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Loe raamatut: «Les nuits mexicaines», lehekülg 14

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XIX
COMPLICATIONS

Loïck se tut.

Le récit du ranchero avait été long; don Jaime l'avait écouté d'un bout à l'autre sans l'interrompre, le visage froid et impassible, mais les yeux pleins d'éclairs.

– Est-ce tout, enfin? demanda-il à Loïck en se tournant vers lui.

– Tout, oui, seigneurie.

– De quelle façon avez-vous été si bien instruit des moindres particularités de cette épouvantable catastrophe?

– C'est Domingo lui-même qui m'a raconté l'événement; il était à demi fou de douleur et de rage, sachant que je me rendrais près de vous, il m'a chargé de vous redire…

Don Jaime l'interrompit brusquement:

– C'est bien, Domingo ne vous a pas chargé d'un autre message pour moi? dit-il en fixant sur lui un regard flamboyant.

Le ranchero se troubla.

– Seigneurie, balbutia-il.

– Au diable le Breton, s'écria l'aventurier qu'as-tu donc à te troubler ainsi? Voyons, parle ou étrangle.

– Seigneurie, dit-il résolument, je crains d'avoir fait une sottise.

– Pardieu, je m'en doute, rien qu'à ton air contrit? Cette sottise quelle est-elle enfin?

– C'est que, reprit-il, Domingo paraissait si désespéré de ne pas savoir où vous trouver, il semblait avoir si grand besoin de vous entretenir, que…

– De sorte que tu n'as pas su retenir ta langue et que tu lui as révélé…

– Où vous demeurez, oui, seigneurie.

Après cet aveu, le ranchero courba humblement la tête comme s'il avait la conviction intérieure d'avoir commis un grand crime.

Il y eut un silence.

– Naturellement, tu lui as appris sous quel nom je me cachais dans cette maison, reprit don Jaime au bout d'un instant.

– Dam, fit naïvement Loïck, si je ne l'avais pas fait, il aurait été assez embarrassé pour vous rencontrer, seigneurie.

– C'est juste; ainsi il va venir?

– Je le crains.

– C'est bon.

Don Jaime fit quelques pas dans la chambre en réfléchissant, puis se rapprochant de Loïck toujours immobile à sa place:

– Êtes-vous venu seul à México? lui demanda-t-il.

– López m'accompagne, seigneurie, mais je l'ai laissé dans une pulquería de la barrière de Belén où il m'attend.

– Bien, vous allez le rejoindre, vous ne lui direz rien; dans une heure, pas avant, vous reviendrez ici avec lui, peut-être aurais-je besoin de vous deux.

– Bon, fit-il en se frottant les mains, vous pouvez être tranquille, seigneurie, nous y serons.

– Maintenant, adieu.

– Pardon, seigneurie, j'ai un billet à vous remettre.

– Un billet! De quelle part?

Loïck fouilla dans son dolman, en retira un papier soigneusement cacheté et le présenta à don Jaime.

– Le voici, dit-il.

L'aventurier jeta les yeux sur la suscription.

– Don Estevan! s'écria-t-il avec un cri de joie, et il rompit vivement le cachet.

Le billet, bien que fort court, était écrit en chiffres; voici son contenu:

«Tout marche à souhait; notre homme arrive de «lui-même vers l'appât qui lui est présenté. Samedi, «minuit; peral.

«Espoir!» «CORDOUE »

Don Jaime déchira le billet en parcelles impalpables.

– Quel jour sommes-nous? demanda-t-il tout à coup à Loïck.

– Aujourd'hui? fit celui-ci ahuri de cette question à laquelle il ne s'attendait pas du tout.

– Imbécile! Il ne s'agit ni d'hier ni de demain probablement.

– C'est vrai, seigneurie, nous sommes au mardi.

– Ne pouvais-tu le dire tout de suite?

Lorsque don Jaime était agité soit par la joie soit par la colère, il tutoyait Loïck: celui-ci le savait, et la façon dont l'aventurier lui parlait était pour lui un baromètre infaillible auquel il ne se trompait pas.

Don Jaime fit encore quelques pas d'un air préoccupé dans la chambre.

– Puis-je partir? hasarda Loïck.

– Il y a dix minutes que tu devrais être parti, répondit-il brusquement.

Le ranchero ne se fit pas répéter cette injonction. Il salua et se retira. Don Jaime demeura seul, mais au bout d'un instant la porte s'ouvrit et les deux dames rentrèrent.

Leur visage était inquiet, elles s'approchèrent timidement de l'aventurier.

– Vous avez reçu de mauvaises nouvelles, don Jaime? demanda doña Maria.

– Hélas oui! Ma sœur, répondit-il, de fort mauvaises même.

– Pouvez-vous nous les faire connaître?

– Je n'ai aucune raison pour vous en faire un secret, d'ailleurs elles regardent des personnes que vous aimez.

– Ciel! fit doña Carmen en joignant les mains, Dolores peut-être?

– Dolores, oui mon enfant, répondit don Jaime, Dolores votre amie; l'hacienda del Arenal a été surprise et incendiée par les Juaristes.

– Oh! Mon Dieu! s'écrièrent les deux dames avec douleur, pauvre Dolores! Et don Andrés?

– Don Andrés est grièvement blessé.

– Dieu soit loué qu'il ne soit pas mort.

– Il n'en vaut guère mieux.

– Où sont-ils en ce moment?

– Réfugiés à Puebla où ils sont arrivés sous l'escorte de quelques-uns de leurs peones commandés par Leo Carral.

– Oh! C'est un serviteur dévoué.

– Oui, mais je doute que s'il avait été seul, il fût parvenu à sauver ses maîtres, heureusement don Andrés avait à l'hacienda deux gentilshommes français, le comte de la Saulay…

– Celui qui doit épouser Dolores? dit vivement doña Carmen.

– En effet, et le baron Charles de Meriadec, attaché à l'ambassade française; il paraît que ces deux braves jeunes gens ont fait des prodiges de valeur; que c'est grâce à leur bravoure que nos amis ont échappé au sort horrible qui les menaçait.

– Dieu les bénisse! s'écria doña Maria, je ne les connais pas, mais déjà je m'intéresse à eux comme à de vieux amis.

– Vous ne tarderez pas à connaître au moins l'un d'eux.

– Ah! fit curieusement la jeune fille.

– Oui, j'attends ici d'un moment à l'autre le baron de Meriadec.

– Nous le recevrons du mieux qu'il nous sera possible.

– Je vous en prie.

– Mais Dolores ne peut demeurer à Puebla.

– C'est mon avis; je compte me rendre auprès d'elle.

– Pourquoi ne viendrait-elle pas près de nous? fit doña Carmen; elle serait en sûreté ici; les soins ne manqueraient pas à son père.

– Ce que vous dites, Carmen, est fort judicieux; peut-être vaudrait-il mieux qu'elle demeurât quelque temps avec vous, j'y songerai; avant tout, il faut que je voie don Andrés, que je m'assure de l'état dans lequel il se trouve, et s'il peut être transporté.

– Mon frère, dit doña Maria, je remarque que vous nous avez parlé de Dolores et de son père, mais que vous ne nous avez pas dit un mot de don Melchior.

Le visage de don Jaime se rembrunit subitement à cette parole, ses traits se contractèrent.

– Lui serait-il arrivé malheur? s'écria doña Maria.

– Plût au ciel qu'il en fût ainsi! répondit-il avec une tristesse mêlée de colère, ne parlez jamais de cet homme, c'est un monstre.

– Mon Dieu! Vous m'effrayez, don Jaime.

– Je vous ai dit, n'est-ce pas, que l'hacienda del Arenal avait été surprise parles guérilleros.

– Oui, fit-elle, palpitante d'effroi.

– Savez-vous qui commandait les Juaristes et leur servait de guide? Don Melchior de la Cruz.

– Oh! s'écrièrent les deux femmes avec horreur.

– Plus tard, lorsqu'à la suite d'un traité don Andrés et sa fille parvinrent à obtenir l'autorisation de se retirer sains et sauf à Puebla, un homme leur tendit un guet-apens à quelque distance de la ville et les attaqua traîtreusement; cet homme, c'était encore don Melchior.

– Oh! C'est horrible! firent-elles en se cachant le visage dans les mains et en éclatant en sanglots.

– N'est-ce pas? reprit-il, d'autant plus horrible que don Melchior avait froidement calculé la mort de son père, qu'il voulait par un parricide s'emparer de la fortune de sa sœur, fortune à laquelle il n'a aucun droit, et que le mariage prochain de doña Dolores lui enlève tout entière, ou du moins il le croyait ainsi.

– Cet homme est un monstre, dit doña Maria.

Les deux dames avaient été altérées par cette révélation. Leur intimité était grande avec la famille de la Cruz, les deux jeunes filles avaient été presque élevées ensembles; elles s'aimaient comme deux sœurs, bien que doña Carmen fût un peu plus âgée que doña Dolores; aussi la nouvelle du malheur qui était si à l'improviste venu fondre sur don Andrés, les remplissait-elles de douleur; doña Maria insista chaleureusement près de don Jaime pour que don Andrés et sa fille fussent amenés à México et logés dans sa maison, où doña Dolores trouverait ces soins et ces consolations dont après un tel désastre elle devait avoir si grand besoin.

– Je verrai, je tâcherai de vous satisfaire, répondit don Jaime, cependant je n'ose rien vous promettre encore; je compte partir aujourd'hui même pour Puebla, et si je n'attendais pas la visite du baron de Meriadec, je partirais tout de suite.

– Cette fois sera la première, dit doucement doña Maria, que je vous verrai nous quitter presque sans regret.

Don Jaime sourit.

En ce moment on entendit ouvrir la porte de la rue et résonner les pas d'un cheval dans le zaguán.

– Voici le baron, dit l'aventurier, et il alla au-devant de son visiteur.

C'était effectivement Dominique qui arrivait.

Don Jaime lui tendit la main, et lui lançant un regard significatif:

– Soyez le bienvenu, mon cher baron, lui dit-il en français, langue que les deux dames parlaient fort bien, je vous attendais avec impatience.

Le jeune homme comprit que jusqu'à nouvel ordre il devait garder son incognito.

– Je suis véritablement désolé de vous avoir fait attendre, mon cher don Jaime, répondit-il, mais j'arrive de Puebla à franc-étrier et je ne vous apprendrai rien de nouveau en vous disant que la route est longue.

– Je la connais, reprit en souriant don Jaime, mais venez donc que je vous présente à deux dames qui désirent vous connaître, ne demeurons pas davantage ici.

– Mesdames, dit entrant don Jaime, permettez-moi de vous présenter le baron Charles de Meriadec attaché à l'ambassade française, un de mes meilleurs amis dont j'ai eu occasion de vous entretenir. Mon cher baron, j'ai l'honneur de vous présenter doña Maria ma sœur et doña Carmen ma nièce.

Bien que, avec intention sans doute, l'aventurier eût supprimé la moitié du nom des dames, le jeune homme ne parut pas s'en apercevoir et les salua respectueusement.

– Maintenant, reprit gaîment don Jaime, vous voici de la famille, vous connaissez notre hospitalité espagnole, si vous avez besoin de quelque chose parlez, nous sommes tous à vos ordres.

On s'assit et tout en se rafraîchissant on causa.

– Vous pouvez parler en toute franchise, baron, dit don Jaime, ces dames sont au courant de l'affreux événement de l'Arenal.

– Plus affreux que vous ne le supposez sans doute, fit le jeune homme, et puisque vous vous intéressez à cette malheureuse famille, je crains d'ajouter encore à votre douleur et d'être un messager de mauvaises nouvelles.

– Nous sommes intimement liés avec don Andrés de la Cruz et sa charmante fille, répondit doña Maria.

– Alors, madame, pardonnez-moi de n'avoir que des choses tristes à vous apprendre.

Le jeune homme hésita.

– Oh! Parlez, parlez.

– Je n'ai que quelques mots à dire: les Juaristes se sont emparés de Puebla, la ville s'est rendue à la première sommation.

– Les lâches! fit l'aventurier en frappant la table du poing.

– Vous l'ignoriez?

– Oui, je la croyais encore au pouvoir de Miramón.

– Le premier soin des Juaristes a été, selon leur coutume invariable, de rançonner et d'emprisonner les étrangers et surtout les Espagnols résidants dans la ville; quelques-uns mêmes ont été fusillés sans autre forme de procès; les prisons regorgent, on a été obligé de se servir de plusieurs couvents pour renfermer les prisonniers; la terreur règne à Puebla.

– Continuez, mon ami… et don Andrés?

– Don Andrés, vous le savez sans doute, est gravement blessé.

– Oui, je le sais.

– Son état laisse peu d'espoir; le gouverneur de la ville, malgré les représentations de personnes notables et les prières de tous les honnêtes gens, a fait enlever don Andrés comme atteint et convaincu de haute trahison; ce sont les termes mêmes du mandat d'amener; malgré les larmes de sa fille et de tous ses amis il l'a fait transférer dans les cachots de l'ancienne inquisition; la maison habitée par don Andrés a été pillée et démolie.

– Mais c'est affreux, c'est de la barbarie.

– Oh! Ceci n'est rien encore.

– Comment, rien?

– Don Andrés a été mis en jugement et comme il protestait de son innocence, malgré tous les efforts des juges pour l'obliger à s'accuser soi-même, il a été appliqué à la torture.

– A la torture! s'écrièrent les auditeurs, avec un geste d'horreur.

– Oui, ce vieillard blessé, mourant, a été suspendu par les pouces et a reçu l'estrapade, et cela à deux reprises différentes; malgré ce martyre, ses bourreaux n'ont pu réussir à le contraindre à avouer les crimes qu'ils lui imputent et dont il est innocent.

– Oh! Ceci passe toute croyance, s'écria don Jaime, et sans doute le malheureux est mort?

– Pas encore, ou du moins il ne l'était pas à mon départ de Puebla, il n'est même pas condamné, rien ne presse les bourreaux, le temps leur appartient, ils jouent avec leur victime.

– Et Dolores, s'écria doña Carmen, pauvre Dolores! Comme elle doit souffrir!

– Doña Dolores a disparu, elle a été enlevée.

– Disparue! s'écria don Jaime d'une voix éclatante, et vous vivez pour me l'apprendre!

– J'ai fait tout ce que j'ai pu pour être tué, répondit-il simplement, je n'ai pas réussi.

– Ah! Je la retrouverai, moi! reprit l'aventurier; et le comte que fait-il?

– Le comte est au désespoir, il cherche aidé par Leo Carral; moi, je suis venu vers vous.

– Vous avez bien fait; je ne vous manquerai pas. Le comte et Leo Carral sont donc demeurés à Puebla?

– Leo Carral seul, le comte a été contraint de fuir pour échapper aux poursuites des Juaristes, il s'est réfugié avec ses domestiques au rancho; chaque jour son plus jeune valet Ibarru, je crois qu'il le nomme ainsi, va à la ville s'entendre avec le mayordomo.

– Est-ce de votre propre mouvement que vous êtes venu vers moi?

– Oui, mais j'ai pris d'abord conseil du comte, je n'ai pas voulu agir sans avoir son avis.

– Vous avez eu raison; ma sœur préparez un appartement convenable pour doña Dolores.

– Vous la ramènerez donc? s'écrièrent les deux dames.

– Oui, ou je périrai.

– Partons-nous? demanda le jeune homme avec impatience.

– Dans un instant, j'attends Loïck et López.

– Loïck est ici?

– C'est lui qui m'a apporté la nouvelle de la surprise de l'hacienda.

– C'est moi qui vous l'avais envoyé.

– Je le sais. Votre cheval est fatigué, vous le laisserez ici, on en aura soin, je vous en donnerai un autre.

– Soit.

– Vous avez sans doute entendu prononcer les noms des principaux persécuteurs de don Andrés?

– Ils sont trois; le premier est le premier secrétaire, l'âme damnée du nouveau gouverneur, son nom est don Antonio de Cacerbar.

– Vous avez eu la main heureuse, dit l'aventurier avec ironie: cet homme est le même auquel vous avez si philantropiquement sauvé la vie.

Le jeune homme eut un rugissement de tigre.

– Je le tuerai, dit-il sourdement.

Don Jaime lui jeta un regard étonné.

– Vous le haïssez donc bien? lui demanda-t-il.

– Sa mort même, ne me satisfera pas; la conduite de cet homme est étrange, il est arrivé à l'improviste dans la ville, deux jours après l'armée; il n'a fait qu'apparaître, puis il est dit-on reparti, laissant derrière lui une longue traînée de sang.

– Nous le retrouverons; nous; quel est le second?

– Ne l'avez vous pas deviné déjà?

– Don Melchior, n'est-ce pas?

– Oui.

– Bien, je sais alors où chercher doña Dolores; c'est lui qui l'a enlevée.

– C'est probable.

– Et le troisième.

– Le troisième est un jeune homme d'une belle et gracieuse figure, d'une voix douce, de manières distinguées, plus terrible à lui seul à ce qu'on dit que les deux autres ensemble, bien que n'ayant pas de titre officiel; il paraît disposer d'un grand pouvoir, il passe pour un agent secret de Juárez.

– Son nom?

– Don Diego Izaguirre.

Le visage de l'aventurier s'éclaircit.

– Bon, fit-il avec un sourire, l'affaire n'est pas aussi désespérée que je le craignais, nous réussirons.

– Le croyez-vous?

– J'en suis sûr.

– Le ciel vous entende! s'écrièrent les deux dames en joignant les mains.

Cependant doña Maria, depuis l'arrivée du soi-disant baron, était en proie à une préoccupation extraordinaire; tandis que le jeune homme causait avec don Jaime, elle le regardait avec une fixité étrange; elle se sentait les yeux pleins de larmes, la poitrine oppressée; elle ne comprenait rien à l'émotion que lui causait la vue et le son de la voix de cet élégant jeune homme qu'elle voyait cependant pour la première fois; vainement elle cherchait dans ses souvenirs, où déjà elle avait entendu cette voix dont l'accent avait pour elle quelque chose de doucement sympathique qui lui allait au cœur; elle étudiait le beau et loyal visage du vaquero comme si elle eût voulu retrouver dans ses traits une ressemblance fugitive, avec une personne que jadis elle avait connue; mais tout était chaos dans sa mémoire; une barrière infranchissable semblait s'élever entre le présent et le passé, comme pour lui prouver quelle se laissait dominer par une espérance folle, et que l'homme qui se trouvait devant elle, lui était bien réellement étranger.

Don Jaime suivait attentivement sur le visage de doña Maria les divers sentiments qui venaient tour à tour s'y refléter, mais quelle que fût son opinion à ce sujet, il demeurait froid, impassible et indifférent en apparence, aux péripéties de ce drame intime qui cependant devait l'intéresser au plus haut point.

Loïck arriva, suivi de López; un cheval frais fut sellé pour Dominique.

– Partons, dit l'aventurier en se levant; le temps presse.

Le jeune homme prit congé des dames.

– Vous reviendrez, n'est ce pas, monsieur? lui demanda gracieusement doña Maria.

– Vous êtes mille fois trop bonne, madame, répondit-il; ce sera pour moi un bonheur de profiter de votre charmante invitation.

Ils sortirent. Doña Maria arrêta son frère par le bras.

– Un mot, don Jaime, lui dit-elle d'une voix tremblante.

– Parlez, ma sœur.

– Vous connaissez ce jeune homme?

– Parfaitement.

– Est-ce bien réellement un gentilhomme français?

– Il passe pour tel, répondit-il, en la regardant fixement.

– J'étais folle, murmura-t-elle en lâchant le bras qu'elle avait retenu jusque-là et en poussant un soupir.

Don Jaime sourit sans répondre.

Bientôt on entendit résonner au dehors les fers des quatre chevaux lancés à fond de train.

XX
LA SURPRISE

Ils galopèrent ainsi jusqu'au soir, sans échanger une parole.

Au coucher du soleil, ils atteignirent un rancho ruiné placé comme une vedette, sur le bord de la route; l'aventurier fit un geste, les cavaliers retinrent la bride.

Un homme sortit du rancho, les regarda sans prononcer une parole, puis il rentra.

Quelques minutes s'écoulèrent; l'homme reparut de nouveau, cette fois il venait de derrière le rancho et conduisait deux chevaux par la bride.

Ces chevaux étaient sellés.

L'aventurier et Dominique sautèrent à terre, enlevèrent les alforjas et les pistolets, les replacèrent sur les chevaux frais et se mirent en selle.

L'homme revint une seconde fois, il amenait deux autres chevaux, Loïck et López descendirent à leur tour. L'homme, toujours muet, rassembla les brides des quatre chevaux et s'éloigna les conduisant derrière lui.

– En route! cria don Jaime.

Ils repartirent.

La course recommença silencieuse et rapide; la nuit était sombre, les cavaliers glissaient dans l'ombre comme des fantômes.

Toute la nuit, ils galopèrent ainsi; vers cinq heures du matin, ils changèrent encore de chevaux dans un rancho à demi ruiné; ces hommes semblaient de fer: depuis quinze heures ils étaient en selle, la fatigue n'avait pas de prise sur eux.

Pas un mot n'avait été échangé entre eux pendant cette longue traite.

Vers dix heures du matin, ils virent briller aux rayons éclatants du soleil les dômes de Puebla; ils avaient franchi cent-vingt-six kilomètres qui séparent cette ville de México en moins de vingt heures, par des chemins presqu'impraticables.

A une-demi lieue environ de la ville, au lieu de continuer à s'avancer en ligne droite, sur un signe de l'aventurier, ils firent un crochet et s'enfoncèrent dans un sentier à peine frayé, tracé à travers un bois taillis.

Pendant une heure, ils galopèrent à la suite de don Jaime qui avait pris la tête de la cavalcade. Ils atteignirent ainsi un brûlis qui formait une clairière assez étendue. Au centre de cette clairière s'élevait une enramada.

– Nous sommes arrivés, dit l'aventurier en arrêtant son cheval et mettant pied à terre; c'est ici provisoirement que nous établirons notre quartier général.

Ses compagnons sautèrent sur le sol et se mirent en devoir de desseller les chevaux.

– Attendez, reprit-il. Loïck, tu vas aller à ton rancho où se trouve en ce moment le comte de la Saulay et ses domestiques, tu les ramèneras ici; toi López, tu iras aux provisions.

– Nous attendrons donc tous les deux sous cette enramada? demanda Dominique.

– Non, car je vais me rendre à Puebla.

– Ne craignez-vous pas d'être reconnu?

L'aventurier sourit.

Don Jaime et le vaquero demeurèrent seuls. Ils entraînèrent leurs chevaux et leur retirèrent la bride pour qu'ils pussent brouter l'herbe tendre de la clairière.

– Suivez-moi, dit don Jaime.

Dominique obéit.

Ils entrèrent sous l'enramada.

On nomme enramada au Mexique une espèce de chaumière informe construite tant bien que mal avec des branches d'arbres entrelacées et recouverte avec d'autres branches et des feuilles; ces masures, d'une fort piètre apparence, offrent cependant un abri très suffisant contre la pluie et le soleil.

Cette enramada, mieux construite que les autres, était divisée en deux compartiments, par une claie de branches entrelacées qui montait jusqu'au toit et séparait la hutte en deux parties égales dans sa largeur. Don Jaime ne s'arrêta pas au premier compartiment et passa immédiatement dans le second, toujours suivi par Dominique qui depuis quelques instants semblait être plongé dans des sérieuses réflexions.

L'aventurier dérangea un amas d'herbes et de feuilles sèches et prenant sa machette il se mit en devoir de creuser la terre.

Dominique le regardait avec étonnement.

– Que faites-vous donc? lui demanda-t-il.

– Vous le voyez, je dégage l'entrée d'un souterrain; aidez-moi, répondit-il.

Tous deux se mirent à l'œuvre. Bientôt apparut une large pierre plate au centre de laquelle un anneau était scellé.

Lorsque la pierre eut été enlevée, apparurent des marches grossièrement taillées dans le roc.

– Descendons, dit l'aventurier.

Au moyen d'une allumette chimique l'aventurier avait allumé une lampe.

Dominique jeta un regard curieux autour de lui: l'endroit où il se trouvait, situé à sept ou huit mètres au-dessous du sol, formait une espèce de salle octogone d'assez grande dimension; quatre galeries qui semblaient se prolonger sous terre y venaient aboutir de plusieurs points différents.

Cette salle était amplement fournie d'armes de toutes sortes; on y voyait des harnais, des hardes, un lit fait avec des feuilles et des fourrures, jusqu'à des livres rangés sur une tablette suspendue aux parois.

– Vous voyez un de mes repaires, dit en souriant l'aventurier, j'en possède plusieurs comme celui-ci éparpillés sur tout le territoire mexicain. Ce souterrain date du temps des Aztèques, son existence n'a été révélée il y a plusieurs années déjà par un vieil Indien; vous savez que la province où nous sommes était anciennement le territoire sacré de la religion mexicaine, les temples y pullulaient; les souterrains en grand nombre servaient aux prêtres pour se rendre d'un lieu à un autre sans être découverte et donner ainsi plus de force aux miracles d'ubiquité qu'ils prétendaient accomplir; plus tard, ils servirent de refuge aux Indiens persécutés par les conquérants espagnols; celui où nous sommes qui aboutit d'un côté à la pyramide de Gholula et de l'autre au centre même de Puebla sans compter d'autres issues a été à plusieurs reprises fort utile aux insurgés mexicains pendant la guerre de l'indépendance; aujourd'hui, son existence est ignorée, ce secret n'est connu que de moi et de vous maintenant.

Le vaquero avait écouté avec le plus vif intérêt cette relation.

– Pardon, répondit-il, mais il est une chose que je ne comprends pas bien.

– Laquelle?

– Vous m'avez dit tout à l'heure que si quelqu'un survenait par hasard nous serions avertis aussitôt.

– Oui, je vous ai dit cela, en effet.

– Je ne comprends pas du tout comment cela peut se faire.

– Bien simplement: vous voyez cette galerie, n'est-ce pas?

– Oui.

– Elle aboutit par une espèce de regard d'un mètre carré environ, recouvert de broussailles et impossible à reconnaître, juste à l'entrée du sentier par lequel il est seul possible de pénétrer dans le bois; or, par un effet singulier d'acoustique dont je ne me charge nullement de vous donner l'explication, tous les bruits de quelque nature qu'ils soient, même les plus légers, qui se produisent proche de ce regard sont instantanément répercutés ici, avec une netteté telle qu'il est de la plus grande facilité de reconnaître leur nature.

– Oh! Alors je ne suis plus inquiet.

– D'ailleurs, lorsque les personnes que nous attendons seront arrivées, nous boucherons ce trou qui nous sera inutile et nous entrerons et sortirons par cette galerie qui, s'ouvre là derrière vous.

Tout en donnant ces explications à son ami, l'aventurier avait quitté une partie de ses vêtements.

– Que faites-vous donc? reprit Dominique.

– Je me déguise pour aller prendre langue, et savoir à quel point en sont nos affaires à Puebla, les habitants de cette ville sont fort religieux; les couvents y fourmillent, je vais prendre un costume de camaldule à la faveur duquel je pourrai vaquer à mes occupations sans craindre d'attirer l'attention sur moi.

Le vaquero s'était assis sur les fourrures, et le dos appuyé au mur il réfléchissait.

– Qu'avez-vous donc? Dominique, vous sembler préoccupé, triste, lui demanda don Jaime au bout d'un instant.

Le jeune homme tressaillit comme si un serpent l'avait subitement piqué.

– Je suis triste en effet, maître, murmura-t-il.

– Ne vous ai-je pas dit que nous retrouverons doña Dolores, reprit-il.

Dominique frissonna, son visage devint livide.

– Maître, dit-il en se levant et en courbant la tête, méprisez-moi, je suis un lâche!

– Un lâche, vous Domingo, vrai Dieu! Vous en avez menti!

– Non, maître, je dis vrai, j'ai méconnu mon devoir, trahi mon ami, oublié vos recommandations; il soupira profondément: J'aime la fiancée de mon ami, ajouta-t-il faiblement.

L'aventurier fixa sur lui son regard clair avec une expression indéfinissable.

– Je le savais, dit-il.

Domingo tressaillit et se redressant brusquement:

– Vous le saviez! s'écria-t-il atterré.

– Je le savais, reprit don Jaime.

– Et vous ne me méprisez pas?

– Pourquoi? Est-on maître de son cœur?

– Mais c'est la fiancée du comte, mon ami!

L'aventurier ne répondit pas à cette exclamation.

– Et elle vous aime, reprit-il.

– Oh! s'écria-t-il, comment le saurai-je? C'est à peine si j'ai osé me l'avouer à moi-même.

Il y eut un long silence. Tout en revêtant son costume de moine, l'aventurier examinait à la dérobée le jeune homme.

– Le comte n'aime pas doña Dolores, dit-il enfin.

– Comment? Cela est-il possible s'écria-t-il avec feu.

Don Jaime se mit à rire.

– Voilà bien les amoureux! reprit-il, ils ne comprennent pas que les autres n'aient pas les mêmes yeux qu'eux.

– Mais il doit l'épouser.

– Il doit, dit-il en appuyant avec intention sur le mot.

– N'est-il pas venu au Mexique, expressément dans ce but?

– C'est vrai.

– Vous voyez bien qu'il l'épousera, alors.

L'aventurier haussa les épaules.

– Votre conclusion est absurde, dit-il; l'homme sait-il jamais ce qu'il fera? Demain lui appartient-il?

– Mais depuis les malheurs qui ont accablé la famille de doña Dolores et doña Dolores elle-même, le comte tente l'impossible pour sauver la jeune fille.

– Cela prouve que le comte est un parfait gentilhomme et un homme d'honneur, voilà tout; d'ailleurs il est son parent et il fait son devoir en tentant de la sauver, même au risque de sa vie et de sa fortune.

Dominique haussa les épaules à plusieurs reprises.

– Il l'aime, dit-il.

– Alors je retourne la phrase, doña Dolores ne l'aime pas.

– Vous croyez.

– J'en suis sûr.

– Oh! Si je pouvais me le persuader, j'espérerais.

– Vous êtes un enfant; maintenant je pars, attendez-moi ici; surtout jurez moi de ne pas vous éloigner avant mon retour.

– Je vous le jure.

– Bien, je vais travailler pour vous, espérez; à bientôt.

Et lui faisant un dernier signe de la main, l'aventurier s'éloigna par une galerie latérale.

Le jeune homme demeura immobile et songeur tant que le bruit des pas de son ami qui s'éloignait, parvint à son oreille, puis il se laissa retomber sur le lit de fourrures, en murmurant à voix basse:

– Il m'a dit d'espérer.

Nous laisserons Dominique plongé dans des réflexions qui, d'après l'expression de son visage, devaient être agréables, et nous suivrons don Jaime dans son aventureuse expédition.

Le souterrain était situé à environ une demi-lieue de la ville, c'était donc un peu plus d'une demi-lieue que don Jaime avait à faire sous terre avant de se trouver dans Puebla.

Mais ce trajet assez long ne paraissait nullement l'inquiéter, il marchait bon pas à travers la galerie où par des interstices invisibles pénétrait une clarté suffisante pour qu'il pût se guider facilement au milieu des détours sans nombre qu'il était contraint de faire.

Il marcha ainsi pendant près de trois quarts d'heure, enfin il arriva au pied d'un escalier composé d'une quinzaine de marches.

L'aventurier s'arrêta un instant pour reprendre haleine puis il monta.

Lorsqu'il atteignit le sommet de l'escalier, il chercha un ressort qu'il trouva bientôt, appuya le doigt dessus, aussitôt une pierre énorme se détacha du mur, roula sans bruit sur des gonds invisibles et ouvrit un large passage, don Jaime sortit et repoussa la pierre qui reprit immédiatement sa première position, d'une façon tellement parfaite qu'il était impossible, même en y mettant la plus sérieuse attention, d'apercevoir dans le mur la moindre fissure, la plus légère solution de continuité.

Don Jaime jeta un regard interrogateur autour de lui; il était seul.

L'endroit où il se trouvait était une chapelle de la cathédrale même de Puebla; la porte secrète qui avait livré passage à l'aventurier s'ouvrait dans un angle de cette chapelle, masquée par un confessionnal.

Vanusepiirang:
12+
Ilmumiskuupäev Litres'is:
28 mai 2017
Objętość:
450 lk 1 illustratsioon
Õiguste omanik:
Public Domain

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