Loe raamatut: «Le Cabinet des Fées»
PREFACE
Little need be said, at the present day, of the importance of a knowledge of the French Language. It is the key to immense treasures in literature and science, the medium of communication in European diplomacy, and is, confessedly, an indispensable accomplishment of the modern traveller and the man of liberal education.
We have, therefore, only to explain the object and claims of the present work. In offering it to the American student we have endeavored to meet an obvious want of a suitable book of exercises in translating from the French-to produce a work adapted peculiarly to the wants of American society-calculated to interest as well as instruct beginners of every age, and suited alike for the use of private students and promiscuous classes.
After an experience of many years in teaching, we are convinced that such works as the Adventures of Telemachus, and the History of Charles the Twelfth-despite their incontestable beauty of style and richness of material-are too difficult for beginners, even of mature age. Such works, too, consisting of a continuous narrative, present to most students the discouraging prospect of a formidable undertaking which they fear will never be completed.
On the other hand, a mere book of fables, although free from the last objection, is, in general, too narrow in its scope to fulfil the desired end.
To avoid the difficulties and secure the advantages mentioned, we have chosen the Fairy Tales of Charles Perrault and Madame de Beaumont. The department of literature thus sought as the means of instruction in language, supplies, as our own experience has amply demonstrated, agreeable and attractive material for beginners of all ages and conditions.
The works selected are acknowledged to be admirable models of grace and purity in French composition, whilst the simplicity of style encourages the student by soon making him conscious of progress. The subjects offer at once attractive novelties for the young and agreeable relaxation for the mature.
In conclusion, we have only to remark that the difficulties of the French idiom are explained by notes neither too scanty, nor yet so numerous as to embarrass; and that a few expressions, inconsistent with the decorum of American taste, have been carefully expurgated, without, as we hope, diminishing the interest of the subject or impairing the style.G. GÉRARD.
Philadelphia, Nov. 1858.
LE PETIT CHAPERON ROUGE
Il était une fois une petite fille de village, la plus jolie qu'on eût su voir: sa mère en était folle, 1 et sa mère-grand plus folle encore. Cette bonne femme lui fit faire un petit chaperon rouge qui lui seyait 2 si bien, que partout on l'appelait le Petit Chaperon Rouge.
Un jour, sa mère ayant fait et cuit des galettes, lui dit:
-Va voir comment se porte ta mère-grand; car on m'a dit 3 qu'elle était malade. Porte-lui une galette et ce petit pot de beurre.
Le Petit Chaperon Rouge partit aussitôt pour aller chez sa mère-grand, qui demeurait dans un autre village. En passant dans un bois, elle rencontra compère 4 le Loup, qui eut bien envie de la manger; mais il n'osa, à cause de quelques bûcherons qui étaient dans la forêt. Il lui demanda où elle allait. La pauvre enfant, qui ne savait pas qu'il était dangereux de s'arrêter à écouter un Loup, lui dit:
–Je vais voir ma mère-grand, et lui porter une galette avec un pot de beurre, que ma mère lui envoie.
–Demeure-t-elle bien loin? lui dit le Loup.
-Oh! oui, lui dit le Petit Chaperon Rouge; c'est par delà 5 le moulin que vous voyez tout là-bas, 6 là-bas, à la première maison du village.
-Eh bien, dit le Loup, je veux l'aller voir aussi; je m'y en vais par ce chemin-ci et toi par ce chemin-là, et nous verrons à qui plus tôt y sera. 7
Le Loup se mit à courir de toute sa force par le chemin qui était le plus court, et la petite fille s'en alla par le chemin le plus long, s'amusant à cueillir des noisettes, à courir après des papillons, et à faire des bouquets de petites fleurs qu'elle rencontrait. Le Loup ne fut pas longtemps à arriver à la maison de la mère-grand; il heurte.
–Toc, toc.
–Qui est là?
–C'est votre fille le Petit Chaperon Rouge, dit le Loup en contrefaisant sa voix, qui vous apporte une galette et un petit pot de beurre, que ma mère vous envoie.
La bonne mère-grand, qui était dans son lit, à cause qu'elle se trouvait un peu mal, lui cria:
-Tire la chevillette, 8 la bobinette cherra. 9
Le Loup tira la chevillette, et la porte s'ouvrit. Il se jeta sur la bonne femme, et la dévora en moins de rien; car il y avait plus de trois jours qu'il n'avait mangé.
Ensuite, il ferma la porte, et s'alla coucher dans le lit de la mère-grand, en attendant le Petit Chaperon Rouge, qui, quelque temps après, vint heurter à la porte.
–Toc, toc.
–Qui est là?
Le Petit Chaperon Rouge, qui entendit la grosse voix du Loup, eut peur d'abord; mais, croyant que sa mère-grand était enrhumée, il répondit:
–C'est votre fille, le Petit Chaperon Rouge, qui vous apporte une galette et un petit pot de beurre, que ma mère vous envoie.
Le Loup lui cria, en adoucissant un peu sa voix:
–Tire la chevillette, la bobinette cherra.
Le Petit Chaperon Rouge tira la chevillette, et la porte s'ouvrit. Le Loup, la voyant entrer, lui dit, en se cachant dans le lit, sous la couverture:
–Mets la galette et le petit pot de beurre sur la huche, et viens te coucher avec moi.
Le Petit Chaperon se déshabille, et va se mettre dans le lit, où elle fut bien étonnée de voir comment sa mère-grand était faite en son déshabillé. Elle lui dit:
–Ma mère-grand, que vous avez de grands bras!
–C'est pour mieux t'embrasser, ma fille.
–Ma mère-grand, que vous avez de grands pieds!
–C'est pour mieux courir, mon enfant.
–Ma mère-grand, que vous avez de grandes oreilles!
–C'est pour mieux écouter, mon enfant.
–Ma mère-grand, que vous avez de grands yeux!
–C'est pour mieux voir, mon enfant.
–Ma mère-grand, que vous avez de grandes dents!
–C'est pour te manger.
Et, en disant ces mots, le méchant Loup se jeta sur le Petit Chaperon Rouge, et la mangea.
MORALITÉ
On voit ici que les jeunes enfants,
Surtout de jeunes filles
Belles, bien faites et gentilles,
Font très-mal d'écouter toutes sortes de gens
Et que ce n'est pas chose étrange
S'il en est tant que le loup mange.
Je dis le loup, car tous les loups
Ne sont pas de la même sorte.
Il en est d'une humeur accorte,
Sans bruit, sans fiel et sans courroux,
Qui, privés, complaisants et doux,
Suivent les jeunes demoiselles
Jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles.
Mais, hélas! qui ne sait que ces loups doucereux
De tous les loups sont les plus dangereux?
LE CHAT BOTTÉ
Un meunier ne laissa pour tous biens, à trois enfants qu'il avait, que son moulin, son âne et son chat. Les partages furent bientôt faits: ni le notaire ni le procureur 10 n'y furent point appelés, ils auraient eu bientôt mangé tout le pauvre patrimoine.
L'aîné eut le moulin.
Le second eut l'âne.
Et le plus jeune n'eut que le chat.
Ce dernier ne pouvait se consoler d'avoir un si pauvre lot. 11
-Mes frères, disait-il, pourront gagner leur vie honnêtement en se mettant ensemble: 12 pour moi, lorsque j'aurai mangé mon chat, et que je me serai fait un manchon de sa peau, il faudra que je meure de faim.
Le Chat, qui entendait ce discours, mais qui n'en fit pas semblant, 13 lui dit d'un air posé et sérieux:
-Ne vous affligez point, mon maître; vous n'avez qu'à me donner un sac et me faire faire 14 une paire de bottes pour aller dans les broussailles, et vous verrez que vous n'êtes pas si mal partagé que vous croyez.
Quoique le maître du Chat ne fit pas grand fond là-dessus, 15 il lui avait vu faire tant de tours de souplesse pour prendre des rats et des souris, comme quand il se pendait par les pieds ou qu'il se cachait dans la farine pour faire le mort, 16 qu'il ne désespéra pas d'en être secouru dans sa misère.
Lorsque le Chat eut ce qu'il avait demandé, il se botta bravement; et, mettant son sac à son cou, il en prit les cordons avec ses deux pattes de devant, et s'en alla dans une garenne 17 où il y avait grand nombre de lapins.
Il mit du son et des lacerons dans son sac; et, s'étendant comme s'il eût été mort, il attendit que quelque jeune lapin, peu instruit encore des ruses de ce monde, vînt se fourrer dans son sac pour manger ce qu'il y avait mis.
A peine fut-il couché, qu'il eut contentement: un jeune étourdi de lapin entra dans son sac; et le maître Chat, tirant aussitôt ses cordons, le prit et le tua sans miséricorde.
Tout glorieux de sa proie, il s'en alla chez le roi et demanda à lui parler.
On le fit monter à l'appartement de Sa Majesté, où, étant entré, il fit une grande révérence au roi, et lui dit:
-Voilà, sire, un lapin de garenne que M. le marquis de Carabas (c'était le nom qu'il prit en gré de donner à son maître) m'a chargé 18 de vous présenter de sa part.
–Dis à ton maître, répondit le roi, que je le remercie et qu'il me fait plaisir.
Une autre fois, il alla se cacher dans un blé, tenant toujours son sac ouvert; et lorsque deux perdrix y furent entrées, il tira les cordons et les prit toutes deux.
Il alla ensuite les présenter au roi, comme il avait fait du lapin de garenne. Le roi reçut encore avec plaisir les deux perdrix, et lui fit donner pour boire.
Le Chat continua ainsi, pendant deux ou trois mois, à porter de temps en temps au roi du gibier de la chasse de son maître. Un jour qu'il sut que le roi devait aller à la promenade sur le bord de la rivière avec sa fille, la plus belle princesse du monde, il dit à son maître:
–Si vous voulez suivre mon conseil, votre fortune est faite; vous n'avez qu'à vous baigner dans la rivière, à l'endroit que je vous montrerai, et ensuite me laisser faire.
Le marquis de Carabas fit ce que son Chat lui conseillait, sans savoir à quoi cela serait bon.
Dans le temps qu'il se baignait, le roi vint à passer; et le Chat se mit à crier de toute sa force:
–Au secours! au secours! voilà M. le marquis de Carabas qui se noie!
A ce cri, le roi mit la tête à la portière; et, reconnaissant le Chat qui lui avait apporté tant de fois du gibier, il ordonna à ses gardes qu'on allât vite au secours de M. le marquis de Carabas.
Pendant qu'on retirait le pauvre marquis de la rivière, le Chat, s'approchant du carrosse, dit au roi que, dans le temps que son maître se baignait, il était venu des voleurs qui avaient emporté ses habits, quoiqu'il eût crié au voleur de toute sa force; le drôle 19 les avait cachés sous une grosse pierre.
Le roi ordonna aussitôt aux officiers de sa garde-robe d'aller quérir 20 un de ses plus beaux habits pour M. le marquis de Carabas.
Le roi lui fit mille caresses; et comme les beaux habits qu'on venait de lui donner relevaient 21 sa bonne mine (car il était beau et bien fait de sa personne), la fille du roi le trouva fort à son gré; et le marquis de Carabas ne lui eut pas plus tôt jeté deux ou trois regards fort respectueux et un peu tendres, qu'elle en devint amoureuse à la folie.
Le roi voulut qu'il montât dans son carrosse et qu'il fût de la promenade. 22
Le Chat, ravi de voir que son dessein commençait à réussir, prit les devants; et ayant rencontré des paysans qui fauchaient un pré, il leur dit:
-Bonnes gens qui fauchez, si vous ne dites au roi que le pré que vous fauchez appartient à M. le marquis de Carabas, vous serez tous hachés menu comme chair à pâté. 23
Le roi ne manqua pas à demander aux faucheurs à qui était ce pré qu'ils fauchaient.
–C'est à M. le marquis de Carabas, dirent-ils tous ensemble; car la menace du Chat leur avait fait peur.
–Vous avez là un bel héritage, dit le roi au marquis de Carabas.
–Vous voyez, sire, répondit le marquis, c'est un pré qui ne manque point de rapporter abondamment toutes les années.
Le Chat, qui allait toujours devant, rencontra des moissonneurs, et leur dit:
–Bonnes gens qui moissonnez, si vous ne dites que tous ces blés appartiennent à M. le marquis de Carabas, vous serez tous hachés menu comme chair à pâté.
Le roi, qui passa un moment après, voulut savoir à qui appartenaient tous les blés qu'il voyait.
–C'est à M. le marquis de Carabas, répondirent les moissonneurs.
Et le roi s'en réjouit avec le marquis.
Le Chat, qui allait devant la carrosse, disait toujours la même chose à tous ceux qu'il rencontrait; et le roi était étonné des grands biens de M. le marquis de Carabas.
Le maître Chat arriva enfin dans un beau château, dont le maître était un Ogre, le plus riche qu'on ait jamais vu: car toutes les terres par où le roi avait passé étaient de la dépendance de ce château.
Le Chat eut soin de s'informer qui était cet Ogre, et ce qu'il savait faire, et demanda à lui parler, disant qu'il n'avait pas voulu passer si près de son château sans avoir l'honneur de lui faire la révérence.
L'Ogre le reçut aussi civilement que le peut un Ogre, et le fit reposer.
–On m'a assuré, dit le Chat, que vous aviez le don de vous changer en toutes sortes d'animaux; que vous pouviez, par exemple, vous transformer en lion, en éléphant.
–Cela est vrai, répondit l'Ogre brusquement, et, pour vous le montrer, vous m'allez voir devenir lion.
Le Chat fut si effrayé de voir un lion devant lui, qu'il gagna aussitôt les gouttières, non sans peine et sans péril, à cause de ses bottes, qui ne valaient rien pour marcher sur les tuiles.
Quelque temps après, le Chat, ayant vu que l'Ogre avait repris sa première forme, descendit et avoua qu'il avait eu bien peur.
–On m'a assuré encore, dit le Chat, mais je ne saurais le croire, que vous aviez aussi le pouvoir de prendre la forme des plus petits animaux; par exemple, de vous changer en un rat, en une souris: je vous avoue que je tiens cela tout à fait impossible.
–Impossible! reprit l'Ogre; vous allez le voir.
Et en même temps il se changea en une souris, qui se mit à courir sur le plancher.
Le Chat ne l'eut pas plus tôt aperçu, qu'il se jeta dessus et la mangea.
Cependant le roi, qui vit en passant le beau château de l'Ogre, voulut entrer dedans.
Le Chat, qui entendit le bruit du carrosse qui passait sur le pont-levis du château, courut au-devant, 24 et dit au roi:
–Votre Majesté soit la bienvenue dans ce château de M. le marquis de Carabas!
–Comment! monsieur le marquis, s'écria le roi, ce château est encore à vous? Il ne se peut rien de plus beau que cette cour, et que tous ces bâtiments qui l'environnent: voyons le dedans, s'il vous plaît.
Le marquis donna la main à la jeune princesse; et, suivant le roi qui montait le premier, ils entrèrent dans une grande salle, où ils trouvèrent une magnifique collation que l'Ogre avait fait préparer pour ses amis, qui le devaient venir voir ce même jour-là, mais qui n'avaient pas osé entrer, sachant que le roi y était.
Le roi, charmé des bonnes qualités de M. le marquis de Carabas, de même que sa fille, qui en était folle, et voyant les grands biens qu'il possédait, lui dit, après avoir bu cinq à six coups:
-Il ne tiendra qu'à vous, 25 monsieur le marquis, que vous ne soyez mon gendre.
Le marquis, faisant de grandes révérences, accepta l'honneur que lui faisait le roi; et dès le jour même, il épousa la princesse.
Le Chat devint grand seigneur, et ne courut plus après les souris que pour se divertir.
MORALITÉ
Quelque grand que soit l'avantage,
De jouir d'un riche héritage
Venant à nous de père en fils,
Aux jeunes gens, pour l'ordinaire,
L'industrie et le savoir-faire
Valent mieux que des biens acquis.
AUTRE MORALITÉ
Si le fils d'un meunier avec tant de vitesse
Gagne le coeur d'une princesse,
Et s'en fait regarder avec des yeux mourants,
C'est que l'habit, la mine et la jeunesse,
Pour inspirer de la tendresse,
Ne sont pas des moyens toujours indifférents.
CENDRILLON
Il était une fois un gentilhomme qui épousa en secondes noces une femme, la plus hautaine et la plus fière qu'on eût jamais vue. Elle avait deux filles de son humeur, et qui lui ressemblaient en toutes choses. Le mari avait de son côté une jeune fille, mais d'une douceur et d'une bonté sans exemple: elle tenait cela de sa mère, qui était la meilleure personne du monde.
Les noces ne furent pas plus tôt faites, 26 que la belle-mère fit éclater sa mauvaise humeur: elle ne put souffrir les bonnes qualités de cette jeune enfant, qui rendaient ses filles encore plus haïssables.
Elle la chargea des plus viles occupations de la maison: c'était elle qui nettoyait la vaisselle et les montées, 27 qui frottait la chambre de madame et celle de mesdemoiselles ses filles; elle couchait tout au haut de la maison, dans un grenier, sur une méchante paillasse, pendant que ses soeurs étaient dans des chambres parquetées, où elles avaient des lits des plus à la mode, et des miroirs où elles se voyaient depuis les pieds jusqu'à la tête.
La pauvre fille souffrait tout avec patience, et n'osait se plaindre à son père, qui l'aurait grondée, parce que sa femme le gouvernait entièrement. Lorsqu'elle avait fait son ouvrage, elle s'allait mettre au coin de la cheminée, et s'asseoir dans les cendres, ce qui faisait qu'on l'appelait communément Cendrillon. Cependant Cendrillon, avec ses méchants habits, ne laissait pas d'être 28 cent fois plus belle que ses soeurs, quoique vêtues très-magnifiquement.
Il arriva que le fils du roi donna un bal, et qu'il en pria toutes les personnes de qualité. Nos deux demoiselles en furent aussi priées, car elles faisaient grande figure dans le pays. Les voilà bien aises, et bien occupées à choisir les habits et les coiffures qui leur siéraient le mieux. Nouvelle peine pour Cendrillon; car c'était elle qui repassait le linge de ses soeurs, et qui godronnait leurs manchettes. On ne parlait que de la manière dont on s'habillerait.
–Moi, dit l'aînée, je mettrai mon habit de velours rouge et ma garniture d'Angleterre.
–Moi, dit la cadette, je n'aurai que ma jupe ordinaire; mais en récompense je mettrai mon manteau à fleurs d'or, qui n'est pas des plus indifférent.
On envoya quérir la bonne coiffeuse, pour dresser les cornettes à deux rangs, et on fit acheter des mouches 29 de la bonne faiseuse. Elles appelèrent Cendrillon pour lui demander son avis, car elle avait le goût bon. Cendrillon les conseilla le mieux du monde, et s'offrit même à les coiffer, ce qu'elles voulurent bien.
En les coiffant, elles lui disaient:
–Cendrillon, serais-tu bien aise d'aller au bal?
–Hélas! mesdemoiselles, vous vous moquez de moi; ce n'est pas là ce qu'il me faut.
–Tu as raison, on rirait bien si on voyait un Cendron aller au bal.
Une autre que Cendrillon les aurait coiffées de travers; mais elle était bonne, et elle les coiffa parfaitement bien. Elles furent près de deux jours sans manger, tant elles étaient transportées de joie. On rompit plus de douze lacets à force de les serrer, pour leur rendre la taille plus menue; et elles étaient toujours devant leur miroir.
Enfin l'heureux jour arriva: on partit, et Cendrillon les suivit des yeux le plus longtemps qu'elle put. Lorsqu'elle ne les vit plus, elle se mit à pleurer.
Sa marraine, qui la vit tout en pleurs, lui demanda ce qu'elle avait.
–Je voudrais bien… je voudrais bien… Elle pleurait si fort, qu'elle ne put achever. Sa marraine, qui était Fée, lui dit:
–Tu voudrais bien aller au bal, n'est-ce pas?
–Hélas! oui, dit Cendrillon en soupirant.
–Eh bien, seras-tu bonne fille? dit sa marraine; je t'y ferai aller.
Elle la mena dans sa chambre, et lui dit:
–Va dans le jardin, et apporte-moi une citrouille.
Cendrillon alla aussitôt cueillir la plus belle qu'elle put trouver, et la porta à sa marraine, ne pouvant deviner comment cette citrouille la pourrait faire aller au bal.
Sa marraine la creusa, et, n'ayant laissé que l'écorce, la frappa de sa baguette, 30 et la citrouille fut aussitôt changée en un beau carrosse tout doré.
Ensuite elle alla regarder dans sa souricière, où elle trouva six souris toutes en vie.
Elle dit à Cendrillon de lever un peu la trappe de la souricière, et à chaque souris qui sortait, elle lui donnait un coup de sa baguette, et la souris était aussitôt changée en un beau cheval; ce qui fit un bel attelage de six chevaux d'un beau gris de souris pommelé.
Comme elle était en peine 31 de quoi elle ferait un cocher:
–Je vais voir, dit Cendrillon, s'il n'y a point quelque rat dans la ratière, nous en ferons un cocher.
–Tu as raison, dit sa marraine; va voir.
Cendrillon lui apporta la ratière, où il y avait trois gros rats.
La Fée en prit un d'entre les trois, à cause de sa maîtresse barbe; et, l'ayant touché, il fut changé en un gros cocher, qui avait une des plus belles moustaches qu'on ait jamais vues.
Ensuite elle lui dit:
–Va dans le jardin, tu y trouveras six lézards derrière l'arrosoir; apporte-les-moi.
Elle ne les eut pas plus tôt apportés, que la marraine les changea en six laquais, qui montèrent aussitôt derrière le carrosse, avec leurs habits chamarrés, et qui s'y tenaient attachés comme s'ils n'eussent fait autre chose de toute leur vie.
La Fée dit alors à Cendrillon:
–Eh bien, voilà de quoi aller au bal; n'es-tu pas bien aise?
–Oui, mais est-ce que j'irai comme cela, avec mes vilains habits?
Sa marraine ne fit que la toucher avec sa baguette, et en même temps ses habits furent changes en des habits de drap d'or et d'argent, tout chamarrés de pierreries: elle lui donna ensuite une paire de pantoufles de verre, les plus jolies du monde.
Quand elle fut ainsi parée, elle monta en carrosse; mais sa marraine lui recommanda sur toutes choses de ne pas passer minuit, l'avertissant que, si elle demeurait au bal un moment davantage, son carrosse redeviendrait citrouille, ses chevaux des souris, ses laquais des lézards, et que ses vieux habits reprendraient leur première forme.
Elle promit à sa marraine qu'elle ne manquerait pas de sortir du bal avant minuit.
Elle part, ne se sentant pas de joie.
Le fils du roi, qu'on alla avertir qu'il venait d'arriver une grande princesse qu'on ne connaissait point, courut la recevoir: il lui donna la main à la descente du carrosse, et la mena dans la salle où était la compagnie.
Il se fit alors un grand silence; on cessa de danser, et les violons ne jouèrent plus, tant on était attentif à contempler les grandes beautés de cette inconnue. On n'entendait qu'un bruit confus:
–Ah! qu'elle est belle!
Le roi même, tout vieux qu'il était, ne laissait pas de la regarder, et de dire tout bas à la reine qu'il y avait longtemps qu'il n'avait vu une si belle et si aimable personne.
Toutes les dames étaient attentives à considérer sa coiffure et ses habits, pour en avoir, dès le lendemain, de semblables, pourvu qu'il se trouvât des étoffes assez belles et des ouvriers assez habiles.
Le fils du roi la mit à la place la plus honorable, et ensuite la prit pour la mener danser. Elle dansa avec tant de grâce, qu'on l'admira encore davantage.
On apporta une fort belle collation, dont le jeune prince ne mangea point, tant il était occupé à la considérer.
Elle alla s'asseoir auprès de ses soeurs, et leur fit mille honnêtetés: elle leur fit part des oranges et des citrons que le prince lui avait donnés, ce qui les étonna fort, car elles ne la connaissaient point.
Lorsqu'elles causaient ainsi, Cendrillon entendit sonner onze heures trois quarts: elle fit aussitôt une grande révérence à la compagnie, et s'en alla le plus vite qu'elle put.
Dès qu'elle fut arrivée, elle alla trouver sa marraine; et, après l'avoir remerciée, elle lui dit qu'elle souhaiterait bien aller encore le lendemain au bal, parce que le fils du roi l'en avait priée.
Comme elle était occupée à raconter à sa marraine tout ce qui s'était passé au bal, les deux soeurs heurtèrent à la porte: Cendrillon leur alla ouvrir.
–Que vous êtes longtemps à revenir! leur dit-elle en se frottant les yeux, et en s'étendant comme si elle n'eût fait que de se réveiller.
Elle n'avait cependant pas envie de dormir depuis qu'elles s'étaient quittées.
–Si tu étais venue au bal, lui dit une de ses soeurs, tu ne t'y serais pas ennuyée: il est venu la plus belle princesse, la plus belle qu'on puisse jamais voir; elle nous a fait mille civilités; elle nous a donné des oranges et des citrons.
Cendrillon ne se sentait pas de joie; elle leur demanda le nom de cette princesse; mais elles lui répondirent qu'on ne la connaissait pas; que le fils du roi en était fort en peine, et qu'il donnerait toute chose au monde pour savoir qui elle était.
Cendrillon sourit, et leur dit:
–Elle était donc bien belle! mon Dieu, que vous êtes heureuses! ne pourrai-je point la voir? hélas! mademoiselle Javotte, prêtez-moi votre habit jaune que vous mettez tous les jours.
–Vraiment, dit mademoiselle Javotte, je suis de cet avis; prêtez votre habit à un vilain Cendron comme cela! il faudrait que je fusse bien folle.
Cendrillon s'attendait bien à ce refus, et elle en fut bien aise; car elle aurait été grandement embarrassée si sa soeur eut bien voulu lui prêter son habit.
Le lendemain les deux soeurs furent au bal, et Cendrillon aussi, mais encore plus parée que la première fois.
Le fils du roi fut toujours auprès d'elle, et ne cessa de lui conter des douceurs.
La jeune demoiselle ne s'ennuyait point, et oublia ce que sa marraine lui avait recommandé, de sorte qu'elle entendit sonner le premier coup de minuit, lorsqu'elle ne croyait pas qu'il fût encore onze heures: elle se leva, et s'enfuit aussi légèrement qu'aurait fait une biche.
Le prince la suivit, mais il ne put l'attraper.
Elle laissa tomber une de ses pantoufles de verre, que le prince ramassa bien soigneusement.
Cendrillon arriva chez elle bien essoufflée, sans carrosse, sans laquais et avec ses méchants habits, rien ne lui étant resté de toute sa magnificence qu'une de ses petites pantoufles, la pareille de celle qu'elle avait laissée tomber.
On demanda aux gardes de la porte du palais s'ils n'avaient point vu sortir une princesse: ils dirent qu'ils n'avaient vu sortir personne qu'une jeune fille fort mal vêtue, et qui avait plus l'air d'une paysanne que d'une demoiselle.
Quand ses deux soeurs revinrent du bal, Cendrillon leur demanda si elles s'étaient encore bien diverties, et si la belle dame y avait été.
Elles lui dirent que oui, mais qu'elle s'était enfuie lorsque minuit avait sonné, et si promptement, qu'elle avait laissé tomber une de ses petites pantoufles de verre, la plus jolie du monde; que le fils du roi l'avait ramassée, et qu'il n'avait fait que la regarder tout le reste du bal, et qu'assurément il était fort amoureux de la belle personne à qui appartenait la petite pantoufle.
Elles dirent vrai; car, peu de jours après, le fils du roi fit publier à son de trompe qu'il épouserait celle dont le pied serait bien juste à la pantoufle.
On commença à l'essayer aux princesses, ensuite aux duchesses et à toute la cour; mais inutilement.
On la porta chez les deux soeurs, qui firent tout leur possible pour faire entrer leur pied dans la pantoufle; mais elles ne purent en venir à bout.
Cendrillon, qui les regardait, et qui reconnut sa pantoufle, dit en riant:
-Que je voie 32 si elle ne me serait pas bonne!
Ses soeurs se mirent à rire et à se moquer d'elle.
Le gentilhomme qui faisait l'essai de la pantoufle, ayant regardé attentivement Cendrillon, et la trouvant fort belle, dit que cela était très-juste, et qu'il avait ordre de l'essayer à toutes les filles. Il fit asseoir Cendrillon, et approchant la pantoufle de son petit pied, il vit qu'elle y entrait sans peine, et qu'elle y était juste comme de cire.
L'étonnement des deux soeurs fut grand, mais plus grand encore quand Cendrillon tira de sa poche l'autre petite pantoufle, qu'elle mit à son pied.
Là-dessus arriva la marraine, qui, ayant donné un coup de sa baguette sur les habits de Cendrillon, les fit devenir encore plus magnifiques que tous les autres.
Alors ses deux soeurs la reconnurent pour la belle personne qu'elles avaient vue au bal. Elles se jetèrent à ses pieds, pour lui demander pardon de tous les mauvais traitements qu'elles lui avaient fait souffrir.
Cendrillon les releva, et leur dit, en les embrassant, qu'elle leur pardonnait de bon coeur, et qu'elle les priait de l'aimer bien toujours.
On la mena chez le jeune prince, parée comme elle était.
Il la trouva encore plus belle que jamais, et, peu de jours après, il l'épousa.
Cendrillon, qui était aussi bonne que belle, fit loger ses deux soeurs au palais, et les maria dès le jour même à deux grands seigneurs de le cour.
MORALITÉ
La beauté pour le sexe est un rare trésor;
De l'admirer jamais on ne se lasse.
Mais ce qu'on nomme bonne grâce
Est sans prix et vaut mieux encor.
C'est ce qu'à Cendrillon fit avoir sa marraine,
En la dressant, en l'instruisant
Tant et si bien, qu'elle en fit une reine,
Car ainsi sur ce conte on va moralisant:
Belles, ce don vaut mieux que d'être bien coiffées.
Pour engager un coeur, pour en venir à bout,
La bonne grâce est le vrai don des fées;
Sans elle on ne peut rien, avec elle on peut tout.