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Loe raamatut: «Anatole, Vol. 2», lehekülg 7

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CHAPITRE XLI

Le récit du commandeur fit rêver long-temps Valentine; elle ne l'avait interrompu par aucune réflexion, et n'en fit pas davantage après l'avoir attentivement écouté, mais elle adressa à M. de Saint-Albert plusieurs questions sur différents petits événements qui avaient excité sa surprise, et que l'intimité secrète de Saint-Jean et de mademoiselle Cécile lui expliqua bientôt. Le prix des innocents services de mademoiselle Cécile, qui se bornait à dire à Saint-Jean les projets de sa maîtresse, était tout entier dans l'espérance d'épouser ce brave garçon, que son maître récompensait généreusement; et Valentine n'osa pas punir des indiscrétions qu'elle feignit de regarder comme un excès de confiance amoureuse.

Le commandeur s'apercevant de l'espèce d'abattement où paraissait être Valentine, s'excusa de l'avoir fatiguée par un aussi long entretien, et voulut se retirer pour lui laisser prendre quelque repos; mais elle n'y consentit qu'après lui avoir fait promettre de cacher au duc de Linarès quelle avait découvert son secret. Il lui en donna l'assurance: Comptez sur ma parole, lui dit-il: j'y serai d'autant plus fidèle que je ne saurais vous trahir sans le désespérer; jugez-en vous-même. En finissant ces mots, le commandeur remit à Valentine la lettre suivante, et il sortit:

Anatole, a M. de Saint-Albert

«J'apprends, mon excellent ami, que le marquis d'Alvaro vient d'exposer, au salon du Louvre, le tableau que je lui avais envoyé pour le faire encadrer, et vous l'offrir. Je tremble que cette indiscrétion ne me coûte plus que la vie, en apprenant à Valentine mon nom et mes malheurs. La seule idée de perdre avec mon secret jusqu'au souvenir qu'elle me conserve, me livre au plus affreux désespoir. Car il n'en faut pas douter, l'instant qui lui dévoilerait à quel supplice la nature m'a condamné, changerait tous ses sentiments pour moi. A la place de ce tendre intérêt, dont je relis chaque jour les témoignages, la dédaigneuse pitié viendrait accabler mon amour du poids de ses humiliations; au lieu d'inspirer à Valentine cette affection qui fesait mon bonheur, je serais réduit à sa reconnaissance; ou peut-être son cœur, indigné de l'audace du mien, ne me pardonnerait pas d'oser l'adorer. Ah! mon ami! sauvez-moi de ce malheur cent fois pire que la mort; et n'essayez plus de me prouver que mes craintes à ce sujet sont exagérées. Je sais comme vous de combien d'éléments divins le ciel a composé l'ame de Valentine; mais, plus elle est supérieure à tout ce qu'on admire, plus elle a le droit d'exiger de celui qui aspire à lui plaire. Je me rends justice; les faibles qualités qui m'ont acquis votre amitié pourraient me mériter la sienne. Mais le même sentiment qui dans votre cœur est la source de mes plus douces consolations, de sa part ne me semblerait qu'un outrage fait à mon amour. Songez qu'un moment dans ma vie j'ai joui du plaisir enivrant de contempler sur ses traits enchanteurs une partie de l'émotion qui pénétrait mes sens; que plus d'une fois ses yeux ont répondu aux miens; et voyez si je pourrais survivre à l'illusion qui m'a valu tant de félicité.»

A cette lettre en était jointe une autre pour le marquis d'Alvaro, par laquelle on le priait de faire porter sans délai le tableau d'Anatole chez le commandeur. Deux jours après, Valentine sortit pour la première fois de son appartement, et lorsqu'elle entra chez M. de Saint-Albert, elle ne s'étonna point d'y trouver ce tableau à la place d'un ancien portrait de famille, qui jusqu'alors avait eu les honneurs du salon. Souvent, les yeux fixés sur l'ouvrage d'Anatole, elle le considérait sans proférer une parole. Ses amis respectaient son silence, et bornaient leurs soins à distraire son esprit, sans chercher à pénétrer ce qui se passait dans son ame. Discrétion bien rare en amitié!

Les médecins venaient de déclarer que la santé de Valentine était parfaitement rétablie; cependant son teint n'avait point repris son éclat; son regard était triste; et tout en elle montrait un état languissant; mais lorsque madame de Réthel en témoignait quelque inquiétude au docteur, il lui répondait, avec cette assurance que l'on met assez souvent à décider des choses que l'on ne comprend pas, que les maladies inflammatoires étaient toujours suivies d'un accablement profond, qui n'empêchait pas de se bien porter; et madame de Réthel, sans y rien comprendre non plus, adoptait cette sentence.

Le commandeur, moins facile à rassurer, desirait qu'un événement quelconque pût distraire Valentine de la vie monotone qu'elle avait adoptée. Une lettre de M. de Nangis ne vint que trop tôt seconder ses vœux. Elle était datée de Londres, et contenait le récit de l'aventure scandaleuse qui venait de lui révéler l'indigne conduite de sa femme. La scène s'était passée au château de Varennes, où la comtesse avait eu l'imprudence d'emmener avec elle la jeune baronne de Tresanne, dont la beauté commençait à faire autant de bruit que les extravagances. La certitude de la rencontrer à Varennes était entrée pour beaucoup dans la promesse que M. d'Émerange avait faite à madame de Nangis de l'y suivre; deux jours s'étaient à peine écoulés, que la plus parfaite intimité régnait déja entre le comte et la jolie baronne; mais ce n'était pas sans conditions que madame de Tresanne s'était décidée à récompenser d'avance l'éternel amour que lui avait juré M. d'Émerange. Le sacrifice de madame de Nangis en avait été la première récompense; et il fut résolu entre eux qu'après avoir satisfait aux devoirs d'usage en pareil cas, le comte se dégagerait, sans retour, d'une chaîne importune. Déja plusieurs tentatives lui avaient prouvé la difficulté de réussir. La comtesse était moins résignée que jamais à perdre les avantages d'une liaison qui coûtait aussi cher à sa conscience qu'à son repos; et madame de Tresanne, prévoyant bien que les ménagements du comte ne serviraient qu'à prolonger l'erreur de sa victime, feignit de s'irriter de tant de complaisance, et déclara positivement à M. d'Émerange, qu'elle aimait mieux céder l'empire de son cœur, que de le partager plus long-temps. Cette menace produisit tout l'effet qu'elle en pouvait attendre; la crainte de voir s'échapper sa nouvelle conquête avant de l'avoir constatée publiquement, soumit les volontés du comte à toutes celles de madame de Tresanne, et il s'en remit à elle du choix des moyens à employer. La persévérance de la comtesse en ayant fait échouer plusieurs, madame de Tresanne se décida au plus atroce comme au plus infaillible. Un billet anonyme instruisit M. de Nangis de la perfidie de sa femme, en lui indiquant une occasion de s'en convaincre. Dès ce moment la colère et le désespoir régnèrent dans le château de Varennes: madame de Tresanne s'empressa d'en sortir au premier bruit de l'éclat qu'elle avait provoqué; et sans vouloir en apprendre la cause au comte d'Émerange, elle lui ordonna de tout quitter pour la suivre à Bagnères. Elle s'y rendit sans s'arrêter pour soustraire M. d'Émerange aux premiers effets du ressentiment de M. de Nangis. Les amis de la comtesse retournèrent bientôt à Paris dans l'intention charitable d'y publier l'aventure scandaleuse dont ils venaient d'être témoins, et que le brusque départ de M. de Nangis allait certifier à tous ceux qui oseraient en douter. Effectivement, ce malheureux époux, sans calculer si la conduite présente de sa femme n'était pas le fruit de l'indulgence outrée qu'il avait montrée pour ses premières inconséquences, croyait reparer les torts de sa faiblesse par l'on punit souvent des fautes qu'avec plus de soin on aurait pu prévenir. Après une scène violente, dans laquelle la comtesse avait fait l'aveu de tout ce que sa folle passion lui avait suggéré contre Valentine, le comte de Nangis était parti brusquement pour Londres, en arrachant Isaure des bras de sa coupable mère. Abandonnée de tout ce qui lui était cher; livrée aux injures de sa médisance implacable dont elle avait si souvent dirigé les traits; enfin, seule avec ses remords, cette infortunée s'était réfugiée dans un couvent de Paris, où les soins pieux des Sœurs de la Miséricorde ne parvenaient point à calmer les tourments de son cœur. Ce cœur, si souvent dominé par la vanité, n'éprouvait plus alors que la honte et les regrets d'avoir perdu tous ses droits maternels. La crainte de ne pouvoir réparer les fautes de sa vie en la consacrant toute entière à l'éducation et au bonheur de sa fille, ôtait à madame de Nangis tout espoir de consolation. Malgré la frivolité de son esprit, elle avait observé que la sévérité des gens du monde se laissait désarmer à la vue d'une jeune personne dont la candeur et les vertus fesaient oublier les égarements de sa mère. En effet, comment se rappeler les torts d'une femme coupable, en admirant l'ouvrage d'une mère aussi tendre que sage! Et quel homme assez méchant oserait porter atteinte au respect qu'elle inspire à sa fille, en affectant de ne le point partager?

CHAPITRE XLII

Valentine prévoyait depuis long-temps les malheurs qui menaçaient sa famille, et cependant, en les apprenant, elle en fut frappée comme d'une nouvelle inattendue; le bonheur de reconquérir l'estime de son frère, qui le priait en grace de se charger de l'éducation d'Isaure, ne la consolait pas du triste événement qui lui valait une aussi éclatante réparation. En répondant à la lettre où M. de Nangis la conjurait de lui pardonner son injustice et les injures qui lui avaient été dictées par une femme perfide, elle avait tenté de modérer l'indignation de son frère, en excitant sa pitié pour le sort de cette malheureuse mère, qui, lui disait-elle, serait encore digne de sa tendresse, si de misérables flatteurs, trop bien accueillis par lui-même, ne s'étaient fait un jeu d'égarer sa raison. Il y avait autant de vérité que d'indulgence dans cette supposition; mais M. de Nangis était trop irrité pour se rendre aux avis de sa sœur; il les mit sur le compte de la générosité naturelle au caractère de Valentine, et n'en persista pas moins dans le dessein de punir rigoureusement celle qui venait de l'outrager.

Comme il se méfiait avec juste raison de l'extrême bonté de sa sœur, ce n'est qu'après avoir exigé d'elle la promesse de ne jamais confier à une autre le soin d'élever Isaure, qu'il s'était déterminé à la lui envoyer. Avec quel plaisir cette aimable enfant se retrouva dans les bras de Valentine! et combien de fois elle remercia son père de l'avoir confiée à sa tante, pendant le grand voyage que venait d'entreprendre sa mère! car c'est ainsi qu'on avait motivé l'absence de la comtesse, et la cause des larmes qu'elle avait vues inonder son visage au moment de leur séparation.

La présence d'Isaure sembla ranimer l'existence de Valentine. Elle consentit à quitter la campagne pour se rendre à Paris, dans l'unique intention d'y faire donner à son élève les leçons des meilleurs maîtres. Mais l'attachement qu'elle portait à ses amis ne lui permettant pas de s'en séparer, elle accepta la proposition que lui fit madame de Réthel, de partager l'hôtel qu'elle occupait avec son oncle.

De retour à Paris, il se fit un grand changement dans les habitudes de la marquise: on la voyait sortir tous les matins à la même heure, et passer le reste de la journée dans la retraite. Le salon du commandeur était le seul où l'on pût la rencontrer quelquefois; car pour les fêtes et le spectacle, elle paraissait également décidée à les fuir; et l'on trouvait cette conduite assez simple après l'éclat qui venait d'avoir lieu dans sa famille. Mais ce qui parfois échappe aux yeux des indifférents, attire l'attention d'un ami, et M. de Saint-Albert, loin d'expliquer si facilement les motifs qui inspiraient à Valentine le desir de s'éloigner de toutes les personnes qui possédaient autrefois sa confiance, redoutait les suites de cet état de contrainte perpétuelle. Il essayait quelquefois de vaincre la résolution qu'elle semblait avoir prise d'éviter toute conversation relative à Anatole, en se fesant apporter devant elle les lettres qu'il recevait de lui; mais il en lisait tout haut le timbre, la date, et même les premières lignes, sans que Valentine lui témoignât la moindre curiosité d'en savoir davantage; et le commandeur ne retirait d'autre résultat de ces petites épreuves, que de voir se prolonger le silence rêveur de Valentine.

Un jour pourtant que M. de Saint-Albert lisait, comme à l'ordinaire, sa correspondance, tandis que sa nièce et madame de Saverny s'occupaient à broder, elles l'entendirent prononcer quelques mots sans suite, et d'une voix qui semblait altérée par l'émotion la plus pénible. – Ciel! s'écria madame de Réthel, quelle triste nouvelle vous apprend-on? – Ce n'est rien, reprit-il, en cherchant à se remettre, mais vous savez qu'il est impossible de ne point partager les impressions que la duchesse de Linarès sait peindre avec tant de vérité; sa manière touchante de parler de ses peines, de ses inquiétudes, les fait passer tout entières dans le cœur de ses amis. – Lui serait-il arrivé quelque malheur? demanda vivement Valentine. – Non pas à elle. – Cette réponse fit pâlir la marquise, et parut lui ôter la force de faire une autre question. Madame de Réthel, s'apercevant de ce qu'elle éprouvait, s'empressa d'interroger son oncle sur la santé d'Anatole. – Mais, lui répondit-il, d'après ce que me mande sa mère, il se porte aussi bien qu'on peut le faire avec un coup d'épée dans le bras. – Un coup d'épée s'écrièrent à-la-fois Valentine et son amie. – Il faut bien, reprit le commandeur, d'un ton calme, payer de quelque chose le plaisir de punir les impertinences d'un fat. Ce nom de fat, que M. de Saint-Albert ne prononçait jamais qu'en parlant de M. d'Émerange, fit tressaillir Valentine, elle pensa qu'elle seule était cause de l'événement malheureux dont elle n'osait demander les détails, elle s'en fit tout haut le reproche, et ses yeux se remplirent de larmes. – Cessez de vous accuser, lui répondit le commandeur, d'un fait dont vous êtes complètement innocente. C'est pour y soigner la santé de sa mère qu'Anatole est resté a Bagnères un mois de plus qu'il ne le devait. Vous savez quel motif vient d'y conduire dernièrement M. d'Émerange; ce n'est pas vous qui lui avez dicté les couplets insultants qu'il s'est amusé à composer sur les amours discrets d'un muet de naissance, et dont, malheureusement pour lui, une copie est tombée entre les mains d'Anatole. Ainsi donc ne vous reprochez pas la blessure qui vient de défigurer pour toujours un visage moins joli qu'insolent; c'est un trait de la justice divine, dont la gloire était réservée à l'adresse d'Anatole. M. d'Émerange a follement pensé qu'on pouvait insulter impunément un homme que son infirmité dispensait du devoir de la vengeance. Cette lâcheté a été justement punie; et la providence devrait frapper de même tous ceux qui ne consacrent qu'à nuire les dons heureux qu'ils ont reçus du ciel. – Mais Anatole est aussi blessé, dit Valentine, avec inquiétude. – Très-légèrement, reprit le commandeur, et sur ce point on peut en croire la duchesse: je voudrais bien être aussi rassuré sur l'état de cette bonne mère. Jugez de ce qu'elle a dû souffrir lorsqu'elle a appris par l'effet du hasard le moment où son fils allait se battre. Je m'étonne qu'elle ait résisté à une semblable épreuve, et j'en redoute les suites pour sa santé. – Ah! mon cher oncle, interrompit madame de Réthel, si vous avez cette crainte, ne souffrez pas que la duchesse de Linarès se livre avec confiance aux médecins des eaux. Écrivez à son fils de nous la ramener. C'est ici qu'elle trouvera les plus savants docteurs et ses meilleurs amis. – Vraiment elle avait bien le projet de se rendre à Paris; mais son fils refuse de l'y suivre, ajouta le commandeur, en regardant Valentine, avant d'avoir obtenu un consentement à son retour de la même personne qui ordonna son départ.. – Eh! qu'allez-vous répondre? demanda la marquise. – Mais ce qu'il vous plaira. – Je ne saurais, reprit-elle, me prévaloir d'un ordre que je n'ai donné qu'en obéissant. C'est à vous à le rétracter. – Je ne le puis. – Qui vous en empêche? – Le devoir que je me suis imposé de ne plus décider des actions de mes amis. – Vous n'avez pas juré, j'espère, de ne plus leur servir d'interprète. – Non: mais c'est un oubli que je peux réparer. – Attendez pour cela, dit Valentine, en se levant, que vous ayez répondu au duc de Linarès que rien ne s'oppose à son prochain retour.»

CHAPITRE XLIII

Peu de jours après cet entretien, Valentine fut péniblement distraite du souvenir qu'elle en conservait par de mortelles inquiétudes. M. de Nangis, ennemi déclaré de toutes les innovations, s'était constamment opposé au desir que lui avait souvent témoigné sa femme, de faire inoculer Isaure, et la pauvre enfant venait d'être atteinte de tous les symptômes d'une violente petite-vérole. Dès les premiers moments de la maladie, Valentine s'était comme attachée au pied du lit de sa nièce, et avait recommandé qu'on ne laissât pénétrer personne dans son appartement. Déja six nuits s'étaient écoulées sans qu'elle eût consenti à prendre le moindre repos, lorsqu'on vint l'avertir qu'une femme à laquelle on avait répété plusieurs fois que madame de Saverny n'était pas visible, s'obstinait à rester sur les marches de l'escalier, pour y attendre le moment où le docteur P… sortirait de chez elle. Valentine s'informa du nom de cette femme, et apprit avec étonnement qu'elle refusait de le dire. C'est probablement, ajouta le domestique, quelque pauvre femme qui se recommande à la charité de Madame; elle est vêtue de manière à le faire croire, et le soin qu'elle prend de cacher son visage sous un grand voile noir, prouve qu'elle est honteuse de demander l'aumône. – Si c'est ainsi, reprit la marquise, dites-lui de me laisser son adresse, et qu'avant peu j'enverrai chez elle; recommandez-lui surtout de s'éloigner au plus vîte d'une maison dont l'air est infecté par une affreuse maladie. Le domestique sortit pour remplir cette commission; mais il rentra bientôt en disant à sa maitresse, avec l'accent de la plus vive pitié: – Ah! Madame, si vous ne daignez pas venir à son secours, cette pauvre femme va mourir; je lui ai vainement répété qu'elle pouvait compter sur la bienfesance de madame la marquise: Je ne veux point de ses bienfaits, s'est-elle écriée en sanglotant, je ne lui demande qu'un seul mot; qu'elle me l'accorde, ou je meurs à l'instant. En disant cela elle s'est traînée jusqu'à la porte du salon en me suppliant de ne la point renvoyer; et vraiment je ne l'aurais pu faire, car ses forces l'ayant abandonnée, elle est tombée sans connaissance; je viens demander à Madame s'il ne faut pas lui faire prendre quelques gouttes d'éther. – Conduisez-moi vers elle, dit aussitôt la marquise, après avoir recommandé à mademoiselle Cécile de ne pas quitter Isaure. En entrant dans le sallon, Valentine fut saisie d'un battement de cœur qui lui ôtait presque la respiration. Son visage, déja altéré par l'inquiétude et les veilles, prit tout-à-coup un air d'effroi en apercevant cette infortunée, si digne de pitié; elle veut s'en approcher pour la secourir, mais à peine a-t-elle fait un mouvement, que des yeux égarés se fixent sur les siens, et qu'une voix s'écrie: «Malheureuse, elle est morte!» Ce cri funèbre retentit au cœur de Valentine, elle n'y répond que par ces mots: «Ah! ma sœur!» Mais ils ne sont pas entendus de cette misérable mère, elle a cru lire l'arrêt de son enfant dans le regard désespéré de Valentine; un frisson mortel a glacé ses veines, et c'est en vain que sa sœur la rassure, la presse sur son sein; l'excès de la douleur à suspendu sa vie. Valentine, qui la voit expirante, tente un dernier moyen: elle compte sur cet instinct maternel qui survit à tout pour lui faire deviner la présence de son enfant, et sans calculer si ses forces répondent à son courage, elle entraîne elle-même cette mère mourante, et la dépose aux pieds du lit de sa fille.

Les inspirations du cœur sont rarement trompeuses, et l'on croirait, au succès qu'elles obtiennent dans les moments extrêmes de la vie, que, touchée de notre infortune, la divinité daigne alors penser pour nous. Ce que tous les secours n'avaient pu faire, une seule plainte d'Isaure l'opéra: le son de cette voix chérie ranima les esprits de madame de Nangis, et l'existence parut lui revenir avec la certitude que son enfant respirait encore.

En ce moment le docteur P… arriva, et partagea ses soins entre Isaure et sa mère. Il les prodigua avec d'autant plus de zèle, qu'il s'accusait d'être la cause de l'état ou il voyait la comtesse. En effet, c'est lui qui avait parlé la veille, chez l'abbesse du couvent des Filles de la Miséricorde, du danger où se trouvait la nièce de madame de Saverny. Il l'avait peint dans toute sa force, pour engager ces dames à prendre de grandes précautions pour leurs pensionnaires, sans se rappeler que madame de Nangis habitait leur maison. Le bruit de la maladie de sa fille lui parvint bientôt, avec tous les détails qui pouvaient augmenter son effroi. Son imagination, déja exaltée par le repentir et la douleur, se peignit la mort de son enfant comme un châtiment dû à ses fautes. Et dès-lors, le désespoir s'emparant de son ame, elle ne pensa plus qu'à revoir une seule fois l'objet de ses regrets, avant de le suivre au tombeau. Quelques louis donnés à la tourière, lui obtinrent la facilité de sortir du couvent avant qu'il fît jour. Elle erra long-temps dans les rues de Paris, sans pouvoir reconnaître celles qui la conduiraient chez Valentine; enfin, s'étant adressée à un pauvre savoyard que la misère rendait plus matinal qu'un autre, il lui indiqua son chemin, en marchant devant elle. C'est avec ce guide qu'elle était arrivée à la porte de l'hôtel du commandeur; et c'est assise sur un banc de pierre, qu'elle avait attendu le moment de la voir ouvrir.

Après avoir long-temps examiné l'état d'Isaure, le docteur déclara qu'il lui paraissait moins alarmant que la veille, mais qu'il ne pouvait répondre de rien avant la fin du neuvième jour. En écoutant ces mots, la plus vive terreur se manifesta dans les yeux de la comtesse; elle pensa que, par pitié pour elle, le docteur n'osait prononcer la sentence d'Isaure, et qu'il voulait la préparer au coup fatal par trois jours d'anxiété; et pénétrée de cette horrible pensée, toute son attitude semblait dire: «Où vais-je passer ces trois jours de supplice.» Valentine comprit son silence, et dit en lui serrant la main: «Rassurez-vous, ma sœur, nos soins la sauveront. – Quoi, s'écria la comtesse,en se précipitant aux genoux de Valentine, vous permettrez que je ne la quitte pas! vous, à qui l'on a fait jurer de la tenir éloignée pour toujours de sa mère, vous que j'ai si cruellement offensée, qui devez me haïr! Ah! tant de générosité ajoute à mes remords; et c'est vous venger deux fois que de vouloir prolonger ma vie jusqu'au dernier soupir de mon enfant.» A ces mots un torrent de larmes inonda le sein de cette malheureuse mère, et la soulagea un instant de l'oppression qui l'accablait. Valentine redoubla cet attendrissement par les expressions de la plus touchante amitié, et le docteur lui-même ne put se défendre d'une émotion très-vive en contemplant le spectacle si doux du repentir qui implore, et de la vertu qui pardonne.

Avant de le laisser partir, la marquise exigea de lui le secret sur la scène dont il venait d'être témoin, et le pria de se charger d'un mot pour l'abbesse du couvent de la Miséricorde, à qui elle devait rendre compte de l'absence de la comtesse. Tout fut disposé pour cacher l'arrivée de madame de Nangis chez Valentine: les gens de la maison reçurent l'ordre de n'en point parler, même à ceux du commandeur; et mademoiselle Cécile fut d'autant plus discrète dans cette circonstance, qu'elle avait à réparer sa réputation. Valentine fit valoir le grand intérêt qui devait les occuper uniquement, pour empêcher sa sœur de revenir trop souvent sur les regrets de sa conduite passée, et il fut convenu entre elles que désormais les soins relatifs à Isaure seraient l'unique sujet de leurs conversations.

Enfin arriva ce neuvième jour aussi redouté qu'attendu. Après un redoublement de fièvre et de délire, le calme survint tout-à-coup, et fut suivi d'un sommeil profond. A son réveil, Isaure entr'ouvrit les yeux, reconnut sa mère, la nomma; et ce premier mot échappé de son cœur devint le signal de la résurrection de toutes deux. Dans ce passage subit du désespoir à la joie, madame de Nangis oublia tout ce qu'elle avait promis à Valentine pour se livrer sans réserve à l'excès de sa reconnaissance. «Ah! mon amie, lui disait-elle, disposez de l'existence qui nous est rendue; c'est à vos vœux que le ciel l'accorde, sa justice devait me punir en m'arrachant le seul lien qui m'attache à la terre; mais, en adoptant ma fille, en protégeant sa mère, vous avez obtenu sa vie et mon pardon: tant de bienfaits n'étaient dus qu'aux célestes vertus d'un ange.»

A la vue d'un bonheur qui était en partie son ouvrage, Valentine recueillit le fruit de tous ses sacrifices, et se félicita d'avoir acquis, par sa générosité, le droit de ramener à tous les charmes d'une vie douce et pure l'amie que tant d'erreurs semblaient condamner à d'éternels chagrins. Mais, tout en se livrant au desir d'adoucir le sort de sa belle-sœur, Valentine voulait rester fidèle à sa promesse envers son frère; et voilà ce qu'elle imagina pour concilier ces deux intérêts. En fesant le serment de ne jamais se séparer d'Isaure, elle ne s'était point engagée à la priver des soins étrangers que pourrait exiger son éducation, et rien ne l'empêchait de les partager avec madame de Nangis, pourvu que cette dernière consentît à ne pas abuser de son autorité maternelle. Cette condition une fois remplie, Valentine proposa à sa belle-sœur d'habiter un petit appartement attenant au sien, où elle pourrait accomplir facilement le vœu de retraite absolue qu'elle avait formé. Avant d'accepter cette proposition qui comblait tous ses desirs, la comtesse prévint Valentine qu'elle ne consentirait à s'établir chez elle qu'en qualité d'institutrice d'Isaure; et que, pour ôter tout soupçon, elle prendrait le nom de madame Sainte-Hélène, et passerait dans la maison pour une de ces personnes qu'un revers de fortune oblige à fuir le monde pour se consacrer à l'éducation des enfants. Le but de ce mystère était de cacher à M. de Nangis la demeure de sa femme, et Valentine l'approuva. Dès que le docteur lui eut déclaré qu'Isaure était en pleine convalescence, elle reconduisit elle-même la comtesse à son couvent, et deux jours après annonça chez elle la prochaine arrivée de madame de Sainte-Hélène. Une femme-de-chambre nouvelle fut arrêtée pour le service particulier de cette institutrice dont mademoiselle Cécile avait seule le secret. Quant à Isaure, il ne fut pas difficile de lui faire croire que la moindre indiscrétion de sa part la priverait pour toujours de la présence de sa mère. L'effroi que lui inspirait cette menace répondait de sa soumission, et jamais on n'eut à lui reprocher un mot qui pût trahir le mystère qu'elle respecta sans chercher à en comprendre la cause.