en changeant les rites anciens, et en introduisant (un mélange) d’opinions diverses et confuses. En effet, les Perses d’autrefois adoraient Jupiter, Saturne et les autres dieux des Grecs, avec cette seule différence qu’ils ne leur donnaient pas les mêmes noms: car pour eux, Jupiter était Bel-us, Hercule était Sand-és, Vénus était Anaïs, comme l’attestent Bérose et d’autres écrivains qui ont traité des antiquités mèdes et assyriennes.»

Ainsi, jusqu’au temps d’Agathias, les savants perses ne disaient point que l’Hyst-asp de Zoroastre fut notre Darius, fils d’Hystasp, ni l’Hystasp, père de Darius: c’était une chose obscure pour eux, comme pour les savants grecs de Constantinople. Or, si Agathias, né Asiatique, vivant jurisconsulte à Smyrne, homme dont l’ouvrage annonce un esprit méthodique et cultivé; si Agathias, habitué, en sa qualité de jurisconsulte, aux recherches et aux discussions de titres et d’origines, a regardé l’identité de ces deux Hystasp comme une chose très-douteuse; cette identité n’avait donc pas la certitude qu’ont prétendu lui trouver les écrivains postérieurs; et si d’autres avant lui l’avaient déja admise, leur opinion, que sans doute il avait pesée, ne lui présentait donc pas des preuves déterminantes. Ainsi il n’admettait pas l’opinion d’Ammien Marcellin, autre historien du Bas-Empire, qui avait tranché la question dans le passage suivant de son histoire.

«En des temps reculés, dit cet historien14, l’art de la magie prit de grands accroissements par les connaissances que puisa chez les Chaldéens le Bactrien Zoroastre, et après lui (par le soin et le zèle) du très-savant roi Hystaspes, père de Darius.»

Sans doute Ammien Marcellin, par la franchise et par l’amour de la vérité que respire son ouvrage, est un historien digne d’estime; mais ayant vécu dans les camps, et s’étant bien plus occupé de l’histoire des Germains et des Goths que de celle des Perses, il n’a point discuté le fait qu’il avance, et il l’a adopté de confiance de quelque écrivain antérieur. Or, quel est-il cet écrivain antérieur? et quelle est son autorité, quand nous verrons à l’instant que Pline, l’an 70 de notre ère, professait le même doute, et un doute plus étendu qu’Agathias? Suivons néanmoins le passage d’Ammien Marcellin, qui d’ailleurs sera utile à notre but.

«Ce roi (Hystasp) ayant pénétré avec confiance dans certains lieux retirés de l’Inde supérieure, arriva à des bocages solitaires, dont le silence favorise les hautes pensées des brahmanes. Là, il apprit d’eux, autant qu’il lui fut possible, les rites purs des sacrifices, les causes du mouvement des astres et de l’univers, dont ensuite il communiqua une partie aux mages. Ceux-ci se sont transmis ces secrets de père en fils, avec la science de prédire l’avenir; et c’est depuis lui15 (Hystaspes), que par une longue suite de siècles jusqu’à ce jour, cette foule de mages, composant une seule et même (caste), a été consacrée au service des temples et au culte des dieux.»

Ce fait nous sera utile; mais nous demandons à Ammien, de quelle source, de quel auteur a-t-il tiré l’opinion que ce très-savant roi Hystasp, contemporain de Zoroastre, fût l’Hystasp père de Darius? Est-ce des livres parsis? nous les avons, et l’on n’y trouve rien de tel. Est-ce d’Hérodote? nous le possédons, et nous y allons voir la démonstration du contraire. Quelle analogie y a-t-il entre les actions et même les personnes des deux rois? Kestasp est roi, et Hystasp, père de Darius, ne le fut point. L’on ne saurait dire que Darius fût Esfendiar; et si l’on veut qu’il fût lui-même Kestasp, Esfendiar, fils de celui-ci, n’a pas la moindre analogie avec Xercès, fils de Darius. Nous pouvons le dire hardiment: tout est contradictoire, tout est absurde dans cette opinion; et quels que soient ses inventeurs, il est évident qu’ils ont été induits en erreur par deux circonstances:

1° Par la ressemblance d’un nom qui paraît avoir été commun chez les Mèdes et chez les Perses;

2° Par la ressemblance du goût que Darius eut pour les sciences des mages, selon les témoignages d’Hérodote, de Cicéron et de Porphyre, qui nous apprennent l’inscription de son tombeau, gravée par son ordre: Darius, roi, etc., docteur en magisme.

Voilà la double équivoque qui, pour les anciens comme pour les modernes, a été la cause première d’une erreur à laquelle se sont refusés tous ceux qui ont porté plus d’attention et de réflexion.

De ce nombre est Pline le naturaliste, l’un des hommes les plus distingués de toute l’antiquité, par son esprit et par l’immensité de ses lectures. Après des réflexions pleines de sens sur la magie, et sur la folle passion des Romains de son temps pour cet art d’imposture et de fourberie, Pline nous fournit, au début de son livre XXXe, un passage important qui mérite d’être transcrit:

«C’est dans l’Orient (dit-il), c’est dans la Perse, que la magie fut, de l’aveu des historiens, inventée par Zoroastre; mais n’y a-t-il eu qu’un seul Zoroastre, ou bien en a-t-il existé un second? Cela n’est pas clair. Eudoxe, qui veut nous faire regarder la magie comme l’une des sectes philosophiques les plus utiles et les plus brillantes, prétend que Zoroastre vivait 6000 ans avant la mort de Platon (mort l’an 348 avant J.-C.), ce qu’on lit aussi dans Aristote… Hermippe, qui a écrit un savant Traité sur cet art, et qui a traduit deux millions de vers composés par Zoroastre, en indiquant les titres de chaque volume (d’où il les a tirés), rapporte qu’il eut pour maître Azonak, ou Agonak, et qu’il vécut 5000 ans avant la guerre de Troie. Mais il est étonnant que le souvenir (de l’inventeur) et que l’art aient été conservés si long-temps, sans moyens intermédiaires, et sans succession claire et continue (d’enseignement); car à peine se trouve-t-il quelqu’un qui ait ouï parler d’un Apuscorus et d’un Zaratus, Mèdes; de Marmar et d’Arabantiphok, Babyloniens; de Tarmoenda, Assyrien, dont aucun monument n’existe.»

(Après avoir remarqué que dans l’Odyssée d’Homère, la magie est habituellement mise en action, Pline continue):

«Je trouve que le premier qui a écrit sur cet art est le Perse Ostanès, contemporain de Xercès, qui en répandit dans la Grèce, non pas le goût, mais la rage. Ceux qui ont fait des recherches plus profondes placent un peu avant lui un autre Zoroastre de Proconnèse… Il est encore une secte de magiciens, qui a pour chef Mosès et les Juifs Iamné et Iotapé, mais (seulement) plusieurs milliers d’années après Zoroastre (en suivant le calcul des 6000 ans d’Eudoxe)…»

Pesons certaines expressions de ce passage important:

«C’est dans la Perse que la magie fut inventée par Zoroastre, de l’aveu des historiens.»

Selon Platon, Apulée, Porphyre, Hesychius, Suidas, etc., et selon tous les pythagoriciens, qui sans doute tinrent cette tradition de leur maître, le mot asiatique magos, ou plutôt mag, signifiait proprement homme consacré, dévoué au culte de Dieu, précisément comme le mot hébreu nazaréen; par conséquent le mot magie fut d’abord la science ou la pratique de ce culte. C’est dans ce sens que Platon dit16 «que les enfants des rois de Perse, parvenus à l’âge de 14 ans, recevaient quatre instituteurs, dont le premier leur enseignait la magie, qui est, dit-il, le culte des dieux (la religion). Ce même instituteur leur enseignait aussi la politique royale.» Dans ce sens aussi Zoroastre a inventé la théologie des mages, et institué leur caste, qui devint la caste nazaréenne et lévitique du pays. Mais, parce que la science des mages se composait d’astronomie et d’astrologie judiciaire, c’est-à-dire des prédictions, divinations et prophéties attachées à cet art; qu’elle se composait encore de certaines connaissances physiques et chimiques, au moyen desquelles on opérait des phénomènes prodigieux et miraculeux pour la masse du peuple; cette science devint peu à peu un art d’imposture et de charlatanisme, qui reçut en un mauvais sens le nom de magie que nous lui donnons… Sous ce rapport, c’est-à-dire, comme art d’évocations, d’enchantements, de métamorphoses opérées par certaines pratiques, elle est bien plus ancienne que Zoroastre, ainsi que le disent, avec raison, les Perses, puisqu’elle était la base du pouvoir et de l’influence des prêtres égyptiens, chaldéens, brahmes, druides, en un mot de tous les prêtres de l’antiquité. Le nom de Chaldéens, cité dès le temps d’Abram, comme désignant une nation déja ancienne, signifie devin, et fournit une preuve de l’art et de sa pratique chez un peuple qui, comme le dit Ammien Marcellin, ne fut d’abord qu’une secte, et devint ensuite, par accroissement, une nation nombreuse et puissante. Or, si, comme il est vrai, ce genre de magie et de magiciens remonte à des milliers d’années, ce ne peut être qu’en le confondant avec le zoroastérisme, qu’Eudoxe et Hermippe en ont rejeté le fondateur à 5 ou 6,000 ans avant Platon et la guerre de Troie. Diogène Laërce nous fournit une troisième variante:

1.Voyez le Zend-avesta publié en 1769, tome II, p. 62.
2.Mém. de l’Acad. des Inscript., tome XXXVII.
3.Évêques et curés des Parsis ou Guèbres, qui sont dans l’Asie ce que les Juifs sont en Europe, les débris épars d’un ancien peuple détruit.
4.Boundehesch, p. 420.
5.Voyez Histoire universelle, tome IV, in-4°, p. 1 et suivantes.
6.Indicateur et Moniteur de Masoudi, extrait par M. de Sacy.—Manuscrits orientaux, tome VII, pag. 161.
7.Zend-avesta, tome II, pag. 6 et suivantes.
8.Plin., lib. VII, chap. 16.
9.De Antro Nympharum.
10.Zend-avesta, tome II, p. 54.
11.Zend-avesta, tom. II, p. 55.
12.Eutychius a écrit vers 930, et Aboulfarage vers 1260.
13.Voyez Hyde, pag. 317 et suivantes.
14.Ammien Marcellin, lib. XXIII. Il à écrit vers 388 à 390.
15.Le texte porte: ab eo (Hystaspe…) Anquetil a traduit: et c’est de ces mages qu’est venue, etc. Mém. Académ. des Inscript., tome XXXVII, pag. 718.
16.Plato, de Legibus, pag. 441, édition de 1602.