Lugege ainult LitRes'is

Raamatut ei saa failina alla laadida, kuid seda saab lugeda meie rakenduses või veebis.

Loe raamatut: «Œuvres de Napoléon Bonaparte, Tome V», lehekülg 14

Font:

CAMPAGNE DE FRANCE
LIVRE NEUVIÈME

Saint-Dizier, 28 janvier 1814.
A S. M. l'impératrice-reine et régente

L'ennemi était ici depuis deux jours, y commettant les plus affreuses vexations: il ne respectait ni l'âge ni le sexe; les femmes et les vieillards étaient en butte à ses violences et à ses outrages. La femme du sieur Canard, riche fermier, âgée de cinquante ans, est morte des mauvais traitemens qu'elle a éprouvés: son mari, plus que septuagénaire, est à la mort. Il serait trop douloureux de rapporter ici la liste des autres victimes. L'arrivée des troupes françaises entrées hier dans notre ville a mis un terme à nos malheurs. L'ennemi ayant voulu opposer quelque résistance, a été bientôt mis en déroute avec une perte considérable. L'entrée de S. M. l'empereur a donné lieu aux scènes les plus touchantes. Toute la population se pressait autour de lui; tous les maux paraissaient oubliés. Il nous rendait la sécurité pour tout ce que nous avons de plus cher. Un vieux colonel, M. Bouland, âgé de soixante-dix ans, s'est jeté à ses pieds, qu'il baignait de larmes de joie. Il exprimait tout à la fois la douleur qu'un brave soldat avait ressentie en voyant les ennemis souiller le sol natal, et le bonheur de les voir fuir devant les aigles impériales.

Nous apprenons que le même enthousiasme qui a éclaté ici s'est manifesté à Bar, à l'arrivée de nos troupes. L'ennemi avait déjà pris la fuite.

A S. M. l'impératrice-reine et régente

Après la prise de Saint-Dizier, l'empereur s'est porté sur les derrières de l'ennemi à Brienne, l'a battu le 29, et s'est emparé de la ville et du château après une affaire d'arrière-garde assez vive.

Brienne, 31 janvier 1814.
A S.M. l'impératrice-reine et régente

Ce n'est pas seulement une arrière-garde, c'est l'armée du général Blücher, forte de quarante mille hommes, qui était ici lorsqu'elle a été attaquée le 29 par notre armée. Le combat a été très-vif. L'ennemi a laissé la grande avenue qui mène au château, les rues, les places et les vergers encombrés de ses morts. Sa perte est au moins de quatre mille hommes, non compris beaucoup de prisonniers.

Le général Blücher ne savait pas que l'empereur était à l'armée.

M. de Hardenberg, neveu du chancelier de Prusse, et commandant le quartier-général, a été pris au bas de la montée du château. Le général Blücher descendait alors du château, à pied, avec son état-major. Il a été lui-même au moment d'être fait prisonnier.

L'ennemi, pour embarrasser la poursuite des Français, a mis le feu aux maisons de la grande rue, qui étaient les plus belles de la ville. Il y a bien peu de nos citoyens qui n'aient éprouvé des violences personnelles pendant le court séjour de l'ennemi; il n'en est aucun qui n'ait été dépouillé de tout ce qu'il possédait.

Notre armée a poursuivi l'ennemi jusqu'à trois lieues de Bar-sur-Aube. Elle est belle, nombreuse et pleine d'ardeur. On est occupé à rétablir les différent ponts sur l'Aube.

Le 3 février 1814.
A S.M. l'impératrice-reine et régente

L'empereur est entré à Vitry le 26 janvier.

Le général Blücher, avec l'armée de Silésie, avait passé la Marne et marchait sur Troyes. Le 27, l'ennemi entra à Brienne, et continua sa marche; mais il dut perdre du temps pour rétablir le pont de Lesmont sur l'Aube.

Le 27, l'empereur fit attaquer Saint-Dizier. Le duc de Bellune se présenta devant cette ville; le général Duhesme culbuta l'arrière-garde ennemie qui y était encore, et fit quelques centaines de prisonniers. A huit heures du matin, l'empereur arriva à Saint-Dizier; il est difficile de se peindre l'ivresse et la joie des habitans dans ce moment. Les vexations de toutes espèces que commettent les ennemis, et surtout les cosaques, sont au-dessus de tout ce que l'on peut dire.

Le 28, l'empereur se porta sur Montierender.

Le 29, à huit heures du matin, le général Grouchy, qui commande la cavalerie, fit prévenir que le général Milhaud, avec la cinquième corps de cavalerie, était en présence, entre Maizières et Brienne, de l'armée ennemie commandée par le général Blücher, et qu'on évaluait à quarante mille Russes et Prussiens, les Russes commandés par le général Sacken.

A quatre heures, la petite ville de Brienne fut attaquée. Le général Lefèvre-Desnouettes, commandant une division de cavalerie de la garde, et les généraux Grouchy et Milhaud, exécutèrent plusieurs belles charges, sur la droite de la route, et s'emparèrent de la hauteur de Perthe.

Le prince de la Moskwa se mit à la tête de six bataillons en colonne serrée, et se porta sur la ville par le chemin de Maizières. Le général Château, chef d'état-major du duc de Bellune, à la tête de deux bataillons, tourna par la droite, et s'introduisit dans le château de Brienne par le parc.

Dans ce moment l'empereur dirigea une colonne sur la route de Bar-sur-Aube, qui paraissait être la retraite de l'ennemi; l'attaque fut vive et la résistance opiniâtre. L'ennemi ne s'attendait pas à une attaque aussi brusque, et n'avait eu que le temps de faire revenir ses parcs du pont de Lesmont, où il comptait passer l'Aube pour marcher en avant. Cette contre-marche l'avait fort encombré.

La nuit ne mit pas fin au combat. La division Decouz, de la jeune garde, et une brigade de la division Meusnier furent engagées. La grande quantité de forces de l'ennemi et la belle situation de Brienne lui donnaient bien des avantages, mais la prise du château, qu'il avait négligé de garder en force, les lui fit perdre.

Vers les huit heures, voyant qu'il ne pouvait plus se maintenir, il mit le feu à la ville, et l'incendie se propagea avec rapidité, toutes les maisons étant de bois.

Profitant de cet événement, il chercha à reprendre le château, que le brave chef de bataillon Henders, du cinquante-sixième régiment, défendit avec intrépidité. Il joncha de morts toutes les approches du château, et spécialement les escaliers du côté du parc. Ce dernier échec décida la retraite de l'ennemi, que favorisait l'incendie de la ville.

Le 30, à onze heures du matin, le général Grouchy et le duc de Bellune le poursuivirent jusqu'au-delà du village de la Rothière, où ils prirent position.

La journée du 31 fut employée par nous à réparer le pont de Lesmont-sur-Aube, l'empereur voulant se porter sur Troyes pour opérer sur les colonnes qui se dirigeaient par Bar-sur-Aube et par la route d'Auxerre sur Sens.

Le pont de Lesmont ne put être rétabli que le premier février au matin. On fît filer sur-le-champ une partie des troupes.

A trois heures après-midi, l'ennemi ayant été renforcé de toute son armée, déboucha sur la Rothière et Dienville que nous occupions encore. Notre arrière-garde fit bonne contenance. Le général Duhesme s'est fait remarquer en conservant la Rothière, et le général Gérard en conservant Dienville. Le corps autrichien du général Giulay, qui voulait passer de la rive gauche sur la droite et forcer le pont, a eu plusieurs de ses bataillons détruits. Le duc de Bellune tint toute la journée au hameau de la Giberie, malgré l'énorme disproportion de son corps avec les forces qui l'attaquaient.

Cette journée, où notre arrière-garde tint dans une vaste plaine centre toute l'armée ennemie et des forces quintuples, est un des beaux faits d'armes de l'armée française.

Au milieu de l'obscurité de la nuit, une batterie d'artillerie de la garde suivant le mouvement d'une colonne de cavalerie qui se portait en avant pour repousser une charge de l'ennemi, s'égara et fut prise. Lorsque les canonnières s'aperçurent de l'embuscade dans laquelle ils étaient tombés, et virent qu'ils n'avaient pas le temps de se mettre en batterie, ils se fermèrent aussitôt en escadron, attaquèrent l'ennemi et sauvèrent leurs chevaux et leurs attelages. Ils ont perdu quinze hommes tués ou faits prisonniers.

A dix heures du soir, le prince de Neufchâtel visitant les postes, trouva les deux armées si près l'une de l'autre, qu'il prit plusieurs fois les postes de l'ennemi pour les nôtres. Un de ses aides-de-camp se trouvant à dix pas d'une vedette, fut fait prisonnier. Le même accident est arrivé à plusieurs officiers russes qui portaient le mot d'ordre et qui se jetèrent dans nos postes croyant arriver sur les leurs.

Il y a eu peu de prisonniers de part et d'autre. Nous en avons fait deux cent cinquante.

Le 2 février, à la pointe du jour, toute l'arrière-garde de l'armée était en bataille devant Brienne. Elle prit successivement des positions pour achever de passer le pont de Lesmont et de rejoindre le reste de l'armée.

Le duc de Raguse, qui était en position sur le pont de Rosnay, fut attaqué par un corps autrichien qui avait passé derrière les bois. Il le repoussa, fit trois cents prisonniers et chassa l'ennemi au-delà de la petite rivière de Voire.

Le 3 février, à midi, l'empereur est entré dans Troyes.

Nous avons perdu au combat de Brienne le brave général Baste. Le général Lefêvre-Desnouettes a été blessé d'un coup de baïonnette. Le général Forestier a été grièvement blessé. Notre perte dans ces deux journées peut s'élever de deux à trois mille hommes tués ou blessés. Celle de l'ennemi est au moins du double.

Une division tirée du corps d'armée ennemi qui observe Metz, Thionville et Luxembourg, et forte de douze bataillons, s'est portée sur Vitry. L'ennemi a voulu entrer dans cette ville que le général Montmarie et les habitans ont défendue. Il a jeté en vain des obus pour intimider les habitans; il a été reçu à coups de canon et repoussé à une lieue et demie. Le duc de Tarente arrivait à Châlons et marchait sur cette division.

Le 4 au matin, le comte de Stadion, le comte Razumowski, lord Castlereagh et le baron de Humboldt sont arrivés à Châtillon-sur-Seine où était déjà le duc de Vicence. Les premières visites ont été faites de part et d'autre, et le soir du même jour la première conférence des plénipotentiaires devait avoir lieu.

A S. M. l'impératrice-reine et régente

L'empereur a attaqué, hier, à Champaubert, l'ennemi fort de douze régimens, et ayant quarante pièces de canon.

Le général en chef Ousouwieff a été pris avec tous ses généraux, tous ses colonels, officiers, canons, caissons et bagages.

On avait fait six mille prisonniers; le reste avait été jeté dans un étang, ou tué sur le champ de bataille.

L'empereur suit vivement le général Sacken, qui se trouve séparé d'avec le général Blücher.

Notre perte a été extrêmement légère; nous n'avons pas deux cents hommes à regretter.

A S. M. l'impératrice-reine et régente

Le 11 février, au point du jour, l'empereur, parti de Champaubert après la journée du 10, a poussé un corps sur Châlons, pour contenir les colonnes ennemies qui s'étaient rejetées de ce côté.

Avec le reste de son armée, il a pris la route de Montmirail.

A une lieue au-delà, il a rencontré le corps du général Blücher, et, après deux heures de combat, toute l'armée ennemie a été culbutée.

Jamais nos troupes n'ont montré plus d'ardeur.

L'ennemi, enfoncé de toutes parts, est dans une déroute complète: infanterie, artillerie, munitions, tout est en notre pouvoir ou culbuté.

Les résultats sont immenses; l'armée russe est détruite.

L'empereur se porte à merveille, et nous n'avons perdu personne de marque.

A S. M. l'impératrice-reine et régente

Le 12 février l'empereur a poursuivi ses succès. Blücher cherchait à gagner Château-Thierry. Ses troupes ont été culbutées de position en position.

Un corps entier qui était resté réuni, et qui protégeait sa retraite, a été enlevé.

Cette arrière-garde était composée de quatre bataillons russes, trois bataillons prussiens, et de trois pièces de canon. Le général qui la commandait aussi été pris.

Nos troupes sont entrées pêle-mêle avec l'ennemi dans Château-Thierry, et suivent, sur la route de Soissons, les débris de cette armée, qui est dans une horrible confusion.

Les résultats de la journée d'aujourd'hui sont trente pièces de canon, et une quantité innombrable de voitures de bagages.

On comptait déjà trois mille prisonniers: il en arrive à chaque instant. Nous avons encore deux heures de jour.

On compte parmi les prisonniers cinq à six généraux, qui sont dirigés sur Paris.

On croit le général en chef Saken tué.

Le 7 février 1814.
A S. M. l'impératrice-reine et régente

Le 3 février, deux heures après son entrée à Troyes, S. M. a fait partir le duc de Trévise pour les Maisons-Blanches. Une division autrichienne, commandée par le prince Liechtenstein, s'était portée sur ce point, qui est à deux lieues de la ville; elle a été vivement repoussée et rejetée à deux lieues plus loin.

Le 4 au soir, le quartier-général de l'empereur de Russie était à Lusigny près Vandoeuvre, à deux lieues de Troyes, où se trouvaient la garde russe et l'armée ennemie. L'ennemi voulait entrer le soir dans Troyes. Il marcha sur le pont de la Guillotière; il y éprouva une vive résistance. Sa première attaque fut repoussé. Des cavaliers prisonniers lui apprirent que l'empereur était à Troyes. Il jugea alors devoir faire d'autres dispositions. Au même moment, le duc de Trévise faisait attaquer le pont de Clérey, qu'occupait la division du général Bianchi. L'ennemi fut chassé. Le général de division Briche, avec ses dragons, fit une charge dans laquelle il prit cent soixante hommes, et en tua une centaine à l'ennemi.

Le lendemain 5, l'empereur se disposait à passer le pont de la Guillotière et à attaquer l'ennemi, lorsque S. M. apprit qu'il avait battu en retraite et rétrogradé d'une marche sur Vandoeuvre.

Le 6, les dispositions furent faites pour menacer Bar-sur-Seine. Quelques attaques eurent lieu sur cette route. On prit à l'ennemi une trentaine d'hommes, une pièce de canon et un caisson.

Pendant ce temps, l'armée se mettait en marche pour Nogent, afin de tomber sur les colonnes ennemies qui ont occupé Châlons et Vitry, et qui menaçaient Paris par la Ferté-sous-Jouarre et Meaux.

Le 7 au matin, le duc de Tarente avait son quartier-général près de Chaville, entre Épernay et Châlons.

Les divisions de gardes nationales d'élite venues à Montereau de Normandie et de Bretagne, se sont mises en mouvement, sous le commandement du général Pajol.

La division de l'armée d'Espagne, commandée par le général Leval, est arrivée à Provins; les autres suivent. Ces troupes sont composées de soldats qui ont fait les campagnes d'Autriche et de Pologne. Elles sont remplacées à l'armée d'Espagne par les cinq divisions de réserve.

Aujourd'hui 7, à midi, l'empereur est arrivé à Nogent.

Tout est en mouvement pour manoeuvrer.

L'exaspération des habitans est à son comble. L'ennemi commet partout les plus horribles vexations.

Toutes les mesures sont prises pour qu'au premier mouvement rétrograde il soit enveloppé de tous côtés.

Des millions de bras n'attendent que ce moment pour se lever. La terre sacrée que l'ennemi a violée, sera pour lui une terre de feu qui le dévorera.

Le 12 février 1814.
A S. M. l'impératrice-reine et régente

Le 10, l'empereur avait son quartier-général à Sézanne.

Le duc de Tarente était à Meaux, ayant fait couper les ponts de la Ferté et de Tréport.

Le général Sacken et le général Yorck étaient à la Ferté; le général Blücher à Vertus, et le général Alsuffiew à Champ-Aubert. L'armée de Silésie ne se trouvait plus qu'à trois marches de Paris. Cette armée, sous le commandement en chef du général Blücher, se composait des corps de Sacken et de Langeron, formant soixante régimens d'infanterie russe, et de l'élite de l'armée prussienne.

Le 10, à la pointe du jour, l'empereur se porta sur les hauteurs de Saint-Prix, pour couper en deux l'armée du général Blücher. A dix heures, le duc de Raguse passa les étangs de Saint-Gond, et attaqua le village de Baye. Le neuvième corps russe, sous le commandement du général Alsuffiew, et fort de douze régimens, se déploya et présenta une batterie de vingt-quatre pièces de canon. Les divisions Lagrange et Ricart, avec la cavalerie du premier corps, tournèrent les positions de l'ennemi par sa droite. A une heure après-midi, nous fûmes maîtres du village de Baye.

A deux heures, la garde impériale se déploya dans les belles plaines qui sont entre Baye et Champ-Aubert. L'ennemi se reployait et exécutait sa retraite. L'empereur ordonna au général Girardin de prendre, avec deux escadrons de la garde de service, la tête du premier corps de cavalerie, et de tourner l'ennemi, afin de lui couper le chemin de Châlons. L'ennemi, qui s'aperçut de ce mouvement, se mit en désordre. Le duc de Raguse fit enlever le village de Champ-Aubert. Au même instant, les cuirassiers chargèrent à la droite, et acculèrent les Russes à un bois et à un lac entre la route d'Épernay et celle de Châlons. L'ennemi avait peu de cavalerie; se voyant sans retraite, ses masses se mêlèrent. Artillerie, infanterie, cavalerie, tout s'enfuit pêle-mêle dans les bois; deux mille se noyèrent dans le lac. Trente pièces de canon et deux cents voitures furent prises. Le général en chef, les généraux, les colonels, plus de cent officiers et quatre cents hommes furent faits prisonniers.

Ce corps de deux divisions et douze régimens devait présenter une force de dix-huit mille hommes: mais les maladies, les longues marches, les combats, l'avaient réduit à huit mille hommes: quinze cents à peine sont parvenus à s'échapper à la faveur des bois et de l'obscurité. Le général Blücher était resté à son quartier-général des Vertus, où il a été témoin des désastres de cette partie de son armée sans pouvoir y porter remède.

Aucun homme de la garde n'a été engagé, à l'exception de deux des quatre escadrons de service, qui se sont vaillamment comportés. Les cuirassiers du premier corps de cavalerie ont montré la plus rare intrépidité.

A huit heures du soir, le général Nansouty ayant débouché sur la chaussée, se porta sur Montmirail avec les divisions de cavalerie de la garde des généraux Colbert et Laferrière, s'empara de la ville et de six cents cosaques qui l'occupaient.

Le 11, à cinq heures du matin, la division de cavalerie du général Guyot se porta également sur Montmirail. Différentes divisions d'infanterie furent retardées dans leur mouvement par la nécessité d'attendre leur artillerie. Les chemins de Sézanne à Champ-Aubert sont affreux. Notre artillerie n'a pu s'en tirer que par la constance des canonnières et qu'au moyen des secours fournis avec empressement par les habitans, qui ont amené leurs chevaux.

Le combat de Champ-Aubert, où une partie de l'armée russe a été détruite, ne nous a pas conté plus de deux cents hommes tués ou blessés. Le général de division comte Lagrange est du nombre de ces derniers; il a été légèrement blessé à la tête.

L'empereur arriva le 11, à dix heures du matin, à une demi-lieue en avant de Montmirail. Le général Nansouty était en position avec la cavalerie de la garde, et contenait l'armée de Sacken, qui commençait à se présenter. Instruit du désastre d'une partie de l'armée russe, ce général avait quitté la Ferté-sous-Jouarre le 10 à neuf heures du soir, et marché toute la nuit. Le général Yorck avait également quitté Château-Thierry. A onze heures du matin, le 11, il commençait à se former, et tout présageait la bataille de Montmirail, dont l'issue était d'une si haute importance. Le duc de Raguse, avec son corps et le premier corps de cavalerie, avait porté son quartier-général à Étoges, sur la route de Châlons.

La division Ricart et la vieille garde arrivèrent sur les dix heures du matin. L'empereur ordonna au prince de la Moskwa de garnir le village de Marchais, par où l'ennemi paraissait vouloir déboucher. Ce village fut défendu par la brave division du général Ricart avec une rare constance; il fut pris et repris plusieurs fois dans la journée.

A midi, l'empereur ordonna au général Nansouty de se porter sur la droite, coupant la route de Château-Thierry, et forma les seize bataillons de la première division de la vieille garde sous le commandement du général Friant en une seule colonne le long de la route, chaque colonne de bataillon étant éloignée de cent pas.

Pendant ce temps, nos batteries d'artillerie arrivaient successivement. A trois heures, le duc de Trévise, avec les seize bataillons de la deuxième division de la vieille garde, qui étaient partis le matin de Sézanne, déboucha sur Montmirail.

L'empereur aurait voulu attendre l'arrivée des autres divisions; mais la nuit approchait. Il ordonna au général Friant de marcher avec quatre bataillons de la vieille garde, dont deux du deuxième régiment de grenadiers et deux du deuxième régiment de chasseurs, sur la ferme de l'Épine-aux-Bois, qui était la clef de la position, et de l'enlever. Le duc de Trévise se porta avec six bataillons de la deuxième division de la vieille garde sur la droite de l'attaque du général Friant.

De la position de la ferme de l'Épine-aux-Bois dépendait le succès de la journée. L'ennemi le sentait. Il y avait placé quarante pièces de canon; il avait garni les haies d'un triple rang de tirailleurs, et formé en arrière des masses d'infanterie.

Cependant, pour rendre cette attaque plus facile, l'empereur ordonna au général Nansouty de s'étendre sur la droite, ce qui donna à l'ennemi l'inquiétude d'être coupé et le força de dégarnir une partie de son centre pour soutenir sa droite. Au même moment, il ordonna au général Ricart de céder une partie du village de Marchais, ce qui porta aussi l'ennemi à dégarnir son centre pour renforcer cette attaque, dans la réussite de laquelle il supposait qu'était le gain de la bataille.

Aussitôt que le général Friant eut commencé son mouvement, et que l'ennemi eut dégarni son centre pour profiter de l'apparence d'un succès qu'il croyait réel, le général Friant s'élança sur la ferme de la Haute-Epine avec les quatre bataillons de la vieille garde. Ils abordèrent l'ennemi au pas de course, et firent sur lui l'effet de la tête de Méduse. Le prince de la Moskwa marchait le premier, et leur montrait le chemin de l'honneur. Les tirailleurs se retirèrent épouvantés sur les masses qui furent attaquées. L'artillerie ne put plus jouer; la fusillade devint alors effroyable, et le succès était balancé; mais au même moment, le général Guyot, à la tête du premier de lanciers, des vieux dragons et des vieux grenadiers de la garde impériale, qui défilaient sur la grande route au grand trot et au cris de vive l'empereur, passa à la droite de la Haute-Epine; ils se jetèrent sur les derrières des masses d'infanterie, les rompirent, les mirent en désordre, et tuèrent tout ce qui ne fut pas fait prisonnier. Le duc de Trévise, avec six bataillons de la division du général Michel, secondait alors l'attaque de la vieille garde, arrivait au bois, enlevait le village de Fontenelle, et prenait tout un parc ennemi.

La division des gardes d'honneur défila après la vieille garde sur la grande route, et arrivée à la hauteur de l'Epine-aux-Bois, fit un à gauche pour enlever ce qui s'était avancé sur le village de Marchais. Le général Bertrand, grand-maréchal du palais, et le maréchal duc de Dantzick, à la tête de deux bataillons de la vieille garde, marchèrent en avant sur le village et le mirent entre deux feux. Tout ce qui s'y trouvait fut pris ou tué.

En moins d'un quart d'heure, un profond silence succéda au bruit du canon et d'une épouvantable fusillade. L'ennemi ne chercha plus son salut que dans la fuite: généraux, officiers, soldats, infanterie, cavalerie, artillerie, tout s'enfuit pêle-mêle.

A huit heures du soir, la nuit étant obscure, il fallut prendre position. L'empereur prit son quartier-général à la ferme de l'Épine-aux-Bois.

Le général Michel, de la garde, a été blessé d'une balle au bras. Notre perte s'élève au plus à mille hommes tués ou blessés. Celle de l'ennemi est au moins de huit mille tués ou prisonniers; on lui a pris beaucoup de canons et six drapeaux. Cette mémorable journée, qui confond l'orgueil et la jactance de l'ennemi, a anéanti l'élite de l'armée russe. Le quart de notre armée n'a pas été engagé.

Le lendemain 12, à neuf heures du matin, le duc de Trévise suivit l'ennemi sur la route de Château-Thierry. L'empereur, avec deux divisions de cavalerie de la garde et quelques bataillons, se rendit à Vieux-Maisons, et de là prit la route qui va droit à Château-Thierry. L'ennemi soutenait sa retraite avec huit bataillons qui étaient arrivés tard la veille et qui n'avaient pas donné. Il les appuyait de quelques escadrons et de trois pièces de canon. Arrivé au petit village des Carquerets, il parut vouloir défendre la position qui est derrière le ruisseau, et couvrir le chemin de Château-Thierry.

Une compagnie de la vieille garde se porta sur la Petite-Noue, culbuta les tirailleurs de l'ennemi, qui fut poursuivi jusqu'à sa dernière position. Six bataillons de la vieille garde à toute distance de déploiement, occupaient la plaine, à cheval sur la grande route.

Le général Nansouty, avec les divisions de cavalerie des généraux Laferrière et Defrance, eut ordre de faire un mouvement à droite et de se porter entre Château-Thierry et l'arrière-garde ennemie. Ce mouvement fut exécuté avec autant d'habileté que d'intrépidité. La cavalerie ennemie se porta de tous les points sur sa gauche pour s'opposer à la cavalerie française; elle fut culbutée et forcée de disparaître du champ de bataille.

Le brave général Letort, avec les dragons de la seconde division de la garde, après avoir repoussé la cavalerie de l'ennemi, s'élança sur les flancs et les derrières de huit masses d'infanterie qui formaient l'arrière-garde ennemie. Cette division brûlait d'égaler ce que les chevaux-légers, les dragons et les grenadiers à cheval du général Guyot avaient fait la veille. Elle enveloppa de tous côtés ces masses, et en fit un horrible carnage. Les trois pièces de canon, le général russe Freudenreich, qui commandait cette arrière-garde, ont été pris. Tout ce qui composait ses bataillons a été tué ou fait prisonnier. Le nombre de prisonniers faits dans cette brillante affaire s'élève à plus de deux mille hommes. Le colonel Carely, du dixième de hussards, s'est fait remarquer. Nous arrivâmes alors sur les hauteurs de Château-Thierry, d'où nous vîmes les restes de cette armée fuyant dans le plus grand désordre, et gagnant en toute hâte ses ponts. Les grandes routes leur étaient coupées; ils cherchèrent leur salut sur la rive droite de la Marne. Le prince Guillaume de Prusse, qui était resté à Château-Thierry avec une réserve de deux mille hommes, s'avança à la tête des faubourgs pour protéger la fuite de cette masse désorganisée. Deux bataillons de la garde arrivèrent alors au pas de course. A leur aspect, le faubourg et la rive gauche furent nettoyés; l'ennemi brûla ses ponts, et démasqua sur la rive droite une batterie de douze pièces de canon: cinq cents hommes de la réserve du prince Guillaume ont été pris.

Le 12 au soir, l'empereur a pris son quartier-général au petit château de Nesle.

Le 13, dès la pointe du jour, on s'est occupé à réparer les ponts de Château-Thierry.

L'ennemi ne pouvant se retirer ni sur la route d'Épernay, qui lui était coupée, ni sur celle qui passe par la ville de Soissons, que nous occupons, a pris la traverse dans la direction de Reims. Les habitans assurent que de toute cette armée il n'est pas passé à Château-Thierry dix mille hommes, dans le plus grand désordre. Peu de jours auparavant, ils l'avaient vue florissante et pleine de jactance. Le général d'Yorck disait que dix obusiers suffiraient pour se rendre maître de Paris. En allant, ces troupes ne parlaient que de Paris; en revenant, c'est la paix qu'elles invoquaient.

On ne peut se faire une idée des excès auxquels se livrent les cosaques; il n'est point de vexations, de cruautés, de crimes que ces hordes de barbares n'aient commis. Les paysans les poursuivent, les attaquent dans les bois comme des bêtes féroces, s'en saisissent et les mènent partout où il y a des troupes françaises. Hier, ils en ont conduit plus de trois cents à Vieux-Maisons. Tous ceux qui se sont cachés dans les bois pour échapper aux vainqueurs, tombent dans leurs mains, et augmentent à chaque instant le nombre des prisonniers.

Le 15 février au matin.
A S. M. l'impératrice reine et régente

Le 13, à trois heures après midi, le pont de Château-Thierry fut raccommodé. Le duc de Trévise passa la Marne, et se mit à la suite de l'ennemi, qui, dans un épouvantable désordre, paraît s'être retiré sur Soissons et sur Reims, par la route de traverse de la Fère en Tardenois.

Le général Blücher, commandant en chef toute l'armée de Silésie, était constamment resté à Vertus pendant les trois jours qui ont anéanti son armée. Il recueillit douze cents hommes des débris du corps du général Alsuffiew battu à Champ-Aubert, qu'il réunit à une division russe du corps de Langeron, arrivée de Mayence et commandée par le lieutenant-général Ouroussoff. Il était trop faible pour entreprendre quelque chose; mais le 13 il fut joint par un corps prussien du général Kleist, composé de quatre brigades. Il se mit alors à la tête de ces vingt mille hommes et marcha contre le duc de Raguse, qui occupait toujours Étoges. Dans la nuit du 13 au 14, ne jugeant pas ses forces suffisantes pour se mesurer contre l'ennemi, le duc de Raguse se mit en retraite et s'appuya sur Montmirail, où il était de sa personne le 14 à sept heures du matin.

L'empereur partit le même jour de Château-Thierry à quatre heures du matin, et arriva à huit heures à Montmirail. Il fit sur-le-champ attaquer l'ennemi, qui venait de prendre position avec le corps de ses troupes au village de Vauchamp. Le duc de Raguse attaqua ce village. Le général Grouchy, à la tête de la cavalerie, tourna la droite de l'ennemi par les villages et par les bois, et se porta à une lieue au-delà de la position de l'ennemi. Pendant que le village de Vauchamp était attaqué vigoureusement, défendu de même, pris et repris plusieurs fois, le général Grouchy arriva sur les derrières de l'ennemi, entoura, et sabra trois carrés, et accula le reste dans les bois. Au même instant, l'empereur fit charger par notre droite ses quatre escadrons de service, commandés par le chef d'escadron de la garde La Biffe. Cette charge fut aussi brillante qu'heureuse. Un carré de deux mille hommes fut enfoncé et pris. Toute la cavalerie de la garde arriva alors au grand trot, et l'ennemi fut poussé l'épée dans les reins. A deux heures, nous étions au village de Fromentières; l'ennemi avait perdu six mille hommes faits prisonniers, dix drapeaux et trois pièces de canon.