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Loe raamatut: «Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome II», lehekülg 13

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Malgré cette apparente prospérité, la plus grande partie des habitans languissait dans la misère. La pêche comme les manufactures pour un riche qu'elle fait, retient des milliers d'hommes dans l'indigence. L'expérience nous a démontré depuis longtemps que les industries qui emploient un grand nombre de bras, ont toutes le même inconvénient, la pauvreté excessive des artisans qu'elles occupent. Outre cette cause à laquelle on doit attribuer une partie de la misère des colons de l'Ile-Royale, les circonstances dans lesquelles ils étaient venus s'y établir étaient de nature à augmenter encore le mal; fuyant le joug étranger en Acadie et à Terreneuve, ils avaient tout sacrifié pour venir vivre et mourir sous le drapeau de la France, qui ne faisait pas tout ce qu'elle aurait dû faire pour protéger une population qui lui montrait tant de dévouement. Ils arrivèrent dénués de tout dans l'île. Dans l'impuissance, dit l'historien que nous avons cité plus haut, de se pourvoir d'ustensiles et des premiers moyens de pêches, ils les avaient empruntés à un intérêt excessif. Ceux même qui n'avaient pas eu besoin d'abord de ces avances, ne tardèrent pas à subir la dure loi des emprunts. La cherté du sel et des vivres, les pêches malheureuses les y réduisirent peu à peu. Des secours qu'il fallait payer vingt à vingt-cinq pour cent par année, les ruinèrent sans ressource.

Telle est à chaque instant la position relative de l'indigent qui sollicite des secours, et du citoyen opulent qui ne les accorde qu'à des conditions si dures, qu'elles deviennent en peu de temps fatales à l'emprunteur et au créancier; à l'emprunteur, à qui l'emploi du secours ne peut autant rendre qu'il lui a coûté; au créancier, qui finit par n'être plus payé d'un débiteur que son usure ne tarde pas à rendre insolvable. Il est difficile de trouver un remède à cet inconvénient, car enfin il faut que le prêteur ait ses sûretés, et que l'intérêt de la somme prêtée soit d'autant plus grand que les sûretés sont moindres.

Le fondateur du Cap-Breton fut remplacé par M. de St. – Ovide. En 1720, l'Angleterre nomma pour gouverneur de l'Acadie et de Terreneuve, M. Philippe Richard, qui fut bien étonné en arrivant dans son gouvernement de trouver les anciens habitans français en possession de leur langue, de leur religion et de leurs lois, et en communication journalière avec l'Ile-Royale comme s'ils eussent encore été soumis à la couronne de France; il voulut prendre sur le champ des mesures pour leur anglification en masse, croyant que les choses avaient assez changé pour lui permettre d'exécuter ce projet sans danger. Il commença d'abord par leur interdire tout commerce avec l'Ile-Royale; il leur fit ensuite signifier qu'il leur donnait quatre mois pour prêter le serment d'allégeance. M. de St. – Ovide était informé de tout ce qui se passait; il se hâta de faire avertir les habitans que s'ils consentaient à ce qu'on exigeait d'eux, qu'on les priverait bientôt de la liberté de professer leur religion, et que leurs enfans abandonneraient celle de leurs pères; que les Anglais les traiteraient comme des esclaves; que leur esprit d'exclusion et leur antipathie naturelle contre les Français, les tiendraient toujours séparés d'eux, que les Huguenots, quoique unis à ce peuple par les liens de la religion, en étaient la preuve.

Les Acadiens n'avaient pas attendu cependant ces suggestions de leurs anciens compatriotes, pour répondre à M. Richard; ils lui représentèrent qu'ils étaient restés dans le pays à la condition qu'ils y jouiraient de leurs usages et de leurs institutions tel qu'ils l'entendraient; que sans cela ils se seraient retirés soit en Canada soit à l'Ile-Royale comme le leur permettait le traité d'Utrecht, après avoir vendu leurs terres; que la crainte de perdre une population si industrieuse et de dépeupler le pays, avait engagé le gouvernement britannique à acquiescer à leur demande; que leur demeure dans le pays avait été d'un grand avantage pour les Anglais eux-mêmes en ce que c'était à leur considération que les Sauvages, leurs fidèles alliés, les laissaient, eux les Anglais en repos, ce qui était vrai. Ils laissèrent entrevoir aussi à l'imprudent gouverneur que s'il persistait à mettre son projet à exécution de les forcer de prêter le serment de fidélité, ou de leur ôter leurs pasteurs, il pourrait bien exciter une insurrection qui deviendrait formidable par l'union aux insurgés de tous les Indigènes jusqu'à la rivière Kénébec. Au reste M. de St. – Ovide avait déjà pris des mesures pour faire passer les Acadiens dans l'île St. – Jean, que l'on se proposait alors d'établir. Force fut donc à M. Richard d'abandonner ses projets d'anglification. Le cabinet de Londres ne fit cependant que les ajourner, et l'orage ne se dissipa au-dessus de la tête des malheureux Acadiens que pour éclater plus tard avec une fureur redoublée et afin de mieux compléter leur naufrage.

Nous avons dit que le gouvernement français avait formé le projet d'établir l'île St. – Jean. Cette île en forme d'arc de vingt-deux lieues de long sur une plus ou moins de largeur, et qui est située dans le voisinage du Cap-Breton, dont elle peut être considérée comme une annexe, lui aurait été en effet d'une grande utilité. Elle possède un sol fertile, des pâturages excellens. Jusqu'à la pacification d'Utrecht elle avait été oubliée comme l'Ile-Royale. En 1719 il se forma une compagnie avec le double projet de la défricher et d'y établir de grandes pêcheries. C'était à l'époque du fameux système de Law, et il était plus facile de trouver des fonds que de leur conserver la valeur factice que l'engouement des spéculateurs y avait momentanément attachée. Le comte de St. – Pierre, premier écuyer de la duchesse d'Orléans, se mit à la tête de l'entreprise, et le roi lui concéda alors l'île en question avec celle de Miscou, et l'année suivante les îles de la Magdeleine. Malheureusement l'intérêt qui avait réuni les associés les divisa, tous les intéressés voulurent avoir part à la régie, et la plupart n'avait pas la moindre expérience de ces entreprises; on ne doit pas en conséquence être surpris si tout échoua. L'île retomba dans l'oubli d'où on l'avait momentanément tiré jusque vers 1749, que les Acadiens, fuyant le joug anglais, commencèrent à s'y établir.

LIVRE VII

CHAPITRE I.
SYSTÈME DE LAW. – CONSPIRATION DES NATCHÉS.
1712-1731

La Louisiane, ses habitans et ses limites. – M. Crozat en prend possession en vertu de la cession du roi. – M. de la Motte Cadillac, gouverneur; M. Duclos, commissaire-ordonnateur. – Conseil supérieur établi; introduction de la coutume de Paris. – M. Crozat veut ouvrir des relations commerciales avec le Mexique; voyages de M. Juchereau de St. – Denis à ce sujet; il échoue. – On fait la traite des pelleteries avec les Indigènes, dont une portion embrasse le parti des Anglais de la Virginie. – Les Natchés conspirent contre les Français et sont punis. – Désenchantement de M. Crozat touchant la Louisiane; cette province décline rapidement sous son monopole; il la rend (1717) au roi, qui la concède à la compagnie d'Occident rétablie par Law. – Système de ce fameux financier. – M. de l'Espinay succède à M. de la Motte Cadillac, et M. Hubert à M. Duclos. M. de Bienville remplace bientôt après M. de l'Espinay. – La Nouvelle-Orléans est fondée par M. de Bienville (1717). – Nouvelle organisation de la colonie; moyens que l'on prend pour la peupler. – Terrible famine parmi les colons accumulés à Biloxi. – Divers établissemens des Français. – Guerre avec l'Espagne. – Hostilités en Amérique: Pensacola, île Dauphine. – Paix. – Louis XV récompense les officiers de la Louisiane. – Traité avec les Chicachas et les Natchés. – Ouragan du 12 septembre (1722). – Missionnaires. – Chute du système de Law. – La Louisiane passe à la compagnie des Indes. – Mauvaise direction de cette compagnie. – M. Perrier, gouverneur. – Les Indiens forment le projet de détruire les Français; massacre aux Natchés; le complot n'est exécuté que partiellement. – Guerre à mort faite aux Natchés; ils sont anéantis, 1731.

Les premiers colons de la Louisiane furent des Canadiens. Ce petit peuple qui habitait l'extrémité septentrionale du Nouveau-Monde, sans avoir eu presque le temps de s'asseoir sur la terre qu'il avait défrichée, courrait déjà à l'aventure vers des contrées nouvelles; ses enfans jalonnaient les rives du St. – Laurent et du Mississipi dans un espace de près de douze cents lieues! Une partie disputait les bords glacés de la baie d'Hudson aux traitans anglais, tandis qu'une autre guerroyait avec les Espagnols presque sous le ciel brûlant des tropiques. La puissance française dans l'Amérique continentale semblait reposer sur eux. Ils se multipliaient pour faire face au nord et sud. Partout pleins de dévouement et de bonne volonté, ils manient aussi bien l'aviron du traitant-voyageur, que la hache du défricheur, que le fusil du soldat. Ce tableau des Canadiens a quelque chose de neuf et de dramatique; on aime à voir ce mouvement continuel qui les entraîne dans toutes les directions au milieu des forêts et des nombreuses tribus sauvages qui les regardent passer avec étonnement. Ils furent dans le Nouveau-Monde comme ces tirailleurs qui s'éparpillent dans un combat en avant d'une colonne dont ils annoncent la charge. Cependant ce tableau si pittoresque, ce système d'enlever ainsi les Canadiens à des occupations sédentaires et agricoles pour en faire comme des précurseurs, des pionniers de la civilisation, était-il favorable au même degré aux intérêts de leur pays, à eux-mêmes? C'est là une question qui détruit bien vite le prestige qui nous faisait illusion, en nous amenant à juger les choses à leur juste valeur. Mais notre objet n'est pas ici d'en poursuivre la solution. Au nom de leur roi, les Canadiens obéissaient sans calculer ni les sacrifices, ni les conséquences, et l'on peut se demander s'il n'est pas arrivé jusqu'à ce jour, que ce zèle ait eu des suites funestes pour eux. Quoiqu'il en soit, nous verrons dans le cours de ce chapitre que c'est aux Canadiens principalement que la France dut la conservation de la Louisiane, comme c'était à eux qu'elle devait celle du Canada depuis un quart de siècle.

En même temps qu'elle fortifiait le Cap-Breton, elle s'occupait de l'établissement de la Louisiane, dont elle réclamait pour territoire du côté du sud et de l'ouest jusqu'à la rivière Del Norte, et de là en suivant les hauteurs qui séparent cette rivière de la rivière Rouge jusqu'aux Montagnes-Rocheuses, au golfe de Californie et à la mer Pacifique 69; du côté de l'est toutes les terres dont les eaux tombent dans le Mississipi.

Note 69:(retour) Carte publiée par l'Académie française.

La Mobile ne conserva guère plus longtemps que Biloxi le titre de chef-lieu. Les désavantages propres à cette localité la firent abandonner pour l'île Dauphine, ou du Massacre, ainsi nommée à cause des ossemens humains, restes sans doute d'une nation détruite, qu'on y trouva ensevelis sous le sol. Cette île très basse est couverte d'un sable blanc cristallin si brûlant que rien n'y pousse. L'on se sent saisi à son aspect d'une profonde tristesse. Ce qui la fit rechercher d'abord c'est le port qu'elle possédait; mais elle le perdit peu de temps après que l'on s'y fut établi; un coup de mer en ferma l'entrée.

Le gouvernement absorbé tout entier par la guerre de la succession d'Espagne, ne put prendre entre ses mains la colonisation de cette province. Il se déchargea de cette tâche, dont il avait le succès fort à coeur, sur l'énergie particulière et les efforts des hommes entreprenans. Il existait alors à Paris un négociant habile qui avait acquis une vaste fortune dans le commerce maritime, et qui avait rendu des services signalés au royaume en important une grande quantité de matières d'or et d'argent dans un temps où l'on en avait très besoin. Le roi l'avait nommé conseiller-secrétaire de la maison et couronne de France au département des finances. Ce marchand était M. Crozat. Il lui abandonna en 1712, pour 16 ans, le privilége exclusif du commerce de la Louisiane, et en pleine propriété l'exploitation des mines de cette contrée; c'était agir contrairement à l'esprit du mémoire de M. Raudot, dont nous avons parlé dans le dernier chapitre. M. Crozat qui n'avait attribué qu'à un système vicieux le peu de succès qu'on y avait fait jusqu'alors, se mit en frais d'utiliser incessamment sa gigantesque Concession.

Louis XIV nomma M. de la Motte Cadillac gouverneur en remplacement de M. de Muys, mort en se rendant en Amérique. M. Duclos eut la charge de commissaire-ordonnateur à la place de M. d'Artaguette rentré en France, et un conseil supérieur fut établi pour trois ans, composé de ces deux fonctionnaires et d'un greffier avec pouvoir de s'adjoindre des membres. Ce conseil était un tribunal général pour les affaires civiles et criminelles grandes ou petites. Il devait procéder suivant la coutume de Paris dont les lois furent seules reconnues dans ce pays comme elles l'étaient déjà en Canada. Cette organisation purement despotique, puisque l'administration militaire, civile et judiciaire se trouvait réunie dans les mêmes mains, ne fait qu'ajouter un exemple de plus à ce que nous avons dit, que les colonies françaises furent toutes soumises à leur naissance à un régime militaire absolu.

M. de la Motte Cadillac débarqua à la Louisiane en 1713. Afin de l'intéresser à son commerce, M. Crozat se l'était associé. La nouvelle colonie devint plus que jamais une exploitation mercantile. Le gouverneur dirigea toute son attention vers le commerce. Il trouva en arrivant que les colons languissaient plutôt qu'ils ne vivaient dans un des plus excellens pays du monde, faute d'avances et faute de débouchés pour leurs denrées. Après avoir jeté les yeux autour de lui, il chercha à ouvrir des relations commerciales avec ses voisins; il s'arrêta d'abord aux Espagnols. Il envoya un navire chargé de marchandises à Vera-Cruz. Le vice-roi du Mexique, fidèle aux maximes exclusives de son temps et de son pays, défendit le débarquement de ces marchandises et ordonna au vaisseau de s'éloigner. Malgré le résultat de cette première tentative, M. de Cadillac ne se découragea pas, et résolut d'en faire une seconde par terre. Il choisit pour cela M. Juchereau de St. – Denis, un des voyageurs canadiens les plus intrépides, et qui était à la Louisiane depuis 14 ans.

Cet employé fit deux voyages dans le Mexique (Le page Dupratz), qui furent remplis d'incidens et d'aventures galantes et romanesques. Il ne fut de retour de son second voyage qu'en avril 1719, n'ayant pas eu plus de succès que dans le premier.

Tandis que le gouverneur cherchait ainsi à s'ouvrir des débouchés dans le Mexique, il avait envoyé faire la traite chez les Natchés et les autres nations du Mississipi, où ses agens trouvèrent des Anglais de la Virginie, pour lesquels les Chicachas allaient devenir de nouveaux Iroquois. La même lutte sourde qui existait dans le nord allait se répéter dans le sud, et partager entre les deux peuples rivaux les Indigènes. Bientôt en effet, l'on vit d'un côté plusieurs tribus, ayant à leur tête les Alibamons et les Chactas, tomber sur la Caroline et y commettre des ravages; et, de l'autre, les Natchés tramer la destruction des Français, qui ne furent sauvés que par la promptitude et la vigueur avec lesquelles le gouverneur sut agir. A cette occasion, les barbares se virent condamnés par M. de Bienville, qui commandait l'expédition contre eux, à élever de leurs propres mains, au milieu de leur principal village, un fort pour ceux-mêmes qu'ils voulaient anéantir. C'était la première humiliation que subissait leur grand chef, qui prétendait descendre du soleil et qui en portait le nom avec orgueil. Ce fort, aujourd'hui Natchez, situé sur le Mississipi, couronnait un cap de 200 pieds d'élévation; il fut appelé Rosalie du nom de madame de Pontchartrain, dont le mari, ministre d'état, protégeait la famille des Lemoine d'où sortait Bienville. C'est l'année suivante (1715) que M. du Tisné jeta les fondemens de Natchitoches, ville maintenant florissante.

Cependant les grandes espérances que M. Crozat avait conçues relativement à la Louisiane, s'étaient dissipées peu à peu; il y avait à peine quatre ans qu'il avait cette province entre les mains, et déjà le commerce en était détruit. Le monopole de ce grand fermier avait frappé tout de mort. Avant sa concession il s'y faisait encore quelques affaires. Les habitans de la Mobile et de l'île Dauphine exportaient des provisions, des bois, des pelleteries chez les Espagnols de Pensacola, dans les îles de la Martinique et de St. – Domingue et en France, et ils recevaient en échange les denrées et les marchandises dont ils avaient besoin pour leur consommation ou leur trafic avec les Indiens. M. Crozat n'y eut pas plutôt fait reconnaître son privilége que cette industrie naissante s'éteignit. L'arbre ne recevant plus de lumière et de chaleur que du caprice d'un homme assis dans un comptoir de Paris, se dessécha rapidement et il mourut. Les vaisseaux des Iles ne parurent plus; il fut défendu d'aller à Pensacola d'où provenait tout le numéraire de la colonie, et de vendre à d'autres qu'aux agens de M. Crozat, qui donnèrent les prix qu'ils voulurent. Celui des pelleteries fut fixé si bas que cette marchandise fut toute portée, par les chasseurs, en Canada ou dans les colonies anglaises. Le concessionnaire, à l'aspect de la décadence de la colonie, n'en voulut pas voir la cause là où elle était; il adressa à diverses reprises de vaines représentations au gouvernement qui ne les écouta pas. Enfin épuisé par les grandes avances qu'il avait faites pour les nombreux établissemens formés en diverses parties du pays, et trompé dans son attente d'ouvrir par terre et par mer des communications avec le Mexique pour y verser ses marchandises et en tirer des métaux, dégoûté aussi d'un privilége plus onéreux que profitable, il le remit au roi, qui le concéda de suite à la compagnie d'Occident, dont le succès étonna d'abord toutes les nations.

Un aventurier écossais, Jean Law, homme plein d'imagination et d'audace, cherchant avec avidité l'occasion d'attirer sur lui l'attention de l'Europe par quelque grand projet, trouva dans la situation financière de la France, un moyen de parvenir au but qu'il désirait d'atteindre. Ayant fait une étude de l'économie politique dont Turgot et Smith devaient plus tard faire une science, il se présenta à Paris comme le sauveur de la nation et le restaurateur de ses finances délabrées. Quel remède inattendu a-t-il trouvé pour combler l'abîme de la dette nationale, qui devient de jour en jour plus incommensurable malgré tous les efforts que l'on fait pour le fermer? Le papier monnaie et les mines imaginaires de la Louisiane. Le pays même que Crozat vient de rejeter avec dégoût, après y avoir perdu des sommes considérables, est la panacée qui doit produire une aussi grande merveille.

Il n'y a que l'état déplorable de la France qui ait pu entraîner le peuple, le roi et ses ministres dans ces illusions vers lesquelles ils se portèrent avec une ardeur qui se communiqua à d'autres pays.

«Ponce de Léon n'eut pas plutôt abordé à la Floride en 1512, qu'il se répandit dans l'ancien et le nouveau-monde que cette région était remplie de métaux. Ils ne furent découverts ni par François de Cordoue, ni par Velasquez de Ayllon, ni par Philippe de Narvaez, ni par Ferdinand de Soto, quoique ces hommes entreprenans les eussent cherchés pendant trente ans avec des fatigues incroyables. L'Espagne avait enfin renoncé à ses espérances; elle n'avait même laissé aucun monument de ses entreprises; et cependant il était resté vaguement dans l'opinion des peuples que ces contrées renfermaient des trésors immenses. Personne ne désignait le lieu précis où ces richesses pouvaient être; mais cette ignorance même servait d'encouragement à l'exagération. Si l'enthousiasme se refroidissait par intervalle, ce n'était que pour occuper plus vivement les esprits quelque temps après. Cette disposition générale à une crédulité avide, pouvait devenir un merveilleux instrument dans des mains habiles».

Law sut mettre ces vagues croyances à profit. Ce financier avait commencé ses opérations en établissant avec la permission du régent en 1716 une banque avec un capital de 1200 actions de mille écus chacune. La nouvelle institution dans ces sages limites, augmenta le crédit et fit un grand bien, car elle pouvait faire face à ses obligations facilement; mais on avait toujours les yeux tournés vers la Louisiane, et c'est là où l'on devait trouver l'or pour payer les dettes de l'Etat. En 1717 la compagnie d'Occident fut rétablie par Law; on lui céda immédiatement la Louisiane et on l'unit à la banque; on donna encore à cette association la ferme du tabac et le commerce du Sénégal. Dans la supposition du succès, elle devait dégénérer en un affreux monopole. Mais à cette époque on était incapable de juger des avantages ou des désavantages de ces grandes opérations; et à venir encore jusqu'à nos jours, les opinions des hommes les plus éclairés sont opposées et contradictoires sur la matière.

Quoiqu'il en soit, les actions de la compagnie d'Occident se payaient en billets d'Etat que l'on prenait au pair quoiqu'ils ne valussent que cinquante pour cent dans le commerce. Dans un instant le capital de 100 millions fut rempli; chacun s'empressait de porter un papier décrié, croyant le voir bientôt racheté en bel or de la Louisiane. Les créanciers de l'Etat qui entrevoyaient leur ruine dans l'abaissement graduel des finances, se prirent à cette spéculation, comme à leur seul moyen de salut. Les riches entraînés par le désir d'augmenter leur fortune, s'y lancèrent avec des rêves dont Law avait soin de nourrir la cupide extravagance. «Le Mississipi devint un centre où toutes les espérances, toutes les combinaisons se réunissaient. Bientôt des hommes riches, puissans, et qui pour la plupart passaient pour éclairés, ne se contentèrent pas de participer au gain général du monopole, ils voulurent avoir des propriétés particulières dans une région qui passait pour le meilleur pays du monde. Pour l'exploitation de ces domaines, il fallait des bras: la France, la Suisse et l'Allemagne fournirent avec abondance des cultivateurs, qui, après avoir travaillé trois ans gratuitement pour celui qui aurait fait les frais de leur transportation, devaient devenir citoyens, posséder eux-mêmes des terres et les défricher.»

Cependant le gouverneur et le commissaire-ordonnateur de la Louisiane avaient été changés. M. de la Motte Cadillac avait eu pour successeur M. de l'Espinay, et M. Duclos M. Hubert; mais quelque temps après, M. de Bienville fut nommé commandant général de toute la Louisiane. Les Français occupaient alors Biloxi, l'île Dauphine, la Mobile, Natchez et Natchitoches sur la Rivière-Rouge. Ils avaient aussi commencé des établissemens sur plusieurs autres points du pays. Biloxi était redevenu chef-lieu. Le port de l'île Dauphine avait été abandonné pour l'Ile aux Vaisseaux. L'obstination que l'on mettait à demeurer sur une côte stérile, pour ne pas s'éloigner de la mer, démontre que le but de la colonisation de cette contrée avait été jusque là tout commercial. Enfin l'on commença à croire que les bords du Mississipi présentaient de plus grands avantages pour la situation d'une capitale. On résolut d'aller chercher un asile sur la rive gauche de ce fleuve, dans un endroit que M. de Bienville avait déjà remarqué à 30 lieues de l'Océan. Ce gouverneur avec quelques pauvres charpentiers et faux-sauniers y jeta, en 1717, les fondemens d'une ville qui est aujourd'hui l'une des plus populeuses et des plus riches du Nouveau-Monde. Il la nomma Nouvelle-Orléans en l'honneur du duc d'Orléans, régent du royaume. La Louisiane avait eu pour fondateur un Canadien illustre dans nos annales, la capitale de ce beau pays allait devoir son existence également à un de nos compatriotes. M. de Pailloux fut nommé gouverneur de la nouvelle ville, où arriva l'année suivante un vaisseau qui avait été agréablement trompé en trouvant 16 pieds d'eau dans l'endroit le moins profond du Mississipi. L'on ne croyait pas que ce fleuve fut navigable si haut pour les gros navires. On transféra seulement en 1722 le gouvernement à la Nouvelle-Orléans. On ne pouvait se résoudre dans cette province à perdre la mer de vue, tandis qu'en Canada l'on cherchait au contraire à s'en éloigner en s'élevant toujours sur le St. – Laurent pour suivre la traite des pelleteries dans les forêts.

La compagnie d'Occident n'avait pas été plus tôt en possession de la Louisiane qu'elle avait travaillé à organiser un nouveau gouvernement, et à former un système d'émigration propre à assurer le rapide établissement de cette province, et surtout l'exploitation des mines abondantes dont le métal précieux devait payer la dette nationale, ce chancre qui dévorait la France et minait déjà le trône si fier de sa royale et antique dynastie.

Dans la nouvelle organisation M. de Bienville fut nommé gouverneur général et directeur de la compagnie en Amérique; M. de Pailloux, major-général; M. Dugué de Boisbriand, autre Canadien, commandant aux Illinois, et M. Diron, frère de l'ancien commissaire-ordonnateur, inspecteur-général des troupes.

La Louisiane avait été cédée à la compagnie en 1717; dès le printemps suivant huit cents colons sur trois vaisseaux quittaient la Rochelle pour cette contrée. Il y avait parmi eux plusieurs gentilshommes et anciens officiers, au nombre desquels était M. Lepage Dupratz qui a laissé d'intéressans mémoires sur cette époque pleine d'intérêt. Cette émigration se dispersa sur différens points. Les gentilshommes étaient partis avec l'espoir d'obtenir de vastes seigneuries en concession, et d'introduire dans la nouvelle province une hiérarchie nobiliaire comme il en naissait alors une en Canada. Law lui-même voulut donner l'exemple. Il obtint une terre de quatre lieues en carré, à Arkansas, qui fut érigée en duché; et il fit ramasser quinze cents hommes, tant Allemands que Provençaux pour la peupler; il devait encore y envoyer 6000 Allemands du Palatinat; mais c'est dans ce moment même (1720) que croula sa puissance éphémère avec l'échafaudage de ses projets gigantesques qui laissèrent sur la France les ruines de la fortune publique et particulière. Le contrecoup de cette grande chute financière, qui n'avait encore rien eu de pareil chez les modernes, ébranla profondément la jeune colonie, et l'exposa aux désastres les plus déplorables. Des colons rassemblés à grands frais plus de mille furent perdus avant l'embarquement à Lorient. «Les vaisseaux qui portaient le reste de ces émigrans ne firent voile des ports de France qu'en 1721, un an après la disgrace du ministre; et il ne put donner lui-même aucune attention à ce débris de sa fortune. La concession fut transportée à la compagnie». Cette compagnie ne donna point l'ordre de cesser d'acheminer les colons vers l'Amérique. Une fois en route ces malheureux ne pouvaient arrêter, et la chute du système les laissait sans moyens. On les entassait sans soin et sans choix dans des navires et on les jetait sur la plage de Biloxi, d'où ils étaient transportés dans les différens lieux de leur destination. En 1721, les colons furent plus nombreux que jamais; on les embarquait en France avec une imprévoyance singulière. L'on n'avait pas à Biloxi assez d'embarcations pour suffire à les monter sur le Mississipi. Il y eut encombrement de population, les provisions manquèrent et la disette apparut avec toutes ses horreurs; on n'eut plus pour vivre que les huîtres que l'on péchait sur le bord de la mer. Plus de cinq cents personnes moururent de faim, dont deux cents de la concession de Law. L'ennui et le chagrin en conduisirent aussi plusieurs au tombeau. La mésintelligence, la désunion, suite ordinaire des malheurs publics, se mit dans la colonie; l'on forma des complots, et l'on vit une compagnie de troupes Suisses qui avait reçu ordre de se rendre à la Nouvelle-Orléans, passer, officiers en tête, à la Caroline 70.

Note 70:(retour) Charlevoix: Journal historique.

Ce sont ces désastres qui engagèrent enfin à abandonner Biloxi, cette rive funeste, et la Nouvelle-Orléans devint définitivement la capitale de la Louisiane.

Il ne faut pas croire néanmoins que tant d'efforts, quoique mal dirigés, fussent sans fruit. Nombre d'établissemens furent commencés, réussirent et sont aujourd'hui des places considérables. Sans doute l'on eût pu faire mieux, beaucoup mieux; mais Raynal exagère singulièrement le mal. Une colonisation forte, permanente, puissante, se fait graduellement, se consolide par ses propres efforts et la jouissance d'une certaine liberté. Ne fût-il mort personne à Biloxi, les émigrans eussent-ils tous été des cultivateurs laborieux, intelligens, persévérans, et l'on sait que ces qualités manquaient à beaucoup d'entre eux, encore le succès prodigieux qu'on attendait ne se serait pas réalisé: on a vu jusqu'à quel degré on avait élevé les espérances de la France. Les mines du Mississipi devaient payer la dette nationale, et la Louisiane elle-même devait relever son commerce et former un empire français. On fut cruellement trompé sur tous ces points. Ce désappointement amer causa une sensation si profonde, resta tellement empreint dans les esprits, que longtemps après il influençait encore la plume irritable de l'historien des deux Indes, et que le sage Barbé-Marbois ne put au bout d'un siècle échapper totalement à l'impression qu'il avait laissée dans sa patrie. Ces espérances qu'on avait formées s'appuyaient sur une base chimérique, le système de Law, sur lequel il convient maintenant de rapporter les jugemens qu'on a prononcés.

«Dans leur appréciation, les uns comme M. Barbé-Marbois, disent que Law après avoir persuadé aux gens crédules que la monnaie de papier peut, avec avantage tenir lieu des espèces métalliques, tira de ce faux principe les conséquences les plus extravagantes. Elles furent adoptées par l'ignorance et la cupidité, et peut-être par Law lui-même, car il portait de l'élévation et de la franchise jusque dans ses erreurs.