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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2 - (A suite - C)

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À Noyon, comme à la cathédrale de Paris, et comme dans l'église de Saint-Denis construite par Suger, les collatéraux sont surmontés d'une galerie voûtée au premier étage 201. En examinant la coupe du choeur, on voit que l'arcature qui surmonte la galerie du premier étage n'est qu'un faux triforium, simple décoration plaquée sur le mur qui est élevé dans la hauteur du comble en appentis recouvrant les voûtes du premier étage. Dans la nef, cette arcature est isolée; c'est un véritable triforium comme à la cathédrale de Soissons dans le croisillon sud (voy. ARCHITECTURE RELIGIEUSE, fig. 31). Une belle salle capitulaire et un cloître du XIIIe siècle accompagnent, du côté nord, la nef de la cathédrale de Noyon (voy. CLOÎTRE, SALLE CAPITULAIRE). Deux grosses tours, fort défigurées par des restaurations successives, et dont les flèches primitives ont été remplacées, si jamais elles ont été faites, par des combles en charpente, sont élevées sur la façade. Quant au porche, il date du commencement du XIVe siècle; mais cette partie de l'édifice n'offre aucun intérêt.

Il est une cathédrale qui remplit exactement les conditions imposées aux reconstructions de ces grands édifices à la fin du XIIe siècle et au commencement du XIIIe, c'est celle de Laon. On a voulu voir, dans la cathédrale actuelle de Laon, celle qui fut reconstruite ou réparée après les désastres qui signalèrent, en 1112, l'établissement de la commune. Cela n'est pas admissible; le monument est là, qui, mieux que tous les textes, donne la date précise de sa reconstruction, et nous n'avons pas besoin de revenir là-dessus après les observations que M. Vitet a insérées sur la cathédrale de Laon dans sa Monographie de Notre-Dame de Noyon.


La cathédrale de Laon (fig. 9) présente en plan une grande nef avec collatéraux, coupée à peu près vers son milieu par des transsepts; l'abside se termine carrément. Deux chapelles sont seulement pratiquées vers l'est aux deux extrémités des bras de croix. La ville de Laon était, pendant les XIIe et XIIIe siècles, une ville riche, populeuse, turbulente; elle s'établit à main armée une des premières en commune, et obtint de Philippe-Auguste, après bien des tumultes et des violences, en 1191, une paix, ou confirmation de la commune, moyennant une rente annuelle de deux cents livres parisis 202. C'est probablement peu de temps après l'octroi de cette paix que les citoyens de Laon, possesseurs tranquilles de leurs franchises, aidèrent les évêques de ce diocèse à élever l'admirable édifice que nous voyons encore aujourd'hui.

De toutes les populations urbaines qui, dans le nord de la France, s'établirent en commune, celle de Laon fut une des plus énergiques, et dont les tendances furent plus particulièrement démocratiques. Le plan donné à leur cathédrale fut-il une sorte de concession à cet esprit? Nous n'oserions l'affirmer; il n'en est pas moins certain que ce plan est celui de toutes nos grandes cathédrales qui se prête le mieux, par sa disposition, aux réunions populaires. C'est dans ce vaisseau, qui conserve tous les caractères d'une salle immense, que pendant plus de trois siècles, se passèrent, à certaines époques de l'année, les scènes les plus étranges. Nous avons dit déjà «qu'on y célébrait, le 28 décembre, la fête des Innocents 203, où les enfants de choeur, portant chapes, occupaient les hautes stalles et chantaient l'office avec toute espèce de bouffonneries; le soir, ils étaient régalés aux frais du chapitre 204. Huit jours après, venait la fête des Fous. La veille de l'Épiphanie, les chapelains et choristes se réunissaient pour élire un pape, qu'on appelait le patriarche des Fous. Ceux qui s'abstenaient de l'élection payaient une amende. On offrait au patriarche le pain et le vin de la part du chapitre, qui donnait, en outre, à chacun, huit livres parisis pour le repas. Toute la troupe se revêtait d'ornements bizarres, et avait, les deux jours suivants, l'église entière à sa disposition. Après plusieurs cavalcades par la ville, la fête se terminait par la grande procession des rabardiaux. Ces farces furent abolies en 1560; mais le souvenir s'en conserva dans l'usage, qui subsista jusqu'au dernier siècle, de distribuer, à la messe de l'Épiphanie, des couronnes de feuilles vertes aux assistants 205... Au XVe siècle, de nombreux mystères furent représentés dans la cathédrale de Laon, et les chanoines eux-mêmes ne dédaignèrent pas d'y figurer comme acteurs 206. En 1462, aux fêtes de la Pentecôte, on joua la passion de N.-S. Jésus-Christ, distribuée en cinq journées... Le 26 août 1476, on représenta un mystère intitulé: Les Jeux de la vie de Monseigneur saint Denys. Afin de faciliter la représentation, la messe fut dite à huit heures et les vêpres chantées à midi 207...»

Si le chapitre et les évêques de Laon croyaient nécessaire de faire de semblables concessions morales aux citoyens, ne peut-on admettre que cette tolérance influa sur les dispositions primitives du plan de la cathédrale? Après les luttes et les scènes tragiques qui ensanglantèrent l'établissement de la commune de Laon, lorsque, par l'entremise du pouvoir royal, cette commune fut définitivement constituée, il est probable que, d'un commun accord, le chapitre, l'évêque et les bourgeois élevèrent cet édifice à la fois religieux et civil. C'est par des concessions de ce genre que le clergé put amener les citoyens d'une ville riche à faire les sacrifices d'argent nécessaires à la construction d'un monument qui devait servir non-seulement au culte, mais même à des assemblées profanes. Nous ne nous dissimulons pas combien ces conjectures paraîtront étranges aux personnes qui n'ont pas, pour ainsi dire, vécu dans la société du moyen âge, qui croient que cette société était soumise à un régime purement féodal et théocratique; mais quand on pénètre dans cette civilisation qui se forme au XIIe siècle et se développe au XIIIe, on voit à chaque pas naître un besoin de liberté si prononcé à côté de priviléges monstrueux, une tendance si active vers l'unité nationale, qu'on n'est plus étonné de trouver le haut clergé disposé à aider à ce mouvement et cherchant à le diriger pour ne pas être entraîné et débordé. Les évêques aimaient mieux ouvrir de vastes édifices à la foule, sauf à lui permettre parfois des saturnales pareilles à celles dont nous venons de donner un aperçu, plutôt que de se renfermer dans le sanctuaire, et de laisser bouillonner en dehors les idées populaires. Sous les voûtes de la grande cathédrale, quoique profanes, les assemblées des citoyens étaient fortement empreintes d'un caractère religieux. Les populations urbaines s'habituaient ainsi à considérer la cathédrale comme le centre de toute manifestation publique. Les évêques et les chapitres avaient raison; ils comprenaient leur époque; ils savaient que, pour civiliser des esprits encore grossiers, faciles à entraîner, unis par un profond sentiment d'union et d'indépendance, il fallait que le monument religieux par excellence fût le pivot de tout acte public.

 

Laon est une ville turbulente qui, pendant un siècle, est en lutte ouverte avec son seigneur, l'évêque. Après ces troubles, ces discussions, le pouvoir royal qui, par sa conduite, commence à inspirer confiance en sa force, parvient à établir la paix; mais on se souvient, de part et d'autre, de ces luttes dans lesquelles seigneurs et peuple ont également souffert; il faut se faire des concessions réciproques pour que cette paix soit durable; la cathédrale se ressent de cette sorte de compromis; sa destination est religieuse, son plan conserve un caractère civil.

À Noyon, d'autres précédents amènent des résultats différents.

«En l'année 1098, dit M. A. Thierry 208, Baudri de Sarchainville, archidiacre de l'église cathédrale de Noyon, fut promu, par le choix du clergé de cette église, à la dignité épiscopale. C'était un homme d'un caractère élevé, d'un esprit sage et réfléchi. Il ne partageait point l'aversion violente que les personnes de son ordre avaient en général contre l'institution des communes. Il voyait dans cette institution une sorte de nécessité sous laquelle, de gré ou de force, il faudrait plier tôt ou tard, et croyait qu'il valait mieux se rendre aux voeux des citoyens que de verser le sang pour reculer de quelques jours une révolution inévitable... De son propre mouvement, l'évêque de Noyon convoqua en assemblée tous les habitants de la ville, clercs, chevaliers, commerçants et gens de métier. Il leur présenta une charte qui constituait le corps des bourgeois en association perpétuelle, sous des magistrats appelés jurés, comme ceux de Cambrai...»

M. Vitet a donc raison de dire 209 que «lorsque Beaudoin II entreprit la reconstruction de sa cathédrale, il existait à Noyon une commune depuis longtemps établie, et consacrée par une paisible jouissance, mais placée en quelque sorte sous la tutelle de l'évêque.»

Aussi la cathédrale de Noyon présente-t-elle le plan d'un édifice religieux: abside avec chapelles, transsepts avec croisillons arrondis. Là, le clergé est resté le directeur de l'oeuvre, il n'a besoin de faire aucune concession; il n'a pas eu recours, non plus que la commune, lorsqu'il commença l'oeuvre, à l'intervention du pouvoir royal. Il entre dans la cathédrale de Noyon moins d'éléments laïques que dans celle de Senlis, par exemple, construite en même temps, et où l'ogive domine sans partage. Mais la cathédrale de Noyon est de près de cinquante années antérieure à celle de Laon; il n'est pas surprenant, objectera-t-on, que son plan se rapproche davantage des traditions cléricales; cela est vrai. Cependant, nous avons vu le plan de la cathédrale de Bourges, contemporaine de celle de Laon, où la tradition cléricale est encore conservée; nous verrons tout à l'heure le plan de la cathédrale de Chartres, où, plus qu'à Bourges encore, les données religieuses de l'architecture romane sont observées. Laon, au contraire, possède un plan dont le caractère est tranché; il a fallu faire une large part aux idées laïques. Peut-être voudra-t-on prétendre encore que les évêques de Laon, ayant eu de fréquents rapports avec l'Angleterre, leur cathédrale aurait pris la disposition carrée du plan de l'abside aux monuments de ce pays; l'observation ne saurait être admise, par la raison que les absides carrées anglaises sont postérieures à celle de la cathédrale de Laon; le choeur de la cathédrale de Cantorbéry, qui date du XIIe siècle, est circulaire; les absides carrées d'Ély, de Lincoln, ne sont pas antérieures à 1230.

Ce n'est pas seulement cette abside carrée qui nous frappe dans le plan de la cathédrale de Laon (fig. 9), c'est encore la disposition des collatéraux avec galeries supérieures voûtées, comme à Notre-Dame de Paris, comme à Noyon, comme à la cathédrale de Meaux dans l'origine; c'est la place qu'occupent les chapelles circulaires des transsepts, chapelles à deux étages; c'est la présence de quatre tours aux quatre angles des deux croisillons et d'une tour carrée sur les piles de la croisée; c'est cette grande et belle salle capitulaire qui s'ouvre au sud des premières travées de la nef; ce sont ces deux salles, trésors et sacristies, qui avoisinent le choeur et sont réservées entre les collatéraux et les chapelles circulaires. On voit en tout ceci un plan conçu et exécuté d'un seul jet, une disposition bien franche commandée par un programme arrêté. Quant au style d'architecture adopté dans la cathédrale de Laon, il se rapproche de celui des parties de Notre-Dame de Paris qui datent du commencement du XIIIe siècle; il est cependant plus lourd, plus trapu; il faut dire aussi que les matériaux employés sont plus grossiers.

À la fin du XIIIe siècle, ce beau plan fut défiguré par l'adjonction de chapelles élevées entre les saillies des contreforts de la nef. Une salle fut érigée au milieu du préau du cloître. C'est aussi pendant le cours du XIIIe siècle que les dispositions premières du porche furent modifiées. Les sept tours étaient surmontées de flèches, détruites aujourd'hui (voy. CLOCHER).

Malgré son importance, la cathédrale de Laon fut élevée avec une précipitation telle, que, sur quelques points, et particulièrement sur la façade, les constructeurs dédaignèrent de prendre les précautions que l'on prend d'ordinaire, lorsque l'on bâtit des édifices de cette dimension: les fondations furent négligées, ou bloquées au milieu des restes de substructions antérieures; on ne laissa pas le temps aux constructions inférieures des tours de s'asseoir avant de terminer leurs sommets. Il en résulta des tassements inégaux, des déchirements qui compromirent la solidité de la façade 210.

La cathédrale de Laon conserve quelque chose de son origine démocratique; elle n'a pas l'aspect religieux des églises de Chartres, d'Amiens ou de Reims. De loin, elle paraît un château plutôt qu'une église; sa nef est, comparativement aux nefs ogivales et même à celle de Noyon, basse; sa physionomie extérieure est quelque peu brutale et sauvage; et jusqu'à ces sculptures colossales d'animaux, boeufs, chevaux, qui semblent garder les sommets des tours de la façade (voy. ANIMAUX), tout concourt à produire une impression d'effroi plutôt qu'un sentiment religieux, lorsqu'on gravit le plateau sur lequel elle s'élève. On ne sent pas, en voyant Notre-Dame de Laon, l'empreinte d'une civilisation avancée et policée, comme à Paris ou à Amiens; là, tout est rude, hardi: c'est le monument d'un peuple entreprenant, énergique et plein d'une mâle grandeur. Ce sont les mêmes hommes que l'on retrouve à Coucy-le-Château, c'est une race de géants.

Nous ne quitterons pas cette partie de la France sans parler de la cathédrale de Soissons. Cet édifice fut certainement conçu sur un plan dont les dispositions rappellent le plan de la cathédrale de Noyon (fig. 10). Comme à Noyon, le transsept sud de la cathédrale de Soissons, qui date de la fin du XIIe siècle, est arrondi, et il est flanqué à l'est d'une vaste chapelle circulaire à deux étages, comme celles des transsepts de Laon. À Soissons, ce croisillon circulaire possède un bas-côté avec galerie voûtée au-dessus et triforium dans la hauteur du comble de la galerie (voy. ARCHITECTURE RELIGIEUSE, fig. 30 et 31). L'étage supérieur de la chapelle circulaire servait de trésor avant la révolution; était-ce là sa destination primitive? C'est ce que nous ne pourrions dire aujourd'hui, n'ayant aucune donnée sur l'utilité de ces chapelles à deux étages, que nous retrouvons encore à Saint-Remy de Reims et dans la grande église de Saint-Germer.



Que la cathédrale de Soissons ait été élevée complétement pendant les dernières années du XIIe siècle, ou seulement commencée, toujours est-il que le choeur et la nef furent construits pendant les premières années du XIIIe siècle. Le choeur est accompagné de cinq chapelles circulaires et de huit chapelles carrées. C'est déjà une modification au plan des cathédrales de cette époque. Le transsept nord ne fut terminé que plus tard, ainsi que la façade.

Jusqu'à présent, nous voyons régner, dans ces édifices élevés depuis le milieu du XIIe siècle jusqu'au commencement du XIIIe 211, une sorte d'incertitude; les plans de ces cathédrales françaises sont comme autant d'essais subissant l'influence de programmes variés. On élève des cathédrales nouvelles plus vastes que les églises romanes, pour suivre le mouvement qui s'était si bien prononcé pendant les règnes de Louis le Jeune et de Philippe-Auguste; mais la cathédrale type n'est pas encore sortie de terre. Nous allons la voir naître définitivement et arriver, en quelques années, à sa perfection.

À la suite d'un incendie qui détruisit de fond en comble la cathédrale de Chartres, en 1020, l'évêque Fulbert voulut reconstruire son église. Les travaux furent continués par ses successeurs à de longs intervalles. En 1145, les deux clochers de la façade occidentale, que nous voyons encore aujourd'hui, étaient en pleine construction. En 1194, un nouvel incendie ruina l'édifice de Fulbert à peine achevé. Les parties inférieures de la façade occidentale, le clocher vieux terminé et la souche du clocher neuf resté en construction échappèrent à la destruction. Sur les débris encore fumants de la cathédrale, Mélior, cardinal-légat du pape Célestin III, fit assembler le clergé et le peuple de Chartres, et, à la suite de ses exhortations, tous se mirent à l'oeuvre pour reconstruire, sur un nouveau plan, l'ancienne église de Notre-Dame 212. L'évêque Reghault de Mouçon et les chanoines abandonnèrent le produit total de leurs revenus et de leurs prébendes pendant trois années.

 
... borjois et rente et mueble
Abandonèrent en aie
Chascun selon sa menantie 213.
 

Philippe-Auguste, Louis VIII et saint Louis contribuèrent par leurs dons à l'érection de la vaste église.

 

Déjà, en 1220, Guillaume le Breton parle de ses voûtes «que l'on peut comparer, dit-il, à une écaille de tortue,» et qui sont assez solides pour défier les incendies à venir.



La fig. 11 donne le plan de la cathédrale de Chartres. Ici, l'influence religieuse paraît tout entière. Trois grandes chapelles à l'abside, quatre autres moins prononcées entre elles, doubles bas-côtés d'une grande largeur; autour du choeur, vastes transsepts. Là, le culte peut déployer toutes ses pompes; le choeur, plus qu'à Paris, plus qu'à Bourges, plus qu'à Soissons et à Laon surtout, est l'objet principal; c'est pour lui que l'église est faite. Il faut supposer que l'église de Fulbert était très-vaste déjà, car les cryptes qui existent, et datent de son épiscopat, occupent la surface entière du premier bas-côté; la nef centrale et le choeur étant un terre-plein, le XIIIe siècle n'ajouta donc à l'édifice roman, comme surface, que le second bas-côté du choeur, les chapelles absidales et les extrémités des deux transsepts.

Nous voyons se reproduire à Notre-Dame de Chartres un fait analogue à ceux signalés dans la construction des cathédrales de Paris et de Bourges. Non-seulement les architectes du XIIIe siècle conservèrent les deux clochers occidentaux de l'église du XIIe siècle, mais ils ne voulurent pas laisser perdre les trois belles portes qui donnaient entrée dans la nef et étaient autrefois placées au fond d'un porche en A (voyez le plan). On voit encore entre les deux tours la trace des constructions de ce porche et l'amorce du mur de face. Les trois portes, avec leurs belles statues, les tympans, voussures et fenêtres qui les surmontent, replacées sur l'alignement des deux clochers, furent couronnées par une rose s'ouvrant sous la voûte de la nef centrale. La construction de la cathédrale de Chartres fut conduite avec une incroyable rapidité. L'empressement des populations, des seigneurs et souverains, à mener l'oeuvre à fin ne fut nulle part plus actif. Aussi, cet édifice présente-t-il une grande homogénéité de style; il devait être complétement achevé vers 1240 214. De 1240 à 1250, on ajouta des porches aux deux entrées des transsepts; la sacristie fut bâtie au nord, proche le choeur, à la fin du XIIIe siècle, et, vers le milieu du XIVe siècle, on éleva, derrière l'abside, la chapelle Saint-Piat à deux étages. C'est aussi pendant la seconde moitié du XIIIe siècle que fut posé l'admirable jubé qui fermait l'entrée du choeur il y a encore un siècle 215.

À Notre-Dame de Chartres, la nef est courte comparativement au choeur; c'est probablement pour lui donner deux travées de plus que l'ancien porche de la façade fut supprimé et les portes avancées au nu du mur extérieur des tours. Voulant conserver, pour bâtir le choeur, la crypte qui lui sert de fondations et les deux belles tours occidentales, il n'était pas possible de donner à l'église une plus grande longueur.



Aux quatre angles du transsept, quatre tours B furent commencées (voy. fig. 12, présentant le plan du premier étage de la moitié du choeur et des transsepts de la cathédrale de Chartres); elles restèrent inachevées, ainsi que la tour centrale qui, probablement, devait s'élever sur les quatre gros piliers C de la croisée. Deux autres tours A furent élevées sur les deux dernières travées du second bas-côté du choeur précédant les chapelles absidales; ces tours restèrent également inachevées à la hauteur des corniches supérieures du choeur. C'étaient donc neuf tours qui accompagnaient la grande cathédrale du pays chartrain. Les tours situées en A, en avant du rond-point, appartiennent à une disposition normande; beaucoup d'églises de cette province possédaient des tours ainsi élevées sur les bas-côtés au delà des transsepts. Ce monument, complétement achevé avec ses neuf flèches se surpassant en hauteur jusqu'à la flèche centrale, eût produit un effet prodigieux.

Une seule chapelle fut élevée au sud, entre les contreforts de la nef, en 1413. Au commencement du XVIe siècle, on termina le clocher nord du portail qui était resté inachevé, et on dressa la gracieuse clôture du choeur que nous voyons encore aujourd'hui et qui seule a résisté en partie aux mutilations que les chanoines firent subir au sanctuaire pendant le dernier siècle. Toutes les verrières de cet édifice sont de la plus grande magnificence et datent du XIIIe siècle, sauf celles des trois fenêtres du portail occidental, qui furent replacées avec leurs baies et proviennent de l'église du XIIe siècle.

Guillaume le Breton avait raison lorsque, en 1220, il disait que la cathédrale de Chartres n'avait plus rien à craindre du feu. En 1836, un terrible incendie consuma toute la charpente supérieure et le beau beffroi du clocher vieux (voy. BEFFROI). La vieille cathédrale put résister à cette épreuve; elle est encore debout telle que les constructeurs du XIIIe siècle nous l'ont laissée; elle demeure comme un témoin de l'énergique puissance des arts de cette époque; et, du haut de la colline qui lui sert de base, sa mâle silhouette, qui de neuf flèches n'en possède que deux, est une cause d'étonnement et d'admiration pour les étrangers qui traversent la Beauce.

Nous ne trouvons plus à Chartres la galerie supérieure voûtée; un simple triforium, décoré d'une arcature, laisse une circulation intérieure tout au pourtour de la cathédrale, derrière les combles en appentis des bas-côtés. Cette église, la plus solidement construite de toutes les cathédrales de France 216, ne présente, dans sa coupe transversale, rien qui lui soit particulier, si ce n'est la disposition des arcs-boutants (voy. ARCS-BOUTANTS, fig, 54).

Afin de conserver un ordre logique dans cet article, nous devons, quant à présent, laisser de côté certains détails sur lesquels nous aurons à revenir, et poursuivre notre examen sommaire des cathédrales élevées au commencement du XIIIe siècle. Jusqu'à présent, nous avons présenté des plans dans lesquels il se rencontre des indécisions, des tâtonnements, l'empreinte de traditions antérieures. À Chartres même, les fondations de l'église de Fulbert et la conservation des vieux clochers ne laissent pas aux architectes toute leur liberté.

En 1211, l'ancienne cathédrale de Reims, bâtie par Ebon, et qui datait du IXe siècle, fut détruite de fond en comble par un incendie. Cette église était lambrissée, et affectait probablement la forme d'une basilique. Dès l'année suivante, en 1212, Albéric de Humbert, qui occupait le siége archiépiscopal de Reims, posa la première pierre de la cathédrale actuelle; l'oeuvre fut confiée à un homme dont le nom nous est resté, Robert de Coucy. Si le monument était champenois, l'architecte était d'une ville voisine du domaine royal; il ne faut pas oublier ce fait. Le plan, conçu par Robert de Coucy, était vaste, établi sur des bases solides; cet architecte doutait de pouvoir l'exécuter tel qu'il l'avait projeté; il doutait de l'étendue des ressources, et peut-être de la constance des Rémois. Ses doutes n'étaient que trop fondés. Cependant le projet de Robert fut rapidement exécuté jusqu'à la hauteur des voûtes des bas-côtés, depuis le choeur jusqu'à la moitié de la nef environ. Nous présentons (13) le plan de la cathédrale de Reims.



Si nous comparons ce plan avec ceux de Notre-Dame de Paris, des cathédrales de Bourges, de Noyon, de Laon et de Chartres, nous serons frappés de l'épaisseur proportionnelle des constructions formant le périmètre de l'édifice. C'est que Robert de Coucy appartenait à une école de constructeurs robustes, que cette école s'était élevée dans un pays où la pierre est abondante; c'est, bien plus enrore, que Robert avait conçu un édifice devant atteindre des dimensions colossales. La bâtisse avait à peine atteint la hauteur des basses nefs, que l'on dut renoncer à exécuter, dans tous leurs développements, les projets de Robert, qu'il fallut faire certains sacrifices, probablement à cause de l'insuffisance reconnue des ressources futures. Le plan du premier étage de la cathédrale de Reims est loin de répondre à la puissance des soubassements. Cependant il est certain que l'on suivit, autant que possible, en diminuant le volume des points d'appuis, les projets primitifs; et il faut une attention particulière, et surtout la connaissance des constructions de cette époque, pour reconnaître ces changements apportés aux plans de Robert de Coucy. Nous essayerons toutefois de les rendre saisissables pour tout le monde, car ce fait ne laisse pas d'avoir une grande importance pour l'histoire de nos cathédrales, d'autant plus qu'il se reproduit partout à cette époque.



Voici d'abord (fig. 14) une coupe transversale de la nef de la cathédrale de Reims. Il est facile de reconnaître que les contreforts, dans la hauteur du collatéral, ont une puissance, une saillie que ne motive pas la légèreté de la partie supérieure recevant les arcs-boutants; on sera plus frappé encore de la différence de force qu'il y a entre les parties inférieures et supérieures de ces contreforts, en examinant la vue perspective extérieure d'un contrefort de la nef (fig. 15).



Dans la construction des deux pignons des transsepts, la différence entre le rez-de-chaussée et les étages supérieurs est encore plus marquée. Robert de Coucy avait probablement projeté, sur ce point, des tours dont il fallut réduire la hauteur par des raisons d'économie. Une observation de détail vient appuyer la conjecture d'une modification dans les projets. Le larmier du couronnement des corniches qui passent au niveau des bas-côtés devant les contreforts des transsepts et du choeur, est muni de petits repos horizontaux, espacés les uns des autres de 0,40 c. à 0,50 c., qui forment comme des créneaux, et que Villart de Honnecourt, contemporain et ami de Robert de Coucy, appelle, dans ses curieuses notes, des carniaux réservés sur la pente des larmiers pour permettre aux ouvriers de circuler autour des contreforts, à l'extérieur (fig. 16). Cela est fort ingénieux et bien entendu, puisque la pente des larmiers ne permettrait pas, sans ce secours, de passer devant les parements des contreforts à toutes hauteurs. Or ces carniaux, dont parle Villart, n'existent que sur les larmiers couronnant le rez-de-chaussée. Robert de Coucy eût cependant, s'il eût continué l'oeuvre, réservé à plus forte raison des passages semblables dans les parties élevées de l'édifice; mais les parements qui se dressent au-dessus de ces larmiers à carniaux, au lieu d'affleurer l'arête supérieure du lit du larmier, ainsi que l'indique la fig. 17, sont en retraite, comme l'indique la fig. 17 bis.



Donc, alors, les carniaux deviennent inutiles, puisque derrière eux reste une partie horizontale permettant la circulation; donc, si Robert eût voulu retraiter ainsi brusquement ses contreforts à partir du premier étage, il n'eût pas réservé des carniaux sur ses larmiers; et puisqu'il les avait réservés, c'est qu'il entendait continuer à donner à ses gros points d'appui une saillie, et par conséquent une force plus grande que celle laissée après l'abandon des premiers projets. Il y a donc lieu d'admettre que Robert de Coucy éleva la cathédrale de Reims jusqu'à la hauteur des corniches des chapelles du choeur et bas-côtés, sauf les quatre premières travées de la nef, qu'il ne commença même pas; qu'après lui, la construction fut continuée en faisant subir des changements aux projets primitifs afin de réduire les dépenses; que cette nécessité de terminer l'édifice à moins de frais était le résultat d'une diminution dans les dons faits par les populations. L'ornementation des parties inférieures du choeur et des transsepts de la cathédrale de Reims, jusques et y compris la corniche des chapelles rayonnantes, porte encore le cachet de la sculpture de la fin du XIIe siècle; tandis qu'immédiatement au-dessus du niveau des corniches de ces chapelles apparaît une ornementation qui a tous les caractères de celle du milieu du XIIIe siècle. Dans la travée de droite du pignon du transsept nord, est percée une porte donnant aujourd'hui dans la petite sacristie établie entre les contreforts; cette porte, dont les sculptures sont peintes, date évidemment des premières constructions commencées par Robert de Coucy, et les bas-reliefs pourraient même être attribués à l'école des sculpteurs de la fin du XIIe siècle. Les parties inférieures du pignon du transsept sud, qui ne furent pas modifiées par l'ouverture de portes, affectent une sévérité de style qui ne le cède en rien aux constructions inférieures de la façade de Notre-Dame de Paris. Tout, enfin, dans le rez-de-chaussée de la cathédrale de Reims, du choeur à la moitié de la nef, dénote l'oeuvre d'un artiste appartenant à l'école laïque d'architectes née à la fin du XIIe siècle. Au-dessus, le style ogival a pris son entier développement, mais la transition entre les deux caractères architectoniques est habilement ménagée. Nous ne savons en quelle année Robert de Coucy cessa de travailler à la cathédrale; cependant lui-même, en construisant, modifia probablement quelques détails de son projet primitif. Cet architecte n'en était pas à son coup d'essai lorsqu'il commença l'oeuvre en 1212, et peut-être était il déjà d'un âge assez avancé; toutefois (et les notes de Villart de Honnecourt sont là pour le prouver) il cherchait sans cesse, comme tous ses contemporains, des perfectionnements à l'art laissé par le XIIe siècle; il ne pouvait ignorer ce que l'on tentait autour de lui; c'est ainsi qu'il fut amené à terminer les chapelles du choeur, commencées sur un plan circulaire comme celles de la cathédrale de Noyon, par des pans coupés. Les ornements de la corniche de ces chapelles, les carniaux des larmiers dont parle Villart, le style des statues d'anges qui surmontent les petits contreforts, ne peuvent laisser douter qu'elles n'aient été achevées par Robert de Coucy, de 1220 à 1230. Il avait fallu plusieurs années pour jeter les fondements de cet édifice commencé d'après un projet aussi robuste, d'autant plus que le sol sur lequel la cathédrale de Reims est assise n'est pas égal, et ne devient bon qu'à plusieurs mètres au-dessous du pavé (de quatre à sept mètres d'après quelques fouilles faites au pourtour). Il n'est pas surprenant donc que ces énormes constructions, quelle que fût l'activité apportée à leur exécution, ne fussent pas, en 1230, c'est-à-dire dix-huit ans après leur mise en train, élevées au-dessus des voûtes basses. À la première vue, le rez-de-chaussée des pignons des deux transsepts 217 paraît plus ancien que les chapelles du choeur; les fenêtres basses sont sans meneaux et encadrées de profils et ornements qui rappellent l'architecture de transition; tandis que les fenêtres des chapelles du choeur sont déjà pourvues de meneaux dont les formes, la disposition particulière et l'appareil sont identiquement semblables aux meneaux des bas-côtés de la nef de la cathédrale d'Amiens, qui datent de l'année 1230 environ. Robert de Coucy avait bien pu amender lui-même certains détails de son projet, en même temps qu'il adoptait les pans coupés pour ces chapelles au-dessus de la forme circulaire de leur soubassement. Quoi qu'il en soit, le maître de l'oeuvre, en mourant ou en abandonnant les constructions à des architectes plus jeunes, peut-être après une interruption de quelques années, avait laissé des projets dont ses successeurs, malgré les réductions dont nous avons parlé, se rapprochèrent autant que possible. C'est ce qui donne à cet édifice un caractère d'unité si remarquable, quoiqu'il ait fallu un siècle pour conduire le travail jusqu'aux voûtes hautes. À Reims, plus que partout ailleurs, on respecta la conception du premier maître de l'oeuvre. Aussi, lorsque l'on veut se faire une idée de ce que devait être une cathédrale conçue par un architecte du commencement du XIIIe siècle, de la plus belle époque de l'art ogival, c'est à Reims qu'il faut aller. Et cependant, combien ce grand monument ne subit-il pas de modifications importantes; et, tel que nous le voyons aujourd'hui, combien il est loin des projets de Robert de Coucy et même de ce qu'il fut avant l'incendie de la fin du XVe siècle.

201201 Voyez la Monog. de l'égl. N.-D. de Noyon, par M. L. Vitet, et l'atlas de planches, par M. D. Ramée; 1845.
202202 Lettres sur l'hist. de France, Aug. Thierry (Lettre XVIII).
203203 Essai hist. et archéol. sur l'égl. cathéd. de N.-D. de Laon, par J. Marion, 1843.
204204 Dom Bugnâtre.
205205 Dom Bugnâtre.
206206 Regist. capit.
207207 Idem.
208208 Lettres sur l'Hist. de France, par Aug. Thierry (Lettre XV).
209209 Monog. de la cathéd. de Noyon.
210210 Cette partie de la cathédrale de Laon est aujourd'hui en pleine restauration, sous la direction de M. Boeswiswald, architecte des monuments historiques. La cathédrale de Laon n'est plus siége épiscopal depuis la révolution; elle dépend du siége de Soissons.
211211 Nous comprenons la cathédrale de Bourges dans cette période, parce qu'il y a lieu de présumer, en examinant son plan, que les architectes du XIIIe siècle qui la construisirent exécutèrent un projet antérieur, peut-être celui qui avait été conçu dans la seconde moitié du XIIe siècle.
212212 Descript. de la cathéd. de Chartres, par l'abbé Bulteau, 1850.
213213 Poëme des Miracles, p. 27. (Jehan le Marchant.)
214214 Notre-Dame de Chartres fut dédiée seulement le 17 octobre 1260.
215215 Des fragments de ce jubé ont été découverts en grand nombre sous le dallage; ils sont de la plus grande beauté, et déposés aujourd'hui dans la crypte et sous la chapelle Saint-Piat (voy. JUBÉ).
216216 La cathédrale de Chartres est bâtie en pierre de Berchère; c'est un calcaire dur, grossier d'aspect, mais d'une solidité à toute épreuve. Les blocs employés sont d'une grandeur extraordinaire. Nous aurons l'occasion de revenir sur ces détails (voy. ARC-BOUTANT, BASE, CONSTRUCTION, PORCHE, PILIER, SOUBASSEMENT).
217217 Il est entendu que, pour le pignon nord, nous ne parlons pas des deux portes percées vers le milieu du XIIIe siècle.