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Loe raamatut: «Mémoires pour servir à l'Histoire de France sous Napoléon, Tome 2», lehekülg 14

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§ IV

Mourah-Bey, qui commandait en chef toute l'armée, vit nos colonnes s'ébranler, et ne tarda pas à deviner notre but. Quoique ce chef n'eût aucune habitude de la guerre, la nature l'avait doué d'un grand caractère, d'un courage à toute épreuve et d'un coup d'œil pénétrant. Les trois affaires que nous avions eues avec les Mamelucks, lui servaient déja d'expérience. Il sentit, avec une habileté qu'on pourrait à peine attendre du général européen le plus consommé, que le destin de la journée consistait à ne pas nous laisser exécuter notre mouvement, et à profiter de l'avantage de sa nombreuse cavalerie pour nous attaquer en marche. Il partit avec les deux tiers de ses chevaux (6 à 7,000), laissa le reste pour soutenir le camp retranché et encourager l'infanterie, et vint, à la tête de cette troupe, aborder le général Desaix qui s'avançait par l'extrémité de notre droite. Ce dernier fut un moment compromis; la charge se fit avec une telle rapidité, que nous crûmes que la confusion se mettait dans les carrés; le général Desaix, en marche à la tête de sa colonne, était engagé dans un bosquet de palmiers. Toutefois la tête des Mamelucks, qui tomba sur lui, était peu nombreuse. Leur masse n'arriva que quelques minutes après, ce retard suffit. Les carrés étaient parfaitement formés et reçurent la charge avec sang-froid. Le général Régnier appuyait leur gauche; Napoléon, qui était dans le carré du général Dugua, marcha aussitôt sur le gros des Mamelucks et se plaça entre le Nil et Régnier. Les Mamelucks furent reçus par la mitraille et une vive fusillade; une trentaine des plus braves vint mourir auprès du général Desaix; mais la masse, par un instinct naturel au cheval, tourna autour des carrés, et dès lors la charge fut manquée. Au milieu de la mitraille, des boulets, de la poussière, des cris et de la fumée, une partie des Mamelucks rentra dans le camp retranché, par un mouvement naturel au soldat, de faire sa retraite vers le lieu d'où il est parti. Mourah-Bey et les plus habiles se dirigèrent sur Gizeh. Ce commandant en chef se trouva ainsi séparé de son armée. La division Bon et Menou, qui formait notre gauche, se porta alors sur le camp retranché; et le général Rampon, avec deux bataillons, fut détaché pour occuper une espèce de défilé, entre Gizeh et le camp.

§ V

La plus horrible confusion régnait à Embabeh; la cavalerie s'était jetée sur l'infanterie, qui, ne comptant pas sur elle, et voyant les Mamelucks battus, se précipita sur les djermes, kaïkes et autres bateaux, pour repasser le Nil. Beaucoup le firent à la nage; les Égyptiens excellent dans cet exercice, que les circonstances particulières de leur pays leur rendent nécessaire. Les quarante pièces de canon, qui défendaient le camp retranché, ne tirèrent pas deux cents coups. Les Mamelucks, s'apercevant bientôt de la fausse direction qu'ils avaient donnée à leur retraite, voulurent reprendre la route de Gizeh; ils ne le purent. Les deux bataillons, placés entre le Nil et Gizeh, et soutenus par les autres divisions, les rejetèrent dans le camp. Beaucoup y trouvèrent la mort, plusieurs milliers essayèrent de traverser le Nil qui les engloutit. Retranchements, artillerie, pontons, bagages, tout tomba en notre pouvoir. De cette armée de plus de 60,000 hommes, il n'échappa que 2,500 cavaliers avec Mourah-Bey; la plus grande partie de l'infanterie se sauva à la nage ou dans des bateaux. On porte à 5,000 les Mamelucks qui furent noyés dans cette bataille. Leurs nombreux cadavres portèrent en peu de jours jusqu'à Damiette et Rosette, et le long du rivage, la nouvelle de notre victoire.

Ce fut au commencement de cette bataille, que Napoléon adressa aux soldats, ces paroles devenues si célèbres: Du haut de ces pyramides quarante siècles vous contemplent!!!

Il était nuit lorsque les trois divisions Desaix, Régnier et Dugua revinrent à Gizeh. Le général en chef y plaça son quartier-général dans la maison de campagne de Mourah-Bey.

§ VI

Les Mamelucks avaient sur le Nil une soixantaine de bâtiments, chargés de toutes leurs richesses. Voyant l'issue inopinée du combat, et nos canons déja placés sur le fleuve au-delà des débouchés de l'île de Rodah, ils perdirent l'espérance de les sauver, et y mirent le feu. Pendant toute la nuit, aux travers des tourbillons de flammes et de fumée, nous apercevions se dessiner les minarets et les édifices du Caire et de la ville des Morts. Ces tourbillons de flammes éclairaient tellement, que nous pouvions découvrir jusqu'aux Pyramides.

Les Arabes, selon leur coutume après une défaite, se rallièrent loin du champ de bataille, dans le désert au-delà des Pyramides.

Durant plusieurs jours, toute l'armée ne fut occupée qu'à pêcher les cadavres des Mamelucks; leurs armes qui étaient précieuses, la quantité d'or qu'ils étaient accoutumés à porter avec eux, rendait le soldat très-zélé pour cette recherche.

Notre flottille n'avait pu suivre le mouvement de l'armée, le vent lui avait manqué. Si nous l'avions eue, la journée n'eût pas été plus décisive, mais nous aurions fait probablement un grand nombre de prisonniers, et pris toutes les richesses qui ont été la proie des flammes. La flottille avait entendu notre canon, malgré le vent du nord qui soufflait avec violence. A mesure qu'il se calma, le bruit du canon allait augmentant, de sorte qu'à la fin il paraissait s'être rapproché d'elle, et que le soir les marins crurent la bataille perdue; mais la multitude de cadavres qui passèrent près de leurs bâtiments, et qui tous étaient Mamelucks, les rassura bientôt.

Ce ne fut que long-temps après sa fuite que Mourah-Bey s'aperçut qu'il n'était suivi que par une partie de son monde, et qu'il reconnut la faute qu'avait faite sa cavalerie, de rester dans le camp retranché. Il essaya plusieurs charges pour lui rouvrir le passage, mais il était trop tard. Les Mamelucks, eux-mêmes, avaient la terreur dans l'ame, et agirent mollement. Les destins avaient prononcé la destruction de cette brave et intrépide milice, sans contredit l'élite de la cavalerie d'Orient. La perte de l'ennemi dans cette journée peut être évaluée à 10,000 hommes restés sur le champ de bataille ou noyés, tant Mamelucks, que janissaires, miliciens du Caire et esclaves des Mamelucks. On fit un millier de prisonniers, et l'on s'empara de huit à neuf cents chameaux et d'autant de chevaux.

§ VII

Sur les neuf heures du soir, Napoléon entra dans la maison de campagne de Mourah-Bey, à Gizeh. Ces sortes d'habitations ne ressemblent en rien à nos châteaux. Nous eûmes beaucoup de peine à nous y loger, et à reconnaître la distribution des différentes pièces. Mais ce qui frappa le plus agréablement les officiers, ce fut une grande quantité de coussins et de divans couverts des plus beaux damas et des plus belles soieries de Lyon, et ornés de franges d'or. Pour la première fois, nous trouvâmes en Égypte le luxe et les arts de l'Europe. Une partie de la nuit se passa à parcourir dans tous les sens cette singulière maison. Les jardins étaient remplis d'arbres magnifiques, mais ils étaient sans allées, et ressemblaient assez aux jardins de certaines religieuses d'Italie. Ce qui fit le plus de plaisir aux soldats, car chacun y accourut, ce furent de grands berceaux de vignes, chargés des plus beaux raisins du monde. La vendange fut bientôt faite.

Les deux divisions Bon et Menou qui étaient restées dans le camp retranché étaient aussi dans la plus grande abondance. On avait trouvé dans les bagages nombre de cantines remplies d'office, de pots de confiture, des sucreries. On rencontrait à chaque instant des tapis, des porcelaines, des cassolettes et une foule de petits meubles à l'usage des Mamelucks, qui excitaient notre curiosité. L'armée commença alors à se réconcilier avec l'Égypte, et à croire enfin que le Caire n'était pas Damanhour.

§ VIII

Le lendemain, à la pointe du jour, Napoléon se porta sur la rivière, et s'emparant de quelques barques, il fit passer le général Vial avec sa division dans l'île de Rodah. On s'en rendit maître après avoir tiré quelques coups de fusil. Du moment où l'on eut pris possession de l'île de Rodah et placé un bataillon dans le mékias et des sentinelles le long du canal, le Nil dut être considéré comme passé; on n'était plus séparé de Boulac et du vieux Caire que par un grand canal. On visita l'enceinte de Gizeh, et on travailla sur-le-champ à en fermer les portes. Gizeh était environné d'une muraille assez vaste pour renfermer tous nos établissements et assez forte pour contenir les Mamelucks et les Arabes. Nous attendions avec impatience l'arrivée de la flottille; le vent du nord soufflait comme à l'ordinaire, et cependant elle ne venait pas! Le Nil étant bas, l'eau lui avait manqué, les bâtiments étaient engravés. Le contre-amiral Perré fit dire qu'on ne devait pas compter sur lui et qu'il ne pouvait désigner le jour de son arrivée. Cette contrariété était extrême, car il fallait s'emparer du Caire dans le premier moment de stupeur, au lieu de laisser aux habitants, en perdant quarante-huit heures, le temps de revenir de leur épouvante. Heureusement qu'à la bataille, ce n'était pas les Mamelucks seuls qui avaient été vaincus, les janissaires du Caire et tout ce que cette ville contenait de braves et d'hommes armés y avaient aussi pris part et étaient dans la dernière consternation. Tous les rapports sur cette affaire donnaient aux Français un caractère qui tenait du merveilleux.

§ IX

Un drogman fut envoyé par le général en chef vers le pacha et le cadi-scheick, iman de la grande mosquée, et les proclamations que Napoléon avait publiées à son entrée en Égypte furent répandues. Le pacha était déja parti, mais il avait laissé son kiaya. Celui-ci crut de son devoir de venir à Gizeh, puisque le général en chef déclarait que ce n'était pas aux Turcs, mais aux Mamelucks qu'il faisait la guerre. Il eut une conférence avec Napoléon, qui le persuada. C'était d'ailleurs ce que ce kiaya avait de mieux à faire. En cédant à Napoléon, il entrevoyait l'espérance de jouer un grand rôle et de bâtir sa fortune. En refusant, il courait à sa perte. Il se rangea donc sous l'obéissance du général en chef et promit de chercher à persuader à Ibrahim-Bey de se retirer et aux habitants du Caire de se soumettre. Le lendemain une députation des scheicks du Caire vint à Gizeh et fit connaître que Ibrahim-Bey était déja sorti et était allé camper à Birket-el-Hadji, que les janissaires s'étaient assemblés et avaient décidé de se rendre, et que le scheick de la grande mosquée de Jemilazar avait été chargé d'envoyer une députation pour traiter de la reddition de la ville et implorer la clémence du vainqueur. Les députés restèrent plusieurs heures à Gizeh, où on employa tous les moyens qu'on crut les plus efficaces pour les confirmer dans leurs bonnes dispositions et leur donner de la confiance. Le jour suivant, le général Dupuy fut envoyé au Caire comme commandant d'armes et l'on prit possession de la citadelle. Nos troupes passèrent le canal et occupèrent le vieux Caire et Boulac. Le général en chef fit son entrée au Caire le 26 juillet, à quatre heures après midi. Il alla loger sur la place El-Bekir, dans la maison d'Elfy-Bey et y transporta son quartier-général. Cette maison était placée à une des extrémités de la ville et le jardin communiquait avec la campagne.

§ X

Le Caire est situé à une demie-lieue du Nil; le vieux Caire et Boulac sont ses ports. Il est traversé par un canal ordinairement à sec; mais qui se remplit pendant l'inondation, au moment où l'on coupe la digue, opération qui ne se fait que lorsque le Nil est à une certaine hauteur; c'est l'objet d'une fête publique. Alors le canal communique son eau à des canaux nombreux, et la place d'El-Békir, ainsi que la plupart des places et des jardins du Caire, est couverte d'eau. Lors des inondations, on traverse tous ces quartiers avec des bateaux. Le Caire est dominé par une citadelle placée sur un mamelon qui commande toute la ville. Elle est séparée du Mokattam par un vallon. Un aquéduc, ouvrage assez remarquable, porte de l'eau à la citadelle. Il y a, à cet effet, au vieux Caire une énorme tour octogone très-haute qui renferme le réservoir où les eaux du Nil sont élevées par une machine hydraulique et d'où elles entrent dans l'aquéduc. La citadelle tire aussi de l'eau du puits de Joseph, mais cette eau est moins bonne que celle du Nil. Cette forteresse était négligée, sans défense, et tombait en ruines. On s'occupa immédiatement de la réparer, et depuis on y a constamment travaillé. Le Caire est environné de hautes murailles bâties par les Arabes et surmontées de tours énormes; ces murailles étaient en mauvais état et tombaient de vétusté; les Mamelucks ne réparaient rien. La ville est grande; la moitié de son enceinte confine avec le désert, de sorte qu'on trouve des sables arides en sortant par la porte de Suèz et celles qui sont du côté de l'Arabie.

La population du Caire était considérable, on y comptait 210,000 habitants. Les maisons sont fort élevées et les rues étroites, afin d'être à l'abri du soleil. C'est pour le même motif que les bazars ou marchés publics sont couverts de toiles ou paillassons. Les beys ont de très-beaux palais d'une architecture orientale, qui tient plutôt de celle des Indes que de la nôtre. Les scheicks ont aussi de très-belles maisons. Les okels sont de grands bâtiments carrés qui ont de vastes cours intérieures et où sont renfermées des corporations entières de marchands. Ainsi il y a l'okel du riz du Seur, l'okel des marchands de Suèz, de Syrie. Tous ont à l'extérieur, et donnant sur les rues, de petites boutiques de douze à quinze pieds carrés, où se tient le marchand avec les échantillons de ses marchandises. Le Caire a un grand nombre de mosquées les plus belles du monde; les minarets sont riches et nombreux. Les mosquées servent en général à recevoir les pélerins qui y couchent. Il en est qui contiennent quelquefois jusqu'à 3,000 pélerins; de ce nombre est celle de Jemilazar, qu'on cite comme la plus grande de l'Orient. Ces mosquées se composent d'ordinaire de cours dont le pourtour est environné de colonnes énormes, couvertes par des terrasses; dans l'intérieur se trouvent une foule de bassins ou réservoirs d'eau pour boire et pour se laver. Il y a dans un quartier quelques familles européennes, c'est le quartier des Francs; l'on y rencontre un certain nombre de maisons, comme celles que peut avoir en Europe un négociant de 30 à 40,000 livres de rente; elles sont meublées à l'européenne avec des chaises et des lits; des églises pour les Cophtes, et quelques couvents pour les catholiques syriens.

A côté de la ville du Caire, du côté du désert, se trouve la ville des Morts. Cette ville est plus grande que le Caire même; c'est-là que toutes les familles ont leur sépulture. Une multitude de mosquées, de tombeaux, de minarets et de dômes conservent le souvenir des grands qui y ont été enterrés et qui les ont fait bâtir. Beaucoup de tombeaux ont des gardiens qui y entretiennent des lampes allumées et en font voir l'intérieur aux curieux. Les familles des morts, ou des fondations, pourvoyent à ces dépenses. Le peuple lui-même a des tombeaux distingués par famille ou par quartier, qui s'élèvent à deux pieds de terre.

Il y a au Caire une foule de cafés; on y prend du café, des sorbets ou de l'opium, et on y disserte sur les affaires publiques.

Autour de cette ville, ainsi qu'auprès d'Alexandrie, Rozette, etc., on trouve des monticules assez élevés; ils sont tous formés de ruines et de décombres et s'accroissent tous les jours parce que tous les débris de la ville y sont portés; cela produit un effet désagréable. Les Français avaient établi des lois de police pour arrêter le mal, et l'institut discuta les moyens de le faire entièrement disparaître. Mais il se présenta des difficultés. L'expérience avait prouvé aux gens du pays qu'il était dangereux de jeter ces débris dans le Nil, parce qu'ils encombraient les canaux ou se répandaient dans la campagne avec l'inondation. Ces ruines sont la suite de la décadence du pays dont on aperçoit les marques à chaque pas.

MÉMOIRES DE NAPOLÉON

ÉGYPTE. – RELIGION

Du christianisme. – De l'islamisme. – Différence de l'esprit des deux religions. – Haine des califes contre les bibliothèques. – De la durée des empires en Asie. – Polygamie. – Esclavage. – Cérémonies religieuses. – Fête du prophète.

§ Ier

La religion chrétienne est la religion d'un peuple civilisé, elle est toute spirituelle; la récompense que Jésus-Christ promet aux élus, est de contempler Dieu face à face. Dans cette religion, tout est pour amortir les sens, rien pour les exciter. La religion chrétienne a été trois ou quatre siècles à s'établir, ses progrès ont été lents. Il faut du temps pour détruire, par la seule influence de la parole, une religion consacrée par le temps. Il en faut davantage quand la nouvelle ne sert et n'allume aucune passion.

Les progrès du christianisme furent le triomphe des Grecs sur les Romains. Ces derniers avaient soumis, par la force des armes, toutes les républiques grecques; celles-ci dominèrent leurs vainqueurs par les sciences et les arts. Toutes les écoles de philosophie, d'éloquence, tous les ateliers de Rome étaient tenus par des Grecs. La jeunesse romaine ne croyait pas avoir terminé ses études, si elle n'était allée se perfectionner à Athènes. Différentes circonstances favorisèrent encore la propagation de la religion chrétienne. L'apothéose de César et d'Auguste fut suivie de celles des plus abominables tyrans; cet abus de polythéisme rallia à l'idée d'un seul Dieu créateur et maître de l'univers. Socrate avait déja proclamé cette grande vérité: le triomphe du christianisme, qui la lui emprunta, fut, comme nous l'avons dit plus haut, une réaction des philosophes de la Grèce sur leurs conquérants. Les saints pères étaient presque tous Grecs. La morale qu'ils prêchèrent fut celle de Platon. Toute la subtilité que l'on remarque dans la théologie chrétienne, est due à l'esprit des sophistes de son école.

Les chrétiens, à l'exemple du paganisme, crurent les récompenses d'une vie future insuffisantes pour réprimer les désordres, les vices et les crimes qui naissent des passions; ils firent un enfer tout physique avec des peines toutes corporelles. Ils enchérirent de beaucoup sur leurs modèles, et donnèrent même à ce dogme tant de prépondérance, que l'on peut dire avec raison que la religion du Christ est une menace.

§ II

L'islamisme est la religion d'un peuple dans l'enfance; il naquit dans un pays pauvre et manquant des choses les plus nécessaires à la vie. Mahomet a parlé aux sens, il n'eût point été entendu par sa nation, s'il n'eût parlé qu'à l'esprit. Il promit à ses sectateurs des bains odoriférants, des fleuves de lait, des houris blanches aux yeux noirs, et l'ombre perpétuelle des bosquets. L'Arabe qui manquait d'eau et était brûlé par un soleil ardent, soupirait pour l'ombrage et la fraîcheur, et fit tout pour obtenir une pareille récompense. Ainsi l'on peut dire par opposition au christianisme, que la religion de Mahomet est une promesse.

L'islamisme attaque spécialement les idolâtres; il n'y a point d'autre Dieu que Dieu, et Mahomet est son prophète: voilà le fondement de la religion musulmane; c'était, dans le point le plus essentiel, consacrer la grande vérité annoncée par Moïse et confirmée par Jésus-Christ. On sait que Mahomet avait été instruit par des juifs et des chrétiens. Ces derniers étaient une espèce d'idolâtres à ses yeux. Il entendait mal le mystère de la trinité, et l'expliquait comme la reconnaissance de trois dieux. Quoi qu'il en soit, il persécuta les chrétiens avec beaucoup moins d'acharnement que les païens. Les premiers pouvaient se racheter en payant un tribut. Le dogme de l'unité de Dieu que Jésus-Christ et Moïse avaient si répandu, le Koran le porta dans l'Arabie, l'Afrique et jusqu'aux extrémités des Indes. Considérée sous ce point de vue, la religion mahométane a été la succession des deux autres; toutes les trois ont déraciné le paganisme.

§ III

Né chez un peuple corrompu, assujetti, comprimé, le christianisme prêcha la soumission et l'obéissance, afin de désintéresser les souverains. Il chercha à s'établir par l'insinuation, la persuasion et la patience. Jésus-Christ, simple prédicateur, n'exerça aucun pouvoir sur la terre, mon règne n'est pas de ce monde, disait-il. Il le prêchait dans le temple, il le prêchait en particulier à ses disciples. Il leur accorda le don de la parole, fit des miracles, ne se révolta jamais contre la puissance établie, et mourut sur une croix, entre deux larrons, en exécution du jugement d'un simple préteur idolâtre.

La religion mahométane née chez une nation guerrière et libre, prêcha l'intolérance et la destruction des infidèles. A l'opposé de Jésus-Christ, Mahomet fut roi! Il déclara que tout l'univers devait être soumis à son empire, et ordonna d'employer le sabre pour anéantir l'idolâtre et l'infidèle. Les tuer fut une œuvre méritoire. Les idolâtres qui étaient en Arabie furent bientôt convertis ou détruits. Les infidèles qui étaient en Asie, en Syrie, et en Égypte furent attaqués et conquis. Aussitôt que l'islamisme eut triomphé à la Mecque et à Médine, il servit de point de ralliement aux diverses tribus d'Arabes. Toutes furent fanatisées, et une nation entière se précipita sur ses voisins.

Les successeurs de Mahomet régnèrent sous le titre de califes. Ils réunissaient à la fois le glaive et l'encensoir. Les premiers califes prêchaient tous les jours dans la mosquée de Médine ou dans celle de la Mecque, et de là envoyaient des ordres à leurs armées, qui déja couvraient une partie de l'Afrique et de l'Asie. Un ambassadeur de Perse, qui arriva à Médine, fut fort étonné de trouver le calife Omar dormant au milieu d'une foule de mendiants sur le seuil de la mosquée. Dans la suite, lorsque Omar se rendit à Jérusalem, il voyageait sur un chameau qui portait ses provisions, n'avait qu'une tente de toile grossière, et n'était distingué des autres musulmans que par son extrême simplicité. Durant les dix années de son règne, il conquit quarante mille villes, détruisit cinquante mille églises, fit bâtir deux mille mosquées. Le calife Aboubeker qui ne prenait au trésor, pour sa maison, que trois pièces d'or par jour, en donnait cinq cents à chaque Mossen, qui s'était trouvé avec le prophète au combat de Bender.

Les progrès des Arabes furent rapides; leurs armées mues par le fanatisme attaquèrent à la fois l'empire romain et celui de Perse. Ce dernier fut subjugué en peu de temps, et les musulmans pénétrèrent jusqu'aux frontières de l'Oxus, s'emparèrent de trésors innombrables, détruisirent l'empire de Cosroès, et s'avancèrent jusqu'à la Chine. Les victoires qu'ils remportèrent en Syrie, à Aiquadie, à Dyrmonck, leur livrèrent Damas, Alep, Émesse, Césarée, Jérusalem. La prise de Pelouse et d'Alexandrie les rendit maîtres de l'Égypte. Tout ce pays était cophte et fort séparé de Constantinople par les discussions d'hérésie. Kaleb, Derar, Amroug, surnommés les glaives ou les épées du prophète, n'éprouvèrent aucune résistance. Tout obstacle eût été inutile. Au milieu des assauts, au milieu des batailles, ces guerriers voyaient des houris au teint blanc et aux yeux bleus ou noirs, couvertes de chapeaux de diamants, qui les appelaient et leur tendaient les bras; leurs ames s'enflammaient à cette vue, ils s'élançaient en aveugles et cherchaient la mort qui allait mettre ces beautés en leur puissance. C'est ainsi qu'ils se sont rendus maîtres des belles plaines de la Syrie, de l'Égypte et de la Perse; c'est ainsi qu'ils ont soumis le monde.