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Loe raamatut: «Histoire des salons de Paris. Tome 1», lehekülg 8

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Marmontel se récria!.. C'était une perfidie!.. «Eh bien! dit madame Necker, je vais vous donner un mot, et vous nous ferez un couplet…»

Elle rêva un moment… Tout-à-coup le bouchon d'une bouteille de vin de Champagne vint à partir…

«Ah! s'écria-t-elle, le voilà tout trouvé!.. Champagne!…»

Marmontel rêva quelques instants… puis, sans écrire, sans revoir ce qu'il venait de faire, il s'adressa à madame Necker en lui chantant le couplet suivant:

 
Champagne, ami de la folie99,
Fais qu'un moment Necker s'oublie,
Comme en buvant faisait Caton;
Ce sera le jour de ta gloire:
Tu n'as jamais sur la raison
Gagné de plus belle victoire.
 

SALON
DE MADAME DE POLIGNAC

Il me faut bien donner ce titre à la réunion des personnes que je vais faire passer sous les yeux du lecteur… Car il est difficile, pour ne pas dire impossible, de rendre compte du salon de la Reine, et c'est pourtant Marie-Antoinette qui sera la véritable maîtresse de maison à Trianon, Compiègne, Marly, Versailles, et surtout dans le salon de madame de Polignac; c'est la reine de France, laissant à la porte la hauteur et la morgue souveraine pour être la plus aimable femme de la Cour de France et présider les soupers du salon de la duchesse de Polignac avec cette grâce charmante qui faisait, comme la tradition nous l'a conservé, que jamais on n'oubliait son sourire, comme on n'oubliait jamais aussi son regard de dédain.

Marie-Thérèse l'avait élevée pour être reine de France: avec cette finesse de tact que les femmes apportent à juger les choses, elle avait compris que, dans cette Cour voluptueuse et polie où sa fille allait être souveraine100, puisqu'elle n'avait aucune autre puissance au-dessus de la sienne, il fallait qu'elle doublât cette puissance par le charme de ses manières… Elle voulut que sa fille fût la première de la Cour de France par sa grâce et son esprit du monde comme par son rang. Elle voulut que son langage même ne rappelât en rien le Nord et son accent sévère… Elle demanda pour la jeune fiancée du Dauphin, une fois que le traité fut conclu par les soins de madame de Pompadour et de M. le duc de Choiseul, un homme assez habile pour lui enseigner à la fois la langue française dans son élégant idiôme, car à cette époque il y en avait deux fort distincts, l'un pour la haute classe et l'autre pour celle inférieure, et les manières d'une femme du monde, jointes à celles que la dignité allemande savait si bien inculquer de bonne heure aux princesses de la famille impériale. M. le duc de Choiseul, consulté par l'impératrice sur le choix à faire, consulta à son tour M. de Brienne, depuis cardinal de Loménie, homme du monde comme lui, et l'un des plus élégants de son temps en même temps que le moins moral. Il lui recommanda l'abbé de Vermont, qui fut en effet envoyé à Vienne auprès de la jeune archiduchesse, qu'il trouva déjà formée pour être la plus aimable princesse de l'Europe. Elle était agréable sans être belle, et possédait les grâces qui ne s'apprennent pas et devant lesquelles viennent échouer l'envie et l'opposition des femmes les plus belles… Ayant la volonté d'être ce que sa mère voulait qu'elle fût, Marie-Antoinette se prépara à être doublement la souveraine de la France. Élevée par une mère comme Marie-Thérèse, nourrie dans les principes du goût le plus exquis des arts et surtout de la poésie, c'est ainsi qu'elle entra dans le royaume dont elle devait être reine n'ayant pas encore quinze ans101.

Elle avait dans sa personne l'élégance de son esprit et de ses goûts. Sans être très-grande, sa taille avait une juste proportion, qu'elle doublait lorsqu'elle traversait la galerie de Versailles avec cette dignité gracieuse qui la rendait adorable et se manifestait par le moindre de ses mouvements… Ses cheveux étaient charmants, son teint admirable, ses bras et ses mains beaux à servir de modèle. Si l'on ajoute à tous ces avantages une bonne grâce inimitable et le prestige magique du rang de reine de France, on ne s'étonnera plus de l'enthousiasme délirant qu'inspira si longtemps Marie-Antoinette à la France entière.

Sa première éducation lui avait donné le goût de la vie intime, de la société privée… Accoutumée de bonne heure à vivre familièrement avec sa nombreuse famille, elle sentit avec peine cette privation d'un intérieur de société dans lequel elle pût causer, faire de la musique, broder en écoutant une lecture, vivre enfin pour elle, lorsqu'elle avait vécu pour la Cour et fait son devoir de Reine. Cette vie familière lui avait d'ailleurs été prescrite, pour ainsi dire, par sa mère lorsqu'elle avait quitté Vienne… Marie-Thérèse, qui connaissait l'intérieur de toutes les Cours de l'Europe, avait surtout cherché à parfaitement connaître aussi celle dans laquelle allait vivre sa fille bien-aimée: elle savait qu'en France tout se fait par le monde et ses relations… Les volontés royales étaient elles-mêmes soumises à ce tyran, qui, à cette époque surtout, dominait tout et faisait la loi. Nulle part le tribunal de l'opinion n'était aussi sévère, non pas qu'il y eût plus de mœurs, il y en avait moins qu'ailleurs au contraire: mais la règle établie par le code du monde social avait prononcé, et ses arrêts s'exécutaient, n'importe sur quelle tête ils étaient lancés… Marie-Thérèse le savait; elle savait aussi qu'une main habile pouvait facilement conduire cette société élégante et en devenir la Reine, comme elle l'était des belles provinces de France… Elle donna des instructions à Marie-Antoinette pour ajouter encore aux premières, données moins secrètement. Celles-ci furent uniquement consacrées à tracer à la Dauphine une règle de conduite comme la mère d'une jeune fille les lui donnerait à son entrée dans le monde… Ceci expliquera comment la Reine avait des amitiés intimes peu de temps après son arrivée en France, et comment elle voulut organiser une société à elle… La pièce que je place ici est authentique… J'ai conservé l'orthographe de l'Impératrice et sa manière de nommer les individus sans leur donner aucune qualification… Ce fut au moment même de se séparer de sa fille que l'impératrice lui remit cette liste, avec prière d'y donner la plus grande attention:

«Eux et leurs amis, voilà où vous devez placer votre confiance et vos affections… Quant à vos sympathies personnelles, ne vous y laissez aller qu'après un mûr examen…

Liste des gens de ma connaissance 102

Le duc et la duchesse de Choiseul103;

Le duc et la duchesse de Praslin;

Hautefort104;

Les Duchâtelet;

D'Estrées (le maréchal)105;

D'Aubeterre106;

Le comte de Broglie;

Les frères de Montazel; }

M. d'Aumon; }107.

M. Blondel; }

M. Gérard. }

«La Beauvais, religieuse108, et sa compagne.

«Les Durfort109; c'est à cette famille que vous devez marquer, en toute occasion, votre reconnaissance et attention.

«De même pour l'abbé de Vermont110. Le sort de ces personnes m'est à cœur. Mon ambassadeur est chargé d'en prendre soin. Je serais fâchée d'être la première à sortir de mes principes, qui sont de ne recommander personne. Mais vous et moi nous devons trop à ces personnes, pour ne pas chercher en toutes les occasions à leur être utiles, si nous le pouvons sans trop d'impegno111.

«Consultez-vous avec Mercy112

«Je vous recommande en général tous les Lorrains dans ce que vous pouvez leur être utile.»

On voit dans cette instruction que Marie-Thérèse, loin d'avoir inspiré à sa fille une morgue hautaine contre nous, a toujours témoigné au contraire combien elle était heureuse de cette alliance; elle est reconnaissante, elle lui recommande d'être utile à tous les Lorrains, parce qu'ils les ont obligées toutes deux, et c'est en faisant ce mariage; voilà comme il faut se méfier des opinions émises légèrement sur le compte de personnes élevées.

On voit, par cette liste, que la Dauphine avait déjà une société assez nombreuse indiquée par sa mère, et pour peu qu'il s'y joignît quelques affections particulières, elle avait une autorité positive et assez étendue dans la société de la Cour113, sœur de madame de Mailly et de madame de Châteauroux, me racontait dernièrement que madame de Vintimille, encore pensionnaire dans un couvent lorsque madame de Mailly, qui avait été belle, mais qui ne l'était plus guère, et qui était sotte parce qu'elle l'avait toujours été, tenait alors l'état de maîtresse du Roi, madame de Vintimille disait:
  «J'irai à la Cour auprès de ma sœur de Mailly: le Roi me verra, le Roi m'aimera, et je gouvernerai ma sœur, le Roi, la France et l'Europe.»
  Elle voulut si bien régner, au reste, qu'on prétend que le cardinal de Fleury l'empoisonna aussi: on dit toujours que les gens haut placés qui meurent ayant la colique meurent empoisonnés.
  Madame de Vintimille fut en effet celle des trois sœurs que Louis XV aima le plus. Mais cela ne prouve pas qu'on l'empoisonna… Avec la nature de Louis XV, il aurait fallu empoisonner toutes les jolies femmes de sa Cour!.. Mais je reprends l'histoire de madame de Châteauroux et de madame de Pompadour.
  Madame de Pompadour avait donc succédé à madame de Châteauroux… Quoique celle-ci fût morte, on fut étonné de voir madame de Pompadour lui vouer une haine d'autant plus extraordinaire qu'elles ne s'étaient jamais rencontrées. En voici un des motifs.
  Il y avait dans Paris, au moment de la faveur de madame de Châteauroux, un coiffeur dont toutes les femmes raffolaient. Dagé avait pour pratiques les femmes les plus élégantes de la Cour, et il choisissait les têtes qu'il devait embellir. Madame la Dauphine179, Mesdames, filles du Roi, se faisaient coiffer par Dagé, et la suffisance, ou, pour parler plus juste, l'insolence du coiffeur était sans bornes. Madame de Pompadour, en arrivant à la Cour, voulut avoir Dagé; il refusa. La favorite insista; le coiffeur refusa encore… Madame de Pompadour, qui s'appelait encore madame Lenormand d'Étioles, négocia avec le coiffeur, et finit par l'emporter sur une résistance qui peut-être ne demandait qu'à être vaincue. Dagé une fois fléchi, madame de Pompadour voulut lui faire payer l'humiliation qu'elle avait subie pour l'obtenir, et la première fois qu'elle fut coiffée par lui, au moment où la Cour était le plus nombreuse à sa toilette, elle lui dit:
  – Dagé, comment avez-vous donc obtenu une aussi grande vogue… et la réputation dont vous jouissez?..
  – Cela n'est pas étonnant, madame, répondit Dagé, qui comprit la valeur du mot: je coiffais l'autre!
  La cour de madame de Pompadour était trop nombreuse pour que le bon mot de Dagé ne fût pas connu dans tout Versailles avant une heure. En effet, madame la Dauphine, Mesdames de France répétèrent en riant aux éclats le bon mot de Dagé… Il coiffait l'autre! Ce mot, répété par le parti de l'opposition, devint bientôt comme une bannière proclamant la division qui éclata peu après dans la famille royale pour et contre la favorite… Les princesses et les princes appelèrent madame d'Étioles madame Celle-ci, et madame de Châteauroux madame L'autre. Louis XV en fut désolé, et madame de Pompadour, furieuse de ce surnom plus peut-être que de celui du roi de Prusse180, se mit à la tête d'une faction contre la famille royale, et, pour avoir plus de consistance qu'une maîtresse ordinaire, elle voulut se mêler de politique, et nous savons ce qui en est résulté!.. Ce fut peut-être ce mot de Dagé qui amena cette résolution.
  Louis XV fut un roi libertin moins pardonnable peut-être qu'un autre: il eut des maîtresses qui firent la honte du trône, sans qu'il en fût justifié par l'amour qu'il avait pour elles. Madame de Châteauroux, la seule qui ait eu une conduite vertueuse, sa faute exceptée, était du reste fort nulle d'esprit et de moyens; elle eut un beau mouvement en excitant le Roi à la guerre, mais il venait du cœur.


114, madame de Pompadour et madame du Barry, précédèrent Marie-Antoinette, qui enfin vint clore chez nous le siècle des agitations soulevées par des femmes. Mais elles furent plus actives encore chez Marie-Antoinette, parce que le pouvoir lui échappait, et que, pour le ressaisir, elle faisait continuellement des efforts qui soulevaient la monarchie. Connaissant l'action immédiate des femmes sur l'opinion en France, la Reine employa ces moyens avec un grand succès, du moins pendant les premières années du règne de Louis XVI… Elle ne fut pas aussi heureuse pendant l'Assemblée Constituante; elle lutta contre des femmes qu'il aurait fallu gagner, chose qui eût été facile… Elle-même voulut se soumettre; elle le tenta bien quelque temps en faisant le salon de madame de Polignac; mais en n'y admettant que les personnes tout-à-fait privilégiées, les préférences blessèrent les exilées, et il y eut des mécontents… Cela se manifesta lorsque la Reine voulut s'établir à Trianon.

Trianon était un adorable séjour dont la Reine aurait dû jouir sans le faire servir à une vengeance que depuis longtemps elle méditait contre la noblesse de France, et surtout celle présentée à la Cour, qui formait alors la majeure partie de la haute société de Paris. Le motif de cette vengeance datait du jour des fêtes du mariage de Marie-Antoinette, et sans être injuste on ne peut lui donner tort.

Marie-Thérèse avait demandé que mademoiselle de Lorraine et monsieur le prince de Lambesc eussent rang immédiatement après les princes du sang, dans les fêtes du mariage de sa fille avec le Dauphin de France. Louis XV l'accorda; mais il n'avait pas calculé les obstacles qu'il devait rencontrer dans la noblesse française… Sa complaisance à l'égard du Roi avait changé depuis quelques années… Elle n'était plus ce qu'elle était, non-seulement sous les premiers temps du règne, mais même sous madame de Pompadour… Les femmes de la Cour prirent une attitude opiniâtre, au fait, plus que fière, et opposèrent une résistance invincible à la prière du Roi, car il n'ordonna pas, de céder la place à mademoiselle de Lorraine, après les princesses du sang; leur fermeté alla même jusqu'à se priver du bal plutôt que d'abandonner leur droit… Madame la duchesse de Bouillon surtout se signala parmi les opposantes par l'aigreur de ses refus. Le roi fut très-choqué de cette résistance… mais la Dauphine le fut encore plus. On prétend qu'elle écrivît sur la lettre de Louis XV aux pairs: Je m'en souviendrai! et qu'elle la renferma dans une cassette d'où souvent elle la tirait pour la relire!.. Enfin, pour que les fêtes eussent lieu, mademoiselle de Lorraine accepta de danser avec madame la duchesse de Duras, qui alors était de service au château, et par cette raison ne pouvait en sortir!.. Ce moyen terme diminua un peu le scandale que fit le retour à Paris de presque toutes les femmes titrées qui avaient refusé de danser au mariage de la Dauphine.

Elle n'oublia jamais cette offense. La noblesse française fut à ses yeux de ce moment un ennemi avec lequel elle fut en guerre!.. Madame de Noailles lui répéta vainement que l'étiquette avait parlé et qu'il fallait lui obéir, qu'elle-même lui était soumise… La Dauphine ne fit qu'en rire, tourna en dérision et l'étiquette et la noblesse, se moqua avec raison des mésalliances journalières qui, déjà à cette époque, commençaient à s'introduire parmi la haute noblesse. Elle fit plus; elle se moqua de madame de Noailles elle-même, bien décidée à exclure de son service toutes les femmes titrées ayant des prétentions, comme elle le disait…

Ces querelles furent longues à produire leur effet. Aussi la Dauphine n'en éprouva-t-elle le désagrément que plusieurs années plus tard… Les quatre premières qu'elle passa en France furent un véritable enchantement. Elle était vraiment jolie: son teint éblouissant, ses belles couleurs, l'élégance de sa taille, l'expression gracieuse de sa physionomie, parce qu'alors, voulant conquérir, elle était toujours prévenante115, qualité qui, dans une princesse, a plus de charmes que dans une autre femme… l'ensemble enfin de toute sa personne en faisait un être que tout le monde aimait… Elle était caressante, enjouée, attentive à plaire… Aussi les académies, les journaux, les poëtes lui prodiguaient la louange, et la société la plus brillante de l'Europe, qui alors était celle de France, était à ses pieds!.. Elle était jeune et belle, et la flatterie avait encore pour les femmes, chez nous, les formes et le ton du beau règne de Louis XIV!..

Ce qu'elle fit plus tard avec hauteur quand elle fut reine, elle le fit aussitôt après son mariage avec une grâce qui empêchait qu'on ne le lui reprochât. Cependant, il y avait parfois une teinte satirique qui ne pouvait échapper à ceux qui étaient l'objet d'une remarque ou d'une allusion…

En arrivant à la cour de France, elle témoigna une grande admiration pour la beauté ravissante de madame du Barry… mais comme elle ne voulait pas qu'on pût croire que cette admiration était une complaisance, elle demanda un jour à madame de Noailles quelles étaient à la Cour les fonctions de madame du Barry?… Madame de Noailles, chargée de son instruction, lui répondit que madame du Barry était à la Cour pour plaire au Roi et pour le distraire.

– Ah! dit la Dauphine, alors je serai sa rivale? Le mot était charmant! mais la question qui l'avait précédé l'était-elle?.. Louis XV en fut blessé, parce que toute la Cour, qui n'aimait pas madame du Barry, répéta le mot sans le prendre pour une ingénuité.

Cette lutte de l'autorité légitime que devait avoir la Dauphine de France contre celle usurpée d'une fille de joie, favorite d'un vieux roi libertin, changea beaucoup le caractère de Marie-Antoinette. Madame du Barry, dont la beauté était dans tout son éclat, faisait éprouver à la jeune Dauphine la jalousie d'un succès toujours dominant. Les fêtes de la Cour que donnait Louis XV semblaient n'être faites que pour la favorite! La Dauphine le sentait cruellement. C'est en vain qu'elle était toujours bonne et caressante auprès du Roi vieux et libertin, comme madame la duchesse de Bourgogne l'était auprès de Louis XIV, mais les temps étaient bien différents! et pour dire la chose, les personnages l'étaient aussi! Louis XV était blasé sur tout, même sur la grâce!.. il n'aimait plus les femmes aux bonnes manières… Madame du Barry influa beaucoup sur la société de France à cette époque; son mauvais ton, sa manière plus que naturelle, et qu'on pouvait appeler grivoise, était ce que le roi aimait… Que voulait-on? imiter le Roi; ce fut ce qui arriva. Le vieux maréchal de Richelieu lui-même se mit dans la voie de perdition, comme lui-même l'appelait, et dans les soupers qui se faisaient encore à Marly et à Choisy, où Louis XV aimait à souper de préférence, le vieux maréchal était souvent le plus licencieux de tous les hommes qui étaient à la table du Roi. On connaît au reste le mot de madame du Barry pour le café. On l'a nié, mais il est positif; il révélait ce que la France allait devenir!

La Dauphine, avec sa figure fraîche et ses blonds cheveux, sa peau de lis et de roses, cette adorable expression qui la faisait aimer de tout ce qui l'approchait, la Dauphine pouvait seule arrêter le torrent dans sa course, mais elle ne le pouvait qu'autant que le Roi lui en donnerait la puissance exécutrice. Que faire en pareille circonstance? Se tenir en silence devant une position vraiment délicate, et attendre, c'est ce qu'elle fit…

Louis XV mourut; on connaît les particularités de cette mort… Je dirai seulement que cette bougie placée derrière un carreau de vitre pour avertir qu'un roi de France est mort est plus cruelle peut-être que la perversité de tous n'est abjecte… mais il est une justice distributive… Louis XV avait été bien cruel lui-même pour son fils… Le Dauphin était à l'agonie de cette maladie de langueur dont il est mort, et la Cour à Choisy. Aussitôt qu'il aurait rendu le dernier soupir, la Cour devait quitter Choisy. On avait donc interrogé le médecin qui le soignait plus particulièrement, en lui demandant combien il avait d'heures à vivre. – Mais, avait répondu le médecin, peut-être sept à huit heures… à peu près!.. plus ou moins!.. Et le médecin continua à prendre son chocolat, car il était à déjeuner lorsqu'on vint lui faire cette question… Je ne pense pas qu'on puisse répondre aussi affirmativement avec un sang-froid aussi dur… En conséquence de cette réponse, tout le service d'honneur fit ses préparatifs; et les femmes de chambre, les valets de chambre jetaient les paquets par les fenêtres avec une sorte de joie folle, parce que le séjour avait été plus long que de coutume… Par un hasard funeste pour le mourant, son appartement se trouvait presque à la hauteur de ces femmes et de ces hommes qui jetaient ces paquets!.. Il était à ce moment où l'âme quitte le corps… C'est une lutte douloureuse… le malheureux prince voulut prendre l'air, car il suffoquait… On roula son lit auprès de la fenêtre, et là, il fut témoin des préparatifs du départ… Il connaissait trop bien la Cour et tout ce qui tient à elle pour ne pas voir ce qui en était et ce que signifiait cette occupation générale… Un sourire, comme la mort n'en permet pas souvent, vint errer sur ses lèvres déjà froides… Hélas! le malheureux prince avalait ainsi au moment extrême la gorgée la plus amère du calice de sa vie!

Mais, je l'ai dit, il est une justice distributive. Le roi Louis XV mourut aussi… et le même jour, une bougie derrière un carreau de vitre devait être éteinte au moment du dernier soupir royal!.. et alors, la Cour impatiente et craignant la contagion devait partir pour Choisy!.. ce qui fut fait…

Le même jour, madame du Barry fut exilée à l'abbaye du Pont-aux-Dames, près de Meaux; ce fut le chancelier, le duc de la Vrillière, qui lui porta lui-même la lettre de cachet. En voyant cet homme qui avait rampé à ses pieds et venait la braver, madame du Barry dit en jurant: – Beau… règne que celui qui commence par une lettre de cachet!..

Cette punition de madame du Barry fut un des premiers actes du pouvoir royal de Louis XVI. La Reine y fut étrangère. Ce n'était donc pas une princesse tout-à-fait autrichienne, une Allemande enfin, d'après ce que j'ai rapporté de son éducation, qui vint épouser le Dauphin de France. Lorsque le mariage fut définitivement conclu par les soins du prince de Kaunitz et du duc de Choiseul, l'abbé de Vermont fut envoyé à Vienne pour former la jeune archiduchesse aux belles manières d'une cour qui était alors la plus élégante et la plus polie de l'Europe. La princesse arriva donc en France parfaitement instruite de tout ce qu'elle devait savoir comme femme élégante du monde, parce que l'abbé de Vermont avait en lui tout ce qui pouvait former la femme présentée à la cour la plus exigeante. Celle de France était alors le lieu le plus ravissant comme centre de tous les plaisirs et du luxe le plus recherché. Marie-Antoinette en fut frappée lorsqu'elle arriva à Compiègne116 et qu'elle y fut reçue par le Roi et M. le Dauphin. Le jour suivant, elle coucha seule à La Muette avec ses femmes, et revint à Versailles le lendemain pour se réunir à la Cour, et recevoir la fatale bénédiction d'un mariage qui devait la conduire à la mort. C'est à cette époque que les fêtes du mariage du Dauphin et de l'archiduchesse eurent lieu. Ces fêtes magiques par le luxe effréné que la Cour y déploya et que suivirent tous les courtisans, ces fêtes furent comme le coup de cloche qui sonna le glas funèbre pour annoncer une funeste destinée… et pourtant quelle magie, quelle admirable magnificence doublait celle déjà fantastique de Versailles! Vingt millions furent dépensés pour ces fêtes!.. Vingt millions pour cette époque présentent une somme fabuleuse relativement aux frais des fêtes des mariages des anciens Dauphins et des Rois de France. On accourut du fond de nos provinces pour admirer la jeune Dauphine. Les étrangers du Nord y vinrent en foule; ceux du Midi qui n'étaient jamais venus en France y vinrent pour voir la fille de Marie-Thérèse monter sur le trône de deux reines allemandes, dont le sort avait été funeste à la nation française… Le luxe que les étrangers déployaient luttait avec celui que par devoir comme par orgueil et par goût déployaient les Français; les fêtes se multipliaient non-seulement à la Cour, mais dans les maisons particulières; tout était motif de réjouissance, tout devenait sujet à une fête parmi les personnes de la Cour et parmi celles de la finance, dont les alliances avec la noblesse étaient fréquentes. Le luxe de cette époque, quelque soin que nous prenions de le copier, n'est pourtant pas de fort beau goût. C'est surtout dans le contraste frappant qu'on trouve dans l'observance ridicule du goût antique qu'il faut trouver le mauvais genre de l'époque; madame de Pompadour s'habillait en Vénus avec des paniers, et M. de Chabot faisait Adonis avec une coiffure poudrée à frimas. Cette violation du goût pur et exercé des anciens était la faute des yeux et du goût de l'époque, puisque les modèles étaient là. Il faut dire que madame du Barry fut plus élégante en cela que madame de Pompadour; elle était plus belle et moins spirituelle cependant, mais le désir de plaire donne du goût et de l'esprit, même aux plus sottes. Madame du Barry suivait assez bien les modes, selon le bon goût; il existe d'elle des portraits où le costume oriental est assez bien observé. L'histoire de ce costume est plaisante.

Madame du Barry détestait, comme on le sait, M. le duc de Choiseul; tout ce qu'il disait et faisait était mal dit et mal fait. Enfin, Chanteloup l'en délivra. Mais avant ce moment, le ministre en faveur dut souvent recevoir bien des humiliations.

Un jour, on parlait chez le Roi des costumes différents des peuples de l'Europe; M. de Choiseul parlait de ceux de la Russie et de ceux de Constantinople, en même temps que du superbe et étrange aspect de cette ville, en remarquant que l'Europe n'était pas aussi dépourvue de beaux costumes, et il donnait pour preuve ces deux derniers pays. – Cependant, ajouta-t-il en se reprenant, j'ai tort de mettre la Russie et la Turquie dans le nombre, car les plus beaux costumes de ces pays sont dans les provinces d'Asie.

À ce mot, madame du Barry éclate de rire, et s'écrie:

– C'est bien la peine d'être ministre pour ne pas savoir que la Turquie est en Asie et que la Russie est en Europe.

– C'est bien la peine d'être favorite, dit le duc de Choiseul en rentrant chez lui, pour ne pas savoir que le pays où les femmes vivent en troupeau pour les plaisirs d'un seul homme est en Europe comme à Paris.

Le propos revint à madame du Barry; elle fut furieuse. À dater de ce jour-là elle se fit lire tout ce qui a été écrit sur la Turquie, et elle le débitait ensuite comme une leçon avec un petit babil que sa gentillesse et sa beauté rendaient presque supportable; car ce n'était pas par la parole qu'elle brillait, comme on le sait. Enfin, la turcomanie en vint au point qu'elle persuada à Louis XV de se faire peindre en sultan, elle en sultane favorite, et le reste de la Cour en habitants du sérail; il y avait même un Mesrour, à ce que disent les mauvaises langues; mais n'importe: c'était répondre spirituellement à M. de Choiseul. On fit une magnifique table en porcelaine qui fut peinte à Sèvres. On y voit une vingtaine de personnes habillées à l'orientale; le roi est très-ressemblant, ainsi que madame du Barry. Cette table fut longtemps à La Malmaison117.

Madame du Barry détestait M. le duc de Choiseul, et toutes les fois qu'elle pouvait lui faire ou lui dire une chose désagréable, elle n'y manquait pas. Un jour M. de Choiseul était auprès d'elle et parlait des moines; elle se mit aussitôt à parler des jésuites avec le plus grand éloge, parce qu'elle savait que M. de Choiseul ne les aimait pas et qu'il n'en était pas aimé. Alors il se mit à dire tant de bien des religieux en général, qu'elle prit la contre-partie et se mit à en dire des choses tellement fortes que tout l'auditoire demeurait interdit.

– Enfin, dit-elle, ils ne savent pas même prier Dieu!

– Ma foi! madame, dit le duc de Choiseul, vous conviendrez au moins qu'ils font de beaux enfants.

Madame du Barry était fille naturelle d'un frère coupe-choux.

Elle fut interdite; et depuis ce jour elle demeura toujours silencieuse devant le duc de Choiseul. Elle le craignait tout en le détestant.

Lorsque la Dauphine fut reine, elle put enfin satisfaire ce goût pour la société intime qu'elle avait toujours eu… Elle rassembla autour d'elle tout ce qu'elle aimait, et cette réunion lui forma une société intime. Ce fut vers cette époque que le Roi lui donna Trianon. Voilà un salon qu'on peut faire, et montrer le bon goût qui présidait à tout ce qui se faisait dans ce ravissant séjour. Là, elle oubliait les ennuis de la Cour; là, madame de Noailles ne la persécutait plus, comme elle le disait, avec cette sévérité qui l'avait fait surnommer madame l'Étiquette par la Reine. Madame de Noailles ayant appris que non-seulement la Reine se permettait de s'égayer sur son compte, mais encore monsieur le comte d'Artois, s'éloigna de la Cour, donna sa démission, et fut suivie de beaucoup de femmes de distinction, qui ne voulurent pas servir de point de mire à des traits d'esprit ou de texte à une aventure un peu étrange. La Reine commença alors à jouir de la vie comme elle l'entendait. Trianon fut un lieu de joies et de fêtes, dont l'étiquette fut bannie. La Reine allait voir ses belles-sœurs, leur rendait visite sans écuyers, sans aucun appareil, et riant elle-même de cette simplicité à laquelle elle voulait amener la Cour de France:

– Qu'importe après tout, disait-elle, que je sois un peu plus, un peu moins entourée de cette étiquette, dont vous faites votre noblesse; car, ajoutait-elle, que m'importe une noblesse comme celle que vous avez en France! C'est l'étiquette seule qui la fait.

La Reine pouvait avoir raison pour quelques familles, mais non pas pour toute notre noblesse. Chérin118 avait dans son cabinet de quoi répondre aux plus grandes exigences de l'Allemagne. La noblesse la plus pure de France n'était pas celle peut-être qui montait dans les carrosses.

La Reine avait connaissance des recommandations faites par l'impératrice-reine, relativement à beaucoup de personnes de la Cour de France. Pour celles-là jamais elles n'éprouvaient de bourrasques, et pour dire le vrai, elles commençaient à devenir fréquentes pour beaucoup d'autres.

La Reine avait aussi ses affections personnelles. Parmi ses affections intimes, madame la duchesse de Mailly était une des privilégiées. Elle était dame d'atours, mais donna bientôt sa démission pour se retirer dans son intérieur; la Reine l'aimait avec une tendresse de femme du monde, et le lui prouva en l'allant voir très-souvent après sa retraite de la Cour. Madame de Mailly avait une taille immense, et la Reine l'appelait ma grande. La duchesse de Mailly mourut jeune et vivement regrettée de Marie-Antoinette, qui était une amie bonne et dévouée, comme elle devenait ennemie implacable.

La Reine avait parmi les jeunes femmes de la Cour une personne qu'elle aimait avec une vive et profonde amitié. Elle était jeune, agréable et spirituelle; c'était la marquise de B…n. La Reine la fit dame du palais pour l'avoir auprès d'elle. Cette intimité amena des rapports de confiance entre la souveraine et la sujette. Madame de B…n aimait avec un sentiment d'amour idéalisé monsieur le comte Étienne de D… celui qu'on appelait le beau Durfort. Il l'aimait également, et la Reine, qui savait presque leur secret, leur donnait une de ces consolantes confiances qui doublent le prix de l'amitié: elle en eut bientôt le devoir à remplir.

99.Ce couplet fut improvisé un soir à souper, l'un des petits jours chez madame Necker, par Marmontel, à qui madame Necker donna en effet le mot CHAMPAGNE.
100.La reine Marie Leczinska était morte le 24 juin 1768; il n'y avait à la Cour que les filles du Roi et madame du Barry, favorite en titre, et présentée à Mesdames l'année qui suivit la mort de la Reine. (22 avril 1769.)
101.Marie-Antoinette-Josèphe-Jeanne de Lorraine était née à Vienne le 2 novembre 1755.
102.Cette liste étant écrite de la main de l'impératrice Marie-Thérèse, je la copie exactement sur l'original. Cette recommandation montre à quel point l'Impératrice connaissait la France et l'intérieur des familles de la Cour.
103.Le comte de Stainville, dont le père était le marquis de Stainville, ministre de l'Empereur, grand-duc de Toscane, près la Cour de France, et grand-chambellan. – Le comte de Stainville, ambassadeur de France à Rome, fut nommé à son retour à Paris à l'ambassade de Vienne. Il était Lorrain, titre de faveur à Vienne. Ce fut lui qui fit réussir le mariage de l'archiduchesse avec le Dauphin de France; il revint à Paris après trois mois de séjour à Vienne pour être créé duc et fait ministre des Affaires étrangères. – La duchesse de Choiseul était mademoiselle Crozat; c'était une personne charmante.
104.Ancien ambassadeur de France à Vienne, et dévoué au parti lorrain.
105.Il fut rappelé d'Allemagne au moment de ses triomphes par madame de Pompadour.
106.Ambassadeur à Vienne et également dévoué.
107.Ils avaient eu le secret de madame de Pompadour pour le fameux traité.
108.Qui de son couvent intriguait vivement pour le parti lorrain.
109.M. le duc de Duras, qui en Bretagne avait poursuivi le duc d'Aiguillon, ennemi du parti autrichien. La famille des Duras et des Durfort était dévouée au parti autrichien.
110.L'abbé de Vermont de même. – Il avait élevé Marie-Antoinette.
111.Impegno, embarras, gêne.
112.Ambassadeur de la Cour Impériale près la Cour de France. J'ai conservé le style et l'orthographe de Marie-Thérèse.
113.Je vais raconter un trait qui indiquera comment en France à cette époque un mot dit légèrement pouvait influer sur les affaires. Ce trait m'a été raconté par un témoin oculaire.
  Au moment où madame de Pompadour arriva à la Cour, on sait qu'elle remplaçait madame de Châteauroux, qui selon les uns mourut empoisonnée, et selon les plus sensés mourut de la mort des justes, attendu que le cardinal de Fleury n'était pas un empoisonneur et qu'il n'y avait personne qui eût assez d'ambition pour vouloir gouverner le Roi. Madame de Châteauroux mourut, et mourut après avoir été une personne fort ordinaire. Sa vie est une suite de jours pâles et sans action, si ce n'est d'être la maîtresse d'un Roi, ce qui fait la faute d'une femme beaucoup moins pardonnable, surtout quand le Roi n'est pas éperdu d'elle; et c'était le cas de Louis XV, qui des trois sœurs n'aima jamais que madame de Vintimille. Une femme de mes amies, qui a beaucoup connu madame de Flavacourt178178
  Madame de Flavacourt est morte fort âgée, l'an VII de la République (1798); elle était laide, mais plus spirituelle qu'aucune de ses sœurs, qui, du reste, étaient toutes fort ordinaires. Elle était dame du palais de la Reine.
179.Mère de Louis XVI.
180.Il l'appela, aussitôt qu'elle fut en titre, Cotillon IV.
114.Madame de Mailly, madame de Vintimille, et madame de Châteauroux.
115.Tant que Louis XV vécut, la Dauphine dissimula pour combattre avec succès l'ascendant de madame du Barry.
116.14 avril 1770.
117.J'ai entendu raconter le fait à l'empereur lorsqu'il était premier consul.
118.Généalogiste nommé par le Roi pour examiner les preuves de noblesse de ceux qui demandaient à être reconnus. Il était incorruptible; il disait un jour à mon oncle, le prince de Comnène, que ce qui lui avait le plus coûté était la résistance qu'il avait opposée à de belles personnes pleurant à ses pieds. Lorsqu'il vérifia nos preuves, il demeura en extase de savant devant des preuves comme celles fournies par mon oncle.