Loe raamatut: «Mûr pour la Pagaille»
MÛR POUR LA PAGAILLE
(Roman à Suspense en Vignoble Toscan, tome 3)
FIONA GRACE
Fiona Grace
L’auteure débutante Fiona Grace est l’auteure de la série LES HISTOIRES À SUSPENSE DE LACEY DOYLE, qui comporte neuf tomes (pour l’instant), de la série des ROMANS À SUSPENSE EN VIGNOBLE TOSCAN, qui comporte quatre tomes (pour l’instant), de la série des ROMANS À SUSPENSE DE LA SORCIÈRE SUSPECTE, qui comporte trois tomes (pour l’instant) et de la série des ROMANS À SUSPENSE DE LA BOULANGERIE DE LA PLAGE, qui comporte trois tomes (pour l’instant).
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Image de couverture : Copyright S. Borisov, utilisé en vertu d’une licence accordée par Shutterstock.com.
PAR FIONA GRACE
LES ROMANS POLICIERS DE LACEY DOYLE
MEURTRE AU MANOIR (Tome 1)
LA MORT ET LE CHIEN (Tome 2)
CRIME AU CAFÉ (Tome 3)
UNE VISITE CONTRARIANTE (Tome 4)
TUÉ PAR UN BAISER (Tome 5)
ROMAN À SUSPENSE EN VIGNOBLE TOSCAN
MÛR POUR LE MEURTRE (Tome 1)
MÛR POUR LA MORT (Tome 2)
MÛR POUR LA PAGAILLE (Tome 3)
CHAPITRE PREMIER
– Cher Marcello, écrivit Olivia Glass au début de son courriel, je suis vraiment désolée de ce qui s’est passé.
Olivia rédigeait son courrier d’excuses assise dans un fauteuil confortable dans le salon douillet de sa ferme toscane. En panne d’inspiration, elle leva les yeux et contempla la pluie qui frappait les carreaux assombris de la fenêtre.
Ce n’était pas comme cela qu’elle avait prévu de commencer sa toute première lettre à son beau patron aux yeux bleus, qui était aussi le propriétaire de l’exploitation viticole.
Elle avait rêvé en secret que son message à Marcello pourrait commencer par : « Merci pour notre premier rendez-vous hier soir. Ce fut un moment merveilleux ! Le dîner, le vin et, bien sûr, votre compagnie ont été un vrai bonheur ».
Olivia poussa un soupir d’agacement. Après l’erreur terrible qu’elle avait commise, plus aucun rendez-vous ne serait envisageable. Elle aurait de la chance si elle avait encore un travail !
De plus, cela n’avait pas été une erreur. Si elle le prétendait, elle minimiserait la gravité de ce qu’elle avait fait. Elle avait délibérément provoqué un désastre et il fallait qu’elle reconnaisse sa faute avant que Marcello ne le découvre.
Écartant une mèche de cheveux blonds, elle se remit au travail.
– Je me rends compte que je vous ai coûté beaucoup d’argent, dont vous aviez vraiment besoin, et que j’ai également gâché des raisins précieux que vous ne pourrez jamais récupérer. C’était irresponsable et je n’aurais jamais dû le faire.
Que devait-elle dire ensuite ?
Olivia se serra le front. À ce moment critique, elle était à court d’inspiration.
Cette panne d’inspiration n’aurait pas été possible dans son travail précédent, où elle avait été gestionnaire de compte d’agence de publicité à Chicago. Il avait fallu lancer les campagnes en temps et en heure, même si elle avait dû pour cela boire des quantités de tasses de café, se coucher à des heures impossibles et piquer des crises de nerfs.
Au début de l’été, Olivia avait démissionné de son travail stressant mais bien payé après que son petit copain Matt avait rompu avec elle. Elle avait rejoint son amie Charlotte en vacances et, sur un coup de tête, elle avait postulé pour le poste de sommelier à La Leggenda, une des exploitations viticoles les plus célèbres de Toscane. À sa grande surprise, Marcello l’avait embauchée et Olivia s’était lancée dans sa nouvelle vie.
Se comportant de manière encore plus irréfléchie, elle avait vendu son confortable appartement de Chicago et dépensé les économies de toute sa vie pour acheter cette ferme sur la colline en espérant qu’elle pourrait un jour réaliser son rêve de produire son propre vin.
Elle avait trente-quatre ans et, comme sa mère n’arrêtait jamais de le lui dire, elle était beaucoup trop âgée pour changer de vie de manière aussi radicale. Olivia n’arrêtait pas de rappeler à sa mère qu’elle avait déjà franchi le pas, mais Mme Glass semblait convaincue que, si elle se répétait assez souvent, elle pourrait remonter le temps et effacer les effets des actions irréfléchies de sa fille.
Remonter le temps ! Olivia gémit et se souvint encore de son terrible écart de conduite. Pourrait-elle jamais se faire pardonner par Marcello ? Lui accorderait-il à nouveau sa confiance ? Elle aurait aimé pouvoir reculer de quelques semaines pour effacer les conséquences funestes de ce qu’elle avait fait.
Se souvenant que le temps passait, Olivia jeta un coup d’œil à la pendule qui était fixée au mur. Horrifiée, elle se releva d’un bond. Elle avait été tellement concentrée sur la rédaction de son message qu’elle avait oublié ses corvées du soir. Il fallait qu’elle vérifie si ses vignes naissantes résistaient aux vents tempétueux qui soufflaient actuellement. De plus, il fallait qu’elle s’occupe d’une chèvre imprévisible qui aurait pu se promener partout pour trouver un en-cas nocturne ! Dans l’orage, qui devenait de plus en plus violent, Olivia n’aurait aucun espoir de trouver Erba si elle avait perdu patience et décidé d’aller se chercher à manger toute seule.
Se précipitant vers les vêtements posés sur la table du hall, elle se mit un imperméable. Alors, après quelque réflexion, elle y ajouta des bottes en caoutchouc et des gants de ski.
Finalement, non sans difficulté, car elle aurait dû le faire avant de se mettre les gants, elle se cala un chapeau imperméable sur la tête en l’enfonçant autant que possible.
– Prête, dit-elle en jetant un coup d’œil inquiet à la fenêtre noire comme le jais.
L’averse ne s’était pas calmée. En fait, elle empirait.
Olivia n’avait pas prévu que les orages seraient aussi effrayants et aussi violents en Toscane, aussi – aussi horizontaux. Chaque orage était accompagné par des bourrasques qui menaçaient de la faire tomber. Elle aurait aimé qu’on l’en avertisse. Elle avait acheté la ferme au cœur de l’été et, dans le contrat de vente, rein n’avait suggéré que, dès que viendrait l’automne, l’apocalypse s’abattrait sur les lieux.
Olivia repensa à son appartement de Chicago avec une pointe de regret. Cet appartement moderne avait été bien isolé, avec le double vitrage et une porte d’entrée qui donnait sur un couloir. On pouvait descendre jusqu’en bas et monter dans un taxi sans se prendre la moindre goutte d’eau sur les chaussures. Certaines années, elle avait tout juste remarqué que c’était l’hiver. Le temps avait été un concept abstrait, une chose qui arrivait de l’autre côté des fenêtres.
Ces jours étaient terminés. À présent, elle s’était engagée à devenir vigneronne quoi qu’il en coûte.
Olivia jeta un coup d’œil triste au parapluie abîmé qui se trouvait dans le coin. Il avait suffi à un orage méditerranéen de souffler deux secondes pour le retourner.
– Bon, ça ne va pas s’améliorer, dit-elle à voix haute.
Le plus vite elle commencerait sa mission, le plus vite elle pourrait rentrer.
Elle ouvrit la porte d’entrée.
Le vent lui gifla immédiatement le visage.
– Merde, dit Olivia.
C’était plus dur que la fois d’avant, parce que de la pluie était tombée à l’intérieur et que ses chaussures dérapaient dans les flaques d’eau.
Olivia réussit à ouvrir un peu la porte et y coinça sa botte en crachant de l’eau de pluie et en clignant des yeux pour en chasser les gouttes.
– OK, on y va !
Elle était dehors. La porte claqua derrière elle. Poussée de côté par la bourrasque, Olivia partit accomplir sa mission importante, ou plutôt essentielle.
Glissant et dérapant sur la pente pierreuse du sentier qu’elle ne voyait pas dans le noir, Olivia réussit d’une façon ou d’une autre à se rendre aux alentours de sa vigne la plus proche.
Elle retira un de ses gants et plongea la main à l’intérieur de son imperméable pour y prendre son téléphone, dont elle alluma la lampe avec des doigts déjà engourdis.
Olivia sentit son cœur se réchauffer sous l’effet du soulagement et de la fierté.
Les pousses de vigne étaient coriaces et elles résistaient aux pluies torrentielles. En fait, elles semblaient se porter très bien, même si elles se balançaient dans la bourrasque pendant que leurs petites feuilles brillaient d’un vert vif dans la lumière de la lampe. Il était gratifiant de se dire que le sol était maintenant en train d’absorber le compost et l’engrais qu’elle avait si soigneusement ajoutés aux lits de semences et qui allaient nourrir les racines qui s’étendaient.
Contrairement à Olivia, sa première récolte de raisins semblait parfaitement adaptée pour survivre à l’hiver toscan qui approchait.
Soupirant, ou plutôt crachotant de soulagement, Olivia rangea son téléphone dans sa poche et se détourna. La deuxième partie de sa mission en extérieur était encore plus importante que la première. Serrant les dents, elle s’enfonça dans la tempête et se dirigea vers la silhouette presque invisible de la grande grange.
Quand elle l’atteignit, elle était trempée et elle frissonnait. Quand elle passa l’entrée ouverte de la grange et se retrouva dans l’intérieur silencieux qui dégageait une odeur de renfermé, elle se sentit soulagée. Alors qu’elle n’avait pas encore fait installer de portes pour l’énorme embrasure ouverte du bâtiment vieux mais solide, elle était étonnée que la grange reste aussi sèche. Celui qui l’avait construite avait su où les vents les plus forts soufflaient et s’était assuré de protéger l’entrée de la grange.
Longtemps auparavant, cette grange au toit élevé avait été un bâtiment viticole et Olivia tenait à ce qu’elle le redevienne mais, avant cela, il faudrait qu’elle dégage le tas énorme de gravats qui trônait au milieu et achète une double porte grande et forte pour la sécuriser.
Toutefois, pour l’instant, la grange avait une autre fonction.
De ses doigts engourdis, Olivia ralluma la lampe de son téléphone.
Le rayon de lumière tremblante éclaira un tas de paille qui avait été placé dans le coin de la grange pour constituer un lit sec, chaud et à l’abri des intempéries.
Le lit était vide.
Où était Erba ?
Olivia se mordit la lèvre inférieure. Elle ne savait pas du tout où sa chèvre à l’esprit indépendant pouvait se trouver. Faudrait-il qu’elle la cherche dans toute la ferme ?
Alors, du coin de l’œil, elle perçut un mouvement au-dessus de sa tête.
Quand elle leva le regard, elle vit Erba qui la contemplait du haut de la pile de ballots de foin. Il était clair qu’elle avait considéré que ce perchoir élevé et apparemment inconfortable était beaucoup plus attractif que le nid de paille qu’Olivia lui avait préparé avec amour.
– Erba ! Que fais-tu là-haut ?
Olivia bougea d’un pied sur l’autre en claquant des dents. Erba la contempla calmement pendant que l’imperméable trempé d’Olivia gouttait en formant des flaques d’eau.
– Il faut que tu descendes. Je sais que je t’apporte ton dîner en retard, mais c’est l’heure, maintenant !
À côté des ballots de foin, il y avait un seau d’eau rose et un grand coffre en acier qu’Olivia avait achetés. Elle vérifia qu’Erba ait encore de l’eau puis ouvrit le coffre et sortit un gros morceau de luzerne du ballot caché à l’intérieur. Elle avait été obligée d’acheter le coffre parce qu’Erba aimait beaucoup trop la luzerne. Olivia avait été amusée d’apprendre que, en italien, « luzerne » se disait en fait « erba medica ». Comme c’était approprié !
Olivia plaça le tas de feuilles vert profond sur le lit de paille et, admirative, regarda Erba descendre la pile de ballots de foin avec des bonds agiles, se diriger impatiemment vers son dîner et commencer à le manger.
Olivia se pencha en avant et gratta la tête à la chèvre. Sa fourrure lui parut douce, chaude et sèche.
Olivia dut admettre qu’elle avait très bien transformé son établissement viticole encore imaginaire en étable à chèvre. Elle n’était pas sûre d’avoir les épaules assez larges pour devenir propriétaire de vignoble, mais elle était excellente en élevage de chèvre. Erba ne manquait de rien.
À ce moment, son téléphone sonna.
– Bonjour, Olivia ! C’est Bianca. Comment ça va, chez toi ?
Les lèvres engourdies d’Olivia formèrent un sourire.
Bianca avait été son assistante à l’agence de publicité et elle y travaillait encore. En fait, quelque temps auparavant, elle avait envoyé un courriel à Olivia pour lui annoncer qu’elle avait été promue gestionnaire de compte débutante.
– C’est un plaisir de t’entendre !
Elle était ravie que Bianca ait trouvé un moment pour l’appeler. Elle supposa qu’on était en milieu de matinée, à Chicago. Donc, Bianca devait être au travail.
Il y avait un seul problème. Si Olivia continuait à parler à Bianca là où elle était, elle mourrait de froid avant la fin de leur conversation.
– Peux-tu me laisser un moment ? Il faut que je reparte à la ferme. Je suis dans la grange, pour l’instant.
– Dans la grange ! répéta Bianca avec admiration, comme si c’était la destination la plus exotique qu’elle ait jamais imaginée.
– Il y a un orage et il fait très froid. Donc, il faut que je rentre.
– Hein ? C’est l’hiver, là-bas ?
Bianca avait l’air confuse, comme si elle avait cru que c’était toujours l’été en Toscane. En fait, honnêtement, Olivia l’avait cru elle aussi, pendant quelque temps.
– C’est la fin de l’automne, mais on a eu une période inhabituellement froide. Le temps doit être aussi en train de changer, là où tu es, non ?
Bianca réfléchit.
– Je ne sais pas. Les rideaux de mon bureau sont tirés.
Si elle n’avait pas été en train de frissonner si fort, Olivia aurait éclaté de rire.
– Donne-moi une minute. Bonne nuit, Erba, dit-elle à la chèvre.
Alors, Olivia sortit de la grange en courant et en baissant la tête sous la pluie battante.
Elle entra à toute vitesse, dérapa dans une flaque qu’elle avait oubliée et traversa le hall en aquaplaning en agitant les bras comme une folle.
Heureusement, quand elle atteignit la cuisine, elle avait ralenti et elle put attraper l’encadrement de la porte et entrer dans la cuisine en trébuchant.
Elle poussa un soupir, soulagée de se retrouver à l’endroit où elle se sentait le mieux.
Il y régnait une température douillette grâce au feu qui brûlait dans l’âtre. Les rideaux, fabriqués en tissu vert et blanc épais, étaient tirés pour cacher l’orage. Olivia avait passé beaucoup de temps à concevoir les plans de travail et avait finalement choisi une teinte claire de Caesarstone vert citron. Elle adorait l’atmosphère lumineuse et fraîche que cette teinte donnait à la pièce. Quand les rideaux étaient ouverts, le vert de ses plans de travail semblait refléter la couleur des collines lointaines et Olivia se sentait reliée à l’environnement naturel.
Elle retira sa veste et ses gants, quitta ses bottes et se dirigea vers le tapis duveteux qui se trouvait devant la cheminée. Elle s’assit en tailleur à côté de son chat noir et blanc semi-domestiqué, Pirate, qui était roulé en boule sur un coin du tapis, profondément endormi.
– Je suis à l’intérieur, dit-elle à Bianca.
– Comment progresse ta production de vin ? demanda son ex-assistant. Est-ce que tes vins sont disponibles ? Puis-je commander une bouteille ?
– Eh bien, les vignes que j’ai commandées sont encore des bébés, expliqua Olivia. Elles ne produiront des raisins que l’année prochaine au plus tôt. J’ai même de la chance qu’elles aient germé avant l’hiver ! Il y a des vignes sauvages sur ma propriété et j’en découvre toujours de nouvelles à chaque fois que je vais me promener, mais je n’ai pas encore cueilli leurs raisins.
Olivia se souvint du premier frisson de joie qu’elle avait ressenti quand elle avait découvert la première vigne sauvage qui poussait sur sa ferme. C’était à ce moment qu’elle s’était rendu compte que les raisins pouvaient très bien pousser sur un sol rocailleux. Depuis, elle avait appris que sa propriété avait été une exploitation viticole longtemps auparavant, avant qu’elle ne tombe en ruine. Quelques-unes des vignes avaient survécu, mais Olivia savait qu’il faudrait crapahuter une journée entière dans les huit hectares de collines pour trouver tous les pieds qui, disséminés çà et là, étaient maintenant chargés de raisins mûrs. Elle n’avait pas encore eu le temps de le faire mais, si elle voulait produire un peu de vin cette année, elle serait forcée de partir à la recherche de ses vignes sauvages.
– Et ton travail ? demanda Bianca. Travailles-tu encore pour l’exploitation viticole ?
Olivia remua sur le tapis, mal à l’aise.
Les paroles de Bianca lui rappelaient ses problèmes de manière désagréable.
– En fait, j’ai quelques ennuis au travail, avoua-t-elle en imaginant comment Bianca allait froncer les sourcils, consternée par ses mots.
– Qu’est-il arrivé ? demanda-t-elle.
Maintenant, Olivia l’imaginait se ronger les ongles. Quand elle était soumise à du stress, elle le faisait toujours.
Olivia décida de se confier à son ex-assistante. C’était sa chance d’avouer la folie qu’elle avait commise.
CHAPITRE DEUX
– On m’a laissée sans surveillance dans le bâtiment de vinification et j’ai mal compris ce que j’avais le droit d’y faire. J’ai utilisé tout un lot de raisins qui ne m’étaient pas du tout destinés, avoua Olivia à Bianca.
Elle rougit de honte en se souvenant de l’assurance, non, de l’arrogance avec laquelle elle était entrée dans le bâtiment. Son cerveau de débutante avait débordé d’idées idiotes et impraticables de vins imbuvables.
– C’est terrible ! Pourquoi t’ont-ils laissée sans surveillance ? Ils savent que tu n’as pas d’expérience, dit Bianca d’un ton stupéfait qui n’aida pas du tout Olivia à se sentir mieux.
– C’était la fin de la saison de pousse et Nadia, la vigneronne, travaillait à notre autre exploitation viticole pendant quelques semaines avant de partir en vacances. Elle avait dit qu’il restait un excédent de vin dans quelques-uns des tonneaux et que je pouvais m’entraîner avec pour apprendre à effectuer des assemblages.
– OK. Et après, que s’est-il passé ? demanda Bianca, apparemment intriguée.
– Alors, les quelques dernières vendanges sont arrivées. Elles étaient prévues pour des vins spécifiques qui faisaient partie du plan de production annuel du vignoble. Tout le monde savait quoi faire avec eux mais, parce que j’étais là, ils ont cru que j’étais en charge et m’ont écoutée à la place des autres.
Olivia se souvint de la joie intense qu’elle avait ressentie quand les raisins récemment cueillis (les derniers de la vendange d’automne) avaient été livrés. Elle avait cru, à tort, qu’ils étaient aussi disponibles pour son propre usage et elle avait eu une idée de génie.
En fait, reconnut-elle, cela avait plutôt été une idée désastreuse. Ces raisins avaient tous été destinés à un usage spécifique. Les raisins de Merlot servaient à faire du merlot. La dernière et précieuse récolte de sangiovese, qui avait été réduite cette année, devait être utilisée pour faire du sangiovese. Les raisins nebbiolo devaient servir à produire du barolo.
Et ainsi de suite. Olivia se couvrit le visage avec les mains quand elle se souvint de l’audace avec laquelle elle avait agi. Quelle idiote elle avait été.
– J’ai fait quelque chose de stupide. Je les ai tous utilisés. Pour mener mon expérience ridicule, j’ai gaspillé les raisins qui auraient dû servir à produire des centaines de bouteilles de vin onéreuses.
– Oh, mon Dieu ! s’exclama Bianca d’un air inquiet.
– Je ne m’en suis rendu compte que cet après-midi, quand Antonio, le cadet des trois Vescovi, est entré pour rédiger un rapport pour Nadia avant de partir lui-même en vacances. Il était horrifié. Il a failli s’enfuir quand il a découvert ce que j’avais fait. Nadia a très mauvais caractère. C’est sa sœur aînée.
– Moi aussi, j’aurais eu peur, convint Bianca.
– J’ai essayé de rédiger un courriel pour Marcello mais, depuis qu’on en parle, je commence à me demander si une excuse en personne ne serait pas plus indiquée.
– Je suis d’accord. Ce serait beaucoup mieux. Il faut que tu en parles avec lui. Ça me paraît être la meilleure idée, dit Bianca.
– Comment ça va, au travail ?
Olivia espéra que les dernières péripéties de la vie quotidienne à l’agence de publicité la distrairaient assez pour lui permettre d’oublier la tâche inquiétante qui l’attendait mais, pendant qu’elle bavardait avec Bianca, elle se rendit compte qu’elle repensait constamment au face à face effrayant qui occupait maintenant la plus grande partie de son avenir proche.
Elle redoutait la déception qu’elle verrait dans les yeux de Marcello quand elle lui avouerait ses actions irréfléchies.
*
Le lendemain matin, l’orage s’était calmé. Un soleil frais et brillant entrait par la fenêtre de la chambre d’Olivia. Elle sortit discrètement de son lit pour ne pas déranger Pirate, qui dormait à côté de ses pieds, et contempla la vue.
Les derniers nuages gris se dissipaient et le ciel de début de matinée avait à nouveau l’air bleu et bienveillant. Olivia aimait la façon dont les rayons les plus bas donnaient un air plus dramatique au paysage, assombrissaient et allongeaient les ombres des arbres et approfondissaient et vivifiaient le vert des collines et des champs. Ce n’était que maintenant qu’elle se rendait compte que le paysage avait été très sec à la fin de l’été, poussiéreux et marron doré, encore privé des pluies nourricières que l’hiver apporterait.
Olivia décida de se mettre au travail tôt pour pouvoir aller retrouver Marcello avant que Nadia n’arrive. Comme ça, il comprendrait à quel point elle était désolée et avec quel empressement elle voulait réparer sa faute.
Quand Nadia se serait calmée, Olivia s’en tirerait peut-être avec un avertissement et une baisse de salaire correspondant aux coûts des dégâts qu’elle avait causés.
Elle consulta la météo. Il ne devait pas pleuvoir aujourd’hui, ce qui signifiait qu’elle et Erba allaient pouvoir se rendre au travail à pied et qu’Olivia ne serait pas obligée d’utiliser son vieux pick-up gris Fiat, qui était garé sur le côté de la ferme.
Olivia ouvrit l’armoire en bois qu’elle avait achetée dans un magasin d’occasion et avait passé un week-end à poncer et à vernir. Les tons chauds du bois naturel allaient parfaitement bien avec la nuance crème qu’elle avait choisie pour les murs de la chambre et avec les rideaux jaunes. Cette palette de couleurs donnait à la chambre une atmosphère joyeuse et douillette qui correspondait elle aussi à l’atmosphère de la ferme.
Olivia choisit une tenue stylée mais commode pour sa journée de travail : un pantalon beige, des bottes marron et un haut à manches longues en une nuance magnifique de vert citron. Alors, elle sortit sa jolie veste verte et dorée de l’armoire et descendit.
Erba était déjà perchée sur le rebord de la fenêtre de la cuisine, où elle attendait ses carottes matinales. Après les avoir servies à la chèvre dans la cour, le long de laquelle Olivia avait planté des parterres d’herbes médicinales, Olivia se prépara rapidement une tasse de café. Alors, il fut l’heure qu’elle se rende au travail, accompagnée par Erba qui trottait derrière elle avec enthousiasme.
Les bâtiments en pierre élégants de La Leggenda, nettoyés par la pluie et débarrassés de leur poussière estivale, luisaient d’un éclat bronze doré dans le soleil matinal. Quand Olivia remonta l’allée pavée, elle admira la plantation de vignes la plus proche, qui s’étendait sur le coteau pentu. Elle se sentit fière d’avoir travaillé ici quand ces vignes avaient été plantées. Maintenant, ces vignes, visiblement robustes et à croissance rapide, étaient saines et fortes. Elles aussi, elles semblaient avoir prospéré et donnaient l’impression d’avoir poussé à toute vitesse après l’orage de la veille.
Avant d’approcher de l’entrée cintrée de la salle de dégustation, Olivia risqua un coup d’œil dans le bâtiment de vinification.
Il n’y avait aucun signe de Nadia.
Elle ne reviendrait peut-être travailler que le lendemain. Parfois, il y avait des miracles, n’est-ce pas ?
Ce qui l’inquiétait plus, c’était que la voiture de Marcello n’était pas dans le parking. Cela signifiait que, ce matin, il était peut-être en train d’inspecter les vignobles, ou même en train de travailler dans l’autre exploitation viticole près de Pise. Olivia allait devoir attendre, vérifier s’il arrivait et être prête à s’excuser dès le moment où il apparaîtrait.
Quand Olivia entra dans la salle de dégustation, elle écarquilla les yeux. On aurait dit qu’un pugilat était en train de s’y dérouler.
– Non, non, non ! cria une voix passionnée à l’accent français. Comment pouvez-vous autoriser ce genre de chose ? C’est mal, mal, vraiment mal. Inacceptable !
Olivia reconnut les tons distinctifs de Jean-Pierre Pelletier, son tout nouvel assistant sommelier.
Avec qui se disputait-il de si bon matin ? se demanda Olivia.
Elle se précipita à l’intérieur pour essayer de calmer la diatribe de Jean-Pierre, mais elle s’arrêta brusquement quand elle entendit la réponse stridente.
– J’autorise ce que je veux. Je suis en charge, ici, et je refuse de recevoir des ordres d’un homme jeune, ignare et encore inexpérimenté !
Olivia reconnut les tons furieux aux accents italiens de Gabriella, la directrice du restaurant.
Il se trouvait que Gabriella était aussi l’ex-petite amie de Marcello. Comme Olivia s’était immédiatement sentie attirée par Marcello quand elle l’avait rencontré et comme elle avait senti qu’il était attiré lui aussi, elle pensait que c’était pour cela que Gabriella avait ressenti de l’aversion pour elle dès le premier jour. En fait, ce n’était pas de l’aversion mais une haine malveillante. Gabriella avait essayé de son mieux de faire renvoyer Olivia de l’exploitation viticole.
Eh bien, si Jean-Pierre l’exaspérait, c’était dommage, n’est-ce pas ?
Olivia ralentit le pas et, avançant nonchalamment, entra sans se presser et écouta non sans plaisir la dispute se poursuivre avec moult hurlements.
– Ignare ? Mon père a travaillé dix ans dans un des restaurants de Paris les plus décorés par Michelin et il m’a appris qu’on devait placer le verre de vin rouge à gauche du verre de vin blanc pour un arrangement formel de table.
Quand Olivia s’arrêta à mi-course pour redresser une des fiches de dégustation placées sur le long comptoir en bois, elle se rendit compte que Jean-Pierre n’avait pas l’air agressif. Il avait juste l’air passionné, comme s’il ne pouvait pas supporter que Gabriella se trompe à ce point.
– Dans notre restaurant, nous faisons autrement, répliqua sèchement Gabriella.
Olivia entendit à sa voix qu’elle était sur la défensive. Elle savait que cela signifiait que Gabriella avait perdu et qu’elle ne ripostait que pour avoir le dernier mot.
– Eh bien, vous le faites de manière incorrecte ! s’écria Jean-Pierre.
Olivia entendit à son ton qu’il était vraiment exaspéré.
– Bonjour, Jean-Pierre. Sommes-nous prêts à commencer la journée ? demanda-t-elle, décidant que, si elle intervenait à ce moment-là, cela permettrait à Jean-Pierre d’avoir le dernier mot et de gâcher complètement la journée de Gabriella.
Jean-Pierre repartit rapidement dans la salle de dégustation en laissant Gabriella chercher une réponse appropriée, frustrée et bouche bée.
Mince, les cheveux foncés et âgé d’à peine vingt-et-un ans, Jean-Pierre était le candidat qu’elle avait embauché parmi les cinq qui avaient été impatients de commencer une carrière dans le monde du vin.
Elle avait choisi ce jeune homme pour sa passion évidente et pour sa nature éloquente. Quand il s’était excité pendant l’entretien, la façon dont il avait agité les bras avait rappelé Nadia à Olivia. Elle avait pensé qu’il s’adapterait bien à l’atmosphère italienne de l’exploitation viticole et que, avec son enthousiasme, il irait loin.
Jusque-là, les instincts d’Olivia avaient fait mouche mais, à l’origine, elle ne s’était pas rendu compte qu’elle serait obligée de passer autant de temps à gérer ses crises de colère.
– Bonjour, Olivia. Tout est prêt pour l’arrivée des touristes. J’essayais d’aider à préparer les tables d’à côté, expliqua-t-il en adressant à Olivia un coup d’œil anxieux.
– La salle de dégustation a l’air parfaite, dit Olivia pour le complimenter.
Quand elle contempla la salle spacieuse, elle se sentit fière. Le long comptoir de dégustation brillait et la rangée de tonneaux en bois portant le logo de l’exploitation viticole constituait un décor parfait pour les clients. La chaleur rayonnante des lettres dorées symbolisait la gentillesse de l’accueil et l’expérience de dégustation que les clients appréciaient.
Des posters encadrés permettant de découvrir l’histoire de La Leggenda et ses vins étaient disposés le long des murs. De plus, sur les tables, il y avait des dépliants en papier glacé tout nouveaux pour les clients qui désiraient avoir plus d’informations.
Olivia était fière de ces dépliants, parce que c’était elle qui les avait créés. Elle avait récemment pris la direction du marketing de l’exploitation viticole en plus de son travail en salle de dégustation et les brochures étaient une des manières qu’elle avait de mettre en valeur la présence de la marque « La Leggenda ».