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Loe raamatut: «Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome I», lehekülg 20

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CHAPITRE II.
DÉCOUVERTE DU MISSISSIPI.
17 Juin, 1673

Des découvertes des Français dans l'intérieur de l'Amérique septentrionale. – Voyageurs et missionnaires. – Les Jésuites: activité et courage des missionnaires de cet ordre. – Voyages au Nord: le P. Le Quen découvre le lac St. – Jean (Saguenay), 1647; et Desprès Couture pénètre pur cette route à la baie d'Hudson (1663). – Voyages dans l'Est et dans l'Ouest: le P. Druillettes va du St. – Laurent à la mer par les rivières Chaudière et Kénébec. – Les lacs Erié, Huron et Michigan sont successivement visités. – Deux jeunes traitans se rendent en 1659 à la tête du lac Supérieur et jusqu'aux Sioux; nombreuses tribus de ces contrées. – Excursions apostoliques des PP. Raimbault, Jogues et Mesnard; les PP. Allouez et Dablon s'avancent jusqu'aux limites de la vallée du Mississipi, où ils sont informés par les Indigènes qu'elle est arrosée par un grand fleuve. – Le P. Marquette et Joliet, de Québec, choisis par Talon pour aller reconnaître la vérité de ce rapport, parviennent à ce fleuve le 17 juin 1673, et le descendent jusqu'à la rivière des Arkansas. – Sensation que fait en Canada cette découverte. – La Salle résout de descendre le nouveau fleuve jusqu'à la mer. – Il bâtit à Niagara le premier vaisseau (le Griffon) qui ait navigué sur les lacs Erié, Huron et Michigan; il construit le fort des Miâmis, et le fort de Crèvecoeur sur la rivière des Illinois. – Le P. Hennepin remonte le Mississipi jusqu'au Sault-St. – Antoine, et tombe entre les mains des Sioux-Difficultés et embarras de tous genres de la Salle, qui triomphe de tous les obstacles et réussit enfin à reconnaître le Mississipi jusqu'à la mer en 1682, et donne le nom de Louisiane aux immenses contrées que traverse ce fleuve. – Il va rendre compte de ses découvertes à Louis XIV, après s'être fait précéder à Paris par le P. Mambré; gracieux accueil qu'il reçoit du roi.

Si nous voulions caractériser en peu de mots ce qui a amené les Européens en Amérique, nous dirions que les Espagnols y vinrent pour chercher de l'or, les Anglais la liberté civile et religieuse, et les Français pour y répandre les lumières du christianisme. Leurs missionnaires, ayant leur point d'appui à Québec, se répandirent en effet de là parmi toutes les tribus indiennes, depuis la baie d'Hudson jusque dans les contrées qu'arrosent les eaux du bas Mississipi. Un bréviaire suspendu au cou et une croix à la main, ils ont souvent devancé nos plus intrépides voyageurs. On leur doit la découverte de plusieurs vastes pays, avec les peuples desquels ils formaient alliance au nom de cette même croix qu'ils mettaient entre eux et le ciel. L'effet que cet emblème religieux produisait sur l'esprit des Sauvages, devait avoir, au milieu des forêts sombres et silencieuses du Nouveau-Monde, quelque chose de triste et de touchant qui désarmait, qui amollissait leurs coeurs farouches, mais neufs et sensibles aux sentimens profonds et vrais. C'étaient dans ces sensations que le missionnaire français fondait l'amitié qui le faisait rechercher de l'homme des bois. Les doctrines douces qu'il enseignait, contribuaient aussi à resserrer les noeuds qui l'unissaient à ses néophytes. Delà les facilités qu'il trouvait pour pénétrer d'une cabane à une autre cabane, d'une peuplade à une autre peuplade, jusque dans les contrées les plus reculées.

Ces missionnaires, dont quelques uns étaient Récollets, appartenaient pour la plupart à la fameuse compagnie de Jésus, qui n'était jamais plus grande que quand elle employait ses lumières pour répandre la civilisation chez les peuples barbares de toutes les parties du monde. Cet ordre fut établi, comme l'on sait, dans le temps de là réformation, à la fois pour mettre un frein au bouleversement que cette grande révolution morale avait causé dans les idées religieuses, et pour aller prêcher la foi aux infidèles. Ses règles ne permettaient d'admettre que des hommes dévoués, qui, tout en ayant une grande énergie mentale, devaient faire abnégation d'eux-mêmes et se soumettre à un joug absolu. Les intérêts particuliers étaient sacrifiés à la volonté d'un seul, le pape, et à l'avantage de la compagnie. C'est cette obéissance aveugle à un souverain étranger, au pontife Romain, qui détermina probablement dans la suite l'abolition de la société dans la plupart des Etats catholiques, jointe si l'on veut à la passion de trop faire sentir son influence, qui s'empara de l'ordre dès qu'il connut ce qu'il pouvait oser et ce qu'il pouvait faire.

Cet ordre en effet, devait, par son organisation, acquérir une puissance morale prodigieuse. Faisant voeu de pauvreté, de chasteté et d'obéissance absolue, et se livrant exclusivement à l'enseignement, à la prédication et à la confession, les Jésuites se mettaient du coup au dessus du clergé séculier qu'ils devaient finir par maîtriser. Dirigés par la main habile de Rome qu'ils reconnaissaient pour seule maîtresse, avec ces trois grands moyens, l'école, la chaire et le confessionnal, que ne pouvaient-ils pas espérer? Leurs couvens devinrent en peu de temps les meilleures écoles de l'Europe. Séparés du monde, ils formèrent une espèce de république intellectuelle, soumise à la discipline la plus stricte, et dont le mot d'ordre était obéi d'une extrémité de la terre à l'autre, partout où elle avait des membres. Son influence s'étendit en peu de temps sur les savans et sur les ignorans, sur les trônes les plus élevés et sur les plus humbles chaumières. Les Jésuites présentèrent pour la seconde fois le phénomène d'hommes qui, saisis d'une ambition et d'un héroïsme religieux qui méprisait tous les obstacles, allaient soumettre les infidèles à la foi, non pas comme les croisés, par le fer et la flamme, mais comme le Christ, par une éloquence persuasive qu'ils portèrent, au milieu des fatigues et des dangers, jusqu'aux extrémités du monde. Ils firent briller la croix des rives du Japon aux forêts du Nord-Ouest de l'Amérique, et depuis les glaces de l'Islande jusqu'aux îles de l'Océanie. De quelque manière que l'on envisage un pareil dévouement, l'on ne peut s'empêcher d'admirer une résignation si profonde chez des hommes dont les lumières et les talens devaient dissiper tout fanatisme crédule, tout sentiment d'obéissance aveugle et sans but. Ces hommes dont l'existence était toute intellectuelle, s'étaient donc fait une image bien parfaite des dogmes religieux et sociaux, puisqu'ils allaient si loin et enduraient tant de fatigues pour les répandre, sans en retirer aux yeux du monde des avantages équivalens pour eux-mêmes.

C'est ce dévouement héroïque et humble tout à la fois, qui a étonné le philosophe et conquis l'admiration des protestans, qui ont voulu aussi les imiter. C'est lui qui a inspiré de si belles pages à M. Bancroft, l'éloquent historien des colonies qui forment maintenant les États-Unis, à la noblesse des sentimens, et à l'impartialité duquel en ce qui touche le Canada, je me plais à rendre ici hommage. Ecoutons ce qu'il dit des missionnaires infatigables de la Nouvelle-France: – «Trois ans après la seconde occupation de ce pays (1636), le nombre des Jésuites s'élevait dans la province à quinze; et toutes les traditions rendent témoignage à leur mérite. Ils avaient les défauts qui dérivent d'une superstition ascétique; mais ils supportaient les horreurs d'une vie canadienne dans le désert avec un courage passif invincible et une profonde tranquillité d'âme. Privés des choses qui rendent la vie agréable, éloignés des occasions de satisfaire une vaine gloire, ils étaient morts au monde, et leur âme jouissait d'une paix inaltérable. Le petit nombre de ceux qui ont vécu vieux, courbés sous le poids de longs travaux, était encore animé d'une ferveur, d'un zèle tout apostolique. L'histoire des travaux des missionnaires se rattache à l'origine de toutes les villes célèbres de l'Amérique française; pas un cap n'a été doublé, pas une rivière n'a été découverte, sans qu'un Jésuite en ait montré le chemin».

De leur côté, les voyageurs guidés tantôt par le désir de s'illustrer par de brillantes découvertes, tantôt par un esprit aventureux et avide de nouveautés, tantôt enfin par l'amour des richesses tout à la fois et de l'indépendance, ont sur plusieurs points, devancé les missionnaires. Les plus célèbres sont, Champlain lui-même, Perrot, Joliet et la Salle.

Nous avons vu déjà que le fondateur de Québec a découvert pour sa part le lac Champlain, le lac Ontario, le lac Nipissing au nord du lac Huron, et remonté une grande partie de la rivière des Outaouais. Tandis qu'il agrandissait ainsi vers l'Ouest le champ de la géographie américaine, le P. d'Olbeau, en mission chez les Montagnais de Tadoussac, parcourait les pays montagneux et pittoresques qu'arrosent les eaux du Saguenay. Il visita les Betsiamites et d'autres tribus qui habitaient les contrées situées au septentrion du golfe St. – Laurent; mais il ne paraît pas qu'il ait, lui, remonté bien haut vers la source du Saguenay. Ce n'est qu'en 1647 que le lac St. – Jean, que traversait cette rivière au sein de la nation du Porc-Epic, fut découvert par le P. Le Quen. Plus tard les PP. Druillettes et Dablon s'élevèrent jusqu'à la source de la rivière Nekouba, un peu plus qu'à mi-chemin entre le St. – Laurent et la baie d'Hudson, cherchant à pénétrer dans la mer du Nord, dont les nations avaient fait demander un missionnaire aux Français et la traite. L'on reprit ce projet dans la suite avec plus de succès comme on va le voir.

La recherche d'un passage aux Indes par le Nord-Ouest avait amené la découverte de la baie d'Hudson. C'est au vénitien Cabot qu'est dû l'honneur de la première tentative à cet égard; il découvrit le Labrador. Alphonse de Xaintonge, celui-là même qui avait accompagné Roberval en Canada, marcha sur ses traces; Frobisher, navigateur anglais, le suivit; Davis, sans voir la baie d'Hudson, pénétra en 1585, jusqu'au col de celle de Baffin; et enfin Hudson, homme de mer habile et hardi, se plongea dans la vaste baie qui porte son nom vers 1610, et longea une partie de ses côtes arides. C'est dans ce voyage que ce célèbre navigateur périt victime de la mutinerie de son équipage. Jean Bourdon, montant un petit bâtiment de 30 tonneaux, osa s'avancer jusqu'au fond de cette baie en 1656, pour lier commerce avec les indigènes. Ce navigateur prit possession du pays au nom de la France, qui, quelques années après, crut devoir faire renouveler cette cérémonie.

A cet effet Desprès Couture, qui avait accompagné Druillettes et Dablon dans leur expédition au Saguenay, fut choisi pour s'y rendre par terre. Plus heureux qu'eux, il parvint enfin à la mer dans le fond de la baie, en 1663, et eut l'honneur de terminer glorieusement une entreprise où plusieurs avaient échoué avant lui. Comme l'embouchure du Saguenay était, depuis la découverte du Canada, un poste de traite considérable, l'on avait toujours désiré établir des relations plus intimes avec les peuples qui habitaient et les contrées où cette rivière prend sa source, et celles beaucoup plus reculées de la baie d'Hudson: l'on venait donc de faire un grand pas. Mais les Anglais, ainsi qu'on le verra ailleurs, conduits par deux transfuges huguenots, profitèrent les premiers de ces découvertes, et des relations établies avec les naturels, pour y former des établissemens; mais ils éprouvèrent bientôt après de la part de leurs conducteurs la même trahison dont ceux-ci s'étaient rendus coupables envers leur patrie pour les mettre en possession de cette contrée.

Au sud du St. – Laurent, le P. Druillettes est le premier Européen qui se soit rendu de ce fleuve à l'Atlantique en remontant la rivière Chaudière et en descendant celle de Kénébec qui se jette dans la mer dans l'Etat du Maine (1646). Il fut l'apôtre des Abénaquis dont il mérita l'estime et la vénération; et il rendit de grands services à la colonie en cimentant l'amitié qui unit ensuite les Français à cette nation intrépide que les Iroquois même n'osèrent jamais attaquer.

Cependant les traitans et les missionnaires s'enfonçant toujours plus avant dans l'intérieur de l'Amérique en remontant le cours du fleuve St. – Laurent, étaient parvenus jusqu'à l'extrémité supérieure du lac Huron. Les PP. Bréboeuf, Daniel, Lallemant, Jogues, Raimbault et plusieurs autres membres de leur ordre, avaient fondé les villages chrétiens, entre autres, de St. – Joseph, St. – Michel, St. – Ignace, et de Ste. – Marie. Ce dernier placé sur la décharge du lac Huron dans le lac Erié, fut longtemps le point central des missions de cette partie reculée du pays. Plus tard, en 1671, les débris des Hurons, fatigués d'errer de contrées en contrées, se fixèrent à Michilimackinac au pied du lac Supérieur, sous la conduite du P. Marquette 127. C'est le premier établissement fondé par un Européen dans l'Etat du Michigan. Les Indiens qu'on trouva domiciliés dans le voisinage, reçurent des Français le nom de «Sauteurs» à cause de leur proximité du Sault-Ste. – Marie; ils étaient de la famille algonquine.

Note 127:(retour) Le nom de cette localité vient d'une île petite, mais fameuse autrefois dans ces contrées, et d'une si grande hauteur qu'on l'aperçoit à une distance de 12 lieues; elle se trouve au point de jonction des lacs Huron, Michigan et Supérieur.

Dans l'espace de treize ans, (de 1634 à 1647) ces vastes pays furent visités par dix-huit missionnaires Jésuites outre plusieurs Français attachés à leur ministère, qui entraînés par leur zèle, se répandirent parmi toutes les tribus huronnes dont Charlevoix exagère beaucoup la population en la portant à quarante ou cinquante mille âmes. L'hostilité des Iroquois, rendant la navigation du lac Ontario dangereuse, obligeait pour atteindre ces contrées de passer par la rivière des Outaouais; de sorte que la nation Neutre visitée par Champlain, et le sud du lac Erié au-delà de Buffalo, étaient restés presqu'inconnus; on résolut vers 1640 d'y envoyer les PP. Chaumonot et Bréboeuf, et leur voyage compléta la reconnaissance de la grande vallée du St. – Laurent, depuis le pied du lac Supérieur jusqu'à l'Océan.

Les deux Jésuites, Charles Raimbault et Isaac Jogues, envoyés vers le lac Supérieur, après une navigation de dix sept jours, dont une partie au milieu des îles nombreuses et pittoresques du lac Huron, trouvèrent au Sault-Ste. – Marie un assemblage de deux mille Indiens, par lesquels ils furent très bien accueillis. A mesure que l'on avançait, les bornes du continent américain semblaient reculer; ils apprirent là les noms d'une foule de nations qui habitaient les contrées du Sud et de l'Ouest, et qui n'avaient jamais vu d'Européens; et entre autres les Sioux dont le pays était à dix-huit jours de marche du lac Supérieur. On leur parla aussi de tribus guerrières vivant de la culture du sol, dont la race et la langue étaient inconnues. «Ainsi, observe un auteur américain, le zèle religieux des Français avait porté la croix sur les bords du Sault-Ste. – Marie et sur les confins du lac Supérieur, d'où elle regardait déjà la terre des Sioux dans la vallée du Mississipi, cinq ans avant qu'Elliot, de la Nouvelle-Angleterre, eût adressé seulement une parole aux Indiens qui étaient à six milles du havre de Boston».

L'on peut dire qu'à cette époque (1646) la force du Canada résidait complètement dans les missionnaires, qui conservaient dans son alliance toutes les nations indigènes, excepté les Iroquois. La colonie languissante et sans moyens menaçait ruine; oubliée de la métropole, sa population augmentait à peine, et son commerce était presqu'anéanti; sans soldats et sans argent, elle était à la merci des Sauvages au milieu desquels elle avait été jetée. Les cinq cantons se vantaient même hautement de chasser bientôt Montmagny et les Français au de là de la mer, d'où ils étaient venus. Mais l'activité et la hardiesse des missionnaires et des traitans, que l'on trouvait partout sur les bords de la baie d'Hudson, sur les côtes du golfe St. – Laurent, et jusqu'à l'entrée des forêts du Michigan, donnaient aux peuplades qu'ils visitaient une haute idée de la nation française. Elles ne pouvaient voir en effet sans une espèce d'étonnement, ses prêtres et ses voyageurs s'abandonner seuls au milieu de leurs forêts, à la recherche de tribus inconnues, et s'enfoncer courageusement vers le nord, vers le midi, vers le couchant, dans des contrées que leur imagination leur peignait remplies de dangers et peuplées d'hommes et d'animaux cruels et féroces. Le merveilleux dont l'ignorance aime à envelopper tout ce qu'elle ne connaît pas, s'attachait à la personne même des Français par cela seul qu'ils étaient supposés avoir vu des choses extraordinaires, et leur donnait une influence salutaire qu'ils savaient mettre à profit pour l'avantage de la colonie. La crainte des Iroquois faisait aussi rechercher par les tribus indiennes l'alliance du Canada, alliance qui, réduite en système appuyé sur les missions, était devenue à son tour la sauvegarde de ce même pays.

En 1659, deux jeunes traitans 128, entraînés par la curiosité et leur esprit aventureux, se mêlèrent à quelques bandes algonquines et côtoyèrent avec elles les bords du lac Supérieur où ils passèrent l'hiver. Les yeux fixés sur les immenses solitudes de l'Ouest, ils recueillirent avec avidité ce qu'une bourgade huronne, qu'ils trouvèrent établie à l'extrémité supérieure du lac, leur dit des Sioux à peine connus des Indiens dont nous avons parlé jusqu'à présent, et ils résolurent de les visiter. Ils virent dans leur route de nombreux débris des nations vaincues et dispersées par la confédération iroquoise, traînant dans les forêts une existence misérable. Les Sioux leur parurent un peuple puissant, dont les moeurs étaient plus douces que celles des Sauvages de l'Est. Ils étaient partagés en quarante bourgades très populeuses. Un missionnaire qui est allé ensuite dans leur pays, a témoigné à l'historien de la Nouvelle-France, qu'ils étaient doués d'un très bon sens naturel, qu'ils n'exerçaient point envers leurs prisonniers ces cruautés qui déshonoraient la plupart des autres nations du continent, et qu'ils avaient conservé une connaissance assez distincte d'un seul Dieu. Il paraît que leur manière de croire avait quelque ressemblance avec celle des Tartares. Ces deux intrépides voyageurs revinrent à Québec en 1660, escortés de soixante canots algonquins remplis de fourrures. Ils confirmèrent ce que deux autres Français, qui s'étaient rendus jusqu'au lac Michigan quatre ans auparavant, avaient rapporté de la quantité de tribus qui erraient dans toutes ces contrés, et des Kristinots dont les cabanes s'élevaient jusqu'à la vue des mers du Nord.

Note 128:(retour) Relation des Jésuites (1659-1660).

Le P. Mesnard partit cette année là avec les Algonquins dont nous venons de parler, pour aller prêcher l'Evangile aux Outaouais et aux autres peuplades répandues sur le lac Supérieur 129. Il s'arrêta d'abord huit mois dans une baie qu'il nomma Ste. – Thérèse, probablement la baie de Kiwina sur la rive sud de ce lac, où il ne trouva pour nourriture que du gland et de l'écorce d'arbres pilée. Delà, invité par les Hurons, il partit pour la baie de Cha-gouïa-mi-gong, ou du St. – Esprit, à l'extrémité occidentale du lac, où le défaut de chasse et l'éloignement mettaient ces Sauvages à l'abri des atteintes des Iroquois; mais tandis que son compagnon de voyage était occupé à leur canot, il entra dans le bois et ne reparut plus. Cet homme avait une grande réputation de sainteté parmi les Indiens, dans l'esprit desquels il avait su s'insinuer. Plusieurs années après l'on reconnut sa soutane et son bréviaire chez les Sioux, qui les conservaient comme des reliques et leur rendaient une espèce de culte. Les Sauvages avaient un respect superstitieux pour les livres qu'ils prenaient pour des esprits. Quatre ou cinq ans après la mort du P. Bréboeuf et du P. Garnier, que les Iroquois avaient fait périr, un missionnaire trouva entre les mains de ces barbares qui les conservaient soigneusement un Testament et un livre de prières qui leur avaient appartenus.

Note 129:(retour) Relation des Jésuites (1660).

Dès ce temps reculé les traitans et les missionnaires savaient déjà que l'Amérique septentrionale était séparée du vieux monde par la mer. La relation des Jésuites de 1650-1660 contient ces paroles: – «Au levant, au sud, au couchant et au nord, ce continent étant entouré d'eau, doit être séparé du Groenland par quelque trajet dont on a déjà découvert une bonne partie; et il ne tient plus qu'à pousser encore quelques degrés pour entrer tout à fait dans la mer du Japon».

C'est en 1665 que le P. Allouez partit pour le lac Supérieur. La magnificence du spectacle que présente l'entrée de ce vaste bassin de notre globe, rarement surpassée par la nature grandiose et tourmentée des pays du Nord, dut exciter son admiration. Après avoir longé les montagnes de sable que les vents et les flots ont soulevées le long du rivage, et suivi l'espace de douze milles, un cap formé par l'extrémité ouest des Laurentides, de trois cents pieds de hauteur, dans lequel la violence des vagues a taillé des arches, des cavernes, des tours gigantesques, et dont le pied est jonché de débris qui semblent de loin des murailles, des édifices en ruine, des colonnes, etc., il arriva, après un court séjour à Ste. – Thérèse, à Cha-gouïa-mi-gong, où il y avait un grand village de Chippaouais (que les Jésuites nomment Outchibouec). Il y bâtit une chapelle. Il prêcha en langue algonquine devant douze ou quinze tribus qui entendaient cet idiome. Sa réputation se répandit au loin, et les guerriers de différentes nations se mirent en marche pour venir voir l'homme blanc; les Pouteouatamis des profondeurs du lac Michigan, les Outagamis et les Sakis des déserts qui s'étendent du lac Michigan au Mississipi, les Kristinots, nommés Criques par les Canadiens, des forêts marécageuses du Nord, les Illinois des prairies aujourd'hui couvertes de si abondantes moissons, et enfin les Sioux; tous admirèrent l'éloquence du missionnaire. Ils lui donnèrent des informations sur les moeurs, la puissance et la situation de leurs différentes contrées. Les Sioux armés seulement d'arcs et de flèches, lui dirent qu'ils couvraient leurs huttes de peaux de cerfs, et qu'ils habitaient de vastes prairies sur les bords d'un grand fleuve qu'ils nommèrent «Mississipi». C'est ainsi que les Français acquirent la première idée de l'existence du fleuve dont la découverte devait immortaliser Joliet et son compagnon. Pendant son séjour dans cette contrée, Allouez poussa ses courses très loin dans le Nord, où il trouva des Sauvages Nipissings que la frayeur des Iroquois avait conduits jusque dans ce pays reculé et rigoureux. Il tâcha de consoler ces fugitifs qui présentaient l'état le plus déplorable. Allouez parcourut ainsi plus de deux mille lieues dans ces vastes forêts, »souffrant la faim, la nudité, les naufrages, les fatigues et les persécutions des Idolâtres».

A cette époque, la paix rétablie entre toutes les nations indiennes, permettaient aux traitans d'agrandir le cercle de leurs courses, et aux missionnaires de se répandre dans les riches et fertiles contrées situées à l'ouest du lac Michigan. Allouez, Marquette et Dablon s'illustrèrent, moins encore par les services qu'ils rendirent à la religion, que par ceux qu'ils ont rendus à la science. Ce dernier fut le premier auteur de l'expédition du Mississipi; les termes avec lesquels les naturels parlaient de la magnificence de ce fleuve, ayant excité puissamment sa curiosité, il avait résolu d'en tenter la découverte en 1669 130; mais il en fut empêché par ses travaux évangéliques, quoiqu'il s'approcha assez près de ce fleuve. Allouez et Dablon pénétrèrent dans leurs courses, entre 1670 et 1672, jusque dans le Ouisconsin et le nord de l'Etat de l'Illinois, visitant les Mascontins (ou nation du feu), les Kikapous et les Outagamis sur la rivière aux Renards qui prend sa source du côté du Mississipi et se décharge dans le lac Michigan. L'intrépide Dablon avait même résolu de pénétrer jusqu'à la mer du Nord, pour s'assurer si l'on pouvait passer de là à la mer du Japon 131.

Note 130:(retour) Relation des missions aux Outadoûaks des années 1669 et 1670.

Note 131:(retour) Ibid. Lettre d'Allouez et de Dablon.

Le nouvel élan qui avait été donné au Canada par le génie de Colbert et de Talon, commençait à porter ses fruits; le commerce se ravivait, l'immigration devenait plus considérable, et les Indigènes craignaient et respectaient partout la puissance française. L'on a vu ailleurs les motifs qui avaient engagé le gouvernement canadien à envoyer Perrot chez les nations du Couchant; que ce célèbre voyageur fut le premier Européen qui se soit rendu jusqu'au fond du lac Michigan, chez les Miâmis, et que des députés de toutes les nations des sources du Mississipi, de la rivière Rouge et du St-Laurent, s'étaient rendus à son appel au Sault-Ste. – Marie. De découverte en découverte, l'on s'était depuis le traité conclu en cet endroit avec les Indiens, avancé de plus en plus dans l'Occident, et le temps était arrivé où l'on allait résoudre le problème de l'existence du fleuve Mississipi et de la direction de son cours. Il paraissait certain que ce fleuve, s'il était aussi grand que le faisaient les naturels, ne coulait ni vers l'est, ni vers le nord, et qu'il fallait qu'il se jetât dans la baie du Mexique ou dans la mer Pacifique. La solution de ce problème allait mettre celui qui la trouverait à la tête des plus célèbres voyageurs qui avaient fait des découvertes dans l'intérieur de ce continent. Talon lui-même se faisait un orgueil d'encourager une entreprise dont le succès non seulement retournerait à sa gloire et à celle de son pays, mais dont les avantages pour le commerce et la navigation pouvaient être incalculables. Il choisit pour exécuter son dessein le P. Marquette, le premier auteur du projet, et M. Joliet, de Québec, homme doué d'esprit et de courage, qui avait beaucoup voyagé chez les Outaouais dans les contrées du lac Supérieur, et qui par conséquent possédait toute l'expérience nécessaire. Ces deux voyageurs partirent en 1673.

Les Pouteouatamis que Marquette avait visités comme missionnaire, et qui avaient beaucoup d'attachement pour lui, apprirent avec étonnement une entreprise aussi audacieuse. «Ne savez-vous pas, lui dirent-ils, que ces nations éloignées n'épargnent jamais les étrangers; que les guerres qu'elles se font infestent leurs frontières de hordes de pillards; que la Grande-Rivière abonde en monstres qui dévorent les hommes et les canots; et que les chaleurs excessives y causent la mort?».

Rendu au dernier village visité par Allouez sur la rivière aux Renards, dans lequel Kikapous, Mascontins et Miâmis vivaient ensemble comme des frères, et chez lesquels le Jésuite que l'on vient de nommer avait jeté les premières semences de l'Evangile, les deux voyageurs furent reçus par le conseil des anciens avec distinction; ils demandèrent deux guides qui leur furent accordés. Nul Européen n'avait encore pénétré au delà de cette bourgade.

Ils en partirent le dix juin au nombre de neuf personnes, à savoir: Marquette, Joliet, et cinq autres Français et les deux Indiens qui leur servaient de guides. Ils chargèrent sur leurs épaules leurs canots pour faire le court portage qui sépare la source de la rivière aux Renards de celle de la rivière Ouisconsin qui coule vers l'Occident. Là, les deux guides, effrayés de cette entreprise, désertèrent les Français, qui, «se mettant entre les mains de la providence dans cette terre inconnue», s'abandonnèrent au cours de la rivière au milieu des solitudes profondes qui les environnaient Ils entrèrent au bout de sept jours, dans le Mississipi dont on parlait depuis si longtemps. Ils saluèrent ce fleuve magnifique avec tous les sentimens d'une joie inexprimable: sa grandeur ne laissait aucun doute sur la réalité de leur découverte, et correspondait avec la description qu'en faisaient les Indigènes. «Les deux canots ouvrant alors leurs voiles sous de nouveaux cieux et à de nouvelles brises, descendirent le cours calme et majestueux du tributaire de l'Océan, tantôt glissant le long de larges bancs de sable aride, refuge d'innombrables oiseaux aquatiques, tantôt longeant les îles qui s'élèvent du sein du fleuve et que couronnaient d'épais massifs de verdure, tantôt enfin fuyant entre les vastes plaines de l'Illinois et de l'Iowa, couvertes de forêts magnifiques, ou parsemées de bocages jetés au milieu de prairies sans bornes», comme pour présenter leur ombre aux passans qui désiraient se rafraîchir contre les ardeurs du soleil. Ils firent ainsi soixante lieues sans rencontrer la présence d'un seul homme, lorsque tout à coup ils aperçurent sur la rive droite du fleuve la trace de pas humains sur le sable, et ensuite un sentier qui menait à une prairie. Les voyageurs allaient-ils se risquer au milieu de la tribu inconnue qui habitaient ce pays? Joliet et Marquette hasardèrent cette entrevue. Prenant le sentier, ils marchèrent six milles et se trouvèrent devant une bourgade située sur la rivière Moïngona, qu'on appelle des Moines par corruption. Ils s'arrêtèrent et appelèrent à haute voix. Quatre vieillards sortirent au devant d'eux portant le calumet de paix; ils reçurent les étrangers avec distinction. Nous sommes des Illinois, dirent-ils, nous sommes des hommes 132, soyez les bienvenus dans nos cabanes. C'était la première fois que le sol de l'Iowa était foulé par des blancs.

Note 132:(retour) Le chanoine Corneille de Pauw rapporte dans ses recherches philosophiques sur les Américains, qu'un Pape fit une bulle pour reconnaître les Américains pour des hommes véritables. Il n'y a pas d'exemple, dit cet auteur aussi malin qu'incrédule, d'une pareille décision depuis que ce globe est habité par des hommes et par des singes.

Ces Indiens qui avaient entendu parler des Français, désiraient depuis longtemps leur alliance, car ils les savaient ennemis des Iroquois qui commençaient à faire des excursions aussi dans leur pays. Ces derniers avaient su inspirer une telle frayeur partout où ils allaient, que les Illinois, comme les autres, recherchèrent l'alliance d'une nation qui avait seule pu leur résister jusqu'à présent, et qui venait de les châtier encore, ainsi que Joliet le leur rapporta. Les Français après s'être reposés quelques jours chez ce peuple qui leur donna un grand festin, continuèrent leur route. Le chef de la tribu, suivi de plusieurs centaines de guerriers vint les reconduire sur le rivage, et pour dernière marque de son amitié, il passa dans le cou de Marquette un calumet orné de plumes de diverses couleurs, passeport assuré chez les nations indiennes.