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Les enfants des bois

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CHAPITRE XXXIII
LE SIÈGE

»Sans la fourmilière j'aurais été perdu. Le gnou auquel j'avais affaire était un des plus gros et des plus féroces de son espèce. Il devait être d'un âge avancé, comme l'indiquaient les teintes foncées de sa robe, et ses cornes noires et massives à la base, qui se rejoignaient presque aux extrémités. Ma lutte n'eût pas été longue avec lui; mais je ne le redoutais pas, et du haut de mon observatoire j'épiais tranquillement ses manœuvres.

»Il fit tous ses efforts pour me débusquer. Il livra plus de douze assauts au monticule, établit des logements dans les tourelles les plus basses, mais sans pouvoir atteindre un poste à la conquête duquel j'avais employé toutes mes facultés physiques.

»Parfois, dans son désespoir, il venait si près de moi que j'aurais pu toucher ses cornes avec le bout de mon canon. Jamais je n'avais vu d'animal si furieux. Ma balle lui avait fracassé la mâchoire, et la douleur lui donnait le vertige; mais comme je m'en aperçus plus tard, ce n'était pas la seule cause de ses emportements.

»Après avoir vainement essayé de gravir le cône, il changea de tactique et se mit à le miner comme pour l'abattre. A plusieurs reprises, il recula, revint à la charge, et comme il employait toute sa force, je crus un moment qu'il parviendrait à renverser l'édifice qu'il battait en brèche. Quelques tourelles tombèrent sous ses coups; l'argile durcie du monticule principal fut ouverte par ses cornes, dont ils se servait comme de pioches retournées. Et il exposa à mes regards les chambres et les galeries que les insectes avaient creusées.

»Néanmoins je ne tremblais pas; j'avais le conviction qu'il ne tarderait pas à épuiser sa rage, et qu'après son départ je pourrais descendre sans danger; mais après avoir attendu longtemps, je fus étonné de voir que, loin de se calmer, il devenait de plus en plus furieux.

»La place où j'étais assis était chaude comme un four, pas un souffle n'agitait l'atmosphère, et les rayons ardents du soleil étaient réfléchis par l'argile blanche de la fourmilière. Des ruisseaux de sueur me découlaient du front, et j'étais à chaque instant obligé de prendre mon mouchoir pour les essuyer. Toutes les fois que je le déployais, la colère du gnou redoublait. Il se ruait contre la muraille escarpée en poussant d'affreux rugissements.

»Je me demandai d'abord pourquoi je le provoquais en m'essuyant la figure. C'était un mystère dont je cherchais vainement l'explication; mais enfin je m'aperçus que mon mouchoir était d'une brillante couleur écarlate, et je me souvins d'avoir entendu dire que le rouge excitait au plus haut degré la fureur des animaux de cette espèce. Je me hâtai de serrer mon mouchoir dans l'espérance d'apaiser ce redoutable adversaire; mais il était trop irrité pour revenir facilement à son état de tranquillité habituelle. Il réitéra ses assauts avec des cris de plus en plus farouches, entremêlés de gémissements que lui arrachait la souffrance causée par sa blessure. Il savait que j'étais l'auteur de ses maux, et paraissait déterminé à ne pas quitter la place sans s'être vengé. Il employait ses sabots et ses cornes à démolir le monticule.

»Je commençais à être las de ma situation, sans craindre que le gnou m'atteignît. J'étais troublé par l'idée des malheurs qui pouvaient arriver, pendant mon absence, à mon frère et ma sœur. Je fus distrait de ces préoccupations par un nouveau danger, aussi terrible que celui que me faisait courir le gnou furieux. Il avait détruit les ouvrages avancés de la fourmilière, et mis à découvert les passages qui communiquaient des tourelles au centre du dôme. Les termès, qui se tiennent ordinairement sous terre, chassés tout à coup de leurs logements, avaient grimpé par milliers sur l'éminence. Les yeux fixés sur ceux du gnou, je n'avais pas fait attention à leur marche, lorsque je sentis leur bande formidable monter le long de mes jambes. Dans le premier moment de ma surprise je faillis me précipiter sur les cornes du bœuf sauvage.

»Cette armée d'insectes semblait animée d'un même esprit; elle avait l'intention de m'attaquer, et mettait dans ses mouvements stratégiques une régularité merveilleuse. Elle se composait des soldats, qui se distinguent, comme vous savez, des travailleurs par la grosseur de leur tête et la longueur de leurs mandibules. Je fus glacé d'horreur en pensant aux cruelles morsures que ces soldats pouvaient me faire, et j'éprouvai une terreur dont n'approche pas celle que j'avais ressentie à l'aspect du lion. Ma première impression fut que j'allais être dévoré. Il me revint en mémoire que des hommes avaient été assaillis pendant leur sommeil et tués par les fourmis blanches, et je me persuadai que j'éprouverais un sort semblable si je ne m'échappais au plus tôt.

CHAPITRE XXXIV
L'ORYCTÉROPE

»Que faire? comment éviter mes ennemis? Si je sautais en bas, j'étais sûr d'être mis en pièces par le gnou; si je restais en place, les hideux insectes ne manqueraient pas de me dévorer. Déjà je sentais leurs dents redoutables à travers mes bas de laine épais; mes habits ne pouvaient me protéger. J'étais monté sur le sommet du cône, et je m'y tenais avec peine. Les morsures des insectes me faisaient sautiller comme un acrobate. Ils s'avançaient en colonne serrée sur mes souliers, mais ce n'était encore qu'une avant-garde. D'autres sortaient par myriades de leurs galeries, et se préparaient à m'accabler sous leur nombre. Pour échapper à un horrible genre de mort, ma seule chance était d'affronter le gnou. Le hasard pouvait me servir; en me défendant avec mon fusil, j'avais l'espoir de tenir l'animal en respect jusqu'à ce que je trouvasse moyen de gravir une autre fourmilière.

»J'allais sauter, lorsque je fus frappé d'une idée qui aurait dû me venir plus tôt. Les termès n'avaient points d'ailes; ils montaient le cône à pas lents; qui m'empêchait de les écarter avec ma veste?

»Je mis de côté mon fusil inutile, et ôtant précipitamment ma veste, je m'en servis comme d'un balai. En quelques secondes, et sans le moindre effort, j'avais fait tomber du bout du dôme des milliers de soldats. A la vérité, il en restait encore quelques-uns sous mon pantalon, mais ils n'étaient pas en force, et leurs morsures ne pouvaient me causer qu'une douleur passagère.

»Perché sur le sommet du monticule, j'écartais les bandes de termès à mesure qu'elles se présentaient. Leur attaque ne m'inquiétait plus; mais, d'un autre côté, ma position ne s'était pas améliorée, car le gnou maintenait le blocus avec une étrange persévérance.

»Toutefois, pensant qu'il finirait par se lasser, je prenais mon mal en patience; mais des terreurs nouvelles vinrent m'assaillir. Pendant que je piétinais sur le sommet du cône, l'argile pétrie s'enfonça tout à coup sous mes pieds. Je disparus peu à peu sans pouvoir m'arrêter, et j'écrasai sans doute la grande reine dans sa chambre, car je restai enseveli jusqu'au cou. Quoique effrayé et surpris de cette descente soudaine, j'aurais recouvré promptement ma présence d'esprit sans un incident inattendu. Le fond sur lequel mes pieds reposèrent était mobile! il me souleva, glissa rapidement, et manqua pour me laisser enfoncer encore davantage.

»Avais-je atteint le grand essaim des fourmis blanches? je ne le supposais pas d'après la sensation que j'avais éprouvée. J'avais touché un corps gras et solide, qui avait supporté tout mon poids avant de se dérober sous moi.

»Je fus saisi d'un effroi presque superstitieux, et ne restai pas cinq secondes dans la fourmilière. Je retirai les pieds avec tant de précipitation, que quand même ils auraient reposé sur une fournaise ardente, ils auraient à peine eu le temps d'être brûlés. Je me replaçai sur la cime du cône ouvert et démantelé; mais pouvais-je m'y maintenir? Je sondai du regard la sombre cavité, et j'en vis sortir d'innombrables bataillons de termès. Ma veste ne suffisait plus pour les chasser.

»Je regardai le gnou avec lequel j'allais avoir à lutter. Immobile à quatre pas de la base de la fourmilière, il la contemplait d'un œil inquiet. Ses allures étaient complètement changées, et quelque chose semblait aussi l'avoir épouvanté. En effet, au bout d'un instant, il fit entendre un cri perçant, s'éloigna, et alla se remettre en observation à une plus grande distance.

»Etait-ce la rupture du toit et ma chute imprévue qui l'avaient effrayé? Je le crus d'abord; mais je remarquai qu'il fixait les yeux sur la base du monticule, où, pour ma part, je ne voyais rien d'alarmant.

»Pendant que je cherchais à m'expliquer sa conduite, le gnou poussa un nouveau cri, releva la queue et partit au galop.

»Enchanté d'être débarrassé de sa compagnie, je ne m'occupai pas plus longtemps des causes de sa fuite. Il était parti, c'était l'essentiel. Je ramassai mon fusil et me disposai à descendre de la position élevée dont j'étais fatigué.

»A moitié chemin, je jetai par hasard les yeux sur la base de la fourmilière, et j'aperçus l'objet qui avait terrifié le vieux gnou. D'un trou pratiqué dans le mur d'argile sortait un long museau cylindrique, sans poil, surmonté d'une paire de longues oreilles droites comme les cornes d'une gazelle. L'animal auquel appartenait ce museau et ces oreilles avait un aspect repoussant, dont j'aurais été troublé moi-même si je n'avais reconnu la plus inoffensive de toutes les créatures, l'oryctérope. Sa présence m'expliqua pourquoi le gnou avait battu en retraite, et pourquoi les fourmis étaient si pressées de sortir de leur nid.

»Sans faire le moindre bruit, je pris mon fusil par le canon, me penchai, et j'assénai un coup de crosse sur le museau saillant. C'était me montrer bien peu reconnaissant du service que cette pauvre bête m'avait rendu en effrayant le gnou; mais je cédais à mes instincts de chasseur, et elle tomba morte dans le boyau que ses griffes avaient creusé.

 

»Je n'étais pas au bout de mes aventures, qui semblaient ne devoir jamais finir. J'avais chargé l'oryctérope sur mes épaules, et je me dirigeais vers notre demeure lorsqu'à mon grand étonnement je vis que le gnou vaincu était toujours à la même place, la tête contre terre et à demi couché sur la plaine. Cette situation extraordinaire attira mon attention, et je m'imaginai que s'il ne s'était pas enfui c'était parce que son antagoniste l'avait grièvement blessé.

»J'eus d'abord l'idée de le laisser tranquille, car il pouvait avoir conservé assez de force pour me combattre avec avantage, et mon fusil vide n'était qu'une faible défense. J'hésitais à m'approcher; mais, la curiosité l'emportant, je m'avançai avec précaution.

»Il n'avait reçu aucune blessure, et pourtant il était aussi complètement estropié que s'il eût eu les genoux fracassés. Dans sa lutte avec l'autre gnou, une de ses jambes de devant avait passé, je ne sais trop comment, par-dessus ses cornes. Elle y était restée, et non seulement il ne pouvait en faire usage, mais encore il avait la tête clouée au sol.

»Mon premier mouvement fut de le tirer d'embarras: toutefois, je me ravisai en songeant à la fable du laboureur et du serpent gelé. J'eus ensuite l'idée de le tuer; mais n'ayant pas de balle, je ne me souciai pas de l'assommer à coups de crosse.

»D'ailleurs, j'aurais été obligé de le laisser mort sur la place, où les chacals n'auraient pas manqué de le dévorer. Il était probable qu'ils le respecteraient tant qu'il serait vivant, et je pris le parti de ne pas le déranger, dans l'espoir que nous le retrouverions vivant le lendemain.»

Ce fut ainsi que Hans termina le récit de ses aventures.

CHAPITRE XXXV
LA CHAMBRE A COUCHER DE L'ÉLÉPHANT

Le porte-drapeau était loin d'être satisfait de sa journée. Malgré le vif intérêt avec lequel il avait écouté l'histoire de Hans, il était préoccupé quand il réfléchissait à ses propres aventures. Sa première tentative de chasse avait échoué; ne pouvait-il pas en être toujours ainsi? L'éléphant avait échappé avec la plus grande facilité. Quoiqu'il eût été atteint dans deux parties du corps où les blessures auraient dû être mortelles, les balles n'avaient servi qu'à le rendre plus dangereux. Sa peau n'avait pas été plus entamée que si on l'eût tiré avec des pois bouillis. A la vérité, il n'avait reçu que deux coups de fusil. Or, deux coups bien dirigés suffisent pour abattre un éléphant femelle et quelquefois un mâle, mais il en faut quelquefois une vingtaine pour faire mordre la poussière à un vieil éléphant, et nos chasseurs pouvaient-ils s'attendre à en trouver un d'assez bonne composition et disposé à essuyer leur feu jusqu'à ce que mort s'en suivît?

D'ordinaire l'éléphant sur lequel on a tiré fait plusieurs milles sans s'arrêter, et des cavaliers sont seuls en état de le poursuivre. Plus que jamais Von Bloom déplorait la perte de ses pauvres chevaux.

Hans le consola en lui prouvant, par différents exemples dont il se souvenait, que l'éléphant ne prenait pas toujours la fuite lorsqu'on l'attaquait. En effet, celui qu'ils avaient rencontré, après avoir reçu leur coup, n'avait manifesté aucune intention de battre en retraite. Sans le bizarre stratagème de Swartboy, il aurait conservé sa position et donné le temps à ses adversaires de le frapper peut-être mortellement.

– Tentons une nouvelle épreuve, dit Von Bloom, et nous réussirons peut-être. Si nous ne sommes pas plus heureux, nous chercherons des ressources dans d'autres entreprises.

En conséquence, le lendemain, avant le lever du soleil, les chasseurs se remirent en campagne; ils avaient pris une précaution à laquelle ils n'avaient pas songé la veille. Se rappelant qu'une balle de plomb pénètre difficilement dans le cuir du grand pachyderme, ils fondirent de nouvelles balles. Ils possédaient de vieille vaisselle qui avait orné la table du porte-drapeau de Graaf-Reinet au jour de sa prospérité. C'étaient des chandeliers, des cloches, des éteignoirs, des huiliers et divers autres objets de métal hollandais. Ils en condamnèrent quelques-uns à l'alambic de la poêle, les amalgamèrent avec du plomb, et se procurèrent ainsi des balles assez dures pour entamer la peau du rhinocéros lui-même.

Comme la veille, ils se dirigèrent vers les bois, et avant d'avoir fait un mille, ils découvrirent des traces récentes d'éléphant. Elles passaient au plus épais d'une jungle épineuse, impénétrable pour tout être créé, à l'exception de l'éléphant, du rhinocéros ou de l'homme armé d'une hache.

Une famille entière devait y avoir passé, composée d'un mâle, d'une ou deux femelles et de plusieurs petits de différents âges; ils avaient marché en ligne, suivant l'habitude des éléphants, et avaient frayé au milieu des broussailles un chemin large de plusieurs pieds. Le mâle, qui marchait en tête, avait, d'après ce que disait Swartboy, brisé tous les obstacles avec sa trompe et ses défenses. En effet, d'énormes branches étaient abattues ou écartées violemment comme par la main de l'homme.

Les routes de ce genre aboutissent d'ordinaire à l'eau. Elles en facilitent les abords et racourcissent la distance: preuve saisissante du rare instinct ou de la sagacité des éléphants, qui conçoivent et exécutent des plans dignes d'un habile ingénieur.

Les chasseurs s'attendaient donc à trouver prochainement un cours d'eau; cependant les empreintes pouvaient également y conduire ou s'en éloigner.

Au bout d'un quart de mille ils arrivèrent à une nouvelle route qui croisait celle qu'ils suivaient. Comme celle-ci, elle avait été faite par une famille d'éléphants, et les traces étaient aussi fraîches. Après s'être demandé un moment laquelle ils devaient prendre, ils résolurent de continuer à marcher en droite ligne.

A leur grand désappointement, ils débouchèrent dans un endroit moins couvert où les éléphants s'étaient dispersés, et suivant tour à tour les traces des mâles, des femelles et des petits, ils s'égarèrent et perdirent la piste.

Tout à coup Swartboy courut vers un grand acacia, en invitant ses compagnons à le suivre. Avait-il vu un éléphant? Hendrik et Von Bloom se l'imaginèrent, enlevèrent à la hâte les fourreaux de leurs fusils, et rejoignirent le Bosjesman.

Il était seul au pied de l'acacia, et montrait du doigt la terre battue autour de l'arbre. On aurait dit que plusieurs chevaux y avaient été attachés pendant longtemps, qu'ils avaient foulé l'herbe et usé l'écorce en se frottant contre le tronc.

– Qu'est-ce que cela signifie? demandèrent à la fois Hendrik et Von Bloom.

– C'est la chambre à coucher de l'éléphant, répondit Swartboy.

Toute autre explication était inutile. Les chasseurs se rappelèrent que les éléphants avaient l'habitude de s'appuyer contre les arbres pour dormir. L'acacia était un de ces arbres; ils en acquéraient la preuve; mais à quoi pouvait-elle leur servir?

– Le vieux klow reviendra, dit Swartboy.

– Vous croyez?

– Oui, baas! les empreintes sont fraîches; le grand éléphant dormait ici la nuit dernière.

– Eh bien! faut-il l'attendre, et tirer dessus quand il reparaîtra?

– Non, baas; vous n'avez pas besoin d'user vos balles. Nous allons faire son lit, et vous verrez comme il se couchera.

En disant ces mots, le Bosjesman ricana et fit une grimace expressive.

– Que voulez-vous dire? demanda Von Bloom.

– Laissez faire le vieux Swartboy, et je vous promets que l'éléphant est à nous! Je sais un moyen de le prendre sans employer vos fusils.

Le Bosjesman communiqua son plan, auquel son maître, craignant de voir se renouveler l'échec de la veille, adhéra avec empressement. On avait par bonheur tous les instruments nécessaires pour l'exécution: une hache bien affilée, une forte courroie et des couteaux.

On se mit à l'œuvre sans perdre de temps.

CHAPITRE XXXVI
ON FAIT LE LIT DE L'ÉLÉPHANT

Si l'éléphant revenait, ce devait être pendant les heures les plus chaudes de la journée. Les chasseurs n'avaient donc guère plus de soixante minutes pour faire son lit, suivant la facétieuse expression du Bosjesman. Ils commencèrent leurs opérations avec ardeur sous la direction supérieure de Swartboy, aux instructions duquel ils se conformèrent aveuglément.

Il leur fut d'abord ordonné de couper trois pieux de bois dur, chacun d'environ trois pieds de long, gros comme un bras d'homme, et pointu par un bout.

Le bois de fer (olea undulata) croissait en abondance aux alentours. On en coupa trois morceaux de dimensions convenables, qui furent équarris avec la hache et taillés en pointe avec les couteaux.

Cependant, à côté de l'arbre contre lequel l'éléphant avait coutume de s'appuyer, et à environ trois pieds du sol, Swartboy avait enlevé l'écorce. Il fit ensuite une entaille si profonde que l'acacia, abandonné à lui-même, serait infailliblement tombé; mais Swartboy l'avait consolidé en attachant aux branches supérieures une courroie qui se rattachait aux rameaux d'un arbre voisin.

Ces mesures étaient prises du côté opposé à l'entaille, la courroie seule retenait l'arbre, et il suffisait, pour le renverser, de lui imprimer la moindre secousse dans l'autre sens.

Swartboy replaça le morceau d'écorce qu'il avait enlevé et fit disparaître les copeaux avec un soin minutieux. A moins d'un examen très-attentif, il était impossible de deviner que l'acacia eût été jamais entamé par la hache.

Il restait à planter les pieux que Von Bloom et Hendrik avaient préparés. Swartboy se chargea de cette opération, qu'il accomplit avec une prestesse merveilleuse en moins de dix minutes; il avait creusé trois trous dont la profondeur dépassait un pied, et qui n'avaient pas en diamètre un demi-pouce de plus que les pieux.

Vous êtes curieux sans doute de savoir comment il s'y prit. Vous auriez creusé à la bêche un trou qui aurait été nécessairement aussi large que la bêche même; mais Swartboy n'avait point de bêche, et, s'il en avait eu une, il ne s'en serait pas servi, puisqu'elle eût fait des fosses beaucoup trop grandes pour répondre à ses vues.

Le Bosjesman employa un bâton pointu avec lequel il remua d'abord la terre dans un espace déterminé. Il déblaya le trou, y remit son bâton, enleva de nouveau la terre, et continua de la sorte jusqu'à ce que la profondeur lui parût suffisante. Les trois trous furent disposés en triangle au pied de l'acacia, mais du côté opposé à celui que l'éléphant devait choisir pour se reposer.

Swartboy plaça dans chaque trou un pieu, la pointe en l'air et le consolida au moyen de terre pétrie et de cailloux. Pour cacher la couleur blanche du bois fraîchement coupé, il enduisit les pieux de terre.

Ces préparatifs terminés, les chasseurs se retirèrent, mais ils ne s'éloignèrent pas. Ils montèrent sur un arbre touffu, et se logèrent au milieu du feuillage. Le porte-drapeau arma son long roer, Hendrick apprêta sa carabine; et tous deux se disposèrent à faire feu dans le cas où le piège ingénieusement tendu par Swartboy ne réussirait pas.

Il était midi, la chaleur était intense et aurait incommodé les chasseurs s'ils n'eussent été protégés par un épais ombrage. Swartboy tira de favorables augures des circonstances atmosphériques. Il était vraisemblable que l'éléphant, accablé par la chaleur, viendrait chercher le frais dans son gîte favori.

Il ne pouvait tarder à venir. Au bout de vingt minutes, on entendit un bruit étrange; c'était celui qui venait de son estomac. L'instant d'après, il sortit de la jungle d'un pas indolent. Loin de soupçonner aucun danger, il se plaça lui-même près du tronc de l'acacia, dans la position que Swartboy avait prédit qu'il prendrait. Il avait la tête tournée, mais pas assez pour empêcher les chasseurs d'admirer ses magnifiques défenses, longues d'au moins six pieds; pendant qu'ils contemplaient ce superbe trophée, l'animal leva sa trompe, et versa au milieu des feuilles un torrent d'eau, qui retomba sur son corps en globules étincelants.

Swartboy prétendit qu'il tirait cette eau de son estomac. Les naturalistes peuvent contester l'exactitude de l'observation; cependant ces jets de pluie furent réitérés, et à chacun d'eux, la quantité d'eau était toujours aussi considérable. Evidemment, sa trompe n'aurait pu seule contenir cette masse liquide.

Les chasseurs, qui souffraient de la chaleur et de la soif, comprirent sans peine le plaisir que ce bain de pluie causait à l'éléphant. Les gouttes cristallines qui retombaient sur son dos, en coulant du haut de l'acacia, lui faisaient oublier la fatigue et pousser des grognements de satisfaction.

Ce bain était le prélude de son sommeil. Sa tête s'inclina; ses oreilles cessèrent de battre et sa trompe demeura immobile, enroulée autour de ses défenses.

 

Les chasseurs l'observaient avec un intérêt facile à concevoir.

Tout à coup son corps se penche; il touche l'arbre, qui se fend avec fracas, et l'énorme masse noire tombe sur le côté. Un cri terrible, qui fait frémir jusqu'aux feuilles, retentit dans les bois, puis au craquement des branches se mêlent des gémissements confus. Ce sont ceux du gigantesque animal renversé. Les chasseurs restent immobiles à leur place sans faire usage de leurs armes. L'éléphant empalé a reçu le coup de la mort. Son agonie est de courte durée; on entend siffler dans sa trompe la respiration saccadée qui précède le dernier moment, et à ce bruit sinistre succède un bruit plus sinistre encore.

Les chasseurs descendent de l'arbre et s'approchent de l'éléphant. Il est mort! les terribles chevaux de frise ont rempli leur destination.

Il fallut une heure entière pour enlever les défenses; mais nos chasseurs ne reculèrent pas devant ce travail, et furent même enchantés d'avoir à porter au camp un fardeau sous lequel ils pliaient.

Hendrik se chargea des fusils et des ustensiles.

Von Bloom et Swartboy s'emparèrent chacun d'une défense.

Le cadavre de l'éléphant fut abandonné, et les vainqueurs reprirent triomphalement la route de leur demeure.