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Loe raamatut: «Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome I», lehekülg 12

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Note 86:(retour) Relation des Jésuites, et lettre du P. Jogues prisonnier des Iroquois.

Ce chef sauvage était bien fait de sa personne et de haute stature; il avait de grands talens oratoires, était brave, hardi; mais fourbe et railleur. Il revint plusieurs fois en Canada dans la suite chargé de missions publiques.

Les Algonquins, les Montagnais, les Hurons, les Attikamègues furent parties au traité. Parmi les Iroquois, il n'y eut que le canton des Agniers qui le ratifia, parceque c'était aussi le seul avec lequel la colonie fut en guerre ouverte.

Jusqu'à la fin de 1646, régna la paix la plus profonde. Toutes les tribus faisaient la chasse et la traite ensemble, sans que la meilleure intelligence cessât d'exister entre elles. Les missionnaires qui avaient pénétré chez les Iroquois après la guerre, contribuaient beaucoup au maintien de cet heureux état de chose, et paraissaient même avoir changé les dispositions malveillantes des Agniers. Mais la paix avait déjà trop duré au gré de ces peuples; et dans le temps où les hostilités recommençaient entre les Hurons et les quatre cantons de la confédération qui n'avaient pas signé le traité, une épidémie éclatait qui fit de grands ravages dans le cinquième, tandis que les vers y détruisaient aussi les moissons. La multitude crut que le P. Jogues, l'un des missionnaires, était la cause de ces malheurs, et qu'il avait jeté un sort sur la tribu. Un Iroquois superstitieux et fanatique le tua d'un coup de casse-tête. Un jeune Français qui l'accompagnait subit le même sort; on leur coupa à tous deux la tête et on les exposa sur une palissade. Leurs corps furent jetés à la rivière.

Après une violation aussi flagrante du droit des gens, les Agniers, certains qu'il n'y avait plus de paix possible, prévinrent leurs ennemis et se mirent de toutes parts en campagne, égorgeant tout ce qui se rencontrait sur leur passage. Des femmes algonquines, échappées comme par miracle de leurs mains, apportèrent aux Français la nouvelle de ce qui se passait. C'était à l'époque où le chevalier de Montmagny était rappelé et remplacé par M. d'Aillebout. Ce rappel inattendu avait causé de la surprise. Voici ce qui y donna lieu. Le commandeur de Poinci, gouverneur-général des îles françaises de l'Amérique, avait refusé de rendre les rênes du gouvernement à son successeur, et s'était maintenu dans sa charge contre l'ordre du roi. Cette espèce de rebellion avait eu des imitateurs. Pour couper court au mal, le conseil de sa Majesté avait décidé, que désormais les gouverneurs seraient changés tous les trois ans; et c'est en conséquence de cette résolution que le chevalier de Montmagny était mis à la retraite.

Plusieurs événemens importans ont signalé l'administration de ce gouverneur, parmi lesquels l'on doit compter l'établissement de l'île de Montréal, et le commencement de la destruction des Hurons, qui sera consommée sous celle de son successeur. Les Jésuites étendirent aussi de son temps fort loin le cercle des découvertes dans le nord et dans l'ouest du continent. Tel était leur zèle, que le P. Raimbaut avait même formé le dessein de pénétrer jusqu'à la Chine en évangélisant les nations, et de compléter ainsi le cercle des courses des missionnaires autour du monde. Quoique les conquêtes de ces intrépides apôtres se soient faites en dehors de l'action de son gouvernement, elles n'en jettent pas moins de l'éclat sur lui.

Ce gouverneur chercha à imiter la politique de Champlain; et comme lui il travailla constamment à tenir les Sauvages en paix. S'il n'a pas toujours réussi, il faut en attribuer la cause à l'insuffisance de ses moyens pour en imposer à ces barbares et mettre un frein à leur ambition. Néanmoins il sut, par un heureux mélange de conciliation et de dignité, se faire respecter d'eux, et suspendre longtemps la marche envahissante des Iroquois contre les malheureux Hurons.

D'Aillebout, son successeur, était venu en Canada avec des colons pour l'île de Montréal qu'il avait gouvernée en l'absence de Maisonneuve. Il avait été ensuite promu au commandement des Trois-Rivières, poste alors plus important que cette île, de sorte qu'il devait connaître le pays et ses besoins; mais il prenait les rênes du gouvernement à une époque critique. Et ne recevant point de secours, il ne put conjurer l'orage qui allait éclater sur ses alliés avec une furie dont on n'avait pas encore en d'exemple.

En 1648, les Iroquois portèrent toutes leurs forces contre les Hurons, qui perdaient un temps précieux en négociations avec les Onnontagués qui les amusaient à dessein. Ce peuple infortuné avait même refusé l'alliance des Andastes, qui lui aurait assuré la supériorité sur ses ennemis; et il était retombé dans sa première sécurité. Les Agniers n'attendaient que cela pour fondre sur lui à l'improviste. La bourgade de St. – Joseph, ainsi nommée par les missionnaires, et située sur les rives du lac Huron, fut surprise et brûlée, et sept cents personnes, la plupart vieillards, femmes et enfans, les guerriers étant absens, furent impitoyablement égorgées. Le P. Daniel qui y était depuis 14 ans, mourut héroïquement au milieu de ses ouailles: il refusa de les abandonner, et resta au milieu du carnage administrant le baptême et l'absolution. Après avoir engagé ceux de ses néophytes qui étaient près de lui à se sauver dans le bois, il s'avança tranquillement au devant des ennemis comme pour attirer sur lui toute leur attention, et reçut la mort en proclamant la parole de Dieu.

Dans le mois de mars suivant une autre bourgade, celle de St. – Ignace, fut surprise et 400 personnes furent taillées en pièces; il ne se sauva que trois hommes qui donnèrent l'alarme à la bourgade de St. – Louis, dont les femmes et les enfans eurent seulement le temps de prendre la fuite; quatre-vingts guerriers restèrent pour la défendre; ils repoussèrent deux attaques successives; mais l'ennemi ayant pénétré dans le village à la troisième, ils furent tués ou pris, après avoir combattu avec la plus grande valeur. C'est au sac de ce village que les PP. Bréboeuf et Lallemant furent faits prisonniers. On sait avec quel courage ces deux missionnaires moururent, après avoir enduré les tourments les plus affreux que peut inventer la cruauté raffinée des barbares.

Ces massacres furent suivis de plusieurs combats où le succès fut d'abord partagé; mais à la fin l'avantage resta aux Iroquois, qui gagnèrent une bataille où les principaux guerriers hurons succombèrent accablés sous le nombre. Après d'aussi grands désastres, les débris de la nation, saisis d'une terreur panique, abandonnèrent leur pays. En moins de huit jours toutes les bourgades furent désertes, excepté celle de Ste. – Marie, la plus considérable de toutes, et que la famine fit bientôt également évacuer. Les habitants se retirèrent dans la profondeur des forêts, ou chez les peuples voisins. Les généreux missionnaires ne quittèrent point ces restes infortunés d'une grande nation, et partagèrent avec eux leur exil. Ils proposèrent l'île de Manitoualin (Ekaentouton) dans le lac Huron, pour retraite. C'est une île de 40 lieues de longueur, mais étroite, qui était inoccupée, et où la pêche et la chasse étaient abondantes. Les Hurons ne purent se résoudre à s'expatrier si loin; ils ne voulurent pas même quitter entièrement leur patrie, et se réfugièrent dans l'île de St. – Joseph, peu éloignée de la terre ferme, le 25 mai 1649. Ils formèrent une bourgade de 100 cabanes, les unes de 8 les autres de 10 feux, sans compter un grand nombre de familles qui se répandirent dans les environs et le long de la côte pour la commodité de la chasse. Mais le malheur les poursuivait partout.

Comptant sur la chasse et la pêche, ils semèrent peu de maïs; mais la chasse fut bientôt épuisée et la pêche ne produisit rien; de sorte qu'avant la fin de l'automne les vivres commençaient à manquer. Quelle perspective pour un long hiver! L'on fut bientôt réduit à la dernière extrémité, à toutes les horreurs de la famine. L'on déterrait les morts pour se nourrir de leurs chairs corrompues; les mères mangeaient leurs propres enfans expirés sur leur sein faute de nourriture. Les liens du sang et de l'amitié furent oubliés; et pour conserver des jours presqu'éteints le fils se repaissait avec une effrayante énergie du cadavre de l'auteur de ses jours. Les suites ordinaires de ce fléau ne se firent pas attendre. Les maladies contagieuses éclatèrent et emportèrent une partie de ceux que la faim avait épargnés. Les missionnaires, comme toujours, se comportèrent en véritables hommes de Dieu au milieu de ces scènes de désolation. Leur noble et généreuse conduite repose la vue dans ce lugubre tableau.

Dans leur désespoir, plusieurs des malheureux Hurons attribuaient leur situation à ces apôtres dévoués. Les Iroquois nos ennemis mortels, s'écriaient-ils avec douleur, ne croient point en Dieu, ils n'aiment point les prières, leurs méchancetés sont sans bornes, et néanmoins ils prospèrent. Nous, depuis que nous abandonnons les coutumes de nos ancêtres, ils nous tuent, ils nous massacrent, ils nous brûlent, ils renversent nos bourgades de fond en comble. Que nous sert de prêter l'oreille à l'Évangile, puisque la foi et la mort marchent ensemble. Depuis que quelques uns de nous ont reçu la prière, on ne voit plus de têtes-blanches, ajoutaient-ils dans leur expressif langage, nous mourrons tous avant le temps. (Relation des Jésuites 1643-4).

En effet, des tribus qui comptaient huit cents guerriers étaient réduites à trente; il ne restait que des femmes et quelques vieillards.

Tandis que la faim et la maladie décimaient ainsi la population de l'île St. – Joseph, les Iroquois, au nombre de trois cents, s'étaient mis en campagne, et l'on ignorait de quel côté ils porteraient leurs coups. La bourgade de St. – Jean était la plus voisine depuis l'évacuation de celle de Ste. – Marie, et on y comptait 600 familles. L'irruption des Iroquois y fut regardée comme une bravade, et l'on marcha au-devant d'eux pour leur donner la chasse. Ceux-ci les évitèrent par un détour, et se présentèrent tout à coup au point du jour à la vue de St. – Jean. Ils firent leur cri et tombèrent sur la population éperdue le casse-tête à la main. Tout fut massacré ou traîné en esclavage. Le P. Garnier périt, comme le P. Daniel, au milieu de ses néophytes. Mais rien n'ébranlait le courage de ces religieux dévoués. Cependant les Hurons de l'île de St. – Joseph étaient réduits à 300. Qu'étaient devenus les autres? La famine et l'épidémie avaient chassé ceux qu'elles n'avaient pas tués, et qui ne quittèrent ce lieu que pour aller mourir plus loin. Une partie s'enfonça et périt dans les glaces en voulant gagner la terre ferme; les autres, divisés par troupes, s'étaient réfugiés dans des lieux écartés et dans les montagnes inaccessibles du Nord; mais les Iroquois comme des loups altérés de sang les poursuivirent dans leur retraite, et firent un affreux carnage de ces misérables épuisés par les souffrances inouïes qu'ils avaient endurées. Ceux qui survivaient à St-Joseph ne s'y croyant plus en sûreté, et s'attendant à être attaqués d'un moment à l'autre, supplièrent le P. Ragueneau et les autres missionnaires de se mettre à leur tête, de rassembler leurs compatriotes dispersés, et d'aller solliciter du gouverneur français une retraite où ils pussent cultiver tranquillement la terre, sous sa protection. Ils prirent la route du lac Nipissing et de la rivière des Outaouais afin d'éviter les Iroquois, route écartée dans laquelle cependant ils trouvèrent encore de terribles marques du passage de ces barbares; et après avoir été deux jours à Montréal, où ils ne se croyaient pas en sûreté tant leur terreur était profonde, ils arrivèrent à Québec en juillet 1650, où le gouverneur les reçut avec beaucoup de bienveillance.

De ceux qui ne les avaient pas suivis, les uns se mêlèrent avec des nations voisines sur lesquelles ils attirèrent la haine des Iroquois; d'autres allèrent s'établir jusque dans la Pensylvanie; ceux-ci remontèrent au-dessus du lac Supérieur, et ceux-là enfin se présentèrent à leurs vainqueurs, qui les reçurent et les incorporèrent avec eux. De sorte que non seulement leur pays, mais encore tout le cours de la rivière des Outaouais naguère très-peuplé, ne présentèrent plus que des déserts et des forêts inhabitées. Les Iroquois avaient mis douze ans pour renverser les frontières des Hurons, et ensuite moins de deux ans pour disperser cette nation aux extrémités de l'Amérique.

A l'époque où d'Aillebout prenait les rênes du gouvernement, un envoyé diplomatique de la Nouvelle-Angleterre arrivait à Québec pour proposer au Canada un traité de commerce et d'alliance perpétuelle entre les deux colonies, subsistant indépendamment des guerres qui pourraient survenir entre les deux couronnes, et à peu près semblable à celui qui venait d'être conclu avec l'Acadie. Cette proposition occupa quelque temps les deux gouvernemens coloniaux. Le Jésuite Druillettes fut même délégué à Boston pour cet objet en 1650 et 1651; mais les Français, dont le commerce était gêné par les courses des Iroquois, voulaient engager la Nouvelle-Angleterre dans une ligue offensive et défensive contre cette confédération indienne. Cette condition fit manquer la négociation. Les Anglais n'avaient point d'intérêt à se mêler de cette guerre, et ils ne voulaient pas courir le risque d'attirer sur eux les armes de ces Sauvages. (Voyez dans l'Append. (B.) la réponse du gouvernement fédératif de la Nouvelle-Angleterre).

Cette année si funeste par la destruction de presque toute la nation huronne, finit par la retraite de M. d'Aillebout, qui s'était vu avec douleur réduit à être le témoin inutile de cette grande catastrophe. Il s'établit et mourut dans le pays. M. de Lauson lui succéda. C'était un des principaux membres de la compagnie des cent associés, et il avait toujours pris une grande part à ses affaires. Il se montra aussi incapable dans son administration que cette compagnie s'était montrée peu zélée pour le bien de la colonie, qu'il trouva dans un état déplorable. Les Iroquois, enhardis par leurs succès inouïs dans les contrées de l'ouest du Canada, se rabattirent sur celles de l'est, et leurs bandes se glissaient à la faveur des bois jusque dans le voisinage de Québec. Ils tuèrent M. Duplessis Bochart, gouverneur des Trois-Rivières et brave officier, dans une sortie qu'il faisait contre eux. Mais ils s'aperçurent bientôt cependant qu'ils n'auraient rien à gagner contre les Français. Ils prirent en conséquence le parti de demander la paix, qui fut signée et ratifiée en 1653 et 1654. Elle répandit une joie universelle parmi les Indiens, et ouvrit de nouveau les cinq cantons au zèle des missionnaires 87.

Note 87:(retour) Les PP. Lemoine, Chaumonot, Dablon, Lemercier, Mesnard, Fremin y évangélisèrent.

Cette paix en rendant libres toutes les communications, dévoila de nouveaux intérêts et fit naître de nouvelles jalousies. Les quatre cantons supérieurs, en faisant le commerce des pelleteries avec les Français, excitèrent l'envie des Agniers, voisins d'Orange, qui dès lors désirèrent la guerre, pour mettre fin à un négoce qu'ils regardaient comme leur étant préjudiciable. Pour des raisons contraires ceux-là ne voulaient pas rompre avec le Canada avec lequel ils pouvaient communiquer plus facilement qu'avec la Nouvelle-Belgique. Dans cet état de choses, la paix ne pouvait durer longtemps; et les Agniers qui l'avaient signée malgré eux, n'attendaient qu'un prétexte pour se mettre en campagne; ils le trouvèrent bientôt.

Vers 1655, la confédération acheva de détruire les Eriés, qui habitaient les bords méridionaux du lac qui porte leur nom. Le canton des Onnontagués vit dans cet événement une nouvelle raison de resserrer d'avantage son alliance avec les Français; et inspiré par les missionnaires, il pria M. de Lauson de former un établissement dans le pays, chose que l'on désirait depuis longtemps. L'année suivante, le capitaine Dupuis partit pour s'y rendre avec 50 colons. Les habitans de Québec, répandus sur le rivage, les regardèrent s'éloigner comme des victimes livrées à la perfidie indienne, et qu'ils ne comptaient plus revoir. Cette petite colonie s'arrêta sur le lac Gannentaha (Salt Lake), dans l'endroit où est aujourd'hui le village de Saline (Nouvelle-York). Elle ne fut pas plutôt au milieu des Onnontagués qu'ils en devinrent jaloux. Les Agniers avaient, à la première nouvelle du départ de Dupuis, envoyé 400 hommes pour la surprendre en route et la détruire toute entière s'il était possible; mais ils n'avaient pu l'atteindre. Ce guet-apens fit reprendre les armes; et la guerre recommencée mit fin à tous les avantages que les quatre cantons attendaient de leur traité avec le Canada; les Onnontagués se refroidirent d'abord, et ensuite conspirèrent contre leurs hôtes.

Les Hurons descendus avec le P. Ragueneau avaient été établis dans l'île d'Orléans, où ils cultivaient la terre. Un jour une bande d'Agniers en surprit 90 de tout âge et de tout sexe, en tua une partie et fit le reste prisonnier. Ces malheureux ne se croyant plus en sûreté dans l'île, revinrent à Québec, et de dépit de ce que les Français, à leur gré, ne leur accordaient pas assez de protection, une partie d'entre eux se donna tout à coup et sans réfléchir aux Agniers, puis ensuite regretta sa précipitation. Ce peuple semblait avoir perdu la capacité de se gouverner. Ils finirent les uns par passer aux Onnontagués, les autres aux Agniers, et le reste par demeurer au milieu des Français. C'est à cette occasion que les Agniers envoyèrent une députation de 30 délégués à Québec, pour réclamer les Hurons qui s'étaient donnés à eux. Elle eut l'audace de demander au gouverneur d'être entendu dans une assemblée générale des blancs et des Indiens, et celui-ci eut la faiblesse de l'accorder. Elle parla avec insolence à cet homme incapable qui ne savait pas même se faire respecter, et qui sembla dans cette circonstance recevoir humblement la loi d'une simple peuplade iroquoise.

Ce gouverneur, dénué de toute énergie, eut pour successeur le vicomte d'Argenson, qui débarqua à Québec en 1658. C'était au moment où la guerre devenait la plus vive. Dupuis arrivait du lac Gannentaha. Il avait été informé dans l'hiver par un Sauvage mourant, de ce que des mouvemens de guerriers dans les cantons lui avaient déjà fait pressentir, que la destruction de sa colonie avait été résolue. N'étant pas assez fort pour résister, il dut songer au moyen de s'échapper. A cet effet dès que le petit printemps fut venu, il donna un grand festin aux Iroquois; et pendant qu'ils étaient encore plongés dans le sommeil et dans l'ivresse, il partit par la rivière Oswego, avec tout son monde dans des canots qu'il avait fait construire secrètement.

Le vicomte d'Argenson trouva le Canada en proie aux courses et aux déprédations des Sauvages. On ne marchait plus qu'escorté et armé dans la campagne. Les annales de cette époque contiennent des relations de nombreux faits d'armes et d'actes de courage individuel extraordinaires: tout le monde était devenu soldat.

En 1660, 17 colons, commandés par Daulac, furent attaqués par 500 ou 600 Iroquois dans un mauvais fort de pieux au pied du Long-Sault; ils repoussèrent, aidés d'une cinquantaine de Hurons ou Algonquins, tous leurs assauts pendant dix jours. Abandonnés à la fin par la plupart de leurs alliés, le fort fut emporté et ils périrent tous. Un des quatre Français qui restaient avec quelques Hurons lorsque l'ennemi pénétra dans l'intérieur de la place, voyant que tout était perdu, acheva à coups de hache ses camarades qui n'étaient que blessés, pour les empêcher de tomber vivans entre les mains du vainqueur. 88

Note 88:(retour) Relation des Jésuites.

Le dévouement de Daulac et de ses intrépides compagnons, sauva le pays, ou du moins arrêta les premiers efforts de l'orage qui allait éclater sur lui, et en détourna le cours. En effet, les ennemis, dont la perte avait été très-considérable, furent si effrayés de cette résistance, qu'ils abandonnèrent une grande attaque qu'ils s'en allaient faire sur Québec, où la nouvelle de leur approche avait jeté la consternation. Leur projet était, après s'être emparé de cette ville, de mettre tout à feu et à sang dans le pays. Tous les couvens qui étaient de pierre à Québec furent fortifiés, percés de meurtrières, et armés. Une partie des habitans se retira dans les forts; les autres mirent leurs maisons en état de défense. L'on se barricada de tous côtés dans la basse ville, où l'on posa plusieurs corps de garde. Toute la population était sous les armes et veillait nuit et jour, chacun étant déterminé de vendre chèrement sa vie.

Un Huron, le seul des compagnons de Daulac qui s'échappa, informa le premier les habitans de la retraite des Iroquois. On chanta le Te Deum dans les églises en action de grâces; mais l'on ne fut complètement rassuré que longtemps après, car l'on craignait encore que ces barbares ne vinssent dans l'automne ravager les campagnes.

Cependant ils se lassèrent encore une fois d'une guerre dans laquelle ils n'avaient de succès que sur des hommes isolés, et qui leur coûtait beaucoup de monde. Ils commencèrent par retirer leurs partis du Canada, et les cantons d'Onnontagué et de Goyogouin envoyèrent des députés à Montréal pour demander la paix. Quoique l'on eût peu de confiance dans la parole de ces Sauvages, le gouverneur pensa qu'une mauvaise paix valait encore mieux qu'une guerre avec des ennemis qu'il ne pouvait atteindre ni aller attaquer dans leur pays, faute de soldats. Ces deux cantons, où il y avait plusieurs chrétiens, demandaient aussi un missionnaire. Le P. Lemoine s'offrit d'y aller; il fut chargé de la réponse du gouverneur et des présens qu'il leur envoyait.

La négociation en était là, lorsque le baron d'Avaugour arriva en 1661, pour relever le vicomte d'Argenson que la maladie, les difficultés et les dégoûts décidèrent à demander sa retraite avant le temps. L'on porta sous son administration les découvertes, d'un côté jusqu'au de là du lac Supérieur chez les Sioux, et de l'autre chez les Esquimaux de la baie d'Hudson.

Le nouveau gouverneur était un homme résolu et d'un caractère inflexible. Il s'était distingué dans les guerres de la Hongrie; et il apporta dans les affaires du Canada la roideur qu'il avait contractée dans les camps.

En arrivant, il visita tous les postes de la colonie, et admira les plaines chargées de blé. Il dit qu'on ne connaissait pas la valeur de ce pays en France; que sans cela on ne le laisserait pas dans le triste état dans lequel il le trouvait. Il écrivit à la cour ce qu'il avait vu, et demanda les secours en troupes et en munitions qu'on lui avait promis. C'est alors qu'on reçut des nouvelles du P. LeMoine.

Dans une assemblée solennelle des députés d'Onnontagué, de Goyogouin et de Tsonnonthouan, il communiqua la réponse qu'il était chargé de faire, et déposa les présens pour les cantons. Quelques jours après, ils l'informèrent qu'ils allaient envoyer une ambassade à Québec, dont Garakonthié serait le chef. Ce Sauvage avait beaucoup d'estime pour les Français. C'était un homme doué d'un grand talent naturel, et qui avait acquis beaucoup de crédit dans sa nation par son intrépidité à la guerre, sa sagesse et son éloquence dans les conseils; ce choix était d'un bon augure. Garakonthié fut très bien reçu à Montréal par le gouverneur, dont il agréa toutes les propositions. Le traité fut ratifié vers 1662.

Cependant M. d'Avaugour, d'après les avis qu'il recevait de la confédération, dont deux cantons avaient refusé de prendre part à la paix, ne croyait pas à sa durée. Il fit les remontrances les plus énergiques au roi sur l'état du Canada, et le pria très instamment de prendre cette colonie sous sa protection. Toutes les personnes en place écrivirent dans le même sens à la cour. Le gouverneur des Trois-Rivières, M. Boucher, fut chargé d'aller y porter ces représentations. Le roi lui fit un très bon accueil, et envoya immédiatement 400 hommes de troupes à Québec. Il nomma en même temps M. de Monts pour aller examiner l'état de la colonie par ses yeux et lui en faire rapport. Une pareille commission annonce ordinairement un changement de politique; l'arrivée de M. de Monts, qui avait pris possession du fort de Plaisance au nom de la couronne, en passant à Terreneuve, causa une grande joie aux habitans, qui commencèrent enfin à croire que le roi allait s'intéresser tout de bon à leur sort.

C'est dans cette même année qu'éclatèrent les dissensions entre le gouverneur et l'évêque de Pétrée, M. de Laval, dissensions qui troublèrent toute la colonie. Mais il est nécessaire de reprendre à ce sujet les choses d'un peu plus haut.

Depuis l'établissement du pays, faute de juges et d'autres fonctionnaires publics, le gouvernement ne subvenant point aux dépenses d'une administration civile régulière, les missionnaires s'étaient trouvés insensiblement et par consentement tacite, chargés d'une partie des devoirs de ces officiers dans les paroisses. Jetés ainsi hors du sanctuaire, ces ecclésiastiques acquirent, par leur éducation et par leur bonne conduite, une autorité dont ils finirent par se croire les légitimes possesseurs, mais dont la jouissance excita bientôt la jalousie des gouverneurs et du peuple, surtout depuis l'arrivée de M. de Pétrée, dont l'esprit dominateur avait excité d'avance les préventions de M. d'Avaugour, le dernier homme au monde qui eût voulu laisser gêner sa marche par un corps qui lui semblait sortir de ses attributions.

Lors de son arrivée, l'on avait remarqué qu'il avait visité les Jésuites sans faire la même faveur à l'évêque, et que bientôt après il avait nommé leur supérieur à son conseil, quoique depuis l'érection du vicariat général, il y eût été remplacé par ce même évêque 89. On usa d'abord de part et d'autre de certains ménagemens; mais un éclat devint inévitable, et la traite de l'eau de vie en fut le prétexte. Ainsi commencèrent ces longues querelles entre l'autorité civile et l'autorité ecclésiastique qui se répétèrent si souvent dans ce pays sous la domination française.

De tout temps la vente des boissons aux Sauvages y avait été, sur les représentations des missionnaires, défendue par des ordonnances très-sévères et souvent renouvelées, ainsi qu'en font foi les actes publics. Le gouvernement, tout entier à son zèle religieux, avait oublié qu'en se mettant ainsi à la discrétion du clergé, il ouvrait la porte à mille difficultés, en ce qu'il assujétissait l'un à l'autre deux pouvoirs qui doivent être indépendans 90.

Note 89:(retour) Journal des Jésuites. Ce manuscrit de la main des PP. J. Lallemant, Ragueneau et Lemercier, supérieurs successifs des Jésuites en ce pays, de 1645 à 1672, m'a été procuré par M. G. B. Faribault, bien connu pour l'ardeur avec laquelle il s'occupe depuis plusieurs années à recueillir et tirer de l'oubli divers matériaux propres à l'histoire du Canada; et auteur d'un catalogue raisonné d'ouvrages sur l'Amérique.

Note 90:(retour) Vide Etat présent de l'Eglise et de la colonie Française dans la Nouvelle-France, par M. l'Evêque de Québec, (St. Vallier) «Ils (les habitans de Port-Royal) me parurent sincèrement disposés à modérer, nonobstant leurs intérêts, le commerce de l'eau-de-vie avec les Sauvages si on le jugeait nécessaire, me conjurant même d'obtenir sur cela de nouvelles ordonnances, et de tenir la main à l'exécution de celles que le roi a déjà faites dans toute la colonie, pour ne pas retarder la conversion de tant de barbares, qui semblent n'avoir que ce seul obstacle à rompre pour devenir des parfaits chrétiens.»

D'abord les inconvéniens se firent peu sentir; mais lorsque le pays commença à prendre de l'accroissement, qu'il fut gouverné par des hommes jaloux de leur autorité, et que les Indiens purent se procurer des spiritueux dans la Nouvelle-York et la Nouvelle-Angleterre, où ce négoce, malgré les défenses, n'éprouvait aucune entrave réelle, l'on découvrit la position anormale dans laquelle on s'était placé. L'obligation qu'on avait pour ainsi dire contractée envers le sanctuaire, se trouva mettre obstacle, dans l'opinion de quelques uns des administrateurs, au commerce de la colonie et au système d'alliance avec les Indigènes adopté par la France.

Quelques gouverneurs pour sortir d'embarras voulurent composer avec l'évêque, offrant de faire des réglemens pour arrêter les désordres; mais le clergé catholique, dont le chef siégeant à Rome, et jaloux avec raison de l'indépendance de la religion, transige rarement avec la raison d'état des divers peuples soumis à son pouvoir spirituel, exigea sans réserve l'accomplissement de cette obligation, et parut ainsi intervenir dans l'action de l'autorité politique. Les gouverneurs pieux ne virent dans cette intervention que la réclamation d'un droit; ceux qui pensaient que l'action du gouvernement doit être absolument indépendante du sacerdoce, la regardèrent comme une prétention dangereuse. M. d'Avaugour était du nombre de ces derniers.

Ainsi la question se présentait sous deux aspects, selon qu'on la regardait sous le point de vue religieux, ou sous le point de vue politique. Mais il était facile de la simplifier. Dès que le Canada cessa d'être une mission et devint une société de colons européens, le gouvernement civil devait reprendre tous ses droits et toute son autorité. Cette politique, la seule logique, eût mis fin aux réclamations du clergé qui n'aurait plus eu de prétexte pour empiéter dans une sphère qui lui était étrangère. Nul doute, du reste, que la conduite du gouvernement dans cette question n'aurait pas été différente de ce qu'elle a été; c'est-à-dire, que la traite des liqueurs fortes n'aurait jamais été rendue libre chez les Indiens, car l'intérêt politique et commercial commandait impérieusement la plus grande circonspection à cet égard. Aussi les colonies anglaises avaient-elles des lois préventives, tout comme le Canada, quoique pour des motifs différens; mais elles les observaient plus ou moins strictement selon l'urgence des circonstances.

Quoi qu'il en soit, les difficultés commencèrent entre le baron d'Avaugour et M. de Pétrée à l'occasion d'une veuve qui vendait de l'eau de vie aux Sauvages en contravention aux lois. Cette femme fut jetée en prison. Un Jésuite voulut intercéder pour elle et la justifier. Le gouverneur qui venait de faire fusiller trois hommes pour la même offense (Journal des Jésuites), et troublé peut-être par le remords d'avoir laissé infliger une peine qui était hors de toute proportion avec le crime, s'écria avec colère, que puisque la traite de l'eau de vie n'était pas une faute pour elle, elle ne le serait à l'avenir pour personne, et qu'il ne voulait plus être le jouet de ces contradictions.