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Loe raamatut: «La corde au cou», lehekülg 18

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»Il est un moyen, connu de tous les chasseurs, de remplacer les allumettes. Je l'employai. Retirant de mon fusil une cartouche, j'en enlevai la charge de plomb, que je remplaçai par un morceau de papier. Appuyant ensuite mon arme contre terre, pourétouffer l'explosion, j'enflammai la poudre… Nous avions du feu, je le communiquai aux lettres… Et quelques minutes après, il ne restait plus que des débris noircis que j'émiettai entre mes mains et que j'éparpillai au vent…

»Immobile autant qu'une statue, madame de Claudieuse me regardait faire… "Voilà donc, murmura-t-elle, ce qu'il reste de cinq années de notre vie, de nos amours et de vos serments! Des cendres…" Je ne répondis que par une exclamationéquivoque. J'avais hâte de me retirer. Elle ne le comprit que trop, et violemment: "Décidément, je vous fais donc horreur! s'écria-t-elle. – Nous venons, dis-je, de commettre une imprudence inouïe… – Eh! qu'importe!" Puis, d'une voix sourde: "Le bonheur vous attend, vous, ajouta-elle, et une nouvelle vie pleine d'enivrantes promesses, il est naturel que vous ayez peur… Moi, dont la vie est finie et qui n'ai plus rien à attendre, en qui vous avez tué jusqu'à l'espérance, moi je ne crains pas…" Je sentais monter sa colère. "Regretteriez-vous donc votre générosité, Geneviève? dis-je doucement. – Peut-être! répondit-elle d'un accent qui me fit frémir. J'aiété bien faible et bien lâche… Comme vous devez rire de moi… Quelle chose misérable qu'une femme abandonnée qui se résigne et qui pleure!…" Puis brusquement: "Avouez, reprit-elle, que vous ne m'avez jamais aimée. – Ah! vous savez bien le contraire. – Pourtant, vous m'abandonnez… pour une autre… pour cette Denise! – Vousêtes mariée, vous ne pouviezêtre à moi. – Alors si j'avaisété… libre… Si j'avaisété… veuve… – Vous seriez ma femme, vous le savez bien!" D'un gesteéperdu elle leva les bras au ciel, et d'une voix qui me parut retentir jusqu'au château: "Sa femme! s'écria-t-elle. Si j'étais veuve, je serais sa femme…ô mon Dieu! heureusement, cette idée affreuse ne m'est pas venue plus tôt!…"

Tout d'une pièce, à ces mots, le célèbre avocat de Sauveterre se dressa, et se plantant devant Jacques de Boiscoran et l'enveloppant d'un de ces regards qui essayent de fouiller au plus profond des consciences:

– Et après? interrogea-t-il.

Pour conserver encore quelques apparences de sang-froid, Jacques n'avait pas trop de toute sa volonté.

– Ensuite, répondit-il, je tentai l'impossible pour calmer madame de Claudieuse, pour l'émouvoir, pour la ramener aux sentiments généreux des jours passés… J'étais bouleversé au point de ne plus voir clair en moi… Je la haïssais d'une haine mortelle, et cependant je ne pouvais m'empêcher de la plaindre… Je suis homme, et il n'est pas d'homme qui ne soit touché de se voir l'objet de tels regrets et d'un si effrayant désespoir… Sais-je tout ce que je lui ai dit! Il y allait de mon bonheur et du bonheur de Denise. Je ne suis pas un héros de roman, moi! J'aiété lâche, je me suis humilié, j'ai supplié, j'ai menti… J'ai juré que c'était ma famille surtout qui voulait mon mariage… J'espérais, à force de paroles caressantes, adoucir l'amertume de mon abandon… grossier!

»Elleécoutait plus froide qu'un bloc de glace, et dès que je m'arrêtai: "Et c'est à moi que vous contez tout cela, fit-elle avec un rire sinistre. Votre Denise!… Eh! si j'étais une femme comme les autres, je me tairais aujourd'hui, et avant un an je vous reverrais à mes pieds." Avait-elle donc réfléchi depuis notre rencontre sur la grande route? Était-ce la convulsion suprême de la passion, au moment où se brisaient nos derniers liens! Je voulais parler encore, mais brusquement: "Oh! assez! interrompit-elle, épargnez-moi du moins l'offense de votre commisération! Je verrai… Je ne vous promets rien… Adieu!…"

»Et elle s'enfuit vers le château, et je restai planté sur mes jambes, hébété de stupeur, me demandant si elle ne courait pas tout avouer au comte de Claudieuse. C'est même à ce moment que, machinalement, je retirai de mon fusil la cartouche brûlée et que je la remplaçai par une neuve… Puis, comme rien ne bougeait, je m'éloignai à grands pas.

– Quelle heureétait-il? interrogea maître Magloire.

– Il me serait impossible de le préciser. Il est de ces tourmentes pendant lesquelles on perd toute notion du temps. J'ai pris, pour revenir, par les bois de Rochepommier…

– Et vous n'avez rien vu?

– Non.

– Rien entendu?

– Rien.

– Pourtant, d'après votre récit, vous ne pouviezêtre loin du Valpinson quand l'incendie aéclaté…

– C'est vrai, et en rase campagne j'aurais certainement aperçu les flammes. Mais j'étais sous bois, les arbres me dérobaient l'horizon…

– Et ces mêmes arbres ont empêché la détonation des deux coups de fusil tirés sur monsieur de Claudieuse d'arriver jusqu'à vous…

– Ils auraient pu y contribuer. Mais il n'enétait pas besoin. Je remontais le vent quiétait déjà violent, et il est prouvé que dans de telles conditions, on n'entend pas à cinquante mètres de l'explosion d'une arme de chasse.

C'est bien juste si maître Magloire réprimait ses mouvements d'impatience. Et, sans s'apercevoir que lui, l'avocat, ilétait plus dur que le juge d'instruction:

– Ainsi, reprit-il, vous croyez que votre récit répond à tout!

– Je crois que mon récit, qui est l'expression de la plus scrupuleuse vérité, explique les charges relevées contre moi par monsieur Galpin-Daveline… Il explique comment je tenais à cacher ma visite au Valpinson, comment j'aiété rencontré à l'aller et au retour, et à des heures qui correspondent à celles de l'incendie; comment enfin mon premier mouvement aété de tout nier… Il explique encore pourquoi l'enveloppe d'une de mes cartouches aété ramassée près des ruines, et pourquoi l'eau où j'avais lavé mes mains en rentrantétait noire…

Rien ne semblait devoirébranler les convictions de l'avocat de Sauveterre.

– Et le lendemain, demanda-t-il, quand on est venu vous arrêter, quelle aété votre première impression?

– J'ai pensé immédiatement au Valpinson…

– Et quand on vous a appris quel crime avaitété commis?

– Je me suis dit que madame de Claudieuse avait voulu devenir veuve.

Tout le sang de maître Magloire affluait à son visage.

– Malheureux! s'écria-t-il, osez-vous bien accuser la comtesse de Claudieuse d'un tel forfait!

La colère rendait des forces à Jacques.

– Qui donc accuserais-je! répondit-il. Un crime aété commis, et dans de telles conditions qu'il ne peut l'avoirété que par elle ou par moi. Je suis innocent, donc elle est coupable…

– Pourquoi n'avoir pas dit tout cela le premier jour?

Jacques haussa lesépaules.

– Combien donc de fois, répondit-il d'un ton d'ironie arrière, et sous combien de formes faudra-t-il que je vous expose mes raisons? Si je me suis tu le premier jour, c'est que j'ignorais les circonstances du crime, c'est qu'il me répugnait d'accuser une femme qui aété ma maîtresse et que la passion a rendue criminelle; c'est qu'enfin, tout en me sentant compromis, je ne me croyais pas en danger… Plus tard, j'ai gardé le silence, parce que j'espérais que la justice saurait découvrir la vérité, ou que madame de Claudieuse ne pourrait supporter l'idée de me voir accusé, moi, innocent… Plus tard, enfin, quand j'ai reconnu le péril, j'ai eu peur de la vérité…

L'honnêteté de l'avocat semblait révoltée.

– Vous mentez, Jacques! interrompit-il, et je vais vous dire pourquoi vous vousêtes tu! C'est qu'ilétait difficile de trouver un roman qui s'ajustât à toutes les circonstances de la prévention… Mais vousêtes un homme de ressources, vous avez cherché et vous avez trouvé. Rien ne manque à votre récit, rien… que la vraisemblance. Vous me diriez que madame de Claudieuse a volé sonéclatante renommée, qu'elle aété cinq ans votre maîtresse, peut-être consentirais-je à vous croire… Mais qu'elle ait de sa main incendié sa maison, et qu'elle se soit armée d'un fusil pour tirer sur son mari, c'est ce que jamais vous ne me ferez admettre…

– C'est la vérité, pourtant.

– Non, car le témoignage de monsieur de Claudieuse est précis, il a vu son assassin, c'est un homme qui a tiré sur lui…

– Et qui vous dit que monsieur de Claudieuse ne sait pas tout, et qu'il ne veut pas sauver sa femme et me perdre… Ce serait une vengeance, cela…

L'objectionéblouit une seconde l'avocat, mais la rejetant bien vite:

– Ah! taisez-vous! s'écria-t-il, ou prouvez…

– Toutes les lettres sont brûlées.

– Quand on aété cinq ans l'amant d'une femme, on a toujours des preuves.

– Vous voyez bien que non.

– Ne vous obstinez pas, prononça maître Magloire. (Et d'une voix qu'altéraient l'émotion et la pitié): Malheureux! ajouta-t-il, ne comprenez-vous donc pas que, pouréchapper au châtiment d'un crime, vous commettez un crime mille fois plus grand?…

Jacques se tordait les mains.

– C'est à devenir fou! disait-il.

– Et quand moi, votre ami, je vous croirais, poursuivait maître Magloire, à quoi cela vous servirait-il? Les autres vous croiraient-ils!… Tenez, je vais vous dire toute ma pensée: je serais sûr de la vérité de votre récit, que jamais, sans preuves, je n'en ferais mon moyen de défense… Plaider cela, entendez-vous bien, ce serait vous perdre.

– C'est cependant ce qui sera plaidé, puisque c'est la vérité…

– Alors, interrompit maître Magloire, vous chercherez un autre défenseur.

Et il se dirigeait vers la porte, il se retirait.

– Dieu puissant! s'écria Jacques, éperdu, il m'abandonne…

– Non, répondit l'avocat; mais je ne saurais discuter avec vous dans l'état d'exaltation où vousêtes… Vous réfléchirez… Je reviendrai demain…

Il sortit, et Jacques de Boiscoran s'affaissa comme une masse sur une des chaises de la prison.

– C'en est fait, balbutiait-il, je suis perdu!

15. Pendant ce temps, rue de la Rampe, l'anxiété était affreuse…

Pendant ce temps, rue de la Rampe, l'anxiété était affreuse.

Dès huit heures du matin, tantes Lavarande et la marquise de Boiscoran, M. de Chandoré et maître Folgatétaient venus s'établir au salon et y attendre le résultat de l'entrevue.

Mlle Denise ne descendit que plus tard, et son grand-père ne put s'empêcher de remarquer qu'elle s'était préoccupée de sa toilette.

– N'allons-nous pas revoir Jacques! répondit-elle avec un sourire oùéclataient la confiance et la joie.

C'est qu'en effet elleétait bien persuadée qu'il devait suffire d'un mot de Jacques à son avocat pour confondre la prévention, et qu'il allait reparaître triomphant au bras de maître Magloire.

Les autres ne partageaient pas ces espérances. Tantes Lavarande, plus jaunes que leurs vieilles dentelles, se tenaient immobiles dans un coin, Mme de Boiscoran dévorait ses larmes, et maître Folgat faisait son possible pour paraître absorbé dans la contemplation d'un recueil de gravures. Moins maître de soi, grand-père Chandoré arpentait le salon, les mains derrière le dos, répétant toutes les dix minutes:

– C'est incroyable comme le temps semble long quand on attend!

À dix heures, pas de nouvelles.

– Maître Magloire aurait-il donc oublié sa promesse? dit Mlle Denise que l'inquiétude gagnait.

– Non, il ne l'a pas oubliée, dit un nouvel arrivant.

C'était l'excellent M. Séneschal qui, en effet, une heure plus tôt, avait croisé maître Magloire rue Nationale, et qui venait aux informations, un peu pour lui, ajoutait-il, mais beaucoup pour Mme Séneschal qui, depuis vingt-quatre heures, était malade d'anxiété.

Onze heures sonnèrent. La marquise de Boiscoran se leva.

– Je ne saurais, dit-elle, supporter une minute de plus cette mortelle incertitude; je vais à la prison.

– Et je vous y accompagne, chère mère, déclara Mlle Denise.

Mais une telle démarche n'était guère raisonnable. M. de Chandoré la combattit, soutenu par M. Séneschal et par maître Folgat.

– On peut, du moins, envoyer quelqu'un, proposèrent timidement les tantes Lavarande.

– C'est une idée, approuva M. de Chandoré.

Il sonna, et ce fut le vieil Antoine qui accourut à l'appel de la sonnette, le vieil Antoine qui, depuis la veille, sachant la fin de l'instruction, était venu s'établir à Sauveterre.

Dès qu'on lui eut expliqué ce qu'on attendait de lui:

– Avant une demi-heure je serai de retour, dit-il.

Et c'est en effet au pas de course qu'il descendit la rue de la Rampe, qu'il suivit la rue Nationale et remonta la rue du Château.

En le voyant paraître, M. Blangin, le geôlier, devint tout pâle. M. Blangin ne dormait plus depuis qu'il avait reçu de Mlle Denise dix-sept mille francs en or… Lui, l'ami des gendarmes autrefois, il frissonnait maintenant lorsqu'il voyait le brigadier entrer dans sa geôle. Ce n'est pas qu'il eût des remords d'avoir trahi son devoir, non, c'est qu'il tremblait d'être découvert. Déjà, à plus de dix reprises, il avait changé de place le bas de laine qui renfermait son trésor; mais en quelque endroit qu'il l'enfouît, il lui semblait toujours que les regards de ses visiteurs s'arrêtaient obstinément sur sa cachette.

Il se rassura, cependant, lorsque Antoine lui eut exposé l'objet de sa mission, et du ton le plus civil:

– Maître Magloire, répondit-il, était ici à neuf heures précises. Je l'ai conduit immédiatement à la cellule de monsieur de Boiscoran, et, depuis ce moment, ils parlent, ils parlent…

– Vous enêtes sûr?

– Naturellement. Ne dois-je pas savoir tout ce qui se passe dans ma prison!… Je suis allé prêter l'oreille… Mais on n'entend rien du corridor. Ils ont fermé le guichet, et la porte estépaisse.

– C'est singulier, murmura le vieux serviteur.

– C'est mauvais signe aussi, déclara le geôlier d'un air capable. J'ai remarqué que les prévenus qui en ont si long à conter à leur défenseur attrapent toujours le maximum…

Antoine, comme de raison, ne rapporta pas à ses maîtres la lugubre réflexion de Blangin; mais ce qu'il leur apprit de la longueur de l'entrevue suffit à accroître leurs appréhensions.

Peu à peu, les couleurs avaient disparu des joues de Mlle Denise, et c'est d'une voix dont les larmes altéraient le timbre si pur qu'elle dit que peut-être elle eût mieux fait de prendre des vêtements de deuil, et que de voir ainsi toute la famille réunie, cela lui rappelait les apprêts d'une cérémonie funèbre…

L'arrivée soudaine du docteur Seignebos lui coupa la parole. Ilétait fort en colère, comme toujours, il ne salua personne, selon son habitude. Mais dès le seuil:

– Sotte ville que Sauveterre! s'écria-t-il, ville de cancans et de caquets, ville d'indiscrets et de bavards… C'est à se cacher, à déserter, à fuir… De chez moi à ici, vingt curieux implacables m'ont arrêté, sous prétexte que je suis votre médecin, pour me demander où en est l'affaire de monsieur de Boiscoran. Car la ville est en rumeur… La ville sait que Magloire est à la prison, et c'est à qui saura le premier ce que Jacques et lui ont pu se dire… (Il avait déposé sur la table son chapeau à bords immenses, et tout en promenant autour du salon un regard un peu inquiet): Et ici, interrogea-t-il, on ne sait rien encore.

– Rien, répondirent en même temps M. Séneschal et maître Folgat.

– Et ce retard nousépouvante, dit Mlle Denise.

– Pourquoi donc? fit le médecin. (Et retirant et essuyant vivement ses lunettes d'or): Pensiez-vous donc, chère demoiselle, fit-il, que l'affaire de Jacques de Boiscoran serait terminée en cinq minutes? Si on vous l'a laissé croire, on a eu tort… Moi qui méprise les ménagements, je vais vous dire toute ma pensée… Au fond de cesévénements du Valpinson, s'agite, j'en mettrais la main au feu, quelque ténébreuse intrigue qu'il ne sera pas facile de débrouiller. Certainement nous tirerons Jacques d'affaire, mais je crains que ce ne soit pas sans peine…

– Monsieur Magloire Mergis! annonça le vieil Antoine.

Le célèbre avocat de Sauveterre entra. Ilétait si défait et ses traits gardaient si profondément la trace de sesémotions, qu'à tous vint la même et fatale pensée qu'exprima Mlle Denise en s'écriant:

– Jacques est perdu!

Maître Magloire ne répondit pas non.

– Je crois sa situation périlleuse, dit-il.

– Jacques! murmura la marquise de Boiscoran, mon fils!

– J'ai dit périlleuse, reprit l'avocat; mais c'estétrange que j'aurais dû dire, inimaginable et de nature à déconcerter toutes les prévisions…

– Parlez, monsieur, fit Mme de Boiscoran.

L'embarras de l'avocatétait extrême, et c'est avec une visible détresse que ses regards allaient alternativement des tantes Lavarande à Mlle Denise. Mais personne n'y prenait garde. Ce que voyant:

– Il faut avant, déclara-t-il, que je reste seul avec ces messieurs…

Docilement, les tantes Lavarande se levèrent et entraînèrent dehors la mère et la fiancée de Jacques, qui semblait près de défaillir.

Et, dès que la porte fut refermée:

– Merci, maître Magloire! s'écria grand-père Chandoré, fou de douleur, merci de me donner le temps de préparer mon enfant au coup terrible, car je ne vous ai que trop compris, Jacques est coupable…

– Arrêtez, interrompit l'avocat, je n'ai rien dit de pareil… Plus que jamais, monsieur de Boiscoran proteste de son innocence; seulement, il allègue pour se justifier un fait tellement invraisemblable, tellement inadmissible…

– Enfin, que dit-il? interrogea M. Séneschal.

– Il prétend que la comtesse de Claudieuseétait… sa maîtresse.

Le docteur Seignebos bondit et, rajustant ses lunettes d'or d'un geste triomphant:

– J'enétais sûr! s'écria-t-il. Je l'avais deviné!

Maître Folgat, en cette occasion, ne pouvait avoir, il le comprenait bien, voix délibérative. Il arrivait de Paris avec les idées de Paris, et quoi qu'il eût entendu dire déjà, le nom de la comtesse de Claudieuse ne lui révélait rien.

Mais à l'effet qu'il fit sur les autres, il put juger l'allégation de Jacques de Boiscoran.

Loin de partager l'impression du docteur Seignebos, grand-père Chandoré et M. Séneschal parurent aussi révoltés que maître Magloire.

– Ce n'est pas croyable! déclara l'un.

– C'est impossible! prononça l'autre.

Maître Magloire secouait la tête.

– Et voilà justement, fit-il, ce que j'ai répondu à Jacques.

Mais le docteur n'était pas de ces hommes qui s'étonnent ou s'effrayent de n'être pas de l'avis de tout le monde.

– Vous ne m'avez donc pas entendu! s'écria-t-il, vous ne m'avez donc pas compris! La preuve que le fait n'est ni invraisemblable ni impossible, c'est que je le soupçonnais. Et c'était indiqué, pardieu!… À quel propos un garçon tel que Jacques, heureux comme pas un, riche, bien tourné, amoureux et aimé d'une charmante fille, irait-il s'amuser à incendier les maisons et assassiner les gens!… Vous me répondrez que monsieur de Claudieuse ne luiétait pas sympathique! Diable! Si tous les gens qui exècrent le docteur Seignebos se mettaient à lui tirer dessus, savez-vous que j'aurais le corps plus troué qu'uneécumoire! De vous tous, maître Folgat ici présent est le seulà n'avoir pas eu la berlue…

Modestement, le jeune avocat essaya de protester:

– Monsieur…

Mais l'autre lui coupant la parole:

– Oui, monsieur, poursuivit-il, vous y avez vu clair, et, la preuve, c'est que tout de suite vous avez cherché l'âme, l'inspiration, la cause, la pensée, le mobile, la femme, enfin, de l'énigme. La preuve, c'est que vousêtes allé demandant à tous, à Antoine, le valet de chambre, à monsieur de Chandoré, à monsieur Séneschal, à moi-même, si Jacques de Boiscoran n'avait pas ou n'avait pas eu quelque passion dans le pays. Tous vous ont répondu non, étant à mille lieues de se douter de la vérité. Seul, sans vous répondre précisément, je vous ai donné à entendre que votre sentimentétait le mien, et ce en présence de monsieur de Chandoré.

– C'est exact! affirmèrent le vieux gentilhomme et maître Folgat.

M. Seignebos triomphait. Et toujours gesticulant, et toujours retirant et remettant ses lunettes d'or:

– C'est que j'ai appris à me défier des apparences, continuait-il; c'est que dès les premiers moments j'avais eu d'étranges soupçons. Étudiant l'attitude de madame de Claudieuse, pendant la nuit de l'incendie, je l'avais trouvée embarrassée, anormale, équivoque, suspecte… Je m'étaisétonné de sa complaisance à céder aux fantaisies du sieur Galpin et de sa facilité à se prêter à l'interrogatoire de Cocoleu… Car enfin, c'est elle seule qui a fait parler ce soi-disant idiot. J'ai de bons yeux, messieurs, sous mes lunettes. Eh bien! sur tout ce que j'ai de plus sacré, sur ma foi républicaine, je suis prêt à le jurer, quand Cocoleu a prononcé le nom de monsieur de Boiscoran, la comtesse de Claudieuse n'a pasété surprise…

De leur vie, en aucune circonstance, sur n'importe quel sujet, le maire de Sauveterre et le docteur Seignebos n'avaient pu s'entendre. La question qui s'agitait n'était pas de nature à les mettre d'accord.

– J'étais présent à l'interrogatoire de Cocoleu, déclara M. Séneschal, et j'ai, au contraire, constaté la stupeur de la comtesse…

Le médecin levait lesépaules.

– Assurément, dit-il, elle a fait «Ah!»…, mais ce n'est ni une difficulté, ni une preuve. Moi aussi, je saurais très bien faire comme cela: «Ah!», si l'on venait me dire que monsieur le maire a tort, et cependant je n'en serais pasétonné…

– Docteur! fit M. de Chandoré d'un ton conciliant, docteur…

Mais déjà M. Seignebos s'était retourné vers maître Magloire, qu'il avait à cœur de convaincre. Et il poursuivait:

– Oui, le visage de la comtesse de Claudieuse a exprimé la stupeur, mais ses yeux trahissaient la colère la plus atroce, la haine et la joie de la vengeance… Et ce n'est pas tout! Que monsieur le maire me dise, s'il lui plaît, oùétait madame de Claudieuse quand son mari aété réveillé par les flammes… Était-elle près de lui?… Non. Elle veillait la plus jeune de ses filles, atteinte de la rougeole… Hum! Que pensez-vous de cette rougeole qui exige une garde de nuit?… Et quand les deux coups de feu ontété tirés, où se trouvait la comtesse? Toujours près de sa fille, et de l'autre côté de la maison, précisément du côté opposé à celui où aéclaté l'incendie…

Le maire de Sauveterre n'était pas moins entêté que le médecin.

– Je vous ferai remarquer, docteur, objecta-t-il, que monsieur de Claudieuse lui-même a déclaré que, lorsqu'il avait couru au feu, il avait retrouvé la porte de la maison fermée en dedans, telle qu'il l'avait fermée de sa main quelques heures auparavant.

De son air le plus ironique, le docteur Seignebos saluait.

– N'y avait-il donc qu'une porte au château de Valpinson? demanda-t-il.

– À ma connaissance, déclara M. de Chandoré, il y en avait au moins trois.

– Je dois dire, ajouta maître Magloire, que selon les allégations de monsieur de Boiscoran, la comtesse de Claudieuse, pour venir le rejoindre, ce soir-là, serait sortie par la porte de la buanderie…

– Que disais-je! s'écria M. Seignebos. (Et essuyant ses lunettes à en briser les verres): Et les enfants!… continua-t-il. Monsieur le maire trouve-t-il naturel que madame de Claudieuse, cette mère incomparable, selon lui, ait oublié ses enfants au milieu de l'incendie?…

– Quoi! cette malheureuse femme est attirée dehors par l'explosion de deux coups de feu, elle voit sa maison en flammes, elle trébuche contre le corps inanimé de son mari, et vous lui reprochez de n'avoir pas gardé sa liberté d'esprit!

– C'est une appréciation, mais ce n'est pas la mienne. Je crois plus volontiers que la comtesse, s'étant attardée dehors, aété empêchée de rentrer par l'incendie… Je trouve aussi que Cocoleu est arrivé là bien à propos, et qu'il est bien heureux que la Providence ait illuminé sa cervelle vide de cette idée sublime de sauver les enfants au péril de ses jours!

M. Séneschal, cette fois, ne répliqua pas.

– Fortifiés de toutes ces circonstances, reprit le docteur, mes soupçons devinrent tels que je résolus de les vérifier, s'ilétait possible. Dès le lendemain, j'interrogeai madame de Claudieuse, et non sans perfidie, je puis l'avouer. Ses réponses et sa contenance furent loin de modifier mes impressions. Quand je lui demandai en la regardant bien dans le blanc des yeux ce qu'elle pensait de l'état mental de Cocoleu, elle fut sur le point de se trouver mal, et c'est d'une voix à peine intelligible qu'elle me confessa avoir surpris chez lui quelqueséclairs d'intelligence. Lorsque je voulus savoir si Cocoleu luiétait attaché, c'est avec un trouble insurmontable qu'elle me déclara que son dévouementétait celui d'un animal reconnaissant des soins qu'on lui donne. Que pensez-vous de cela, messieurs?… Moi, je pensai que Cocoleuétait le nœud de l'affaire, qu'il savait la vérité, et que je sauverais Jacques si j'arrivais à démontrer que l'imbécillité de Cocoleu est en partie simulée, et que son mutisme est un artifice de la peur. Et je l'aurais démontré, si on m'eût adjoint d'autres experts que cetâne du chef-lieu et ce farceur de Paris… (Il s'arrêta dix secondes. Mais sans laisser à personne le temps de répliquer): Maintenant, reprit-il, revenons au point de départ et concluons. Pourquoi, à votre avis, est-il impossible et invraisemblable que madame de Claudieuse ait trahi ses devoirs? Parce qu'elle jouit d'uneéclatante renommée de sagesse et de vertu? Eh bien! mais il me semble que la réputation d'honneur de Jacques de Boiscoranétait indiscutable. Selon vous il est absurde de soupçonner madame de Claudieuse d'avoir eu un amant. Serait-il donc naturel que, du soir au lendemain, Jacques fût devenu un abject scélérat!

– Oh! ce n'est pas la même chose, fit M. Séneschal.

– C'est vrai! s'écria le docteur, et cette fois, monsieur le maire, vous avez raison. Commis par monsieur de Boiscoran, le crime du Valpinson serait un de ces crimes absurdes qui révoltent le bon sens… Commis par la comtesse, il n'est plus que le dénouement fatal d'une situation cré ée par monsieur de Claudieuse, le jour où il aépousé une femme plus jeune que lui de trente ans.

Il ne fallait pas trop se fier aux grandes colères du docteur Seignebos. Alors même qu'il semblait le plus hors de soi, il ne disait jamais que ce qu'il voulait bien dire, possédant cette faculté admirable et méridionale de jeter feu et flammes et de rester intérieurement aussi glacé qu'une banquise. Mais cette fois, il découvrait bien toute sa pensée. Et il en avait assez dit, et il avait montré la situation sous un aspect assez nouveau pour donner à réfléchir à ses auditeurs.

– Vous m'auriez converti, docteur, lui dit maître Folgat, si je ne l'avaisété d'avance.

– Il est certain, fit M. de Chandoré, qu'après avoir entendu le docteur, le fait ne paraît plus impossible…

– Tout est possible! murmura philosophiquement M. Séneschal lui-même.

Seul, le célèbre avocat de Sauveterre n'était pasébranlé.

– Eh bien! moi, prononça-t-il, j'admets plutôt une heure de vertige que des années d'une monstrueuse hypocrisie. Jacques peut avoir commis le crime et n'être qu'un fou. Si madame de Claudieuseétait coupable, ce serait à désespérer de l'humanité et à ne plus croire à rien au monde. Je l'ai vue, messieurs, entre son mari et ses enfants… on ne feint pas les regards d'exquise tendresse dont elle les enveloppait…

– Il n'en démordra pas! interrompit le docteur Seignebos. (Et frappant sur l'épaule de son ami – car maître Magloireétait son ami depuis bien des années, et même ils se tutoyaient): Ah! je te reconnais bien là, poursuivit-il, avocat singulier qui, jugeant les autres d'après toi, refuse de croire au mal… Oh! ne proteste pas, car c'est pour cela surtout que nous t'aimons et que nous t'admirons, et que nous sommes fiers de te voir dans les rangs républicains… Mais il faut bien l'avouer, tu n'es pas l'homme qu'il faut pour débrouiller une telle intrigue. À vingt-huit ans, tu asépousé une jeune fille que tu adorais, tu as eu le malheur de la perdre et, depuis, chastement fidèle à son souvenir, tu as vécu si loin des passions que tu ne sais plus si elles existent… Homme heureux, dont le cœur a vingt ans et qui, avec des cheveux blancs, croit encore aux sourires et aux regards des femmes!

Il y avait beaucoup de vrai là-dedans, mais il est certaines vérités qu'on n'aime pas toujours à s'entendre dire.

– Ma naïveté ne fait rien à l'affaire, dit maître Magloire. Je prétends et je soutiens qu'il est impossible qu'après avoirété cinq ans l'amant d'une femme, on n'en puisse pas administrer la preuve.

– Eh bien! tu te trompes, maître! fit le médecin en rajustant ses lunettes d'or d'un air de fatuité qui eûtété bien comique en tout autre moment.

– Quand les femmes se mettent àêtre prudentes et défiantes, prononça M. de Chandoré, elles ne le sont pas à demi…

– Il tombe sous le sens, d'ailleurs, ajouta maître Folgat, que jamais madame de Claudieuse ne se fût déterminée à un crime si audacieux si elle n'eût pasété sûre que, les lettres brûlées, nulle preuve ne subsistait contre elle.

– Voilà la vérité! s'écria M. Seignebos.

Maître Magloire ne dissimulait pas son impatience.

– Malheureusement, messieurs, reprit-il d'un ton sec, ce n'est pas de vous que dépend l'acquittement ou la condamnation de monsieur de Boiscoran. Ce n'est ni pour vous convaincre, ni pourêtre convaincu que je suis ici. Je suis venu pour discuter avec les amis de monsieur de Boiscoran la conduite à suivre, et arrêter les bases de la défense.

À maître Magloire, évidemment, appartenait la situation. Il alla s'adosser à la cheminée, et quand les autres se furent assis en face de lui:

– Tout d'abord, commença-t-il, je veux admettre les allégations de monsieur de Boiscoran. Il est innocent. Il aété l'amant de madame de Claudieuse, mais il n'a pas de preuves. Ceci admis, quel parti prendre? Dois-je lui conseiller de faire appeler le juge d'instruction et de tout lui raconter?

Personne ne répondit d'abord. Et ce n'est qu'après un assez long silence que le docteur Seignebos dit:

– Ce serait bien grave…

– Très grave, en effet, insista le célèbre avocat de Sauveterre. Par nos impressions, il nous est aisé d'imaginer l'impression de monsieur Galpin-Daveline. Avant tout il demanderait des preuves, la déclaration d'un témoin, un indice quelconque… Et dès que Jacques lui répondrait qu'il ne peut rien que donner sa parole, monsieur Daveline lui dirait qu'il ment.

– Il se déciderait peut-être à un supplément d'instruction, dit M. Séneschal. Il manderait probablement madame de Claudieuse…

De la tête maître Magloire approuvait.

– Il la manderait certainement, déclara-t-il. Mais après… Avouerait-elle? Ce serait folie que de l'espérer. Si elle est coupable, c'est une femme d'une trop robusteénergie pour se laisser arracher la vérité. Elle nierait donc tout, superbement, magnifiquement, et de façon à ne pas laisser subsister l'ombre d'un doute.

Vanusepiirang:
12+
Ilmumiskuupäev Litres'is:
30 august 2016
Objętość:
610 lk 1 illustratsioon
Õiguste omanik:
Public Domain

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