Loe raamatut: «Zeitschrift für Romanische Sprachen und ihre Didaktik»
ibidem-Verlag, Stuttgart
Das Herausgeberteam besteht aus:
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Prof. Dr. Corinna Koch (Westfälische Wilhelms-Universität Münster)
Prof. Dr. Claudia Schlaak (Universität Kassel)
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Kontakt mit den Herausgebenden: Redaktion@ZRomSD.de
Der wissenschaftliche Beirat umfasst folgende Fachexpertinnen und -experten:
Romanische Sprachwissenschaft
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Didaktik der romanischen Sprachen
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Inhaltsverzeichnis
Aufsätze
Expressions préformées et apprentissage des langues étrangères
Einstellungen angehender Französischlehrkräfte zum Einsatz von Linguistic Landscapes im Fremdsprachenunterricht: Un objet didactique non identifié ?
Röntgenbilder einer Stadt im Lockdown: Didaktische Überlegungen zu Juan Cavestanys Film Madrid, Interior
Sprachatlanten in Forschung und Lehre – Zum Gewinn interaktiver Intonationsatlanten für Sprachwissenschaft und fremdsprachlichen (Spanisch- und Französisch-)Unterricht
Microrrelatos aus literaturwissenschaftlicher und fachdidaktischer Perspektive. Konzeption eines disziplinübergreifenden Seminars im Spanischlehramtsstudium
Auswahl- und Qualitätskriterien von Erklärvideos zur Unterstützung von Lernenden und Lehrkräften
Rezensionen
Aulf-Huber, Annika. 2018. Autofiktionale Texte im Französischunterricht. Anbahnung von Prozessen der Selbstreflexion und Persönlichkeitsbildung im Fremdsprachenunterricht. Trier: Wissenschaftlicher Verlag, 238 p.
Calderón, Marietta & Herling, Sandra. edd. 2019. Namenmoden syn- und diachron. Stuttgart: ibidem. 265 p.
Corti, Augustín. 2019. La construcción de la cultura en el Español como lengua extranjera (ELE). Münster & New York: Waxmann, 295 p.
Dorgerloh, Stephan & Wolf, Karsten D. edd. 2020. Lehren und Lernen mit Tutorials und Erklärvideos. Weinheim & Basel: Beltz, 189 p.
Fritz, Julia. 2020. Fremdsprachenunterricht aus Schülersicht. Eine qualitative Untersuchung zum Unterrichtserleben von Französisch- und Spanischlernenden am Ende der Sekundarstufe I. Tübingen: Narr Francke Attempto, 336 p.
Graefen, Gabriele & Liedke-Göbel, Martina. 32020. Germanistische Sprachwissenschaft. Deutsch als Erst-, Zweit- oder Fremdsprache. Tübingen: Narr Francke Attempto, 354 p.
Melo-Pfeifer, Sílvia & Reimann, Daniel edd. 2018. Plurale Ansätze im Fremdsprachenunterricht in Deutschland. State of the art, Implementierung des REPA und Perspektiven. Tübingen: Narr, 354 p.
Reimann, Daniel. 2020. Methoden der Fremdsprachenforschung. Tübingen: Narr Francke Attempto, 114 p.
Stammerjohann, Harro. 22020. Das Italienische am Italienischen. Die italienische Sprache in Vergleichen. Tübingen: Stauffenburg, 245 p.
Strauch, Thomas & Engelke, Carsten. 22019. Filme machen. Denken und produzieren in filmischen Einstellungen. Paderborn: Fink, 236 p.
Tesch, Bernd. 2018. The Reconstruction of Sense in the Foreign Language Classroom: An Introduction to Reconstructive Foreign Language Research. Berlin: Peter Lang, 214 p.
Videsott, Paul & Videsott, Ruth & Casalicchio, Jan. edd. 2020. Manuale di linguistica ladina. Berlin & Boston: de Gruyter, 2 Karten, 588 p.
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AUFSÄTZE
Expressions préformées et apprentissage des langues étrangères
Günter Schmale (Lyon)
1. Introduction
Dans le domaine francophone, depuis longtemps, les affinités électives langagières1 sont reconnues depuis longtemps, dès l’évocation de groupes articulés par Bréal (1872), de séries phraséologiques ou de groupements usuels par Bally (1909a), d’agglutinations ou de locutions toutes faites par Saussure (1916), de locutions par Sèchehaye (1921) ou du phénomène du figement langagier par Frei (1929), développé dans sa Grammaire des fautes en tant que principe affectant les syntagmes frappés par la « brachysémie ou brièveté sémantique » (id., 109).
L’observation est confirmée par les études anglophones et germanophones : Paul (1880) souligne le rôle fondamental de la reproduction langagière pour la communication,2 Jespersen (1924) différencie les « free combinations » et les « formulae », Porzig (1934) évoque les « relations déterminantes de sens »,3 sans oublier les observations de Bloomfield (1933), Firth (1937) ou de Sapir (1921) relatives aux phénomènes de figement langagier.
Plus récemment, Bolinger (1976), par le biais de la jolie métaphore de construction d’un bâtiment à l’aide d’éléments préfabriqués, constate :
[...] our language does not expect us to build everything starting with lumber, nails, and blueprint, but provides us with an incredibly large number of prefabs, which have the magical property of persisting even when we knock some of them apart and put them together in unpredictable ways (Bolinger, 1976, 1).
Constatant un nombre toujours croissant d’études sur le figement langagier, François & Mejri (2006, 7) soulignent que toutes les disciplines, en linguistique comme en didactique, ont à ce jour découvert l’importance du phénomène :
L’importance du figement n’est plus à démontrer : toutes les théories linguistiques l’intègrent d’une manière ou d’une autre ; les différentes disciplines (syntaxe, sémantique, morphologie, phonologie, analyse du discours, etc.) en tiennent compte ; les diverses applications linguistiques lui réservent une place de plus en plus grande comme c’est le cas dans l’apprentissage des langues et la traduction.
Legallois & Gréa (2006, 5) vont même jusqu’à stipuler un « tournant phraséologique de la linguistique » qui culmine actuellement en une étude tous azimuts de structures lexicogrammaticales par la construction grammar (CxG).
Plus récemment, on observe un « tournant empirique » des recherches en phraséologie et, dans une acception élargie, des expressions préformées (= EP), qui se fondent sur des corpus de manifestations langagières en contexte naturel. Les recherches examinent, d’une part, d’un point de vue quantitatif, la fréquence d’utilisation des EP, et d’autre part, dans une perspective qualitative, les EP dans leurs environnements séquentiels afin d’élucider leurs fonctions communicatives ou conversationnelles.
Les travaux d’analyse menés dans une perspective quantitative, recensant un nombre d’expressions préfabriquées bien plus élevé qu’un locuteur convaincu de s’exprimer avec créativité voudrait bien admettre, constatent en effet un taux d’emploi élevé d’expressions préformées. Wray & Perkins (2000) constatent qu’une proportion allant jusqu’à 70 % de la production langagière d’un adulte peut être « formulaic » (Wray & Perkins 2000, 1-2), Erman & Warren (2000) trouvent 58 % d’expressions préformées dans la production orale et 52 % dans la production écrite dans leur corpus anglais, van Lancker-Sidtis & Rallon (2004) ont calculé que 25 % des « phrases » du scénario du film Some like it hot sont composées de « speech formulas, idioms, proverbs and other formulaic expressions ». Indépendamment d’une vérification indispensable des critères définitoires de la préformation au sein des études évoquées, insuffisamment différenciés et transparents d’après Donalies (2009, 29), le principe d’une présence significative d’EP dans le discours écrit et oral peut être considéré comme acquis. Toutefois, cette certitude ne dispense en aucune façon le chercheur d’une analyse fondée sur des corpus suffisamment larges en se basant sur des catégories distinctives d’EP dans l’objectif d’élucider les formes préfabriquées qui sont effectivement employées et de décrire leurs fonctions en contexte « naturally occurring ».
Charles Bally avait souligné dès 1909 l’impératif de l’apprentissage des « groupements phraséologiques » par le locuteur non-natif (= LNN) en quête d’un maniement compétent d’une langue :
L’étude des séries, et en général de tous les groupements phraséologiques, est très importante pour l’intelligence d’une langue étrangère. Inversement, l’emploi de séries incorrectes est un indice auquel on reconnaît qu’un étranger est peu avancé dans le maniement de la langue […] (Bally 1909, 73).4
Notamment sous l’impulsion de Kühn (1987) pour l’allemand, de Galisson (1984) pour le français et de Widdowson (1989) pour l’anglais, la didactique des langues étrangères s’est réveillée de sa « douce torpeur »5 depuis.6 Widdowson (1989) souligne que
[…] communicative competence is not a matter of knowing rules for the composition of sentences and being able to employ such rules to assemble expressions from scratch as and when occasion requires. It is much more a matter of knowing a stock of partially pre-assembled patterns, formulaic frameworks, and a kit of rules, so to speak, and being able to apply the rules to make whatever adjustments are necessary according to contextual demands (id., 135).
La recherche actuelle en didactique des langues, maternelles comme étrangères, constate unanimement que la maîtrise des expressions figées, phraséologiques, toutes faites ou, dans notre acception plus large, préformées, constitue un élément fondamental de la compétence communicative. Les avis sont cependant partagés ou encore insuffisamment différenciés, sans que cela justifierait de mettre face-à-face, de manière quelque peu caricaturale, « phraséophiles » et « phraséophobes » (Gonzalez Rey 2010, 3), pour ce qui est de ce qu’un apprenant doit apprendre ou, de préférence, acquérir,7 en tenant compte de tous les paramètres afférents à la didactisation des EP.
Aussi le présent article portera sur les aspects clés qui devraient se situer au cœur de toute considération phraséodidactique. Il s’agira dans un premier temps de délimiter précisément les catégories d’EP qui sous-tendront toute réflexion didactique ultérieure (section 2). Il s’ensuivra une présentation de la compétence phraséologique préconisée par la phraséodidactique (section 3). À la suite d’une esquisse de collections de phrasèmes pour l’apprentissage des LE (section 4), les EP indispensables à la constitution d’une compétence phraséologique en LE seront présentées sur la base de considérations (phraséo)didactiques (section 5). Les types d’EP réservés à la compétence passive de l’AP-LE seront introduits en section 6. En guise de conclusion, des propositions relatives aux supports et aux méthodes adéquats à l’apprentissage institutionnel des EP seront esquissées (section 7).
2. Vers une classification des expressions préformées
2.1 La tradition des recherches phraséologiques
Nous fondons nos réflexions didactiques à propos de l’apprentissage-acquisition des EP sur la classification mixte de Burger (2010) qui intègre aussi bien les paramètres syntaxiques que sémantiques et pragmatiques (cf. 52), permettant de définir des catégories phraséologiques élémentaires (« Basisklassen ») et spécifiques (« Spezialklassen »). Il sera ponctuellement fait référence à la Typologie universelle des phrasèmes de Mel’čuk (2011), là où ses classes de phrasèmes, définies de manière a priori sémantique, concordent avec celles de Burger. Toutefois, étant donné que la classification de Burger, très largement répandue à travers l’Europe, semble avoir fait ses preuves et nous est familière, elle constituera le point de départ de nos réflexions. Burger différencie trois types d’expressions phraséologiques ou de phrasèmes selon les termes qu’il emploie :
Les phrasèmes référentiels, au centre du dispositif de Burger, désignent des objets, des procès ou des états de choses. On différencie les phrasèmes nominatifs, qui ont une valeur de syntagme ou de partie d’énoncé, des phrasèmes propositionnels possédant une valeur d’énoncé. Il existe trois classes de phrasèmes nominatifs : les expressions idiomatiques ou idiotismes dont le sens est sémantiquement non compositionnel voire opaque (passer l’arme à gauche, kick the bucket, den Löffel abgeben) ;8 les expressions partiellement idiomatiques avec une partie sémantiquement compositionnelle, l’autre non, p. ex. les phrasèmes comparatifs – fumer comme un pompier, smoke like a chimney, rauchen wie ein Schlot – où le verbe revêt son sens dictionnairique, la compréhension de l’élément de comparaison, qui sert de graduatif, relevant du savoir commun ou encyclopédique, et finalement les collocations dont le sens global représente la somme de la signification des unités lexicales les constituant (se laver les dents, brush one’s teeth, sich die Zähne putzen).9 Les phrasèmes propositionnels à valeurs d’énoncé comprennent trois classes : les proverbes sémantiquement non compositionnels (Tout ce qui brille n’est pas or. – All that glitters is not gold. – Es ist nicht alles Gold, was glänzt.), les lieux communs à sens compositionnel (Tout est bien qui finit bien ; All’s well that ends well ; Ende gut, alles gut) ainsi que les « phrases fixes » caractérisées par la présence d’un élément déictique exophorique (Ça c’est le comble/la meilleure ; That’s the last straw/That takes the biscuit ; Das schlägt dem Fass den Boden aus).
Les phrasèmes communicatifs, aussi intitulés formules de routine, idiomes pragmatiques ou pragmatèmes (Mel’čuk 2013), servent à réaliser des actes de langage dans de très nombreux domaines : en tant que salutations (au revoir, bye bye, auf Wiedersehen), excuses (pardon, I’m sorry, tut mir leid), remercie-ment (grand merci, thanks a lot, danke schön) ou félicitations (toutes mes félicitations, congratulations, herzlichen Glückwunsch), etc.10
Les phrasèmes structuraux permettent l’établissement de relations syntagmatiques du type et… et, ni…ni, aussi bien A que B en français ; sowohl… als auch, weder…noch, entweder…oder en allemand ; A as well as B, neither… nor, either… or en anglais. Nous considérons que chaque bonne grammaire répertorie ces structures dans le chapitre ‘conjonctions de coordination’ et nous dispensons de ce fait d’une discussion sur ce thème. En revanche, nous notons l’absence d’une recherche sur corpus de leur emploi.
D’un autre côté, Burger établit la catégorie des classes spécifiques (« Spezialklassen ») qui sont perpendiculaires aux catégories de base : les modèles phraséologiques (Quel + N ! : Quel bazar !; What a + N !: What a mess !; Was für ein + N : Was für ein Quatsch !) ; les binômes (peu ou prou, bel et bien ; by and large ; mit Kind und Kegel) ; les phrasèmes comparatifs (blanc comme un linge ; as white as a sheet ; weiß wie eine Wand) ; les kinégrammes (hausser les sourcils ; knit one’s brows ; die Stirn runzeln) ; les citations (célèbres) (L’homme est un loup pour l’homme (Plaute) ; to be or not to be… ; der Mohr hat seine Schuldigkeit getan)11 ; les phrasèmes onymiques à fonction de noms propres (la Croix Rouge ; the Red Cross ; das Rote Kreuz), mais aussi les termes phraséologiques dans le domaine du droit, de la philosophie, de la politique, etc., p. ex. l’impératif catégorique, the categorical imperatif, der kategorische Imperativ ; verser des dividendes, distribute the dividend, eine Dividende ausschütten.
La nature perpendiculaire de ces dernières implique qu’elles peuvent revêtir en même temps les caractéristiques des catégories de base et des classes spécifiques. Aussi blanc comme un linge serait un idiotisme partiel et en même temps un phrasème comparatif. Ou encore hausser les sourcils serait un kinégramme appartenant à la catégorie de base des idiotismes de par son caractère sémantiquement non compositionnel.
2.2 Élargissement du champ de recherche sur les EP – textes préformés, genres discursifs, constructions lexicogrammaticales
Cependant, la recherche actuelle sur les EP dépasse la classification phraséologique présentée. Il convient de mentionner d’une part les textes préformés (cf. Gülich 1997) tels les faire-part ou les remerciements au sein de thèses de doctorat, de lettres commerciales (renseignements, doléances), les notes de service ou les convocations qui revêtent une structure préformée, aussi bien au niveau langagier que de la mise en forme et du graphisme. La portée de la préformation textuelle est encore étendue par le concept des genres discursifs de Luckmann (1988), p. ex. les cérémonies de mariage, les procès en justice ou les examens oraux. Ces genres vont bien au-delà des énoncés ou des textes préfabriqués pour intégrer des suites d’activités communicatives ritualisées, se situant aussi au niveau multimodal, embrassant aussi bien la prosodie que le langage corporel, certaines configurations spatiales, peut-être tenant compte de tenues vestimentaires ou de repas festifs.
Même si la classification spécifique incluait d’ores et déjà des modèles phraséologiques, i. e. des cadres lexicogrammaticaux (cf. supra), c’est à la suite de l’article fondateur de Fillmore & Kay & O’Connor (1988)12 que la recherche sur les CONSTRUCTIONS, les « form-meaning-function-pairs », a pris un essor considérable. Les « formal idioms », i. e. les cadres syntaxiques plus ou moins lexicalement pourvus, dépassant ce qui a été auparavant traité en tant que modèle phraséologique, sont particulièrement enrichissants pour la didactique des langues étrangères.13 Des recherches sur corpus révèlent la présence récurrente d’un grand nombre de constructions lexicogrammaticales. Ce fait permet de conclure à un « entrenchment », un enracinement mémoriel chez les utilisateurs d’une langue qui sont en mesure de réactiver ces CONSTRUCTIONS en les adaptant à l’objectif communicatif et à la situation de communication. Une ‘construction’ se caractérise de la manière suivante (cf. Schmale 2020) :
Elle est polyfactorielle, c’est-à-dire déterminée par des facteurs (morpho)syntaxiques, lexicaux, prosodiques, corporels, co- et contextuels, etc. Même si elle est le plus souvent composée de plus de deux unités lexicales, elle peut être monolexicale, ceci pourrait être le cas pour l’emploi de participes, d’adverbes ou de substantifs utiles à la formulation d’injonctions, p. ex. Assis ! Assez ! Silence ! liant une unité monolexicale à une fonction.
Elle est employée sous une forme conventionnalisée, reconnaissable sur la base d’un dénominateur minimal, sans être totalement figée. Sa forme d’utilisation récurrente est déterminée par des études fondées sur de grands corpus qui en établissent l’usage. Elle est le plus souvent sémantiquement compositionnelle, par suite facilement décodable, mais, comme les collocations, aucunement automatiquement encodable sous la forme majoritairement réalisée.
Elle possède un caractère à la fois cognitif et conceptuel, conséquemment une forme de base correspondant à une combinaison syntaxe-lexique-fonction mémorisée. Elle doit toutefois être mise en œuvre au sein de contextes langagiers pouvant nécessiter des adaptations, et est sujet à des modifications ou changements.
En outre, les CONSTRUCTIONS sont de nature interactive et par là-même émergente, processuelle et dialogique, n’équivalent donc pas à un « produit prêt à l’emploi » qui serait le fait du seul locuteur. Les constructions collaboratives d’un seul énoncé par deux interlocuteurs constituent par excellence l’exemple de l’interactivité de la production langagière et, en même temps, de l’existence d’une forte prévisibilité de certaines structures langagières. Il s’agit là d’un cas idéal d’interactivité. Toutefois, celle-ci joue systématiquement un rôle car chaque énoncé se trouve dans un environnement séquentiel comportant des activités précédentes et suivantes du partenaire d’interaction, et parallèlement dans un contexte thématique, qui tout comme la situation de communication peut avoir une incidence sur la forme émergente de la CONSTRUCTION en surface de la communication. Les CONSTRUCTIONS sont dotées par conséquent d’une structure plus ou moins prévisible qui n’est pas pour autant figée.
Comme indiqué, que ce soit en linguistique ou en didactique, la recherche sur les CONSTRUCTIONS est en plein essor (cf. p. ex. Gonzalez Rey, dir., 2015). En voici quelques exemples :
La ‘construction’ « réponse dubitative » – [pronom personnel + GN ou verbe] : Lui avocat ? Moi abandonner ? Elle s’excuser ?
La ‘construction’ « exclamation/emphase » – [qu’est-ce que c’est + Adj !] : Qu’est-ce que c’est bête/nul/idiot/moche !
La ‘construction’ « expression du désespoir, de l’emphase » – [c’est à + infinitif + complément !] : C’est à désespérer/pleurer/à se taper la tête contre le mur ! C’est à mourir de rire !
La ‘construction’ « mécontentement/reproche » – [qu’est-ce qu’il a à + infinitif ?] : Qu’est-ce qu’il a à me regarder comme ça ? Mais qu’est-ce qu’il a à vouloir tout changer ? Qu’est-ce qu’elle a à pleurer comme ça ?
Ces exemples ont ici pour seule vocation d’illustrer des types de CONSTRUCTIONS possibles en faisant abstraction de leur pertinence dans l’apprentissage du FLE ; il s’agit tout simplement de démontrer des exemples de combinaisons lexicogrammaticales composées de cadres syntaxiques et d’éléments lexicaux aussi bien fixes que libres. Dans nos travaux, nous partons de phénomènes langagiers de l’allemand, particulièrement difficiles à maîtriser par l’apprenant francophone, afin de les décrire de manière « corpus-based », p. ex. l’emploi des verbes de modalité sollen et müssen (devoir en français pour les deux), du passif processuel et bilan à l’aide de werden et sein (à nouveau un seul verbe – être – en français pour exprimer les deux) ou encore de la particule modale denn (pas d’équivalent lexical en français) (cf. Schmale, à par. b).
3. La compétence phraséologique préconisée par la phraséodidactique
A l’instar de Bally, qui a attiré l’attention sur la question dès 1909 (cf. supra),14 de nombreux phraséologues et didacticiens insistent sur la nécessité de l’apprentissage des expressions phraséologiques. Choisissons comme point de départ l’assertion suivante de Mel’čuk (1993) :
Un natif parle en phrasèmes. Si ce postulat crucial est accepté, et nous l’acceptons, il apparaît alors clairement que l’apprentissage systématique des phrasèmes est indispensable dans l’enseignement d’une langue, que ce soit la langue maternelle de l’apprenant ou une langue étrangère, et indépendamment de l’âge ou du niveau d’éducation de l’apprenant (Mel’čuk 1993, 84).
Sans qu’il ne soit utile et possible d’effectuer une analyse détaillée de cette citation, il s’impose néanmoins de clarifier certains points relatifs à la didactisation des EP face aux suppositions, qui sous-tendent nombre de travaux dans le champ de la phraséodidactique, et qui nécessitent un regard critique, approfondi et différencié relatif aux formes de préformation langagière pertinentes pour l’apprentissage d’une langue étrangère (= LE) :
Le postulat stipulant qu’un « natif parle en phrasèmes » doit être nuancé. S’il n’y a aucun doute que tout locuteur natif (= LN) recourt à des phrasèmes, dont il faudrait toutefois obligatoirement spécifier la nature en amont, toutes ses productions langagières ne sont pas pour autant régies exclusivement par le « idiom principle » de Sinclair (1991).
The principle of idiom is that a language user has available to him or her a large number of semi-preconstructed phrases that constitute single choices, even though they might appear to be analysable into segments (Sinclair 1991, 110).
Un locuteur peut et doit également recourir au « open choice principle » qui lui permet de construire un énoncé « librement », tout en appliquant règles et dictionnaire. Les études sur grands corpus établissant dans quelles proportions les locuteurs s’appuient réellement sur la préformation langagière sont à ce jour insuffisamment développées ou encore non régies par des critères bien distincts (cf. supra).
En même temps, il est primordial de procéder à une étude différenciée, fondée sur des corpus suffisamment larges et variés, des catégories de phrasèmes mis en œuvre dans la communication, tout en prenant en compte leur emploi à l’écrit ou à l’oral, du type de texte, du thème traité, de la situation de communication, de l’âge du sujet parlant, etc. Tous les phrasèmes ne se situent pas au même niveau d’importance communicative : il y a des EP indispensables et d’autres qui le sont moins ou pas du tout, ni pour le LN ni pour le LNN ! Il faudrait dès lors délimiter les « tournures » véritablement incontournables à l’aide d’études de corpus suffisamment larges.
Il est en outre pédagogiquement inconcevable de mettre sur le même plan l’apprentissage de la langue maternelle en contexte naturel et l’apprentissage d’une langue étrangère en contexte institutionnel. Indépendamment de la nécessité de conditions vraiment exceptionnelles pour permettre à un non-natif d’atteindre un niveau de (quasi) natif,15 il n’est pas forcément souhaitable qu’un non-natif essaie de s’exprimer comme un natif pour des raisons qui seront développées plus avant.
Probablement influencé par des travaux tel celui cité de Mel’čuk, le Cadre Européen de Référence pour les Langues (CERCL – Conseil de Europe, 2001) préconise à partir du niveau C1 une « [b]onne maîtrise d’expressions idiomatiques et familières. » (id., 88) dans le cadre des « compétences lexicales » à développer chez l’AP-LE. On y distingue, sans fournir de définition distincte, « expressions toutes faites » et « locutions figées » :16
« expressions toutes faites » : « indicateurs des fonctions langagières,17 les proverbes, les archaïsmes » (id., 87) ;
« locutions figées » : « métaphores figées, procédés d’insistance,18 des structures figées apprises et utilisées comme des ensembles […], d’autres expressions figées verbales (faire avec…) ou prépositionnelles (au fur et à mesure), des collocations figées (faire un discours) » (id., 88).
Le CERCL pourrait avoir eu une incidence sur de nombreux travaux en phraséodidactique dont ci-après deux citations, l’une émanant d’une germaniste, l’autre d’une spécialiste du FLE :
Nous sommes convaincus que la phraséologie mérite une place attitrée dès les premiers stades de l’apprentissage d’une langue […]. Le développement systématique de la compétence – passive comme active – phraséologique est nécessaire afin d’atteindre le but déclaré de l’enseignement des langues étrangères, notamment la compétence communicative […] (Jesenšek 2006, 138 ; notre traduction libre de l’allemand).
La phraséodidactique cherche sa place dans la didactique des langues vivantes en misant sur l’enseignement des expressions figées en tant qu’éléments incontournables du discours. S’appuyant sur le principe qui soutient que seule la maîtrise de ces tournures déclare un locuteur performant en langue étrangère, elle préconise de les introduire dans les méthodes pédagogiques au même titre que le reste des items à apprendre dès le début de l’apprentissage (González Rey 2010, 1).
Or ce qui fait défaut dans toutes ces approches, c’est un traitement véritablement différencié des différentes manifestations d’EP indiquant quels types de « phrasèmes », de « tournures », d’« expressions figées », etc., un apprenant doit acquérir et à quel stade de son apprentissage de la LE,19 pour poursuivre ses objectifs communicatifs sur quel thème et dans quelle configuration sociale, pour ne nommer que quelques éléments essentiels relatifs à l’emploi des EP.
4. Les phrasèmes retenus par les collections existantes
Permettre à l’AP-LE de développer une compétence langagière véritablement opérationnelle nécessite non seulement de procéder en fonction de ses futurs besoins langagiers et communicatifs, mais également en fonction de ses capacités langagières. Aussi le choix des structures lexicogrammaticales mises à sa disposition doit se fonder sur ce qui est absolument nécessaire à la mise en œuvre des stratégies communicatives à sa portée au moment x et non pas sur les éventuelles expressions dont un locuteur natif « équivalent » disposerait. En outre, indépendamment du fait évoqué stipulant que la compétence du LNN ne peut en aucun cas se mesurer à la compétence d’un LN, une étude empirique sur fond de grand corpus de l’usage des EP fait à ce jour défaut.