Ennemi, mon ami

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Ennemi, mon ami
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Guéshé Rabten
Ennemi, mon ami

Traduit de l’allemand par Evelyne Venezia

Revu et corrigé par Marie-Thérèse Guettab

Edité par des élèves

de Guéshé Rabten sous la direction

de Gonsar Rimpoché

Tous droits réservés – imprimé en Suisse

© Edition Rabten, Le Mont-Pèlerin / VD

e-mail: info@editionrabten.com

http://www.rabten.eu/xvCatalog_fr.htm

Composition et couverture : Edition Rabten

Photos: portrait en couverture ; image en page 9 et page 11 ; image en sable : effectué par Ruedi Hofstetter

eBook Herstellung: Edition Rabten www.rabten.eu

ISBN 3-905497-39-5

eBook: ISBN 978-2-88925-078-3

eBook-production et livraison :

HEROLD Auslieferungs Service GmbH

www.herold-va.de

Le motif représenté sur la couverture est l’un des huit signes traditionnels de bon augure qui illustrent cette collection de livres de poche. Il a été exécuté par saupoudrage de sable par les moines du monastère de Ganden Shartsé réfugiés dans le sud de l’Inde.

Cette technique appartient aux traditions de l’art religieux du bouddhisme tibétain. Enseigné par le Bouddha dans les grands Tantras et plus spécialement consacré à la fabrication de Mandalas. Cet art a été préservé jusqu’à nos jours dans les grands monastères tibétains.

Le miroir symbolise la nature claire et connaissante de l’esprit ainsi que la nature ultime de tous les phénomènes : ils se reflètent dans un miroir, mais leur nature ultime est vide d’existence inhérente.

Avertissement de l’éditeur

Ces enseignements ont été donnés en 1983 par le Vénérable Guéshé Rabten Rimpoché en trois endroits différents. Le premier séminaire eut lieu en mars au Letzehof en Autriche, le second en juin à Münich-Otteroh et le troisième en août aux Avants, en Suisse.

Guéshé Rimpoché expliqua ces versets non pas dans l’ordre rigoureux du texte racine mais exposa l’essentiel de leur signification en se fondant sur sa grande expérience personnelle.

Au cours des séminaires, la traduction orale du tibétain en allemand fut réalisée par Helmut Gassner. Les élèves du Vénérable Guéshé Rabten ont travaillé à la version allemande sous la conduite du Vénérable Gonsar Tulkou Rimpoché que nous voudrions remercier ici de tout cœur pour sa grande ouverture d’esprit, sa compréhension et son aide inlassable. Nos remerciements s’étendent également à tous ceux qui ont participé à l’édition de ce livre. L’édition française est la traduction de l’édition allemande.

L’éditeur, mars 2002

Préface

Ce livre renferme les précieux conseils d’un guide spirituel authentique. Le Vénérable Guéshé Rabten Rimpoché fut l’un des Maîtres les plus éminents du bouddhisme tibétain contemporain.

De tous les enseignements qu’il dispensa, le texte présenté ici est d’une importance primordiale pour le développement de la patience, cette qualité de ­l’esprit la plus indispensable. En sanscrit, elle est appelée , ce qui veut dire «patience». Cette patience n’est autre que la capacité d’endurer les désagréments et les souffrances sans émoi. La pratique de la patience s’exerce à tous les niveaux du Dharma. Elle est l’une des principales sources de paix et d’harmonie entre les êtres, tandis que ses contraires, la colère et l'aversion détruisent la paix et le bonheur. La patience est aussi l’un des six principaux entraînements des Bodhisattvas dénommée en sanscrit Khsanti-Para­mita, ce qui signifie «perfection de la patience».

Il existe trois sortes de colère et trois aspects correspondants de la patience se trouvent à l’état potentiel dans chaque individu. Avec la méthode appropriée, ces potentiels peuvent être développés et amenés à la perfection, comme le décrit le sixième chapitre consacré à la patience, exposé dans le «Bodhi­sattvacharyavatara» , ouvrage majeur du Boud­dhisme Mahayana, composé par le grand Maître indien Shantidéva (env. 685-763 après J.C.).

Le commentaire de ce chapitre donné ici par mon regretté Maître Guéshé Rabten Rimpoché est l’expression directe de son expérience personnelle et de sa totale confiance qu’il vouait au développement de la patience. Il fut, toute sa vie durant, un exemple de la perfection de la patience, comme en témoigne sa biographie.

Toutes ces explications, par leur clarté et leur richesse, feront de ce livre une source d’espoir, d’inspiration et d’encouragement pour tous ceux qui sont déterminés à éliminer définitivement de leur esprit la haine et la colère, et à vaincre ainsi en eux-mêmes leur véritable ennemi.

Gonsar Tulkou

Directeur spirituel

Rabten Choeling

Le Mont-Pèlerin, mars 2002


Texte racine

Shantidéva

Bodhisattvacharyavatara

Chapitre six – La patience

1 Toutes les actions vertueuses, générosité,offrandes aux Bouddhas et autres,Accumulées durant des milliers de cyclescosmiques,Toutes sont détruitesPar un seul instant de colère.

2 Il n’y a pas de faute comparable à la haineEt pas d’ascèse supérieure à la patience.Ceci étant, avez zèle et de multiples façons,Je méditerai sur la patience.

3 Quand la maladie de la haine le saisit,L’esprit ne connaît plus la paix;Il n’a plus ni joie, ni bonheur,Ne trouve plus le sommeil et devient instable.

4 Recevant de lui biens et services,Ceux-là même qui dépendent de sa grande bontéMenacent de tuer le MaîtreQuand la haine s’empare de leur esprit.

5 La haine décourage mes proches et mes amis.J’ai beau les attirer par ma générosité,Ils ne me font pas confiance.En bref, nul ne peut vivre heureux dans la colère.

6 Des ennemis tels que la colèreSont les auteurs de nos maux.Quiconque, s’y étant efforcé, a vaincu la colèreSera heureux dans cette vie et les suivantes.

7 Nourrie du mécontentementEngendré par ce que je fais à contrecœurEt par les obstacles à mes desseins,La haine croît et me détruit.

8 Par conséquent, ce qui alimente mon ennemi,Je le détruirai complètementCar cet ennemiN’œuvre qu’à me nuire.

9 Quoi qu’il arrive, je ne laisserai aucuneperturbationAltérer la joie en mon esprit car sans joie,Je n’accomplirai pas ce que je désire,Et mes vertus dégénèreront.

10 Si le remède existe,Pourquoi être malheureux ?S’il n’y a pas de remède,A quoi bon être malheureux ?

11 Pour mes proches et moi-même, je ne veuxNi souffrance, ni humiliation,Ni paroles blessantes, ni aucun désagrément.Mais pour mes ennemis, c’est tout le contraire.

12 Les causes de bonheur surgissent parfois;Quant aux causes de souffrance, elles abondent.Sans souffrance, il n’y a pas de renoncement.Sois donc ferme, ô mon esprit !

13 Quand les adeptes de la déesse Durga (ascètes)Et le peuple de KarnapaEndurent sans raison brûlures et lacérations,Pourquoi manqué-je de courage pour atteindre la libération ?

14 Il n’y a absolument rien que l’habitude nerende plus facile.Par conséquent, en s’accoutumantAux moindres maux on apprendA supporter les grands.

15 N’a-t-on pas vu cela pour des souffrancessans gravitéTelles que des morsures de serpent, des piqûresd’insectes,La sensation de faim et de soif,Des démangeaisons et autres ?

16 Si je m’irrite de la chaleur, du froid,Du vent et de la pluie,De la maladie, de l’emprisonnement et des coups,J’en souffrirai d’autant plus.

17 A la vue de leur propre sang,Certains redoublent de vaillance et d’assurance.D’autres, à la vue du sang d’autrui,Défaillent et s’évanouissent.

18 C’est selon que l’espritEst déterminé ou timoré.Ne faites donc pas cas des nuisances.Ne vous laissez pas affecter par les souffrances.

19 Les sages ne laissent pas les souffrances qui surviennentTroubler leur esprit résolu.Ceux qui livrent bataille aux facteursperturbateurs de l’espritSubissent bien des maux à l’heure du combat.

20 Ceux qui dédaignent toute souffranceTriomphent d’ennemis tels que la haine.Ceux-là sont des vainqueurs, des héros.Les autres ne font que tuer des cadavres.

21 En outre, la souffrance a pour vertuDe dissiper l’arrogance par l’abattement,De faire naître la compassion pour les êtres ducycle des existences,De faire éviter les fautes et de faire aimer le bien.

22 Alors que je ne m’irrite pasContre des sources de souffrance comme lajaunisse,Pourquoi m’irriterai-je contre les êtres ?Ils sont eux aussi poussés par des conditions.

23 Par exemple, bien que non désirée,La maladie apparaît.De même, bien que non désirées,Les perturbations mentales surgissent immanquablement.

24 Les gens ne se disent pas : «Je vais me mettre en colère».Et pourtant ils s’irritent.La colère ne se dit pas : «Je vais naître».Et pourtant elle se produit.

25 Toutes les fautes, si nombreuses soient-elles,Toutes les actions négatives, si diverses soient-elles,Dans leur intégralité apparaissent par la force de conditions.Elles ne sont point autonomes.

26 Et cette réunion de conditions,Elle non plus n’a nulle pensée d’engendrer,Pas plus que ce qu’elle produitN’a l’idée de se produire.

 

27 Ce qui est affirmé sous la dénomination de«principe»Et désigné comme le «moi» (Atman)N’apparaît pas de son projet intentionnel,Disant : «Je vais apparaître».

28 Si, n’étant pas né, il n’existe pas,Comment, dès lors, pourrait-il désirer naître ?Etant en permanence en contact avec un objet,Comment pourrait-il cesser de l’être ?

29 Si le soi était permanent, il devrait de touteévidenceEtre inopérant comme l’espace.Et même s’il rencontrait d’autres conditions,Comment agiraient-elles sur ce qui est immuable ?

30 Si au moment de l’action il est comme avant,Quel effet les actions auraient-elles sur lui ?Et si l’on dit : «Voici les conditions quiagissent [sur un soi permanent],De quelle manière les conditions et le soisont-ils reliés ?».

31 Ainsi, toute chose dépend de ses causes,Elles-mêmes dépendantes et dépourvues de liberté.L’ayant compris, envers tous ces objets pareilsà des apparences,Je n’aurai pas de colère.

32 Mais alors, dira-t-on, qu’est-ce qui élimine quoi 1 ?Contrer [la colère], ce n’est pas possible !Ce n’est pas impossible, car en dépendance duremède,Il est possible de couper le cours des souffrances 2 !

33 Par conséquent, quand je vois un ami ou un ennemiAgir de manière incorrecte,«C’est l’œuvre de telles conditions» penserai-je.Et ce faisant, je garderai l’esprit heureux.

34 Si les choses s’accomplissaient selon nos désirs,Puisque nul ne veut souffrir,Aucun être, quel qu’il soit,Ne devrait subir la souffrance.

35 D’aucuns, par manque d’attention,Se blessent aux ronces ou autres;Certains, obsédés par la conquête d’une femme ou par l’appât du gain,Entre autres [tourments] se privent de nourriture.

36 Il en est aussi qui se pendent,Ou se jettent dans un précipice,Ou avalent du poison ou encore,Absorbent quelque nourriture malsaine.

37 Dominés par leurs perturbations mentales,Ils se nuisent par des actes négatifs. Pourtantsi chers à eux-mêmes,Ils se tuent. Alors, comment pourraient-ilss’abstenirDe porter atteinte au corps d’autrui ?

38 Même si je ne développe aucune compassionenvers ces êtres qui,Sous l’influence de perturbations mentales,Portent atteinte à leur vie,Qu’au moins je ne me mette pas en colère !

39 Si nuire aux autres est la nature des êtres puérils,Il serait tout aussi impropre de s’irriter contre euxQue de reprocher au feu de brûler.

40 Et si ce défaut est passagerCar les êtres sont bons de nature,Il serait aussi absurde de me fâcher contre euxQue de reprocher à l’espace de laisser monterla fumée.

41 Ce qui me frappe réellement, c’est le bâton.Si l’on doit s’irriter contre celui qui le manie,Parce qu’il est lui-même un instrument manipulé par la haine,C’est contre la haine qu’on ferait mieux de s’emporter.

42 Dans le passé, j’ai infligé aux êtresDe semblables souffrances.Il est juste qu’aujourd’hui me revienneLe mal que j’ai fait aux autres.

43 Son arme et mon corpsSont tous deux les causes de ma souffrance.Quand de lui vient l’arme et de moi ce corps,Contre qui faut-il se mettre en colère ?

44 Si je m’accroche avec un attachement aveugleA cet abcès douloureux qui a forme humaine,Qui ne supporte pas le contact,Contre qui me mettrai-je en colère quand il est blessé ?

45 Les êtres puérils ne désirent pas la souffrance.Mais puisqu’ils sont avides de ses causes,C’est leur faute si le mal les frappe.Pourquoi donc en faire aux autres le reproche ?

46 Si, tout comme les gardiens des enfersEt la forêt aux feuilles tranchantes,Ceci est produit par mes propres actions,Contre qui dois-je me mettre en colère ?

47 C’est poussés par mes propres actionsQu’apparaissent ceux qui me nuisent.Et si à cause de cela ils vont dans les enfers,N’est-ce pas moi qui les ai détruits ?

48 Grâce à eux, en m’exerçant à la patience,Je purifie beaucoup d’actions négatives;Mais eux, à cause de moi,Devront souffrir longuement dans les enfers.

49 Ainsi, je leur fais du tortAlors qu’eux me sont bénéfiques.Pourquoi cette incohérence,O toi mon esprit inique qui te mets en colère ?

50 Si je possède cette qualité de l’esprit [qu’est la patience],Je n’irai pas dans les enfers.Mais si je peux ainsi me protéger,Qu’adviendra-t-il des autres ?

51 Néanmoins, ce n’est pas en rendant le mal pour le malQue je pourrai les protéger.Ma propre conduite aussi se dégraderaitEt mes efforts seraient ruinés.

52 Puisque l’esprit est immatériel,Personne ne peut le détruire d’aucune manière.Mais parce qu’il est fortement attaché au corpsLes souffrances physiques l’atteignent.

53 Puisque ni le mépris, ni les paroles grossières ou blessantesNe peuvent porter préjudice à mon corps,Alors pourquoi, toi mon esprit,Es-tu si violemment en colère ?

54 «C’est que les autres ne m’aimeront pas !».Mais cela, ni dans cette vie, ni dans les suivantes,Ne me dévorera pas.Alors, pourquoi donc le redouter ?

55 «C’est que cela m’empêche de m’enrichir !».Pourtant, même si je ne le veux pas,Tout ce que j’ai gagné, je l’abandonnerai là,Tandis que mes méfaits seront solidement maintenus.

56 Mieux vaut la mort aujourd’hui qu’une longue vieEntretenue par des moyens d’existence malhonnêtes.Même si les êtres comme moi vivent longtemps,Ils connaîtront inévitablement les souffrances de la mort.

57 Pour celui qui s’éveille de l’expérienceVécue en rêve de cent ans de bonheur,Comme pour cet autre qui s’éveilleDe l’expérience onirique du bonheur d’un instant,

58 Ni pour l’un ni pour l’autre,Ce bonheur ne reviendra.Alors, que la vie soit longue ou qu’elle soit courte,Au moment de la mort, l’une et l’autre se valent.

59 Même si je tire de mes richesses une longuejouissanceAyant amassé des biens en abondance,Je partirai nu et les mains vides,Comme détroussé par des voleurs.

60 «Les biens matériels me permettront de vivre,Mes actions négatives diminueront et jecréerai des mérites».Mais si à cause de mes biens, je me mets en colère,Mes mérites ne vont-il pas plutôt diminuer etmes actions négatives augmenter ?

61 A quoi peut bien servirLa vie d’un hommeAux desseins dégradantsEt qui ne fait que le mal ?

62 Contre ceux qui médisent de moi je me metsen colèreParce qu’ils sapent la confiance qu’on me porte, dis-tu.Mais alors, pourquoi ne t’irrites-tu pas de mêmeContre ceux qui médisent d’autrui ?

63 Si tu supportes qu’on ne fasse pas confianceQuand il s’agit d’autrui,Pourquoi ne supportes-tu pas les propos déplaisantsLiés à l’apparition des perturbations mentales ?

64 Contre ceux qui outragent ou détruisentLe Dharma, les images saintes et les reliquaires,M’irriter n’est pas juste,Car rien ne peut nuire aux Bouddhas.

65 Ayant compris ce qui a été dit précédemmentSur l’émergence des faits soumise à conditions,Je me détournerai de la colèreEnvers ceux qui offensent mes Maîtres, mesparents et mes amis.

66 Puisqu’aux individus les maux sont infligésTant par les êtres animés que par les objets inanimés,Pourquoi s’en prendre seulement aux êtres ?Au lieu de cela, tous les maux, je les supporterai.

67 Si par ignorance, certains font le malEt que d’autres, par ignorance, se mettent en colère,Qui est dans l’erreurEt qui ne l’est pas ?

68 Pourquoi ai-je commis dans le passé ces actionsQui font qu’aujourd’hui les autres me tourmentent ?Si tous les maux dépendent des actes,Pourquoi en voudrais-je à mes ennemis ?

69 Ayant compris cela, par tous moyens,Afin d’amener tous les êtresA s’aimer les uns les autres,Je m’efforcerai à l’accomplissement d’actions méritoires.

70 Par exemple, lorsqu’une maison prend feuEt que l’incendie se propage vers une maison voisine,Il est sage d’éloigner la pailleEt tout ce qui le ferait s’étendre.

71 De même, quand le feu de la haine se propage,Parce que mon esprit s’est attaché à quelque objet,Je dois immédiatement m’en débarrasser,De peur que mes mérites ne soient consumés.

72 Si moyennant qu’on lui coupe la main,Un condamné à mort est libéré, n’est-ce pasheureux ?Si les souffrances de cette vie humaineMe libèrent des enfers, n’est-ce pas heureux ?

73 Ces seules souffrances présentes,Si je suis incapable de les supporter,Alors pourquoi ne pas me détourner de la colère,Cause des supplices infernaux.

74 Pour avoir voulu satisfaire mes désirs,Durant des milliers de cycles cosmiques, J’ai enduré dans les enfers, brûlures et autrestortures.Et malgré cela, je n’ai accompliNi mon propre bien, ni celui d’autrui.

75 Les seules souffrances présentes ne sont pasun malPuisqu’elles me font accomplir des desseinsélevés.C’est pourquoi, de ces souffrances quidissipent la douleur d’autrui,Je ne ferai que me réjouir.

76 Si certains sont heureux de louerles qualités de mon ennemi,Pourquoi, toi mon esprit, comme eux, de ses louangesNe te réjouis-tu pas ?

77 La joie de louer les autresEst source de bonheur et non une transgression;Les sages la recommandent.C’est aussi une suprême méthode pour attirer les êtres vers soi.

78 Etre ainsi loué rend les autres heureux, dit-on.Mais si tu ne souhaites pas ce bonheur,Il te faut renoncer notamment à donner unsalaire à tes employés.Mais alors, dans cette vie et les suivantes, ton bonheur se dégradera.

79 Je voudrais aussi que les autres soient heureuxLorsqu’on fait l’éloge de mes qualités.Mais quand on loue les qualités d’autrui,Je n’ai pas envie d’être heureux.

80 Souhaitant le bonheur de tous les êtres,J’ai engendré l’esprit d’éveil.Alors, s’ils trouvent ce bonheur par eux-mêmes,Pourquoi m’en irriterai-je ?

81 Je prétends souhaiter que tous les êtresDeviennent des Bouddhas vénérés dans les Trois Mondes.Pourquoi alors suis-je agacé de les voir bénéficier De simples offrandes ordinaires et de quelqueshonneurs mondains ?

82 Ce membre de ta famille sur qui tu veillesEt dont tu satisfais les besoins,Lorsqu’il trouve lui-même sa subsistance,Au lieu de t’en réjouir, te mettras-tu encoreen colère ?

83 Si je ne peux même pas souhaiter cela pourles êtres,Comment pourrais-je vouloir qu’ils atteignentl’éveil ?Chez celui qui s’irrite lorsque les autres reçoiventOù se trouve donc l’esprit d’éveil ?

84 Que les biens restent dans la maison dubienfaiteur,Ou que ton ennemi les reçoivePuisqu’ils ne sont en aucun cas pour toi,Qu’ils soient ou non donnés, quelle importance ?

85 Tes mérites, ta confiance et tes qualités,Pourquoi les gaspiller ?Pour n’avoir pas accumulé les causes de ces biens,Dis, pourquoi n’es-tu pas en colère ?

86 Non seulement les actions négatives que tu ascommisesNe t’affligent point,Mais avec ceux qui ont accompli des actions méritoiresTu cherches à rivaliser.

87 Si ton ennemi est malheureux,Pourquoi t’en réjouirais-tu ?Ton simple souhait ne sauraitEtre la cause de ses maux.

88 Et même si sa souffrance s’accomplit parce quetu l’as voulue,Pourquoi t’en réjouir ?Si tu réponds : «Cela me satisfait»,Existe-t-il pire déchéance ?

89 Les perturbations mentales sont comme l’hameçon lancé par les pêcheurs.Si cette insupportable pointe m’accroche,Il est certain que les gardiens de l’enferMe cuiront dans leur chaudron.

90 Les honneurs, les éloges et la renomméeNe se transforment pas en mérites et ne prolongent pas la vie;Ils ne me donneront ni la force, ni la santé,Ni le bien-être du corps.

91 Si j’avais conscience de ce qui m’est profitable,Quel intérêt trouverais-je à tout cela ?Mais si je ne souhaite que les plaisirs de l’esprit,Autant m’adonner aux jeux, à la boisson et autres.

92 Si pour la renommée,Je fais don de ma fortune ou sacrifie ma vie,A quoi serviront ces mots de louanges ?Si je suis mort, quelle satisfaction en tirerai-je ?

93 Quand s’écroule leur château de sable,Les enfants poussent des hurlements.De même, quand se ternit la réputation et queles éloges se tarissent,Mon esprit est comme un enfant.

94 Les sons éphémères n’ont pas d’esprit.Ils ne peuvent avoir l’intention de faire mon éloge.Les autres seront contents de moi, dis-tu.Ma renommée est donc source de joie.

95 Que ces éloges s’adressent à moi ou à d’autres,A quoi me sert la joie de l’autre ?Ce plaisir et cette joie sont les siens.Je n’en aurai pas la moindre parcelle.

96 Mais si sa joie me rend heureux,Ne devrais-je pas l’être pareillement pour tous ?Alors, pourquoi ne suis-je pas également heureuxQuand la joie comble les autres de bonheur ?

97 «On m’adresse des louanges» pensai-je.Mais le bonheur que cela me procureEst tout aussi illogique.C’est juste un comportement infantile.

98 Les louanges et la renommée provoquent ladistractionEt détruisent le renoncement au Samsara.Elles me font jalouser les gens de qualitéEt anéantissent mes vertus.

99 Ainsi, ceux qui veillentA la destruction de ma réputationNe m’évitent-ils pas de sombrerDans les royaumes infortunés ?

100 Puisque j’aspire à la libération, je ne dois pasMe laisser enchaîner par les gains et les honneurs.Pourquoi me mettre en colèreContre ceux qui me libèrent de ces chaînes ?

 

101 Ceux qui veulent me faire souffrir,Pareils aux bénédictions des Bouddhas,Me ferment la porte des mondes infortunés et m’évitent d’y tomber.Comment pourrais-je leur en vouloir ?

102 Celui-ci m’empêche d’accumuler des mérites, dis-tu.Mais il est injuste de te fâcher après lui,Car s’il n’est pas d’ascèse égale à la patience,Pourquoi ne pas t’y établir ?

103 Si, par ma propre faute,Je ne le supporte pas,Cette source de mérites qui m’est offerte,J’y fais moi-même obstruction.

104 Si en l’absence de l’un [l’ennemi], tel autre [la patience] n’est pas,Et que celui-ci étant, tel autre existe;Si l’un est la cause de l’autre,Comment peut-on dire qu’il y fait obstacle ?

105 Le mendiant qui se présente opportunément àmon aumôneN’est pas un obstacle à la générosité.De même, on ne peut dire de celui qui confèreles vœux monastiquesQu’il est un obstacle à l’ordination.

106 Nombreux sont les mendiants de par le monde,Mais rares sont les agresseurs;Car si je ne nuis pas à autrui,Peu de gens me nuiront.

107 Aussi aimerai-je cet ennemi qui,Tel un trésor surgi dans ma maison,Me vient sans peineEt m’assiste dans ma conduite vers l’éveil.

108 Parce que je l’accomplis avec lui,Il est juste qu’il reçoive en premierLes fruits de ma patienceDont il est effectivement la cause.

109 Mais pourquoi vénérer mon ennemi, diras-tu,Puisqu’il n’a nulle intention de me faire pratiquer la patience ?Pourquoi alors vénérer le saint Dharma qui,[sans en avoir non plus l’intention],Est la cause propre à l’accomplissement de ta pratique.

110 Je ne devrais pas vénérer mon ennemiCar sa seule intention est de me nuire !Mais comment pourrais-je pratiquer la patience,S’il me voulait toujours du bien à la manière d’un médecin ?

111 C’est en prenant appui sur l’esprit violemmenthostile[de mon ennemi] que naît la patience.Et puisque celui-ci est la cause de ma patience,Il mérite d’être vénéré au même titre que le Saint Dharma.

112 C’est pourquoi le Bouddha a dit :«Le champ des êtres est un champ de Bouddhas»Car beaucoup de ceux qui ont réjoui les êtresOnt atteint l’ultime perfection.

113 Pour obtenir les réalisations d’un Bouddha,Les êtres vivants et les Victorieux sontégalement [précieux].Pourquoi, dès lors, ne pas accorder aux êtresLe respect dont on honore les Bouddhas ?

114 Ils ne sont pas égaux dans la qualité de leur intention,Mais ils le sont dans les effets.De ce point de vue, les êtres ont aussi des qualités,C’est pourquoi, ils sont l’égal des Bouddhas.

115 [Les mérites issus de] la vénération des êtres bienveillantsReposent sur la grandeur des êtres.[Quant aux mérites nés de] la foi en le Bouddha,Ils proviennent de la grandeur des Bouddhas.

116 Parce que les êtres participent à l’obtention de l’état de Bouddha,On dit qu’ils sont l’égal des Bouddhas.Mais nul n’égale les Bouddhas,Océans de qualités infinies.

117 Et même s’il n’apparaît, chez certains individus,Qu’une parcelle des qualitésDe cette unique collection de sublimes vertus,Leur offrir les Trois Mondes ne suffirait pas àles honorer.

118 Puisque tous les êtres possèdent leur part de la causeDont naissent les suprêmes qualités des Bouddhas,Ne serait-ce qu’en cela, ils leur ressemblentEt il est donc juste de les honorer.

119 D’ailleurs, à ces amis sincères [les Bouddhas]Dont l’aide est incommensurable,Comment serait-il possible de témoigner notregratitudeAutrement qu’en rendant heureux les autres êtres ?

120 Puisqu’on paie ainsi de retour ceux qui[pour le bien des autres]Offrent leurs corps et entrent dans les pires enfers,Même si les êtres m’infligent de grandes souffrances,Je ferai tout pour les rendre heureux.

121 O mes Maîtres [Bouddhas et Bodhisattvas] qui, pour le bien des êtres,Ne vous souciez pas même de votre propre corps,Ignorant que je suis, comment pourrais-je, devant vous,Me montrer vaniteux et ne pas être votre serviteur ?

122 Le bonheur des êtres réjouit les Puissants[Bouddhas]Et leurs maux les attristent.Si je rends les autres heureux, je réjouis les PuissantsEt si je leur fais du mal, c’est aux Puissants que je nuis.

123 Si mon corps était la proie des flammes,Aucun objet désirable ne plairait à mon esprit.De même, lorsque les êtres souffrent,Il n’existe aucun moyen de réjouir les Grands Compatissants.

124 Ainsi, par tout le mal que j’ai fait aux êtres,J’ai déplu aux Grands Compatissants.Toutes ces actions négatives, les confessant aujourd’hui une à une,J’implore la tolérance des Puissants pour tout ce qui les a affligé.

125 Désormais, afin de plaire aux Tathagatas,Je dompterai assurément [ma haine] et me ferai le serviteur du Monde.Même si de nombreux êtres rassemblés sur matête me piétinaient ou m’écrasaient,Fût-ce au prix de ma vie, je réjouirai le Protecteur du Monde.

126 Sans aucun doute, ceux dont la nature est la grande compassionConsidèrent tous les êtres comme eux-mêmes.Et pourquoi n’aurais-je pas de respectEn voyant dans la nature des êtres l’essence des Protecteurs ?

127 Le bonheur des êtres plaît aux TathagatasEt accomplit mon ultime dessein.Il dissipe, de surcroît, la souffrance du Monde.Voyant cela, en tous temps, j’y œuvrerai.

128 Si, par exemple, les partisans du roiMaltraitent la foule,Les hommes clairvoyants, même s’ils le peuvent,Ne rendent pas les coups...

129 [Parce qu’ils savent que] les partisans ne sont pas seuls,Et que cette troupe est la force du roi.De même, je ne dois pas sous-estimer les faiblesQui me causent quelque tort.

130 Car les gardiens des enfers et les Grands CompatissantsSont également leur force.C’est pourquoi, comme des sujets [au service] d’un roi irascible,Je contenterai les êtres.

131 Même si un tel roi s’emportait,Me ferait-il connaître les supplices de l’enferQue je viendrai à rencontrerSi je tourmente les êtres ?

132 Ce même roi fût-il bienveillant,Il ne saurait m’offrir la BouddhéitéQue j’arriverai à obtenirEn rendant les êtres heureux.

133 Vois ! C’est du bonheur [donné] aux êtresQue procède la Bouddhéité à venir,Mais aussi, la gloire, la réputation et le bonheurDe cette vie. Comment peux-tu ne pas le voir ?

134 Dans le cycle des existences, la patience procure,Avec entre autres, la beauté, la santé et la renommée,Une très longue vie, ainsi que les abondantes jouissancesD’un monarque universel.

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