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Loe raamatut: «Le corricolo», lehekülg 13

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L'aide-de-camp venait de rentrer dans la maison d'où il était sorti; les Vardarelli, la bride passée au bras, se tenaient près de leurs chevaux, lorsqu'une grande rumeur commença à circuler dans la foule; puis à cette rumeur succédèrent des cris d'effroi, et toute cette masse de curieux commença d'aller et de venir comme une marée. Par toutes les rues aboutissantes à la place, des soldats napolitains s'avançaient en colonnes serrées. De tous côtés les Vardarelli étaient cernés.

Aussitôt, reconnaissant la trahison dont ils étaient victimes, les Vardarelli sautèrent sur leurs chevaux et tirèrent leurs sabres; mais au même instant le général ayant ôté son chapeau, ce qui était le signal convenu, le cri: Ventre à terre! retentit; et tous les curieux ayant obéi à cette injonction dont ils comprenaient l'importance, les feux des soldats se croisèrent au dessus de leurs têtes, et neuf Vardarelli tombèrent de leurs chevaux, tués ou blessés à mort. Ceux qui étaient restés debout, comprenant alors qu'il n'y avait pas de quartier à attendre, se réunirent, sautèrent à bas de leurs chevaux, et, armés de leurs carabines, s'ouvrirent en combattant un passage jusqu'aux ruines d'un vieux château dans lesquelles ils se retranchèrent. Deux seulement, se confiant à la vitesse de leur monture, fondirent tête baissée sur le groupe de soldats qui leur parut le moins nombreux, et, faisant feu à bout portant, profitèrent de la confusion que causait dans les rangs leur décharge, qui avait tué deux hommes, pour passer à travers les baïonnettes et s'échapper à fond de train. La femme, aussi heureuse qu'eux, dut la vie à la même manoeuvre, opérée sur un autre point, et s'éloigna au grand galop, après avoir déchargé ses deux pistolets.

Tous les efforts se réunirent aussitôt sur les vingt Vardarelli restans, lesquels, comme nous l'avons dit, s'étaient réfugiés dans les ruines d'un vieux château. Les soldats, s'encourageant les uns les autres, s'avancèrent, croyant que ceux qu'ils poursuivaient allaient leur disputer les approches de leur retraite; mais, au grand étonnement de tout le monde, ils parvinrent jusqu'à la porte sans qu'il y eût un seul coup de fusil tiré. Cette impunité les enhardit; on attaqua la porte à coups de hache et de levier, la porte céda; les soldats se précipitèrent alors dans la cour du château, se répandirent dans les corridors, parcourant les appartemens; mais, à leur grand étonnement, tout était désert: les Vardarelli avaient disparu.

Les assaillans furetèrent une heure dans tous les coins et recoins de la vieille masure; enfin ils allaient se retirer, convaincus que les Vardarelli avaient trouvé quelques moyens, connus d'eux seuls, de regagner la montagne, lorsqu'un soldat qui s'était approché du soupirail d'un cellier, et qui se penchait pour regarder dans l'intérieur tomba percé d'un coup de feu.

Les Vardarelli étaient découverts; mais les poursuivre dans leur retraite n'était pas chose facile. Aussi résolut-on, au lieu de chercher à les y forcer, d'employer un autre moyen, plus lent, mais plus sûr: on commença par rouler une grosse pierre contre le soupirail. Sur cette pierre on amassa toutes celles que l'on put trouver; on laissa un piquet d'hommes avec leurs armes chargées pour garder cette issue; puis, faisant un détour, on commença par jeter des fagots enflammés contre la porte du cellier, que les Vardarelli avaient fermée en dedans, et sur ces fagots enflammés tout le bois et toutes les matières combustibles que l'on put trouver; de sorte que l'escalier ne fut bientôt qu'une immense fournaise, et que, la porte ayant cédé à l'action du feu, l'incendie se répandit comme un torrent dans ce souterrain où les Vardarelli s'étaient réfugiés. Cependant un profond silence régnait encore dans le cellier. Bientôt deux coups de fusil partirent: c'étaient deux frères qui, ne voulant pas tomber vivans aux mains de leurs ennemis, s'étaient embrassés et avaient à bout portant déchargé leurs fusils l'un sur l'autre. Un instant après, une troisième explosion se fit entendre: c'était un bandit qui se jetait volontairement au milieu des flammes et dont la giberne sautait. Enfin, les dix-sept bandits restans voyant qu'il n'y avait plus pour eux aucune chance de salut, et se voyant près d'être asphyxiés, demandèrent à se rendre. Alors on déblaya le soupirail, on les en tira les uns après les autres, et à mesure qu'ils en sortirent on leur liait les pieds et les mains. Une charrette que l'on amena ensuite les transporta tous dans les prisons de la ville.

Quant aux huit qui n'avaient pas voulu venir à Foggia et aux deux qui s'étaient échappés, ils furent chassés comme des bêtes fauves, traqués de caverne en caverne. Les uns furent tués ou débusqués comme des chevreuils, les autres furent livrés par leurs hôtes, les autres enfin se rendirent eux-mêmes; si bien qu'au bout d'un an tous les Vardarelli étaient morts ou prisonniers.

Il n'y eut que la femme qui s'était sauvée un pistolet de chaque main qui disparut, sans qu'on la revît jamais ni morte ni vivante.

Lorsque le roi apprit cet événement, il entra dans une grande colère; c'était la seconde fois qu'on violait sans l'en prévenir un traité, non pas signé par lui, mais fait en son nom. Or, il savait que l'inexorable histoire enregistre presque toujours les faits sans se donner la peine d'en rechercher les causes, et que, tout au contraire de ce qui se passe dans notre monde, où ce sont les ministres qui sont responsables des fautes du roi, c'est le roi qui, dans l'autre, est responsable des fautes de ses ministres.

Mais on lui répéta tant, et de tant de côtés, que c'était une action louable que d'avoir exterminé celle méchante race des Vardarelli, qu'il finit par pardonner à ceux qui avaient ainsi abusé de son nom.

Il est vrai que quelque temps après arriva la révolution de 1820, qui amena avec elle bien d'autres préoccupations que celle de savoir si on avait plus ou moins exactement tenu un traité fait avec des bandits. Pour la troisième fois il rentra au bout de deux ans d'absence, au milieu des cris de joie de son peuple, qui le chassait sans cesse et qui ne pouvait vivre sans lui.

Malheureusement pour les Napolitains, cette troisième restauration fut de courte durée. Le soir du 3 janvier 1825, le roi se coucha après avoir fait sa partie de jeu et avoir dit ses prières accoutumées. Le lendemain, comme à dix heures du matin il n'avait pas encore sonné, on entra dans sa chambre, et on le trouva mort.

A l'ouverture de son testament, dans lequel il recommandait à son fils François de continuer les aumônes qu'il avait l'habitude de faire, ou trouva que ces aumônes montaient par an à 24,000 ducats.

Il avait vécu soixante-seize ans, il en avait régné soixante-cinq; il avait vu passer sous son long règne trois générations d'hommes, et, malgré trois révolutions et trois restaurations, il mourait le roi le plus populaire que Naples ait jamais eu.

Aussi le peuple chercha-t-il à la mort imprévue de son roi bien-aimé une cause surnaturelle. Or, pour des hommes d'imagination comme sont les Napolitains, rien n'est difficile à trouver. Voilà ce que l'on découvrit.

Le roi Ferdinand, comme on a pu le voir, n'était pas exempt de certains préjugés. Depuis quinze ans il était persécuté par le chanoine Ojori, qui le tourmentait pour obtenir une audience de lui et lui présenter je ne sais quel livre dont il était l'auteur. Ferdinand avait toujours refusé, et, malgré les instances du postulant, avait constamment tenu bon. Enfin le 2 janvier 1825, vaincu par les prières de tous ceux qui l'entouraient, il accorda pour le lendemain cette audience si long-temps reculée. Le matin, le roi eut quelque velléité de partir pour Caserte et de rejeter sur une chasse, excuse qui lui paraissait toujours valable, l'impolitesse qu'il avait si grande envie de faire au bon chanoine; mais on l'en dissuada: il resta donc à Naples, reçut don Ojori, lequel demeura deux heures avec lui et le quitta en lui laissant son livre.

Le lendemain, comme nous l'avons dit, le roi Ferdinand était mort.

Les médecins déclarèrent d'une voix unanime que c'était d'une attaque d'apoplexie foudroyante; mais le peuple n'en crut pas un mot. Ce qui fut la véritable cause de sa mort, selon le peuple, ce fut cette audience qu'il donna si à contre-coeur au chanoine Ojori.

Le chanoine Ojori était, avec le prince de … le plus terrible jettatore de Naples. Nous dirons dans un prochain chapitre ce que c'est que la jettatura.

XVI
La Jettatura

Naples, comme toutes les choses humaines, subit l'influence d'une double force qui régit sa destinée: elle a son mauvais principe qui la poursuit, et son bon génie qui la garde; elle a son Arimane qui la menace, et son Oromaze qui la défend; elle a son démon qui veut la perdre, elle a son patron qui espère la sauver.

Son ennemi, c'est la jettatura; son protecteur, c'est saint Janvier.

Si saint Janvier n'était pas au ciel, il y aurait long-temps que la jettatura aurait anéanti Naples; si la jettatura n'existait pas sur la terre, il y a long-temps que saint Janvier aurait fait de Naples la reine du monde.

Car la jettatura n'est pas une invention d'hier; ce n'est pas une croyance du moyen-âge, ce n'est pas une superstition du bas-empire: c'est un fléau légué par l'ancien monde au monde moderne; c'est une peste que les chrétiens ont héritée des gentils; c'est une chaîne qui passe à travers les âges, et à laquelle chaque siècle ajoute un anneau.

Les Grecs et les Romains connaissaient la jettatura: les Grecs l'appelaient [Greek: alexiana], les Romains fascinum.

La jettatura est née dans l'Olympe; c'est un fléau d'assez bonne maison, comme on voit. Maintenant à quelle occasion elle prit naissance, le voici.

Vénus, sortie de la mer depuis la veille, venait de prendre place parmi les dieux; son premier soin avait été de se choisir un adorateur dans cette auguste assemblée: Bacchus avait obtenu la préférence, Bacchus était heureux.

Toute déesse qu'elle était, Vénus se trouvait soumise aux lois de la nature comme une simple femme; en sa qualité d'immortelle, elle était destinée à les accomplir plus long-temps et plus souvent, voilà tout. Vénus s'aperçut un jour qu'elle allait être mère. Comme l'enfant qu'elle portait dans son sein était le premier de cette longue suite de rejetons dont la déesse de la beauté devait peupler les forêts d'Amathonte et les bosquets de Cythère, la découverte de son nouvel état fut accompagnée chez elle d'un sentiment de pudeur qui la détermina à le cacher aux regards de tous les dieux. Vénus annonça donc que sa santé chancelante la forçait d'habiter pendant quelque temps la campagne, et elle se retira dans les appartemens les plus reculés de son palais, à Paphos.

Tous les dieux avaient été dupes de cette fausse indisposition; il n'y avait pas jusqu'à Esculape lui-même qui n'eût déclaré que Vénus n'avait rien autre chose qu'une maladie de nerfs qui se calmerait avec des bains et du petit lait; Junon seule avait tout deviné.

Junon était experte en pareille matière. Sa stérilité la rendait jalouse: il ne s'arrondissait pas une taille dans tout l'Olympe, que la première ligne de ce changement ne lui sautât aux yeux. Elle avait suivi les progrès de celle de Vénus, et, d'avance, elle voua au malheur l'enfant qui naîtrait d'elle.

En conséquence, elle résolut de ne pas la perdre un instant de vue, afin de jeter un sort sur le malheureux fruit des entrailles de sa belle-fille. Aussi, dès que Vénus sentit les premières douleurs, Junon se présenta-t-elle aussitôt à son chevet, déguisée en sage-femme.

Vénus était fort douillette, comme toute femme à la mode doit être: elle jeta donc les hauts cris tant que dura le travail; puis enfin elle mit au jour le petit Priape.

Junon le reçut dans ses mains, et tandis que Vénus, à moitié évanouie, fermait ses beaux yeux encore tout moites de larmes, elle s'apprêta à lancer sur l'enfant la malédiction fatale qui devait influer sur le reste de sa vie.

Mais à l'instant où Junon fixait ses yeux pleins de colère sur le nouveau-né, elle s'arrêta stupéfaite. Jamais elle n'avait vu, même chez les plus grands dieux, rien de pareil à ce qu'elle voyait à cette heure.

Si court que fut ce moment d'hésitation, il sauva Priape. Bacchus, qui, du fond de l'Inde, où il était occupé à apprendre aux Birmans la meilleure manière de coller le vin, avait entendu les cris de Vénus, était accouru en toute hâte: il se précipita dans la chambre de l'accouchée, courut à l'enfant, et, dans son ardeur toute paternelle, l'arracha des bras de Junon.

Junon se crut découverte; elle sortit furieuse, sauta dans son char, et remonta au ciel. Bacchus ignorait cependant que ce fût elle; mais il la devina, au cri de ses paons d'abord, puis au rayon de lumière qu'elle laissait à sa suite. Il connaissait de longue main le caractère de sa belle-mère: lui-même avait été obligé de rester six mois caché dans la cuisse de Jupiter pour échapper à sa jalousie; il comprit que les choses se passeraient mal pour le pauvre enfant si jamais elle mettait la main sur lui: il l'emporta tout courant, et s'en alla le cacher dans l'île de Lampsaque.

Mais le bruit de ce qui s'était passé se répandit, ainsi que la circonstance à laquelle le jeune Priape avait dû la vie; il n'en fallut pas davantage pour faire croire aux anciens qu'ils avaient trouvé un remède contre la jettatura; de là certains bijoux déterrés à Herculanum et à Pompéia, qui faisaient partie de la toilette des femmes.

Chez les modernes, où ces bijoux ne sont pas de mise, les cornes les ont remplacés. Vous n'entrez pas dans une maison de Naples quelque peu aristocratique, sans que le premier objet qui frappe vos yeux dans l'antichambre ne soit une paire de cornes; plus ces cornes sont longues, plus elles sont efficaces. On les fait venir en général de Sicile; c'est là qu'on trouve les plus belles. J'en ai vu qui avaient jusqu'à trois pieds de long, et qui coûtaient cinq cents francs la paire.

Outre ces cornes à domicile, qu'on ne peut, vu leur volume, transporter facilement avec soi, on a d'autres petits cornillons que l'on porte au cou, au doigt, à la chaîne de la montre: cela se trouve à tous les coins de rue, chez tous les marchands de bric-à-brac. Ce symbole préservatif est ordinairement en corail ou en jais.

Je voudrais vous dire quelles sont les causes qui ont porté les cornes à ce degré d'honneur chez les Napolitains; mais quelque recherche que j'aie faite à ce sujet, j'avoue que je n'ai absolument rien pu découvrir sur quoi on puisse appuyer la moindre théorie ou échafauder le plus petit système. Cela est parce que cela est; ne me demandez donc point autre chose, car je serais forcé de prononcer ce mot qui coûte tant à la bouche humaine: Je ne sais pas.

Les anciens connaissaient trois moyens de jeter les sorts, car la jettatura n'est rien autre chose que la substantivation du verbe jettare, – par le toucher, par la parole, par le regard:

 
Cujus ab attractu variarum monstra ferarum
In juvenes veniunt; nulli sua mansit imago,
 

dit Ovide;

 
Quae nec pernumerare curiosi
Possint, nec mala fascinare lingua,
 

dit Catulle;

Nescio quis teneros oculis mihi fascinat agnos,

dit Virgile.

Maintenant voulez-vous voir passer cette croyance du monde païen dans le monde chrétien? écoutez saint Paul s'adressant aux Galates:

Quis vos fascinavit non obedire veritati?

Saint Paul croyait donc à la jettatura?

Maintenant passons au moyen-âge, et ouvrons Erchempert, moine du mont Cassin, qui florissait vers l'an 842:

«J'ai connu, dit le vénérable cénobite, messire Landolphe, évêque de Capoue, homme d'une singulière prudence, lequel avait l'habitude de dire: «Toutes les fois que je rencontre un moine, il m'arrive quelque chose de malheureux dans la journée. Quoties monachum visu cerno, semper mihi futura dies auspicia tristia subministrat

Or, cette croyance est encore en pleine vigueur aujourd'hui à Naples. Lorsque nous partîmes pour la Sicile, je crois avoir raconté qu'au moment de nous embarquer nous rencontrâmes un abbé, et qu'à sa vue le capitaine nous avait proposé de remettre le départ au lendemain. Nous n'en fîmes compte, et nous fûmes assaillis par une tempête qui nous tint vingt-quatre heures entre la vie et la mort.

Des trois jettature connues de l'antiquité, deux se sont perdues en route, et une seule est restée: la jettatura du régard. Il est vrai que c'est la plus terrible: «Nihil oculo nequius creatum,» dit l'Ecclésiaste, chap. 21.

Cependant, comme Dieu a voulu que le serpent à sonnettes se dénonçât lui-même par le bruit que font ses anneaux, il a imprimé au front du jettatore certains signes auxquels, avec un peu d'habitude, on peut le reconnaître. Le jettatore est ordinairement maigre et pâle, il a le nez en bec de corbin, de gros yeux qui ont quelque chose de ceux du crapaud et qu'il recouvre ordinairement, pour les dissimuler, d'une paire de lunettes: le crapaud, comme on sait, a reçu du ciel le don fatal de la jettature: il tue le rossignol en le regardant.

Donc, quand vous rencontrez dans les rues de Naples un homme fait ainsi que j'ai dit, prenez garde à vous, il y a cent à parier contre un que c'est un jettatore. Si c'est un jettatore et qu'il vous ait aperçu le premier, le mal est fait, il n'y a pas de remède, courbez la tête et attendez. Si, au contraire, vous l'avez prévenu du regard, hâtez-vous de lui présenter le doigt du milieu étendu et les deux autres fermés: le maléfice sera conjuré: —Et digitum porrigito medium, dit Martial.

Il va sans dire que, si vous porter sur vous quelque corne de jais ou de corail, vous n'avez point besoin de prendre toutes ces précautions. Le talisman est infaillible, du moins à ce que disent les marchands de cornes.

La jettatura est une maladie incurable; on naît jettatore, on meurt jettatore. On peut à la rigueur le devenir; mais une fois qu'on l'est, on ne peut plus cesser de l'être.

En général, les jettatori ignorent leur fatale influence: comme c'est un fort mauvais compliment à faire à un homme que de lui dire qu'il est jettatore, et qu'il y en a d'ailleurs qui prendraient fort mal la chose, on se contente de les éviter comme on peut, et, si l'on ne peut pas, de conjurer leur influence en tenant sa main dans la position sus-indiquée. Toutes les fois que vous voyez a Naples deux hommes causant dans la rue et que l'un des deux garde sa main pliée contre son dos, regardez bien celui avec lequel il cause; c'est un jettatore, ou du moins un homme qui a le malheur de passer pour tel.

Lorsqu'un étranger arrive à Naples, il commence par rire de la jettatura, puis peu à peu il s'en préoccupe; enfin, au bout de trois mois de séjour, vous le voyez couvert de cornes des pieds à la tête et la main droite éternellement crispée.

Rien ne garantit de la jettatura que les moyens que j'ai indiqués. Il n'y a pas de rang, il n'y a pas de fortune, il n'y a pas de position sociale qui vous mette au dessus de ses coups. Tous les hommes sont égaux devant elle.

D'un autre côté, il n'y a pas d'âge, il n'y a pas de sexe, il n'y a pas d'état pour le jettatore: il peut être également enfant ou vieillard, homme ou femme, avocat ou médecin, juge, prêtre, industriel ou gentilhomme, lazzarone ou grand seigneur; le tout est seulement de savoir si l'un ou l'autre de ces âges, l'un ou l'autre de ces sexes, l'une ou l'autre de ces conditions, ajoute ou ôte de la gravité au maléfice.

Il y a là-dessus, à Naples, un travail extrêmement développé del gentile signor Niccolo Valetta; il y discute dans un volume toutes les questions qui divisent sur ce point les savans anciens et modernes, depuis vingt-cinq siècles.

Il y est examiné:

1. Si l'homme jette le sort plus terrible que ne le fait la femme;

2. Si celui qui porte perruque est plus à craindre que celui qui n'en porte pas;

3. Si celui qui porte des lunettes n'est pas plus à craindre que celui qui porte perruque;

4. Si celui qui prend du tabac n'est pas plus à craindre encore que celui qui porte des lunettes; et si les lunettes, la perruque et la tabatière, en se combinant, triplent les forces de la jettatura;

5. Si la femme jettatrice est plus à craindre quand elle est enceinte;

6. S'il y a plus à craindre encore d'elle quand il y a certitude qu'elle ne l'est pas;

7. Si les moines sont plus généralement jettatori que les autres hommes, et parmi les moines quel est l'ordre le plus à craindre sur ce point;

8. A quelle distance se peut jeter le sort;

9. S'il se peut jeter de côté, de face ou par derrière;

10. S'il y a réellement des gestes, des sons de voix et des regards particuliers auxquels on puisse reconnaître les jettatori;

11. S'il est des prières qui puissent garantir de la jettatura, et, dans ce cas, s'il est des prières spéciales pour garantir de la jettatura qui vient des moines;

12. Enfin, si le pouvoir des talismans modernes est égal au pouvoir du talisman ancien, et laquelle est plus efficace de la corne unique ou de la corne double.

Toutes ces recherches sont consignées dans un volume qui est du plus haut intérêt et que je voudrais bien faire connaître à mes lecteurs. Malheureusement mon libraire refuse de l'imprimer dans mes notes justificatives, sous prétexte que c'est un in-folio de 600 pages. Mois j'invite tout voyageur à se le procurer, en arrivant à Naples, moyennant la modique somme de six carlins.

Maintenant que nous avons examiné la jettatura dans ses effets et ses causes, racontons l'histoire d'un jettatore.

Vanusepiirang:
12+
Ilmumiskuupäev Litres'is:
28 september 2017
Objętość:
750 lk 1 illustratsioon
Õiguste omanik:
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