Loe raamatut: «Госпожа Бовари. Уровень 1 / Madame Bovary»

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© Кирия К. А., адаптация текста, комментарии, упражнения и словарь, 2024

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Première partie

I

Nous étions à l'étude quand le proviseur entra avec un nouveau, un garçon de classe qui portait un pupitre. Ceux qui dormaient se réveillèrent et chacun se leva. Le proviseur nous fit signe de nous asseoir, puis dit au maître d'études: «Monsieur Roger, voici un élève que je vous recommande. Il entre en cinquième. Si son travail et sa conduite sont méritoires, il passera dans les grands.»

Le nouveau, un gars de la campagne d'environ quinze ans, se tenait dans l'angle, derrière la porte. Il avait les cheveux coupés droit sur le front, l'air raisonnable et embarrassé. Son habit-veste de drap vert semblait le gêner et laissait voir des poignets rouges. Ses jambes, en bas bleus, sortaient d'un pantalon jaunâtre très tiré par les bretelles. Il portait des souliers forts, mal cirés.

En entrant en classe, nous jetions nos casquettes par terre. Mais le nouveau gardait encore sa casquette sur ses genoux. Elle était laide à faire peur.

– Levez-vous, dit le professeur.

Il se leva; sa casquette tomba. Toute la classe se mit à rire.

Il se baissa pour la reprendre. Un voisin la fit tomber d'un coup de coude, il la ramassa encore une fois.

– Débarrassez-vous donc de votre casque, dit le professeur, qui était un homme d'esprit.

Il y eut un rire éclatant des écoliers qui décontenança le pauvre garçon, si bien qu'il ne savait s'il fallait garder sa casquette à la main, la laisser par terre ou la mettre sur sa tête. Il se rassit et la posa sur ses genoux.

– Levez-vous, reprit le professeur, et dites-moi votre nom.

Le nouveau articula, d'une voix bredouillante, un nom inintelligible. Le maître le pria de répéter encore et encore jusqu'à ce qu'il prononce finalement: Charbovari.

Ce fut un nouveau éclat de rire; et on hurlait, on aboyait, on trépignait, on répétait: Charbovari! Charbovari! Charles, intimidé, resta deux heures exemplairement immobile.

Son père, M. Charles-Denis-Bartholomé Bovary, ancien aide-chirurgien-major, épousa une fille de marchand bonnetier, avec une dot de soixante mille francs. Bel homme, il vécut sur la fortune de sa femme, mais finit par se retirer à la campagne après avoir perdu de l'argent. Sa femme, devenue nerveuse et difficile, supporta ses infidélités et son indifférence stoïquement.

Charles fut gâté par sa mère, mais son père voulut qu'il soit élevé durement. Il suivit des leçons de latin avec le curé du village, mais elles étaient inefficaces. À douze ans, sa mère obtint qu'il commence ses études. Charles fut finalement envoyé au collège de Rouen.

Au collège, Charles était modéré et se maintint vers le milieu de la classe. Mais à la fin de sa troisième, ses parents le retirèrent du collège pour lui faire étudier la médecine, persuadés qu'il pourrait se pousser seul jusqu'au baccalauréat.Il échoua à son premier examen, mais réussit après une préparation intense. Il s'installa comme médecin à Tostes.

Sa mère lui trouva une femme, la veuve d'un huissier de Dieppe, Mme Dubuc, qui avait quarante-cinq ans et douze cents livres de rente. Quoiqu'elle fût laide, sèche comme un cotret, certes madame Dubuc ne manquait pas de partis à choisir. Pour arriver à ses fins, la mère Bovary fut obligée de les évincer tous, et elle déjoua même fort habilement les intrigues d'un charcutier qui était soutenu par les prêtres.

Charles avait espéré être plus libre en se mariant, mais sa femme dominait tout. Elle se plaignait sans cesse de sa santé et demandait à Charles de l'aimer plus.

II

Une nuit, vers onze heures, un homme arriva à la porte pour chercher le médecin. Charles Bovary reçut une lettre lui demandant de se rendre immédiatement à la ferme des Bertaux pour soigner une jambe cassée. Il décida de partir trois heures plus tard, au lever de la lune.

Vers quatre heures du matin, Charles, bien enveloppé dans son manteau, se mit en route. En chemin, il rencontra un jeune garçon qui devait le guider jusqu'à la ferme.

L'officier de santé, chemin faisant1, comprit aux discours de son guide que M. Rouault devait être un cultivateur des plus aisés. Il s'était cassé la jambe, la veille au soir, en revenant de faire les Rois, chez un voisin. Sa femme était morte depuis deux ans. Il n'avait avec lui que sa demoiselle, qui l'aidait à tenir la maison.

Une jeune femme vint sur le seuil de la maison pour recevoir M. Bovary, qu'elle fit entrer dans la cuisine, où flambait un grand feu.

Charles monta, au premier, voir le malade. Il le trouva dans son lit, suant sous ses couvertures et ayant rejeté bien loin son bonnet de coton. La fracture était simple, sans complication d'aucune espèce. Charles n'eût osé en souhaiter de plus facile2.

Une fois le pansement fait, le médecin fut invité, par M. Rouault lui-même, à prendre un morceau avant de partir.

Charles se mit en discussion avec Emma. Mademoiselle Rouault ne s'amusait guère à la campagne, maintenant surtout qu'elle était chargée presque à elle seule des soins de la ferme.

Quand Charles, après être monté dire adieu au père Rouault, rentra dans la salle avant de partir, il la trouva debout, le front contre la fenêtre, et qui regardait dans le jardin, où les échalas des haricots avaient été renversés par le vent. Elle se retourna.

– Cherchez-vous quelque chose? demanda-t-elle.

– Ma cravache, s'il vous plaît, répondit-il.

Elle était tombée à terre, entre les sacs et la muraille. Mademoiselle Emma l'aperçut; elle se pencha sur les sacs de blé. Charles, par galanterie, se précipita et, comme il allongeait aussi son bras dans le même mouvement, il sentit sa poitrine effleurer le dos de la jeune fille, courbée sous lui. Elle se redressa toute rouge et le regarda par-dessus l'épaule.

Au lieu de revenir aux Bertaux trois jours après, comme il l'avait promis, c'est le lendemain même qu'il y retourna, puis deux fois la semaine régulièrement, sans compter les visites inattendues qu'il faisait de temps à autre, comme par mégarde. Le père Rouault disait qu'il n'aurait pas été mieux guéri par les premiers médecins d'Yvetot ou même de Rouen.

Quant à Charles, il ne chercha point à se demander pourquoi il venait aux Bertaux avec plaisir. Il aimait la grange et les écuries; il aimait le père Rouault; qui lui tapait dans la main en l'appelant son sauveur; il aimait les petits sabots de mademoiselle Emma sur les dalles lavées de la cuisine; ses talons hauts la grandissaient un peu, et, quand elle marchait devant lui, les semelles de bois, se relevant vite, claquaient avec un bruit sec contre le cuir de la bottine.

Dans les premiers temps que Charles fréquentait les Bertaux, madame Bovary jeune ne manquait pas de s'informer du malade. Mais quand elle sut qu'il avait une fille, elle alla aux informations; et elle apprit que mademoiselle Rouault, élevée au couvent, chez les Ursulines, avait reçu, comme on dit, une belle éducation, qu'elle savait, en conséquence, la danse, la géographie, le dessin, faire de la tapisserie et toucher du piano. Ce fut le comble3!

Par lassitude, Charles cessa de retourner aux Bertaux. Héloïse lui avait fait jurer qu'il n'irait plus, la main sur son livre de messe, après beaucoup de sanglots et de baisers, dans une grande explosion d'amour.

Peu de temps après, un notaire s'enfuit avec les fonds de la veuve Dubuc, la première femme de Charles, laissant la famille Bovary dans une situation financière difficile.

Huit jours après, comme elle étendait du linge dans sa cour, elle fut prise d'un crachement de sang4, et le lendemain, tandis que Charles avait le dos tourné pour fermer le rideau de la fenêtre, elle dit: «Ah! mon Dieu!» poussa un soupir et s'évanouit. Elle était morte! Quel étonnement!

Quand tout fut fini au cimetière, Charles rentra chez lui. Il ne trouva personne en bas; il monta au premier, dans la chambre, vit sa robe encore accrochée au pied de l'alcôve; alors, s'appuyant contre le secrétaire, il resta jusqu'au soir perdu dans une rêverie douloureuse. Elle l'avait aimé, après tout.

III

Un matin, le père Rouault vint apporter à Charles le payement de sa jambe remise: soixante et quinze francs en pièces de quarante sous, et une dinde. Il avait appris son malheur, et l'en consola tant qu'il put; et il l'inventa d'aller les voir au printemps.

Charles suivit son conseil. Il retourna aux Bertaux; il retrouva tout comme la veille, comme il y avait cinq mois, c'est-à-dire. Les poiriers déjà étaient en fleur, et le bonhomme Rouault, debout maintenant, allait et venait, ce qui rendait la ferme plus animée.

Charles retrouva peu à peu une certaine sérénité, appréciant la liberté de sa vie solitaire. Il pouvait manger, sortir et rentrer quand il le voulait. Sa clientèle avait même augmenté après la mort de sa femme, et il se rendait souvent aux Bertaux, où il espérait quelque chose de nouveau, sans savoir exactement quoi.

Un jour, il arriva vers trois heures. Tout le monde était aux champs, sauf Emma, qui cousait près de la fenêtre. Elle travaillait le front baissé; elle ne parlait pas, Charles non plus. Emma, de temps à autre, se rafraîchissait les joues en y appliquant la paume de ses mains; qu'elle refroidissait après cela sur la pomme de fer des grands chenets.

Enfin elle se mit à causer du couvent, Charles de son collège, les phrases leur vinrent. Ils montèrent dans sa chambre. Elle lui fit voir ses anciens cahiers de musique, les petits livres qu'on lui avait donnés en prix et les couronnes en feuilles de chêne, abandonnées dans un bas d'armoire. Elle lui parla encore de sa mère, du cimetière, et même lui montra dans le jardin la plate-bande dont elle cueillait les fleurs, tous les premiers vendredis de chaque mois, pour les aller mettre sur sa tombe.

Le soir, en s'en retournant, Charles reprit une à une les phrases qu'elle avait dites, tâchant de se les rappeler, d'en compléter le sens, afin de se faire la portion d'existence qu'elle avait vécu dans le temps qu'il ne la connaissait pas encore5. Mais jamais il ne put la voir en sa pensée, différemment qu'il ne l'avait vue la première fois, ou telle qu'il venait de la quitter tout à l'heure. Puis il se demanda ce qu'elle deviendrait, si elle se marierait, et à qui? hélas! le père Rouault était bien riche, et elle!.. si belle! Mais la figure d'Emma revenait toujours se placer devant ses yeux: «Si tu te mariais, pourtant! si tu te mariais!» La nuit, il ne dormit pas, sa gorge était serrée, il avait soif.

Pensant qu'après tout l'on ne risquait rien, Charles se promit de faire la demande quand l'occasion s'en offrirait6; mais, chaque fois qu'elle s'offrit, la peur de ne point trouver les mots convenables lui collait les lèvres.

Le père Rouault n'eût pas été fâché qu'on le débarrassât de sa fille, qui ne lui servait guère dans sa maison. Il l'excusait intérieurement, trouvant qu'elle avait trop d'esprit pour la culture, métier maudit du ciel, puisqu'on n'y voyait jamais de millionnaire.

Lorsqu'il s'aperçut donc que Charles avait les pommettes rouges près de sa fille, ce qui signifiait qu'un de ces jours on la lui demanderait en mariage, il rumina d'avance toute l'affaire. Il le trouvait bien un peu gringalet, et ce n'était pas là un gendre comme il l'eût souhaité; mais on le disait de bonne conduite, économe, fort instruit, et sans doute qu'il ne chicanerait pas trop sur la dot.

– S'il me la demande, se dit-il; je la lui donne.

À l'époque de la Saint-Michel7, Charles était venu passer trois jours aux Bertaux. Le père Rouault lui fit la conduite; ils marchaient dans un chemin creux, ils s'allaient quitter8; c'était le moment. Charles se donna jusqu'au coin de la haie, et enfin, quand on l'eut dépassée9:

– Maître Rouault, murmura-t-il, je voudrais bien vous dire quelque chose.

Ils s'arrêtèrent. Charles se taisait.

– Mais contez-moi votre histoire! est-ce que je ne sais pas tout? dit le père Rouault, en riant doucement.

– Père Rouault… père Rouault… balbutia Charles.

– Moi, je ne demande pas mieux, continua le fermier.

Le lendemain, dès neuf heures, il était à la ferme. Emma rougit quand il entra, tout en s'efforçant de rire un peu par contenance. Le père Rouault embrassa son futur gendre. On remit à causer des arrangements d'intérêt; on avait, d'ailleurs, du temps devant soi, puisque le mariage ne pouvait décemment avoir lieu avant la fin du deuil de Charles, c'est-à-dire vers le printemps de l'année prochaine.

L'hiver se passa dans cette attente. Dans les visites que Charles faisait à la ferme, on causait des préparatifs de la noce; on se demandait dans quel appartement se donnerait le dîner; on rêvait à la quantité de plats qu'il faudrait et quelles seraient les entrées.

Emma eût, au contraire, désiré se marier à minuit, aux flambeaux; mais le père Rouault ne comprit rien à cette idée. Il y eut donc une noce, où vinrent quarante-trois personnes, où l'on resta seize heures à table, qui recommença le lendemain et quelque peu les jours suivants.

IV

Les conviés arrivèrent de bonne heure. On avait invité tous les parents des deux familles, on s'était raccommodé avec les amis brouillés, on avait écrit à des connaissances perdues de vue depuis longtemps. Tout le monde était tondu à neuf, les oreilles s'écartaient des têtes, on était rasé de près; quelques-uns même qui s'étaient levés dès avant l'aube, n'ayant pas vu clair à se faire la barbe, avaient des balafres en diagonale sous le nez10.

La mairie se trouvant à une demi-lieue de la ferme, on s'y rendit à pied, et l'on revint de même, une fois la cérémonie faite à l'église. La robe d'Emma, trop longue, traînait un peu par le bas; de temps à autre, elle s'arrêtait pour la tirer, et alors délicatement, de ses doigts gantés, pendant que Charles, les mains vides, attendait qu'elle eût fini.

C'était sous le hangar de la charreterie que la table était dressée. Jusqu'au soir, on mangea. Quand on était trop fatigué d'être assis, on allait se promener dans les cours ou jouer une partie de bouchon dans la grange; puis on revenait à table. Quelques-uns, vers la fin, s'y endormirent et ronflèrent. Mais, au café, tout se ranima; alors on entama des chansons, on fit des tours de force, on portait des poids, on passait sous son pouce, on essayait à soulever les charrettes sur ses épaules, on disait des gaudrioles; on embrassait les dames. La fête finie11, toute la nuit, au clair de la lune, par les routes du pays, il y eut des carrioles emportées qui couraient au grand galop, bondissant dans les saignées, sautant par-dessus les mètres de cailloux.

Madame Bovary mère n'avait pas desserré les dents de la journée. On ne l'avait consultée ni sur la toilette de la bru, ni sur l'ordonnance du festin; elle se retira de bonne heure. Son époux, au lieu de la suivre, envoya chercher des cigares à Saint-Victor et fuma jusqu'au jour, tout en buvant des grogs au kirsch, mélange inconnu à la compagnie, et qui fut pour lui comme la source d'une considération plus grande encore.

Deux jours après la noce, les époux s'en allèrent: Charles, à cause de ses malades, ne pouvait s'absenter plus longtemps. Le père Rouault les fit reconduire dans sa carriole et les accompagna lui-même jusqu'à Vassonville. Là, il embrassa sa fille une dernière fois, mit pied à terre et reprit sa route. Lorsqu'il eut fait cent pas environ, il s'arrêta, et, comme il vit la carriole s'éloignant, dont les roues tournaient dans la poussière, il poussa un gros soupir.

M. et madame Charles arrivèrent à Tostes, vers six heures. Les voisins se mirent aux fenêtres pour voir la nouvelle femme de leur médecin.

La vieille bonne se présenta, lui fit ses salutations, s'excusa de ce que le dîner n'était pas prêt, et engagea Madame, en attendant, à prendre connaissance de sa maison.

V

Elle s'occupa, les premiers jours, à méditer des changements dans sa maison. Elle fit coller des papiers neufs, repeindre l'escalier et faire des bancs dans le jardin, tout autour du cadran solaire; elle demanda même comment s'y prendre pour avoir un bassin à jet d'eau avec des poissons.

Charles était heureux et sans souci de rien au monde. Un repas en tête-à-tête, une promenade le soir sur la grande route, un geste de sa main sur ses bandeaux, la vue de son chapeau de paille accroché à l'espagnolette d'une fenêtre, et bien d'autres choses encore où Charles n'avait jamais soupçonné de plaisir, composaient maintenant la continuité de son bonheur. Au lit, le matin, et côte à côté sur l'oreiller, il regardait la lumière du soleil passer parmi le duvet de ses joues blondes, que couvraient à demi les pattes escalopées de son bonnet. Il se levait. Elle se mettait à la fenêtre pour le voir partir; et elle restait accoudée sur le bord, entre deux pots de géraniums, vêtue de son peignoir, qui était lâche autour d'elle. Charles, à cheval, lui envoyait un baiser; elle répondait par un signe, elle refermait la fenêtre, il partait.

Jusqu'à présent, qu'avait-il eu de bon dans l'existence? Mais, à présent, il possédait pour la vie cette jolie femme qu'il adorait. L'univers, pour lui, n'excédait pas le tour soyeux de son jupon; et il se reprochait de ne pas l'aimer, il avait envie de la revoir; il s'en revenait vite, montait l'escalier; le coeur battant. Emma, dans sa chambre, était à faire sa toilette; il arrivait à pas muets, il la baisait dans le dos, elle poussait un cri.

Il ne pouvait se retenir de toucher continuellement à son peigne, à ses bagues, à son fichu; quelquefois, il lui donnait sur les joues de gros baisers à pleine bouche, ou c'étaient de petits baisers à la file tout le long de son bras nu, depuis le bout des doigts jusqu'à l'épaule; et elle le repoussait, à demi souriante et ennuyée, comme on fait à un enfant qui se pend après vous12.

Avant qu'elle se mariât, elle avait cru avoir de l'amour; mais le bonheur qui aurait dû résulter de cet amour n'étant pas venu, il fallait qu'elle se fût trompée, songeait-elle. Et Emma cherchait à savoir ce que l'on entendait au juste dans la vie par les mots de félicité, de passion et d'ivresse, qui lui avaient paru si beaux dans les livres.

VI

Elle avait lu Paul et Virginie et elle avait rêvé la maisonnette de bambous, le nègre Domingo, le chien Fidèle, mais surtout l'amitié douce de quelque bon petit frère, qui va chercher pour vous des fruits rouges dans des grands arbres plus hauts que des clochers, ou qui court pieds nus sur le sable, vous apportant un nid d'oiseau.

Lorsqu'elle eut treize ans, son père l'amena lui-même à la ville, pour la mettre au couvent. Loin de s'ennuyer au couvent les premiers temps, elle se plut dans la société des bonnes soeurs, qui, pour l'amuser, la conduisaient dans la chapelle, où l'on pénétrait du réfectoire par un long corridor. Elle jouait fort peu durant les récréations, comprenait bien le catéchisme, et c'est elle qui répondait toujours à M. le vicaire dans les questions difficiles. Elle essaya, par mortification, de rester tout un jour sans manger13. Elle cherchait dans sa tête quelque voeu à accomplir.

Quand elle allait à confesse, elle inventait de petits péchés afin de rester là plus longtemps, à genoux dans l'ombre, les mains jointes, le visage à la grille sous le chuchotement du prêtre. Les comparaisons de fiancé, d'époux, d'amant céleste et de mariage éternel qui reviennent dans les sermons lui soulevaient au fond de l'âme des douceurs inattendues.

Le soir, avant la prière, on faisait dans l'étude une lecture religieuse. C'était, pendant la semaine, quelque résumé d'Histoire sainte ou les Conférences de l'abbé Frayssinous, et, le dimanche, des passages du Génie du christianisme, par récréation. Comme elle écouta, les premières fois, la lamentation sonore des mélancolies romantiques se répétant à tous les échos de la terre et de l'éternité! Elle n'aimait la mer qu'à cause de ses tempêtes, et la verdure seulement lorsqu'elle était clairsemée parmi les ruines.

Pendant six mois, à quinze ans, Emma se graissait les mains à la poussière des vieux cabinets de lecture14. Avec Walter Scott, plus tard, elle s'éprit de choses historiques, rêva bahuts, salle des gardes et ménestrels. Elle aurait voulu vivre dans quelque vieux manoir, comme ces châtelaines au long corsage, qui, sous le trèfle des ogives, passaient leurs jours à regarder venir du fond de la campagne un cavalier à plume blanche qui galope sur un cheval noir. Elle eut dans ce temps-là le culte de Marie Stuart, et des vénérations enthousiastes à l'endroit des femmes illustres ou infortunées15.

Elle frémissait, en soulevant de son haleine le papier de soie des gravures, qui se levait à demi plié et retombait doucement contre la page. Et l'abat-jour du quinquet, accroché dans la muraille au-dessus de la tête d'Emma, éclairait tous ces tableaux du monde, qui passaient devant elle les uns après les autres, dans le silence du dortoir et au bruit lointain de quelque fiacre attardé qui roulait encore sur les boulevards.

Quand sa mère mourut, elle pleura beaucoup les premiers jours. Elle se fit faire un tableau funèbre avec les cheveux de la défunte, et, dans une lettre qu'elle envoyait aux Bertaux, toute pleine de réflexions tristes sur la vie, elle demandait qu'on l'ensevelît plus tard dans le même tombeau. Le bonhomme la crut malade et vint la voir. Emma fut intérieurement satisfaite de se sentir arrivée du premier coup à ce rare idéal des existences pâles16, où ne parviennent jamais les cœurs médiocres.

Les bonnes religieuses, qui avaient si bien présumé de sa vocation, s'aperçurent avec de grands étonnements que mademoiselle Rouault semblait échapper à leur soin. Son esprit, positif au milieu de ses enthousiasmes, qui avait aimé l'église pour ses fleurs, la musique pour les paroles des romances, et la littérature pour ses excitations passionnelles, s'insurgeait devant les mystères de la foi, de même qu'elle s'irritait davantage contre la discipline, qui était quelque chose d'antipathique à sa constitution. Quand son père la retira de pension, on ne fut point fâché de la voir partir. La supérieure trouvait même qu'elle était devenue, dans les derniers temps, peu révérencieuse envers la communauté.

Emma, rentrée chez elle, se plut d'abord au commandement des domestiques, prit ensuite la campagne en dégoût et regretta son couvent. Quand Charles vint aux Bertaux pour la première fois, elle se considérait comme fort désillusionnée, n'ayant plus rien à apprendre, ne devant plus rien sentir.

Mais l'anxiété d'un état nouveau, ou peut-être l'irritation causée par la présence de cet homme, avait suffi à lui faire croire qu'elle possédait enfin cette passion merveilleuse – et elle ne pouvait s'imaginer à présent que ce calme où elle vivait fût le bonheur qu'elle avait rêvé.

1.chemin faisant – по пути
2.Charles n'eût osé en souhaiter de plus facile – Чарльз не посмел бы желать ничего проще
3.Ce fut le comble – Нет, это уж слишком
4.elle fut prise d'un crachement de sang – у нее хлынула горлом кровь
5.afin de se faire la portion d'existence qu'elle avait vécu dans le temps qu'il ne la connaissait pas encore – чтобы стать той частью ее существования, которую она прожила, когда он еще не знал ее
6.quand l'occasion s'en offrirait – когда представится такая возможность
7.À l'époque de la Saint-Michel – Перед Михайловым днем
8.ils s'allaient quitter – они собирались разойтись
9.Charles se donna jusqu'au coin de la haie, et enfin, quand on l'eut dépassée – Шарль дал себе слово начать, когда они дойдут до конца изгороди, и, как только изгородь осталась позади
10.n'ayant pas vu clair à se faire la barbe, avaient des balafres en diagonale sous le nez – не имея возможности рассмотреть как они бреются оставили себе под носом порезы
11.La fête finie – Когда праздник закончился
12.comme on fait à un enfant qui se pend après vous – как поступают с ребенком, который вешается на вас
13.Elle essaya, par mortification, de rester tout un jour sans manger – Однажды она попробовала ради умерщвления плоти целый день ничего не есть
14.Pendant six mois, à quinze ans, Emma se graissait les mains à la poussière des vieux cabinets de lecture – Пятнадцатилетняя Эмма целых полгода дышала этой пылью старинных книгохранилищ
15.des vénérations enthousiastes à l'endroit des femmes illustres ou infortunées – восторженное почитание выдающихся или несчастных женщин
16.Emma fut intérieurement satisfaite de se sentir arrivée du premier coup à ce rare idéal des existences pâles – Она в глубине души была довольна, что ей сразу удалось возвыситься до трудно достижимого идеала отрешения от всех радостей жизни
Vanusepiirang:
16+
Ilmumiskuupäev Litres'is:
03 detsember 2024
Objętość:
180 lk 1 illustratsioon
ISBN:
978-5-17-161722-6
Kohanemine:
Allalaadimise formaat:
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