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Loe raamatut: «Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome II», lehekülg 20

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Dans ce système monétaire, le Canada n'était détenteur d'aucune sécurité réelle. La monnaie est ordinairement un signe qui représente une valeur réelle et qui a lui-même une valeur intrinsèque. En Canada elle était le signe du signe. On n'y voyait d'espèces que celles qu'apportaient les troupes et les officiers des vaisseaux, ou la contrebande avec les colonies anglaises; et elles étaient aussitôt enlevées pour faire de la vaisselle, être renfermées dans les coffres ou envoyées dans les Iles. La monnaie de cartes était préférée aux ordonnances parce que la valeur des premières était toujours payée toute entière en lettres de change avant les secondes, de sorte que si les dépenses du gouvernement excédaient le montant de l'exercice de la colonie, l'excédant était soldé en ordonnances retirées ensuite par ces cartes pour lesquelles il ne pouvait sortir néanmoins de lettres de change que l'année suivante; on appelait cela faire la réduction. «Dans le courant de 1754, au lieu de faire une réduction qui eut été trop forte, on délivra des lettres de change pour la valeur entière des papiers portés au trésor, mais payables seulement, partie en 1754, partie en 1755 et partie en 1756. Alors les cartes furent confondues avec les ordonnances; on ne donna pas pour leur valeur des lettres de change à plus court terme. Il est même à présumer qu'on a cherché à anéantir cette monnaie, le trésorier ne s'en servant plus dans les paiemens. Cette opération qui n'occasionnait qu'environ 6 pour cent de différence sur les paiemens ordinaires, fit augmenter les marchandises de 15 à 20 pour cent et la main d'oeuvre à proportion.

«Les espèces, poursuit l'auteur que nous citons ici, qui sont venues avec les troupes de France, ont produit un mauvais effet. Le roi en a perdu une partie dans les vaisseaux le Lys et l'Alcide; elles ont décrédité le papier; la guerre n'était pas encore déclarée lorsqu'elles parurent en Canada, et on croyait avec raison que les lettres de change continueraient à être tirées pour le terme de trois ans; les négocians donnèrent donc leurs marchandises à 16 et 20 pour cent meilleur marché en espèces; on trouvait sept francs de papier pour un écu de six francs. Dès que la déclaration de la guerre a été publiée, cet avantage a diminué; les négocians n'ont pas osé faire des retours en espèces; il en a passé quelques parties à Gaspé; le reste est entre les mains de gens qui ne font point de remises en France; ils aiment mieux perdre quelque chose, et le garder dans leurs coffres en effets plus réels que des cartes et des ordonnances; en conséquence ces papiers ont circulé presque seuls dans le commerce; ils ont été portés au trésor, et ont augmenté les lettres de change qu'on a tirées» sur le gouvernement à Paris.

Tel fut le commerce canadien sous le règne français, assujetti d'un côté aux entraves dérivant de la dépendance coloniale et jouissant de l'autre de la plus grande liberté, exclu des marchés étrangers et affranchi en général de tout droit et de toute taxe avec la mère patrie, enfin déclaré libre et permis à tout le monde, et soumis en plusieurs circonstances à toutes sortes de vexations et de monopoles. Si le commerce et l'industrie eussent fleuri en France, si les vaisseaux de cette nation eussent couvert les mers comme ceux de la Grande-Bretagne, nul doute qu'avec la liberté dont jouissait le marchand canadien, et qui était large pour le temps, il ne fût parvenu à une grande prospérité. Mais que pouvait faire le Canada, exclu du commerce étranger, avec une métropole presque sans marine et sans industrie, et dont le gouvernement était en pleine décadence. Que pouvait faire le Canada, malgré la liberté dont on voulait le faire jouir? Ne pouvant atteindre à une honnête prospérité, ni trouver dans ses efforts une récompense légitime et honorable, il tourna les yeux vers une carrière où le génie martial des Français s'élance toujours avec joie, vers une carrière où l'honneur est toujours au delà du danger, et non le bonnet vert de la banqueroute mercantile. Le Canadien, inspiré par son gouvernement trop pauvre pour le faire protéger par l'armée régulière, prit le fusil, devint soldat et contracta ce goût pour les armes qui nuisit tant dans la suite au développement et au progrès du pays. Ou eut beau déclarer que le commerce était libre et permis à tout le monde, que les chefs ne sauraient être trop attentifs à favoriser tous les établissemens qui peuvent concourir à son bien et à son avantage 99, peu de personnes s'y livraient, et il languissait.

Note 99:(retour) Instructions des rois aux gouverneurs.

Il est une autre pratique tenant à l'organisation du gouvernement de la colonie, qui lui fut aussi très préjudiciable par l'excès qu'on en fit. C'était la permission donnée aux employés publics, quelquefois du plus haut rang, et aux magistrats de faire le commerce même avec le roi dont ils étaient les serviteurs, afin de se refaire de l'insuffisance reconnue de leurs appointemens 100. La plupart des gouverneurs généraux et particuliers participèrent aux profits de la traite 101. Tout le monde commerçait, les religieux comme les militaires, comme les laïcs. Le Séminaire trafiquait avec la Nouvelle-York et avait un vaisseau en mer. (Dépêche de M. de Beauharnais 1741. Mémoire du Séminaire). Les Jésuites tenaient comptoir ouvert au Sault-St. – Louis sous le nom de deux demoiselles Desauniers. (Lettre de M. Bigot au ministre 1750). Cet usage avait pris naissance avec la colonie, fondée par une compagnie de marchands, et gouvernée longtemps par des marchands qui conduisaient à la fois les affaires publiques et leur négoce. Il fut malheureusement toléré jusqu'aux derniers jours du régime français, et ouvrit la porte aux plus funestes et aux plus criminels abus, qui atteignirent leur dernier terme dans la guerre de 1755. Ces employés, l'intendant Bigot à leur tête, parvinrent à cette époque de crise, où le temps ne permettait point de porter un remède aux maux de l'intérieur, à accaparer toute la fourniture du roi, qui s'éleva jusqu'à plus de 15 millions à la fin de la guerre 102. Par un système d'association habilement ménagé, ils achetaient ou vendaient, comme nous l'avons exposé tout à l'heure, tout ce que le gouvernement voulait vendre ou acheter. Agissant eux-mêmes pour le roi, il est facile de concevoir que les articles du marchand qui n'était pas dans leur alliance, n'étaient jamais admis. La liberté et la concurrence si nécessaires à l'activité du commerce furent détruites, ainsi que l'équilibre des prix que l'association dont il s'agit fit monter à un degré exorbitant, malgré l'abondance des denrées et des marchandises, au point que cette cherté factice devint une cause de disette réelle.

Note 100:(retour) Affaires du Canada: Mémoires de Bigot.

Note 101:(retour) Document de Paris.

Note 102:(retour) «Si on calculait toutes les marchandises qui sont achetées à Québec, à Montréal et dans les forts pour le compte du roi, on trouverait peut-être le double de ce qu'il en est entré dans la colonie». Dépêche de M. Bigot au ministre 1759.

Le vice du système ne s'était pas encore manifesté d'une manière si hideuse; mais il avait dû produire dans tous les temps un grand mal, et causer un découragement fatal au négociant industrieux qui ne pouvait lutter avec des hommes placés dans de meilleures conditions que lui. Cela n'est pas une exagération, «car, selon le Mémoire de Bigot accusé dans l'affaire du Canada, c'est le roi qui faisait les plus grandes consommations dans les colonies; et par conséquent, c'est vis-à-vis de lui principalement qu'on pouvait faire un commerce d'une certaine importance, et qui pût en le rendant florissant, y attirer des Européens.» C'est ce qu'écrivait l'intendant au ministre dans sa lettre du 1 novembre 1752. «Le Canada est de toutes les colonies celle où l'on fait le commerce le plus solide. Il n'est cependant fondé pour la plus grande partie que sur les dépenses immenses que le roi y fait».

Un pareil système devait, surtout aux époques de guerre, ruiner par les accaparemens tous les marchands qui n'étaient pas dans le monopole; et si ce résultat n'arriva que dans la guerre de la conquête, c'est que l'honneur et l'intégrité avaient en général régné jusque là parmi les fonctionnaires publics.

Le commerce canadien, excepté la traite des pelleteries et le système monétaire, fut l'objet de peu de lois et de règlemens faits pour en favoriser ou en régler le développement d'une manière particulière et spéciale à venir jusqu'au 18e. siècle. A cette époque on commença à législater sur cette matière. Outre les lois qui concernent la liberté du trafic dont nous avons parlé plus haut, et les arrêts du conseil supérieur et de l'intendant qui avaient plus immédiatement rapport à sa police ou à des cas particuliers, d'autres lois ont été promulguées en différens temps dont l'on doit dire quelque chose par l'influence qu'elles ont dû exercer.

La première est le règlement relatif aux siéges d'amirauté qui furent établis dans toutes les colonies françaises en 1717.

Cette institution fut revêtue de deux caractères, l'un judiciaire et l'autre administratif, que se partagent aujourd'hui la cour de l'amirauté et la douane. Comme tribunal, la connaissance de toutes les causes maritimes qui durent être jugées suivant l'ordonnance de 1681 et les autres règlemens en vigueur touchant la marine, lui fut déférée. Comme administration, elle eut la visite des vaisseaux arrivans ou partans, et le pouvoir exclusif de donner des congés à tous ceux qui faisaient voile pour la France, pour les autres colonies ou pour quelque port de l'intérieur. Ces congés étaient des passavans, et chaque vaisseau était tenu d'en prendre un à son départ et de le faire enregistrer au greffe de l'amirauté. Les bâtimens employés au cabotage de la province, n'étaient obligés que d'en prendre un par an. Il fallait en outre le consentement du gouverneur aux congés pour la pêche ou pour les navires qui menaient des passagers en France.

La seconde fut l'arrêt de la même année qui établit une bourse à Québec et une autre à Montréal, et permit aux négocians de s'y assembler tous les jours afin de traiter de leurs affaires mercantiles. Cela était demandé depuis longtemps par le commerce, auquel l'on accorda aussi la nomination d'un agent ou syndic pour exposer, lorsqu'il le jugerait convenable, ses voeux ou pour défendre ses intérêts auprès du gouvernement.

Cet agent commercial remplaça probablement le syndic des habitations, dont l'on n'entendait plus parler, et dont les fonctions étaient peut-être déjà tombées en désuétude.

Quant aux lois de commerce proprement dites, il y eut cela de singulier qu'il n'en fut promulgué aucune d'une manière formelle. Les tribunaux suivirent l'ordonnance du commerce ou le code Michaud 103, qui était la loi générale du royaume, ainsi que les y autorisaient les décrets qui les constituaient. Le Canada n'a vu jusqu'à ce jour inaugurer dans son sein par l'autorité législative locale, aucun code commercial particulier. A défaut de lois à cet égard, l'ordonnance du commerce fut introduite en vertu d'une disposition générale de l'édit de création du conseil souverain en 1663; et cette ordonnance devint par le fait et la coutume loi du pays. Le code anglais a été introduit de la même manière par un décret de la métropole.

Note 103:(retour) J. F. Perrault: -Extraits ou précédens de la Prévôté de Québec, 1824.

Nous ne croyons pas devoir omettre de mentionner ici une décision du gouvernement français qui lui fait le plus grand honneur. C'est celle relative à l'exclusion des esclaves du Canada, cette colonie que Louis XIV aimait par dessus toutes les autres à cause du caractère belliqueux de ses habitans, qu'il voulait former à l'image de la France, couvrir d'une brave noblesse et d'une population vraiment nationale, catholique, française, sans mélange de race. Dès 1688, il fut proposé d'y introduire des nègres. Cette proposition ne rencontra aucun appui dans le ministère, qui se contenta de répondre qu'il craignait que le changement de climat ne les fît périr, et que le projet serait dès lors inutile 104. C'était assez pour faire échouer une entreprise qui aurait greffé sur notre société la grande et terrible plaie qui paralyse la force d'une portion si considérable de l'Union américaine, l'esclavage, cette plaie inconnue sous notre ciel du Nord qui, s'il est souvent voilé par les nuages de la tempête, ne voit du moins lever vers lui que des fronts libres aux jours de sa sérénité.

Note 104:(retour) Documens de Paris.

CHAPITRE II.
LOUISBOURG.
1744-1748

Coalition en Europe contre Marie-Thérèse pour lui ôter l'empire (1740.) – Le maréchal de Belle-Isle y fait entrer la France. – L'Angleterre se déclare pour l'impératrice en 1744. – Hostilités en Amérique. – Ombrage que Louisbourg cause aux colonies américaines. – Théâtre de la guerre dans ce continent. – Les deux métropoles, trop engagées en Europe, laissent les colons à leurs propres forces. – Population du Cap-Breton; fortifications et garnison de Louisbourg. – Expédition du commandant Duvivier à Canseau et vers Port-Royal. – Déprédations des corsaires. – Insurrection de la garnison de Louisbourg. – La Nouvelle-Angleterre, sur la proposition de M. Shirley, en profite pour attaquer cette forteresse. – Le Colonel Pepperrell s'embarque avec 4,000 hommes, et va y mettre le siège par terre tandis que le commodore Warren en bloque le port. – Le commandant français rend la place. – Joie générale dans les colonies anglaises; sensation que fait cette conquête. – La population de Louisbourg est transportée en France. – Projet d'invasion du Canada qui se prépare à tenir tête à l'orage. – Escadre du duc d'Anville pour reprendre Louisbourg et attaquer les colonies anglaises (1746); elle est dispersée par une tempête. – Une partie atteint Chibouctou (Halifax) avec une épidémie à bord. – Mortalité effrayante parmi les soldats et les matelots. – Mort du duc d'Anville. – M. d'Estournelle qui lui succède se perce de son épée. – M. de la Jonquière persiste à attaquer Port-Royal; une nouvelle tempête disperse les débris de la flotte. – Frayeur et armement des colonies américaines. – M. de Ramsay assiège Port-Royal. – Les Canadiens défont le colonel Noble au Grand-Pré, Mines. – Ils retournent dans leur pays. – Les frontières anglaises sont attaquées, les forts Massachusetts et Bridgman surpris et Saratoga brûlé; fuite de la population. – Nouveaux armemens de la France; elle perd les combats navals du Cap-Finistère et de Belle-Isle. – Marine anglaise et française. – Faute du cardinal Fleury d'avoir laissé dépérir la marine en France. – Le comte de la Galissonnière gouverneur du Canada. – Cessation des hostilités; traité d'Aix-la-Chapelle (1748). – Suppression de l'insurrection des Miâmis. – Paix générale.

L'abaissement de la maison d'Autriche est un des grands actes de la politique de Richelieu. Quoiqu'il eût bien diminué sa puissance, il y en avait en France qui désiraient la faire tomber encore plus bas. Tel était le maréchal de Belle-Isle qui exerçait une grande influence sur la cour de Versailles, lors de l'avènement de Marie-Thérèse à la couronne de son père, l'empereur Charles VI. A peine cette femme illustre et si digne de l'être, eut-elle pris possession de son héritage, qu'une foule de prétendans, comme l'électeur de Saxe, l'électeur de Bavière, le roi d'Espagne, le roi de Prusse le grand Frédéric, le roi de Sardaigne, se levèrent pour réclamer à divers titres les immenses domaines de l'Autriche. Le maréchal de Belle-Isle entraîna la France, malgré l'opposition du premier ministre, le cardinal de Fleury, dans la coalition contre Marie-Thérèse pour soutenir les prétentions de l'électeur de Bavière, qui aurait été beaucoup plus formidable qu'elle s'il eût pu réussir à la dépouiller de ses vastes possessions. L'on sait quel cri de patriotisme et d'enthousiasme sortit du sein des états de la Hongrie lorsque cette princesse se présenta avec son fils dans les bras au milieu de leur auguste assemblée, et invoqua leur secours par ces paroles pleines de détresse: «Je viens remettre entre vos mains la fille et le fils de vos rois». Mourons pour notre reine! s'écrièrent les nobles Hongrois en élevant leurs épées vers le ciel.

L'Angleterre qui avait d'abord gardé la neutralité, ne tarda pas à se déclarer, lorsqu'elle vit la fermeté avec laquelle l'impératrice faisait tête à l'orage, et elle jeta son épée à côté de la sienne dans la balance. C'était commencer les hostilités contre la France, et allumer la guerre en Amérique, où les colonies anglaises brûlaient toujours du désir de s'emparer du Canada.

Ces colonies montraient déjà, comme nous l'avons dit ailleurs, une ambition qui aurait pu faire présager à un oeil clairvoyant ce qu'elles voudraient être dans l'avenir; une inquiétude républicaine mais qu'elles dissimulaient soigneusement, semblait les tourmenter aussi. Cela n'échappa pas tout-à-fait dans le temps à la sagacité de la Grande-Bretagne. Le parti puritain qui avait autrefois gouverné l'ancienne Angleterre avait transporté son esprit de domination dans la nouvelle. Le génie de ces colons semblait prendre de la grandeur lorsqu'ils considéraient les immenses et belles contrées qu'ils avaient en partage, et il n'est guère permis de douter après ce que nous avons déjà vu jusqu'à ce jour, que les Etats-Unis voudront remplir toute leur destinée.

En Canada, l'on s'attendait depuis longtemps à la guerre. Les forts avancés avaient été réparés et armés, les garnisons de St. – Frédéric et de Niagara augmentées et Québec mis autant que possible en état de défense. Des mesures furent prises également pour chasser tous les Anglais de l'Ohio, où ils commençaient à se montrer; et M. Guillet avait été chargé de rassembler les Sauvages du Nord pour tenter une entreprise qui aurait eu sans doute du retentissement si elle eût pu réussir, mais que l'on ne pouvait guère se flatter d'accomplir, la conquête de la baie d'Hudson.

Du reste le fort de la guerre devait se porter sur le Cap-Breton et la péninsule acadienne. Le cardinal Fleury, qui détestait la guerre, laissa le Canada à ses propres forces. La Nouvelle-York, de son côté, redoutait plus les hostilités qu'elle ne les désirait. L'on se rappelle la visite du patron d'Albany, M. Ransallaer, en Canada et la proposition secrète qu'il fit au gouverneur d'une neutralité entre les deux pays. L'on ne devait donc pas s'attendre à une guerre bien vive sur le St. – Laurent et les lacs, du moins pour le présent. D'ailleurs le premier poste à prendre par les Canadiens sur cette frontière était celui d'Oswégo, et M. de Beauharnais n'osait pas le faire, d'abord parce que la colonie était trop faible et trop dépourvue de tout pour aller attaquer l'ennemi chez lui, et en second lieu, parcequ'il craignait l'opposition des Iroquois 105.

Note 105:(retour) Documens de Paris.

Cependant les difficultés entre les deux nations au sujet des frontières, avaient fait croire qu'à la première rupture elles se porteraient de grands coups en Amérique, et qu'un dénouement tel serait donné à la question des limites, qu'elle serait mise en repos pour longtemps. Néanmoins ni l'Angleterre ni la France, trop occupées probablement en Europe, ne songèrent à établir un champ de bataille dans le Nouveau-Monde. Ce furent les colons eux-mêmes qui se chargèrent de remplir cette portion du grand drame, et qui sans attendre d'ordres de l'Europe se mirent en mouvement.

Le Canada était peu garni de soldats; il n'y en avait pas mille pour défendre tous les postes depuis le lac Erié jusqu'au golfe St. – Laurent; mais Louisbourg, comme clef des possessions françaises du côté de la mer, avait une garnison de 7 à 8 cents hommes.

Ce boulevard devait protéger aussi la navigation et le commerce. Sa situation entre le golfe St. – Laurent, les bancs et l'île de Terreneuve et l'Acadie, était des plus favorables ayant la vue sur toutes ces terres et sur toutes ces mers. Les pieds baignés par les flots de de l'Océan, il était ceint d'un rempart en pierre de 30 à 36 pieds de hauteur et d'un fossé de 80 pieds de large. Il était en outre défendu par deux bastions, deux demi-bastions, et trois batteries de six mortiers et percées d'embrasures pour 148 pièces de canons. Sur l'île à l'entrée du port, vis-à-vis de la tour de la Lanterne, on avait établi une batterie à fleur d'eau de 30 pièces de canon de 28, et au fond de la baie, en face de son entrée, à un gros quart de lieue de la ville, une autre, la batterie royale, de 30 canons: savoir 28 de 42 livres de balles et 2 de 18. Cette batterie commandait le fond de la baie, la ville et la mer. L'on communiquait de la ville à la campagne par la porte de l'Ouest, et un pont-levis défendu par une batterie circulaire de 16 canons de 24. L'on travaillait depuis vingt-cinq ans à ces ouvrages, qui étaient défectueux sous le rapport de la solidité, parceque le sable de la mer dont on était forcé de se servir, ne convenait nullement à la maçonnerie; et Louisbourg passait pour la place la plus forte de l'Amérique; on le disait imprenable quoique les fortifications n'en fussent pas achevées. Mais il en était de ces fortifications comme de bien d'autres dans ce continent, qui ont une grande réputation au loin; mais qui perdent leur redoutable prestige dès qu'elles sont attaquées. Québec avait un grand nom et Montcalm n'osa pas attendre l'ennemi dans ses murs. D'ailleurs le gouverneur, le comte de Raymond, avait fait ouvrir le chemin de Miré qui conduisait au port de Toulouse dans une autre partie de l'île. Ce chemin, avantageux pour le commerce, avait, du côté de la campagne, affaibli la force naturelle de la place, protégée jusque là par les marais et les aspérités du sol; mais cette voie en en rendant l'accès facile permettait d'approcher jusqu'au pied des murailles. A la faveur de sa renommée, cette forteresse servait de retraite assurée aux vaisseaux canadiens qui allaient aux Iles, et protégeait une nuée de corsaires qui s'abattaient sur le commerce des Américains et ruinaient leurs pêches dans les temps d'hostilités. Les colonies anglaises voyaient donc avec une espèce de terreur ces sombres murailles de Louisbourg dont les tours s'élevaient au-dessus des mers du Nord comme des géans menaçans.

La population du Cap-Breton était presque toute réunie à Louisbourg. Il n'y avait que quelques centaines d'habitans dispersés sur les côtes à de grandes distances les uns des autres. On en trouvait moins de 200 de cette ville à Toulouse, où un pareil nombre à peu près étaient concentrés et s'occupaient de culture, alimentaient la capitale de denrées, élevaient des animaux et construisaient des bateaux et des goëlettes; une centaine habitaient les îles rocheuses et arides de Madame, quelques autres s'étaient répandus sur la côte à l'Indienne, à la baie des Espagnols (Sidney), au port Dauphin ainsi qu'en plusieurs autres endroits de l'île.

Le gouvernement du Cap-Breton et de St. – Jean était entièrement modelé sur celui du Canada. Le commandant, comme celui de la Louisiane, était subordonné au gouverneur général de la Nouvelle-France résidant à Québec; mais vu l'éloignement des lieux, ces agens secondaires étaient généralement indépendans de leur principal. Dans ces petites colonies, l'autorité et les fonctions de l'intendant étaient aussi déférées à un commissaire-ordonnateur, fonctionnaire qui a laissé après lui en Amérique une réputation peu enviable.

Au temps de la guerre de 1744 M. Duquesnel était gouverneur du Cap-Breton, et M. Bigot commissaire-ordonnateur. L'on connaît peu de chose sur le premier; à peine son nom est-il parvenu jusqu'à nous. Le second faisait alors au Cap-Breton, loin de l'oeil de ses maîtres, cet apprentissage d'opérations commerciales dont les suites ont été si fatales à toute la Nouvelle-France. On entretenait dans l'île 8 compagnies françaises de 70 hommes et 150 Suisses du régiment de Karrer, en tout 700 hommes quand les compagnies étaient complètes. On en détachait une compagnie pour l'île St. – Jean, une autre pour la batterie royale, et on faisait de petits détachemens pour garder plusieurs autres points de la côte; le reste formait la garnison de Louisbourg. C'étaient là toutes les forces dont l'on pouvait disposer pour garder l'entrée de la vallée du St. – Laurent.

Les colonies anglaises n'étaient guère mieux pourvues de troupes que celles de la Nouvelle-France; mais il n'y avait point de comparaison entre le chiffre de leurs habitans et le chiffre de ceux de ce dernier pays. Confiantes dans leurs forces, elles montraient moins d'empressement que les Français pour courir aux armes. Aussi ceux-ci avaient toujours l'avantage du premier coup, car ils savaient qu'ils devaient suppléer par la rapidité à ce qui leur manquait en force réelle.

L'on reçut à Louisbourg la nouvelle de la déclaration de la guerre plusieurs jours avant Boston. Les marchands armèrent sur le champ de nombreux corsaires, qui firent des conquêtes précieuses qui les enrichirent. Bigot possédait pour sa part plusieurs de ces vaisseaux, les uns tout seul, les autres en participation avec des particuliers. Le commerce américain fut désolé par ces courses et fit des pertes considérables.

Le gouverneur, M. Duquesnel, qui connaissait l'état de l'Acadie, que l'Angleterre abandonnait, comme avait fait la France, à elle-même, résolut d'en profiter. Il n'y avait que 80 hommes de garnison à Annapolis, et les fortifications étaient tellement tombées en ruines que les bestiaux montaient pour paître par les fossés sur les remparts écroulés. Le commandant Duvivier fut chargé de former un détachement de 8 à 900 hommes tant soldats que miliciens, de s'embarquer sur quelques petits bâtimens qui furent mis à sa disposition, et de tomber sur l'Acadie.

Le premier poste qu'il attaqua fut Canseau, situé à l'extrémité sud du détroit de ce nom. Il s'en rendit maître après avoir fait prisonniers les habitans et la garnison composée de 4 compagnies incomplètes de troupes, et le brûla. De là il se mit en marche, mais avec lenteur, pour Annapolis avec une soixantaine de soldats et 700 miliciens et Sauvages. Rendu aux Mines il s'arrêta subitement sans que l'on sût trop pourquoi, puis ensuite il se retira vers le Canada après avoir fait sommer inutilement Annapolis de se rendre. Cet officier a été blâmé de n'avoir pas marché avec rapidité sur cette ville pour l'attaquer tandis qu'elle était encore dans sa première surprise. Les principales familles s'étaient déjà enfuies à Boston avec leurs effets les plus précieux, et il paraît que dans le premier moment, elle n'aurait pu résister à un assaut. Il y aurait trouvé le P. Laloutre qui l'investissait avec 300 Indiens du Cap de Sable et de St. – Jean, accourus pour l'aider à faire cette conquête. Mais ce délai ayant donné le temps aux assiégés de recevoir des renforts, les Sauvages furent obligés de se retirer.

Cependant les corsaires, après avoir désolé la marine marchande anglaise, infestaient maintenant les côtes de Terreneuve, incommodaient les petites colonies qui y étaient dispersées, et menaçaient même Plaisance malgré ses fortifications et ses troupes. La nouvelle de l'irruption des Français en Acadie et des déprédations de leurs corsaires à Terreneuve arriva presqu'en même temps à Boston que celle de la rupture de la paix. Toutes les colonies furent dans l'alarme pour leurs frontières. Elles levèrent immédiatement des troupes pour garder leurs postes avancés du côté du Canada ou en augmenter les garnisons; et le Massachusetts fit à lui seul élever une chaîne de forts de la rivière Connecticut aux limites de la Nouvelle-York. Mais tandis qu'elles s'empressaient de prendre les mesures de sûreté que semblait commander la première attitude de leurs ennemis, il se passait à Louisbourg, dans le sein même du boulevard des Français, un événement qui les tranquillisa d'abord un peu, et qui ensuite leur donna probablement l'idée de venir attaquer cette forteresse. Cet événement qui aurait été grave dans tout autre temps, et qui l'était doublement dans les circonstances actuelles, est l'insurrection de la garnison qui éclata dans les derniers jours d'octobre 1744.

Cette garnison, faute d'ouvriers, était chargée de l'achèvement des fortifications. Dans les derniers temps, il paraît qu'on négligeait de payer le surplus de solde que ces travaux valaient aux soldats. Ils se plaignirent d'abord; ils murmurèrent ensuite, sans qu'on en fît aucun cas. Alors ils résolurent de se faire justice à eux-mêmes, et ils éclatèrent en révolte ouverte.

La compagnie Suisse donna le signal. Ils s'élurent des officiers, s'emparèrent des casernes, établirent des corps-de-gardes, posèrent des sentinelles aux magasins du roi et chez le commissaire-ordonnateur Bigot, auquel ils demandèrent la caisse militaire sans oser la prendre néanmoins, et ils firent des plaintes très vives contre leurs officiers qu'ils accusaient de leur retenir une partie de leur salaire, de leurs habillemens et de leur subsistance. Ce fonctionnaire les fit satisfaire de suite sur une partie de ces points, et tout l'hiver il employa la même tactique quand les insurgés devenaient trop menaçans. Depuis plus de six mois la garnison était ainsi en pleine rébellion lorsque l'ennemi se présenta devant la place.

Le bruit de ce qui se passait à Louisbourg s'était, comme on doit le supposer, répandu rapidement jusque dans la Nouvelle-Angleterre. Le gouverneur du Massachusetts, M. Shirley, crut que l'on ne devait pas perdre une si belle occasion d'attaquer un poste qui portait tant de préjudice, causait des craintes sérieuses et d'où venaient de sortir encore les troupes qui avaient brûlé Canseau, et les corsaires qui faisaient tous les jours essuyer de grandes pertes à leur commerce. Il écrivit dans l'automne à Londres pour proposer au gouvernement d'attaquer Louisbourg dès le petit printemps et avant qu'il eût reçu des secours, ou du moins de seconder les colons qui se chargeraient eux-mêmes de l'entreprise. Il représenta au ministère que ce poste était, en temps guerre, un repaire de pirates qui désolaient les pêcheries et interrompaient le commerce; que la Nouvelle-Ecosse serait toujours en danger tant que cette forteresse appartiendrait aux Français, et que si cette province tombait entre leurs mains l'on aurait six ou huit mille ennemis de plus à combattre; que pour toutes ces raisons il était de la plus haute importance de prendre Louisbourg. Il ajouta qu'en prenant ce boulevard l'on porterait un coup mortel aux pêcheries françaises, que le Cap-Breton était, comme on le savait, la clef du Canada et protégeait la pêche de la morue qui employait par an plus de 500 petits vaisseaux de Bayonne, de St. – Jean-de-Luz, du Havre-de-Grace et d'autres villes; que c'était une école de matelots, et que cette pêche jointe à celle pour la production des huiles, faisait travailler dix mille hommes et circuler dix millions. Dans le mois de janvier 1745 sans attendre de réponse de Londres, M. Shirley informa les membres de la législature qu'il avait une communication à leur faire, mais qu'il exigeait auparavant le secret sous le sceau du serment. Après avoir pris cette précaution, il leur transmit par message la proposition d'attaquer Louisbourg. Elle étonna les membres de la législature, et l'entreprise parut si hasardeuse qu'elle fut d'abord rejetée. Mais Shirley ne se découragea pas. Ayant gagné quelques uns de ces membres, la mesure fut reprise et après de longues discussions passa à la majorité d'une voix. Immédiatement Shirley écrivit à toutes les colonies du Nord pour leur demander de l'aide en hommes et en argent, et pour les engager à mettre un embargo sur leurs ports afin que rien ne pût transpirer du projet. Une partie seulement de ces colonies répondit à son appel. Mais en peu de temps on eut levé et équipé plus de 4,000 hommes, qui s'embarquèrent sous les ordres d'un négociant nommé Pepperrell, et firent voile pour le Cap-Breton où ils furent arrêtés trois semaines par les glaces qui entouraient l'île. Le commodore Warren envoyé d'Angleterre avec quatre vaisseaux de guerre pour bloquer Louisbourg du côté de la mer, les rallia à Canseau et contribua puissamment au succès de l'entreprise.