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Loe raamatut: «Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome III», lehekülg 11

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CHAPITRE II.
SECONDE BATAILLE D'ABRAHAM ET DERNIÈRE VICTOIRE DES FRANÇAIS

CESSION DU CANADA A L'ANGLETERRE ET DE LA LOUISIANE À L'ESPAGNE
1760-1763

Sentimens divers que la prise de Québec cause en Angleterre et en France. – Les ministres de Louis XV abandonnent le Canada à lui-même. – La Grande-Bretagne, organise trois armées pour achever sa conquête. – Mesures que l'on adopte pour résister à cette triple invasion. – Forces relatives des Français et des Anglais. – Le général de Levis marche sur Québec. – Seconde bataille d'Abraham. – Défaite complète de l'armée anglaise, qui se renferme dans la ville et que les Français assiègent en attendant les secours qu'ils avaient demandés de France. – Persuasion où l'on est dans les deux armées que le Canada restera à celle qui recevra les premiers renforts. – Arrivée d'une flotte anglaise. – Le général de Levis lève le siège et commence sa retraite sur Montréal; le défaut de vivres l'oblige de renvoyer les milices et de disperser les troupes régulières. – Etat des frontières du côté des lacs Champlain et Ontario. – Les ennemis se mettent en mouvement pour attaquer Montréal. – Le général Murray s'avance de Québec avec 4,000 hommes; le chef de brigade Haviland avec un corps presqu'aussi nombreux descend le lac Champlain et le général Amherst part du lac Ontario avec 11,000 soldats et Indiens. – Les Français se retirent et se concentrent sur Montréal au nombre de 3,500 soldats. – Impossibilité d'une plus longue résistance et capitulation générale. – Triomphe et réjouissance de l'Angleterre. – Procès et condamnations des dilapidateurs du Canada à Paris. – Situation des Canadiens-Pertes immenses qu'ils font sur les ordonnances et lettres de change du gouvernement déchu. – Continuation, de la guerre dans les autres parties du monde; paix de 1763, par laquelle le Canada est cédé à l'Angleterre et la Louisiane à l'Espagne. – Tableau de la France au temps de ce traité trop fameux par Sismondi.

Après les défaites que l'Angleterre essuyait depuis 5 ans en Canada, la nouvelle de la prise de Québec, ce lieu fort si renommé du Nouveau-Monde, la remplit de joie. Londres et les autres principales villes du royaume présentèrent des adresses de félicitation au chef de l'état, dont Pitt dut s'applaudir en secret, parce que c'était à lui qu'en revenait la plus grande gloire, et le parlement ordonna que les cendres du héros à qui l'on devait une si brillante conquête, fussent déposées dans le temple de Westminster au milieu de celles des grands hommes de la patrie, et qu'un monument y fut élevé à sa mémoire. Il vota en même temps des remercîmens aux généraux et aux amiraux qui avaient fait partie de l'expédition, et le roi ordonna que des actions de grâce publiques fussent rendues dans tout l'empire.

En France, où le peuple exclu du gouvernement ne pouvait manifester ses sentimens sur la honte des actes du pouvoir que par le mépris qu'il avait pour ceux qui en étaient chargés, il y a long-temps que l'on avait perdu l'espoir de conserver les belles contrées pour la défense desquelles tant de sang et d'héroïsme n'étaient plus qu'un sacrifice dans le grand désastre qui allait terminer l'un des derniers drames de la vieille monarchie. La perte du-boulevard de l'Amérique française et la mort de Montcalm ne surprirent point, mais elle fit une impression pénible dans le public, et même au milieu des orgies de la cour de Louis XV, où l'on regarda la partie comme si bien perdue que l'on ne pensa guère à secourir ces sentinelles avancées, qui voulaient encore combattre, sinon pour triompher du moins pour sauvegarder l'honneur national et reconquérir la supériorité des armes.

«L'Europe entière aussi, dit Raynal, crut que la prise de Québec finissait la grande querelle de l'Amérique septentrionale. Personne n'imaginait qu'une poignée de Français, qui manquaient de tout, à qui la fortune même semblait interdire jusqu'à l'espérance, osassent songer à retarder une destinée inévitable.» On ne connaissait pas leur courage, leur dévoûment et les glorieux combats qu'ils avaient livrés et qu'ils pouvaient livrer encore dans ces contrées lointaines où, oubliés du reste du monde, ils versaient généreusement leur sang pour la cause de leur pays. On ignorait que cette guerre était une guerre de peuple à peuple, et qu'on ne poserait les armes que quand l'on serait cerné, écrasé par les masses anglaises; et que jusque-là l'on ne voulait pas perdre espérance.

Les Canadiens qui croyaient que le gouvernement de la métropole allaient ou du moins devaient faire les plus grands efforts pour les arracher au sort qui les menaçait, furent trompés dans leur attente. M. Lemercier trouva, en arrivant à Paris, le ministre de la guerre, le maréchal de Belle-Isle expirant. Après sa mort le portefeuille passa aux mains du duc de Choiseul déjà chargé de celui des affaires étrangères. L'envoyé du gouverneur ainsi que les officiers de la garnison de Québec qui l'avaient précédé en France, donnèrent au ministre tous les renseignemens qu'il pouvait désirer sur la situation désespérée du Canada. Les dépêches dont M. Lemercier était porteur demandaient des secours de toute espèce en vivres, en munitions de guerre et en recrues; elles informaient la cour que l'on avait formé le projet de reprendre Québec, et que le succès de cette entreprise était certain si les secours que l'on demandait arrivaient avant ceux des ennemis. Malheureusement cette demande était faite dans le moment où, par le désordre prolongé des finances, le trésor se trouvait hors d'état de faire face à ses obligations les plus nécessaires. Les administrateurs continuellement changés ne pouvaient trouver de remède pour arrêter même le mal, qui allait toujours en augmentant. Chacun venait avec son plan et était remplacé avant qu'il eût à peine eu le temps de commencer à le mettre à exécution; et dès qu'il parlait de soumettre la noblesse et le clergé à l'impôt comme le peuple, il était repoussé avec haine et renversé. L'absence de patriotisme dans les classes les plus élevées de la société rendait ainsi le mal incurable, et exposait la nation à tous les malheurs et à la perte de cette grande réputation militaire qui faisait encore la force et la gloire, par le souvenir, de cette noblesse sensuelle et dégénérée qui ne voulait rien faire pour le salut commun; car par un effort uniforme et général, l'on pouvait se remettre facilement sur un bon pied, puisque, suivant M. de Necker, 34 les dépenses publiques étant de 610 millions en 1784, et les revenus de près de 585 millions, alors que la noblesse et le clergé, possesseurs d'une grande partie du territoire, étaient encore exempts de l'impôt, en rendant ces deux classes si riches contribuables, et en développant les immenses ressources du pays, le déficit annuel pouvait être plus que comblé. Mais l'égoïsme devait tout perdre.

Note 34:(retour) De l'administration des finances de la France. Les intérêts de la dette publique étaient alors de 207 millions de francs, ou égaux à ceux de l'Angleterre à la même époque (1784). Aujourd'hui la dette de l'Angleterre est double ou triple de celle de la France.

M. de Silhouette, qui avait succédé à M. de Boulogne aux finances, vint échouer ainsi devant l'opposition que firent à son projet de subvention territoriale, qui aurait atteint tous les propriétaires fonciers, les classes privilégiées, et il fut remplacé par M. Berlin, financier médiocre, mais plus docile aux voeux de la cour et de la noblesse. Celui-ci ne put ni ramener l'ordre dans les finances, ni trouver moyen de fournir quelques jours encore aux besoins les plus pressans du service public. Les lettres de change du Canada tirées sur le trésor à Paris ne purent être payées, circonstance aussi fâcheuse pour ce pays que la perte d'une bataille, et qui devait avoir le plus grand retentissement. Dans cet état de choses il est facile de concevoir que l'énergique résolution de reprendre Québec dût trouver peu d'écho à Versailles, où les courtisans regardaient la possession du Canada plutôt comme une charge que comme un avantage. Dans l'épuisement où l'on se trouvait, c'est tout ce que l'on put faire que d'y envoyer 400 hommes et la charge de 3 ou 4 navires en munitions de guerre et de bouche, sous la protection d'une frégate, qui s'étant amusée à enlever, chemin faisant, 13 ou 14 bâtimens anglais, finit par être obligée elle-même de se jeter dans la Baie des Chaleurs à l'entrée du golfe St. – Laurent, et par y être brûlée avec son convoi et ses prises par le capitaine Byron qui croisait dans ces parages avec une flotte nombreuse, et qui détruisit aussi un amas de cabanes décoré du nom fameux de Nouvelle-Rochelle, élevé par des réfugiés acadiens et quelques pauvres pêcheurs sous la protection de deux petites batteries placées sur un rocher.

En envoyant ces secours insuffisans au Canada, les ministres adressèrent aux divers chefs de la colonie des dépêches qu'ils ne reçurent que dans le mois de juin, pour leur recommander de disputer le pays pied à pied et de soutenir jusqu'au bout l'honneur des armes françaises à quelqu'extrémité que les affaires pussent être réduites; vaines recommandations pour des gens qui périssaient accablés sous le nombre de leurs ennemis, et qui avaient besoin non de paroles d'encouragement, mais de secours réels et efficaces.

Le gouvernement de la Grande-Bretagne, aiguillonné et soutenu par la voix puissante du peuple, tenait une conduite bien différente. Il obtint du parlement tous les subsides qu'il voulut pour continuer la guerre avec vigueur. Des flottes considérables couvrirent les mers de l'Europe, des Indes et de l'Amérique. Il fut résolu de barrer le chemin du Canada à la France, et d'employer à cet effet des forces telles que celle-ci ne put conserver dans l'état où elle se trouvait le moindre espoir d'y faire parvenir les secours nécessaires pour rétablir sa suprématie dans cette partie du monde; et c'est à la suite de ces accroissemens de forces que le petit convoi, dont l'on vient de parler tout-à-l'heure, vit fondre sur lui pas moins de onze vaisseaux de guerre en entrant dans le St. – Laurent.

Derrière ce rempart qui couvrait l'Amérique et la séparait de la France, l'Angleterre organisa, comme l'année précédente, trois armées pour achever d'abattre une puissance contre laquelle elle luttait depuis qu'elle avait planté son drapeau dans ce continent, et que sa grande supériorité numérique mettait enfin à sa merci. Toutes les provinces qu'elle y avait fondées ne cessaient point de montrer leur zèle pour l'accomplissement d'une conquête qu'elles avaient sollicitée avec ardeur. Les différentes législatures coloniales votèrent les hommes et l'argent qu'on leur demanda avec d'autant plus d'empressement que l'on touchait au succès définitif. Ces trois armées devaient marcher pour se réunir à Montréal et enlever ce dernier point qui restait encore à la France.

La garnison renfermée dans Québec devait être renforcée à l'ouverture de la campagne pour remonter le St. – Laurent. Le chef de brigade Haviland devait réunir ses troupes sur le lac Champlain, forcer le passage de l'île aux Noix et St. – Jean, et marcher sur le point indiqué; enfin, le général Amherst devait assembler une armée nombreuse à Oswégo, descendre le fleuve St. – Laurent en s'emparant de tous les postes français qu'il trouverait sur son chemin, et se réunir aux deux autres corps devant Montréal. Les Français n'ignoraient pas les préparatifs de leurs ennemis, et le gouverneur ainsi que le général de Levis ne songeaient qu'au moyen de les prévenir par une attaque subite contre le poste central où ils avaient pris pied en Canada, à savoir Québec, pour être prêts à donner la main aux secours qu'ils avaient demandés en France, et de l'arrivée desquels avant ceux des Anglais, dépendait désormais le salut du pays.

L'on avait d'abord résolu d'attaquer Québec dans l'hiver; mais il fallut ajourner cette entreprise au printemps. Ce délai fut employé à réorganiser l'armée, à ramasser des vivres et à préparer les embarcations nécessaires pour descendre le fleuve à la débâcle des glaces. Malgré les plus grands efforts, l'on ne put réunir un matériel suffisant pour faire un siège. L'on manquait complètement de grosse artillerie et il y avait peu de poudre. Cependant l'on ne désespérait pas de réussir soit à la faveur d'une surprise, soit à l'aide des secours attendus.

Afin d'empêcher l'ennemi de pénétrer le dessein que l'on avait formé, et encore plus de soutenir le courage des habitans et de fatiguer la garnison anglaise, l'on tint des partis dehors tout l'hiver.

Le général Murray ne négligeait rien de son côté pour se mettre en état de repousser toutes les tentatives jusqu'à la campagne suivante. Il était abondamment pourvu d'artillerie et de munitions de guerre et de bouche, et commandait les meilleures troupes de l'Angleterre. Il ne fut pas plutôt établi dans la ville qu'il adressa une proclamation aux Canadiens pour leur représenter l'inutilité d'une plus longue, résistance et tous les malheurs qui seraient la suite d'une opposition devenue sans objet. Onze paroisses environnantes abandonnées de l'armée française et dont la plupart des habitans, par l'incendie de leurs maisons, s'étaient vu forcés de se réfugier dans les bois que l'hiver allait rendre inhabitables, vinrent faire leur soumission et prêter le serment de fidélité, à l'exemple des habitans de Miramichi, Richibouctou et autres lieux du golfe St. – Laurent, qui, sur l'avis de leurs missionnaires, avaient fait la leur au colonel Frye, commandant anglais du fort Cumberland à Chignectou. Le général Murray avait porté ses avant-postes à Lorette et à Ste. – Foy, à 2 ou 3 lieues de la ville, et la guerre d'escarmouches ne discontinua presque point, malgré la rigueur de la saison. La garnison fut sans cesse occupée soit à tirer du bois de chauffage de la forêt du Cap-Rouge, soit à faire de petites expéditions, soit enfin à travailler aux fortifications de la ville, qu'après des travaux inouïs l'on mit en état de soutenir un siège, en achevant les remparts et les couvrant de mortiers et de canons d'un gros calibre, et en terminant les redoutes dont on a parlé et qui étaient au nombre de huit. Tous ces travaux avaient été exécutés malgré les maladies qui s'étaient mises dans les troupes, particulièrement le scorbut, et qui enlevèrent du 24 décembre au 24 avril près de 500 hommes. 35

Note 35:(retour) C'est la différence qui se trouve dans le chiffre des soldats entre ces deux époques d'après les ordonnances de paiement. 500 donneraient plus de 4 morts par jour, et Knox rapporte qu'au mois de janvier, dans le temps de la plus grande mortalité, l'on en perdait 2 à 3 par jour. Le journal manuscrit du colonel Fraser dit qu'il en mourut 682 du 18 septembre au 25 avril. La mortalité avait bien diminué à cette dernière date. Un Canadien avait enseigné qu'une infusion de branches de pruche était un remède salutaire pour le scorbut, et en effet ce remède avait eu les résultats les plus heureux.

De leur côté les Français, outre les fatigues de cette petite guerre, étaient assujettis aux privations de toute espèce qu'une disette prolongée entraîne avec elle. Le général de Levis mit ses troupes en quartier d'hiver chez les habitans dans les différentes paroisses des gouvernemens des Trois-Rivières et de Montréal, faute de provisions pour leur subsistance dans une seule localité, et il commença immédiatement ses préparatifs pour l'entreprise qu'il méditait, une défense opiniâtre, comme il le disait dans un mémoire qu'il présenta au gouverneur, ne pouvant qu'être avantageuse à l'état en occupant les forces de l'ennemi dans cette partie de l'Amérique, et honorable pour les armes françaises.

Afin de ranimer le courage de la population et l'engager à faire un nouvel effort et de nouveaux sacrifices, on invoqua la voix de l'église, qui ne devait pas rester sans écho chez un peuple profondément religieux. L'évêque, M. Dubreuil de Pontbriand, donna à cet effet à Montréal, où il s'était réfugié, un mandement au commencement de l'hiver, dans lequel l'on trouve ces mots: «Vous n'oublierez pas dans vos prières ceux qui se sont sacrifiés pour la défense de la patrie; le nom de l'illustre Montcalm, celui de tant d'officiers respectables, ceux du soldat et du milicien ne sortiront point de votre mémoire… vous prierez pour le repos de leurs âmes.» Il y a quelque chose de singulièrement grave et solennel dans ces paroles auxquelles la religion donne un si grand caractère. Cet appel aux prières des fidèles pour les braves qui étaient morts, en combattant pour leur pays devait, au moment où l'on parlait de reprendre les armes, remuer les fibres les plus sensibles du coeur, et augmenter l'énergie des guerriers qui se défendaient depuis si long-temps et avec tant d'obstination contre les forces toujours croissantes de nos envahisseurs. Quant aux troupes régulières elles-mêmes, si elles ne combattaient plus que pour l'honneur leurs voeux pouvaient être encore remplis.

Après bien des efforts l'on réussit à ramasser assez de subsistances pour nourrir l'armée encore quelque temps lorsqu'elle serait réunie. Au mois d'avril elle se trouva prête à entrer en campagne, et l'on n'attendait plus que la débâcle des glaces.

Les troupes de terre, surtout les grenadiers, avaient été recrutées à même les deux bataillons de la colonie; elles formaient avec ceux-ci 3,600 hommes. Les milices appelées à prendre part à l'expédition s'élevèrent à un peu plus de 3,000 fusils, y compris 270 sauvages. Cette armée, composée de plus de moitié de Canadiens, parce qu'on en avait fait entrer un grand nombre dans les régimens réguliers faute de recrues européennes, n'atteignait pas encore 7,000 combattans. 36 C'est tout ce que l'on pouvait approvisionner et réunir pour marcher sur Québec, les habitans de cette partie, c'est-à-dire ceux qui n'avaient pas fait leur soumission à l'ennemi, ne pouvant se joindre à eux qu'après l'investissement de la place, et le reste de ceux de Montréal et des Trois-Rivières étant nécessaire pour ensemencer les terres et pourvoir à la défense des frontières du côté des lacs Champlain et Ontario. 37

Note 36:(retour) L'armée destinée à l'expédition de Québec était composée comme suit:

Note 37:(retour) Extraits des instructions du gouverneur au chevalier de Levis:

«Nous avons, après bien des soins, réuni toutes les ressources de la colonie en comestibles et munitions de guerre; les unes et les autres sont très médiocres pour ne pas dire insuffisantes, aussi usons-nous de tous les expédiens que notre zèle peut nous suggérer pour y suppléer…

«Nos forces consistent en environ 3,500 hommes de troupes, 3,000 miliciens des gouvernemens de Montréal et des Trois-Rivières et environ 400 sauvages de différentes nations.» «Nous comptons qu'indépendamment des Acadiens, les habitans du gouvernement de Québec, ou du moins la plus grande partie, se joindront à cette armée aussitôt que la place sera investie. Nous écrivons pout cet effet à Mrs. les curés et capitaines de milice…

«M. le chev. de Levis sait que nous ne pouvons pas lui donner une armée plus considérable, les milices qui resteront dans les gouvernemens des Trois-Rivières et Montréal étant indispensablement nécessaires pour ensemencer les terres; il sait aussi que nous devons en même temps pourvoir à la sûreté des frontières des lacs Champlain et Ontario.» -Document de Paris.

Sans attendre que la navigation du fleuve fut complètement ouverte, le général de Levis envoya, le 16 et le 17 avril, l'ordre aux troupes de lever leurs quartiers d'hiver et de se mettre en marche, celles qui se trouvaient les plus rapprochées de Québec par terre et les autres par eau. Les champs étaient encore couverts de neige et les rives du St. – Laurent bordées de glaces, le centre du fleuve charriant avec le flux et le reflux de la marée celles qui étaient mobiles. Le général de Levis rappela à sa petite armée que pour son honneur, la gloire des armes et le salut du pays, elle devait chercher à réparer la perte de la journée du 13 septembre, et se souvenir que c'étaient les mêmes ennemis qu'elle avait eu à combattre à Oswégo, au fort George et à Carillon. Elle s'ébranla le 20. La partie qui descendait par eau fut embarquée sur les deux frégates qui escortaient les petits vaisseaux sur lesquels étaient chargés l'artillerie, les vivres et les fascines: pour le siège. Les glaces augmentant à mesure que l'on descendait, l'on fut obligé de mettre les troupes à terre à la Pointe-aux-Trembles. Une partie seulement de l'artillerie put atteindre St-Augustin et ensuite le Foulon. La journée du 25 fut employée à réunir l'armée à la Pointe-aux-Trembles, et l'avant-garde, sous les ordres du chef de brigade Bourlamarque, se mit en mouvement dès le lendemain.

Le temps pressait. Le général de Levis voulait surprendre l'ennemi, et ayant reconnu l'impossibilité de traverser la rivière du Cap-Rouge à son embouchure, où la rive dut côté de Québec est très haute et très escarpée et se trouvait en outre gardée, il résolut sur-le-champ de la tourner et d'aller franchir ce cours d'eau à deux lieues plus haut, par Lorette, à la peine d'avoir à déboucher par les marais de la Suède pour gagner les hauteurs de Ste. – Foy.

Le chef de brigade Bourlamarque rétablit les ponts de cette rivière que l'ennemi avait rompus à son approche, et poussa les troupes en avant, faisant évacuer le poste que les Anglais avaient établi à l'ancienne Lorette. Le général de Levis qui arriva dans ce moment, s'étant aperçu qu'ils avaient négligé de rompre une chaussée de bois qui traversait une partie des marais de la Suède, en fit occuper la tête aussitôt par les sauvages. L'avant-garde atteignit ces marais à l'entrée de la nuit et les traversa sans s'arrêter, malgré un orage de pluie et de tonnerre inusité dans cette saison, et elle prit possession des maisons qui étaient au-delà, n'étant plus séparée de l'ennemi que par un bois d'une petite demi-lieue de profondeur. Au point du jour, le 26, elle passa le bois et se présenta à la vue des Anglais, dont le général de Levis alla reconnaître la position, tandis que le reste de ses troupes qui avait marché pendant toute cette nuit orageuse pour ainsi dire à la clarté des éclairs qui se succédaient sans cesse, traversait le marais et venait se former derrière ce bois.

Cependant l'armée française n'avait pu se mettre en mouvement ni assez secrètement, ni assez promptement pour surprendre l'ennemi dans Québec. Tout l'hiver l'on avait répandu à dessein le bruit que l'on allait descendre incessamment pour attaquer cette ville avec une armée de 12 à 15 mille hommes, et le général Murray, ne repoussant pas entièrement ces rapports, se tenait prêt pour tous les événemens. Dans le mois d'avril ces rapports prenant de la consistance, il crut devoir se débarrasser de la population de la ville, qui aurait pu lui devenir à charge dans un siége. En conséquence elle eut ordre, le 21, d'en sortir dans trois jours avec les effets qu'elle pourrait emporter. Cet ordre qui jeta dans le désespoir ces malheureux habitans qui avaient déjà vu leurs foyers détruits par le bombardement, qui avaient perdu presque tout ce qu'ils possédaient, fut exécuté le 24. Les soldats de la garnison quoiqu'accoutumés à toutes les horreurs de la guerre, ne purent voir sans être émus ces infortunés s'éloigner de leurs murailles suivis de leurs femmes et de leurs enfans et ne sachant où aller chercher un gîte dans un pays dévasté et réduit à la dernière misère. Le général Murray fit ensuite rompre tous les ponts de la rivière du Cap-Rouge aisi qu'on l'a rapporté ailleurs, et envoya des troupes pour observer les mouvemens des Français s'ils se présentaient. Après ces mesures de précaution, il attendit pour agir selon les circonstances. Ce sont ces troupes 38 que le général de Levis voyait devant lui sur les hauteurs de Ste. – Foy. Elles étaient au nombre de 2,500 (Mante) à 3,000 hommes avec quelques pièces de canon, et s'étendaient depuis l'église de Ste. – Foy jusqu'à la gauche de la route de la Suède, par où montaient les Français pour déboucher sur le plateau.

Note 38:(retour) Formées des 28e, 47e, 58e et 78e (Highlanders) régimens.

Le bois d'où ceux-ci sortaient, pouvait être à 200 toises de la ligne ennemie, et comme il était marécageux, l'on ne pouvait en déboucher que par le grand chemin. En outre l'espace compris entre ce bois et les Anglais n'était pas assez étendu pour leur permettre de se former et de marcher à l'attaque sans s'exposer à un combat désavantageux. La situation du général de Levis devenait donc très difficile, et si dans ce moment toute l'armée anglaise se fût trouvée là pour défendre l'accès du plateau, il se serait vu obligé probablement d'abandonner son entreprise. Mais en voyant le danger il sut avec cette décision prompte qui le caractérisait, trouver moyen de l'éviter et cacher son dessein à l'ennemi. Aussitôt que le jour fut tombé, il fit défiler ses troupes par sa droite le long de la lisière du bois jusqu'à ce qu'il eût dépassé le front de l'ennemi et tourné son flanc gauche, espérant par cette manoeuvre non seulement obtenir une position avantageuse, mais couper encore le corps placé en observation à l'embouchure de la rivière du Cap-Rouge; mais le mauvais temps et la difficulté de la marche dans cette saison ne permirent point aux soldats, déjà très fatigués, d'opérer ce mouvement avec toute la célérité désirable. Et le lendemain matin le général Murray qui s'était transporté sur les lieux, eut le temps de faire retirer ses troupes du Cap-Bouge; mais il ne put sauver le matériel qu'il y avait dans ce poste avancé. En conséquence après une fusillade et quelques coups de canon, il fit porter les vivres, munitions, armes et outils qu'il y avait dans cet endroit dans l'église de Ste. – Foy, y fit mettre le feu et opéra sa retraite vers la ville, laissant aussi plusieurs pièces de campagne entre les mains des Français, et le général de Levis maître d'un champ de bataille qu'il aurait pu avoir beaucoup de peine à obtenir.

Les cavaliers français suivirent le mouvement rétrograde de Murray, escarmouchant: avec son arrière-garde jusqu'au moulin de Dumont, situé sur le chemin de Ste. – Foy à l'extrémité du champ de bataille du 13 septembre et à une demi-lieue des remparts de la ville, où il laissa un gros détachement avec ordre de tenir ferme jusqu'à la nuit. Les troupes françaises se logèrent dans les maisons depuis l'église de Ste. – Foy jusqu'à ce moulin, occupant un espace de 5 quarts de lieue. Le temps était toujours affreux, la pluie continuant à tomber par torrens, ce qui retardait beaucoup la marche de l'armée.

Dans la nuit, les Anglais évacuèrent le moulin de Dumont et se replièrent sur les buttes à Neveu à environ 250 toises des remparts de Québec qu'elles masquaient, et commencèrent à s'y retrancher. Au point du jour le général de Levis fit occuper le moulin qui venait d'être abandonné et les plaines d'Abraham jusqu'au fleuve par son avant-garde, afin de couvrir l'anse du Foulon, où les bâtimens chargés des vivres, de l'artillerie et des bagages des troupes et qui n'avaient pas effectué leur déchargement à St. – Augustin, avaient reçu ordre de descendre. Pendant que l'on débarquerait ces effets le 28, l'armée devait se reposer pour être en état d'attaquer les buttes à Neveu le lendemain et de rejeter les Anglais dans la place.

Cependant Murray n'avait pas été plutôt rentré dans la ville qu'il avait résolu, au lieu d'attendre les Français derrière ses murailles, de se porter en avant avec toutes ses troupes dans l'intention, soit de leur livrer bataille si l'occasion s'en présentait, soit de se fortifier sur les buttes à Neveu s'ils paraissaient trop nombreux; car le rapport d'un de leurs canonniers, tombé sur une glace flottante en débarquant, et recueilli gelé et mourant par des soldats, ne lui permettait plus de douter que toute l'armée dont il était menacé depuis si long-temps, arrivait enfin. Il sortit donc de la ville le 28 au matin à la tête de toute la garnison, 39 dont les troupes de ligne seules, quoique réduites de 490 hommes par les maladies pendant l'hiver, comptaient encore 7,714 baïonnettes non compris les officiers. 40 Il ne laissa dans la place que les soldats nécessaires à sa garde et quelques centaines de malades, plus de mille en convalescence étant venus au premier bruit du combat reprendre volontairement leurs rangs sous les drapeaux, et il s'avança ainsi avec à-peu-près 6 mille hommes et 22 bouches à feu sur deux colonnes. 41

Note 39:(retour) «On the 28th April, about 8 o'clock in the morning, the whole garrison, exclusive of the guards… marched out of town with 20 pièces of field artillery.» -Manuscrit de Fraser.

Note 40:(retour) Suivant les ordonnances de paiement pour leur solde expirée le 24 avril, ou 4 jours avant la 2de bataille d'Abraham, ordonnances dont voici une copie textuelle pour le 78e régiment (montagnards écossais):

By the Honble. James Murray, Esq.,

Governor of Québec, etc.

You are hereby required and directed out of such monies as shall come to your hands for the subsistence of His Majesty's forces under my command, to pay or cause to be paid to Lieut. James Henderson, Dy. Paymaster of His Majesty's 78th Regt. of Foot or his assigns, the sum of two thousand one hundred and sixty three pounds nineteen shillings and six pence sterling, being for subsistence of said Regiment between the 24th day of February and the 24th day of April 1760, both days inclusive, as p. account annexed, and for so doing this with the acquittance of the said Lieut. James Henderson or his assigns shall be to you a sufficient warrant and discharge.

Given under my hand, at Québec, this 27th day of november 1760.

Note 41:(retour) Smith dit que les Anglais étaient 3,000 et les Français 12,000. Il a pris cela probablement dans le Journal de Fraser que nous avons cité quelquefois. Ce manuscrit est rempli d'erreurs et de contradictions, et on ne doit s'en servir qu'avec beaucoup de réserve et lorsqu'il s'accorde avec l'ensemble des faits ou les pièces authentiques. Si le simple détachement anglais qui barra le chemin de la Suède aux Français le 26 avril était, suivant Mante, de 2,500 hommes, il faut bien avouer que toute l'armée, après avoir été rejointe encore par mille invalides, comme le rapporte Fraser lui-même, devait dépasser 3,000 hommes; car autrement l'on n'aurait pas donné le nom de détachement à ce qui aurait été l'armée entière. Au reste les états officiels donnés plus haut sont concluans sur le point et s'accordent avec le chiffre des troupes, anglaises à leur arrivée en Canada et celui des pertes qu'elles avaient faites depuis.

Le général de Levis qui s'était porté en avant de sa personne avec son état-major pour reconnaître la position des Anglais sur les buttes à Neveu, n'eut pas plutôt aperçu ce mouvement qu'il envoya l'ordre à ses troupes de hâter leur marche pour se rendre sur les plaines d'Abraham. Le général anglais, de son côté, voyant qu'il n'y avait que la tête de l'armée française d'arrivée, et qu'elle ne paraissait pas s'attendre à livrer bataille ce jour-là, décida de l'attaquer immédiatement pendant qu'elle était encore dans le désordre de la marche; mais, il avait affaire à un homme de tête et d'un sang-froid qu'il était fort difficile de troubler. Il rangea ses troupes en bataille en avant des buttes à Neveu, sa droite au coteau Ste. – Geneviève et sa gauche à la falaise qui borde le St. – Laurent, sa ligne occupant un petit quart de lieu de développement. Quatre régimens, sous les ordres du colonel Burton, formaient la droite à cheval sur le chemin de Ste. – Foy; quatre autres avec les montagnards écossais, sous les ordres du colonel Fraser, formaient la gauche à cheval sur le chemin de St. – Louis. Deux bataillons étaient placés en réserve. Outre ces deux bataillons le flanc droit de l'armée était couvert par un corps d'infanterie légère sous les ordres du major Dalling; et le flanc gauche par la compagnie des rangers du capitaine Huzzen et cent volontaires conduits par le capitaine Macdonald. Le général Murray donna ensuite l'ordre de marcher en avant. Il n'y avait encore que l'avant-garde française d'arrivée composée de 10 compagnies de grenadiers; elle était rangée en bataille, occupant sur la droite une redoute élevée par les Anglais l'année précédente à l'est de la côte du Foulon, et sur la gauche le moulin de Dumont, la maison, la tannerie et les autres bâtimens qui l'environnaient, situés à 300 toises en arrière de la ligne occupée par l'ennemi à la première bataille d'Abraham, et couvrant le chemin de Ste. – Foy. Le reste de l'armée avait précipité le pas se resserrant en avançant, et les trois brigades de la droite étaient déjà formées lorsque les Anglais commencèrent l'attaque avec une grande vivacité, la mitraille de leur nombreuse artillerie faisant de terribles ravages dans les rangs des Français, qui n'avaient encore que leurs petites armes pour y répondre.