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Loe raamatut: «Henri IV en Gascogne (1553-1589)», lehekülg 20

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CHAPITRE IV

Le duc de Joyeuse cherche la bataille, et le roi de Navarre temporise. – Les motifs de la poursuite et ceux de la temporisation. – Joyeuse dédaigne l'appui de Matignon. – Occupation de Coutras. – Henri veut éviter la bataille en passant l'Isle. – Joyeuse ne lui laisse pas achever cette manœuvre. – Jactance de Joyeuse. – Journée de Coutras. – Le champ de bataille. – Les deux armées. – Echec des calvinistes. – Revanche. – Les grandes charges et la mêlée. – Défaite de l'armée catholique. – Exploits du roi de Navarre. – Mort de Joyeuse. – Les pertes des deux armées. – Après la victoire. – Grandeur d'âme de Henri. – Controverses sur la journée de Coutras. – Lettre au roi de France. – Lettre à Matignon.

Le roi de Navarre, en se repliant vers le midi, même avant l'arrivée de Joyeuse, comptait s'ouvrir un chemin par la Guienne et le Languedoc, pour aller faire sa jonction avec les auxiliaires allemands; mais Joyeuse avait reçu l'ordre de le suivre, de le harceler, en se concertant avec Matignon, de telle sorte que, enveloppé par les deux armées royales, il fût impossible à Henri d'éviter une bataille, qu'on pensait lui devoir être fatale, et dont la perte le mettrait, lui et la cause protestante, à la merci de Henri III. Si Joyeuse eût été un homme de guerre expérimenté, capable de suspendre ses coups pour en assurer l'effet, ce plan devait réussir, puisque, malgré l'incapacité de ce général, il s'en fallut de peu que le roi de Navarre n'eût à combattre à la fois les deux armées, dont c'eût été miracle qu'il triomphât. Mais le duc de Joyeuse, poussant la bravoure jusqu'à la témérité, entouré de gentilshommes ardents et ambitieux comme lui, s'imagina que joindre le roi et le battre, c'était tout un, et qu'une armée de dix mille hommes n'avait pas besoin de s'appuyer sur celle de Matignon pour défaire en bataille rangée sept ou huit mille huguenots qui semblaient fuir devant lui. Il courait donc sans relâche sur les traces du roi de Navarre, tandis que ce prince, qui sentait qu'une seule bataille perdue pourrait ruiner sa cause, cherchait à gagner les pays de la Dordogne, où les places qu'il possédait lui faciliteraient la résistance, d'abord, et ensuite la marche en avant du côté de l'armée étrangère. Il arriva, le 19 octobre, au passage de Chalais et d'Aubeterre, au moment où le duc établissait son quartier général à La Roche-Chalais. L'occupation de Coutras devait protéger ou contrarier les mouvements du roi; Henri et Joyeuse eurent la même pensée, qui les amena presque simultanément à se disputer ce poste. Mais Joyeuse, pourtant invité par un émissaire de Matignon à faire diligence pour s'emparer de Coutras, n'y envoya Lavardin que tard, et avec des forces insuffisantes pour s'y maintenir. Lavardin y était à peine, que La Trémouille, chargé d'une mission semblable par le roi de Navarre, s'y jeta à corps perdu avec deux cent cinquante salades, et força l'ennemi à rebrousser jusqu'à La Roche-Chalais. A deux heures du matin, le 20 octobre, l'armée calviniste passa la Drône et se logea dans Coutras et dans les villages voisins, excepté l'artillerie, la cavalerie légère, commandée par La Trémouille, et une troupe de quatre-vingts salades sous les ordres de La Boulaye, qui allèrent se poster entre Coutras et la Roche-Chalais. Suivant son plan de retraite, le roi de Navarre se mit en devoir d'effectuer le passage de l'Isle. La moitié de l'artillerie et des bagages, confiés aux soins de Clermont d'Amboise et de Rosny, était déjà passée, lorsque les batteurs d'estrade calvinistes vinrent annoncer les mouvements de l'armée royale, qui faisaient présumer qu'elle serait en vue au point du jour. A cette nouvelle, le roi de Navarre ordonna de faire repasser promptement du côté de Coutras tout ce qu'on avait transporté sur l'autre bord, et désigna un monticule pour y placer les trois pièces qui composaient son artillerie. Malgré tous les efforts de Clermont d'Amboise et de ses officiers, les deux armées étaient déjà aux prises, avant que cette artillerie eût pu servir; mais elle n'en contribua pas moins au gain de la bataille.

Quelques historiens, sans y prendre garde, ont parlé d'un conseil de guerre tenu par le roi de Navarre, dans lequel on aurait longuement discuté les avantages et les dangers d'une rencontre. L'heure où cette discussion aurait eu lieu n'est point celle où nous sommes arrivés dans notre récit. Avant que le roi ordonnât le passage de l'Isle, l'action n'avait pas été résolue, puisque la retraite continuait, et dès que l'on sut que Joyeuse arrivait sur Coutras, il ne fut pas besoin de conseil de guerre pour décider qu'on se battrait: le roi et ses lieutenants n'eurent qu'à concerter entre eux le plan de la bataille. Ils envisagèrent avec courage la nécessité où ils se trouvaient, et s'y comportèrent avec un héroïsme que la victoire couronna. Henri ne choisit ni le lieu ni l'heure; il fut forcé d'accepter l'un et l'autre, et le triomphe qui l'attendait, il ne l'ambitionna, on peut l'affirmer, que lorsqu'il lui fallut vaincre ou périr. Du côté de Joyeuse, il en fut autrement. On n'a jamais bien su si le duc se flattait, comme l'ont dit quelques-uns, de l'espoir de devenir le chef de la Ligue, à laquelle appartenait plus qu'au roi de France l'armée sous ses ordres; mais il avait, d'ailleurs, toutes les ambitions, toutes les témérités et toutes les vanités. Le 19 octobre, au soir, quand il sut que le roi de Navarre était à portée de ses coups, il ne put se contenir. Assemblant ses officiers, moins pour délibérer que pour faire échange de jactance, il leur dit tenir de Henri III l'ordre de combattre en toute occasion le Béarnais; que, même sans cet ordre, il n'hésiterait pas à l'attaquer avec la forte armée et la brillante noblesse qui marchaient sous ses enseignes; qu'à la vérité, il pouvait compter sur la prochaine arrivée de Matignon, mais qu'il n'était pas besoin de toutes ces forces pour anéantir des hordes de rebelles et d'aventuriers. Ce discours, qui se tenait au souper du duc, fut suivi d'acclamations, et l'on raconte que les convives s'engagèrent par serment à ne faire aucun quartier aux huguenots. Ces bravades irritèrent tellement l'impatience de Joyeuse, qu'il fit partir sa cavalerie légère à dix heures du soir et battre aux champs à onze, pour la faire suivre par le reste de l'armée. Dans la nuit, les coureurs des deux partis se livrèrent à quelques escarmouches de peu d'importance.

«Au soleil levant, la cavalerie légère du duc, qui faisait son avant-garde, ayant aperçu celle du roi de Navarre à une lieue et demie de Coutras, vint, sans délibérer, fondre sur elle. Le duc de La Trémouille soutint bravement le choc; mais, comme il ne voulait point s'engager, et que, suivant les ordres du roi de Navarre, il ne pensait qu'à faire sa retraite vers Coutras, il fit mettre pied à terre à soixante de ses arquebusiers et leur fit occuper un défilé. La Roche-Galet se mit à leur tête et s'acquitta parfaitement d'une si dangereuse commission par le feu qu'il fit sur la cavalerie ennemie; mais il courait risque d'y périr avec tous ses soldats, sans une vigoureuse charge que fit le capitaine Harambure. Sur ces entrefaites, arriva La Boulaye avec ses quatre-vingts salades; le nouveau feu qu'il fit sur les ennemis les fit reculer de cinq cents pas et donna moyen au duc de La Trémouille de faire sa retraite en bon ordre.

«Lorsqu'il arriva, le roi de Navarre rangeait son infanterie et ses hommes d'armes en bataille dans une garenne proche de Coutras, et il fit prendre poste, à côté, au duc de La Trémouille, à la tête de la cavalerie légère. Mais, ayant fait réflexion qu'il n'avait pas de quoi garnir un grand chemin plein de buissons, entre cette cavalerie et le reste des troupes, et que cet endroit était trop fourré, il résolut de changer de terrain. Le capitaine Favas lui représenta qu'il était un peu tard de prendre ce parti, vu qu'il ne pouvait le faire sans prêter le flanc aux ennemis; mais, ayant délibéré avec ce capitaine et le vicomte de Turenne, il jugea que l'armée du duc de Joyeuse n'étant pas encore là tout entière ni tout à fait rangée, elle n'entreprendrait pas de l'attaquer durant ce mouvement; et ainsi il fit avancer un peu son armée sur la droite, au delà du grand chemin.

«La plaine où il la rangea était de six à sept cents pas d'étendue en largeur. L'armée avait à dos le bourg de Coutras et à sa gauche le ruisseau de Palar; elle s'étendait à droite de la garenne de Coutras et dans un petit bois taillis, au delà duquel le roi de Navarre posta deux mille fantassins. La cavalerie faisait la première ligne. La Trémouille eut la droite, ayant devant lui Vignolles avec cent vingt arquebusiers. A la gauche de La Trémouille, était le vicomte de Turenne avec la cavalerie de Gascogne. Plus loin, en tirant toujours vers la gauche, était le prince de Condé, et puis le roi de Navarre jusqu'au bord du grand chemin. Les deux escadrons des deux princes étaient chacun de trois cents chevaux; celui du comte de Soissons, de deux cents chevaux seulement, fermait cette gauche.

«Le roi de Navarre suivit, en cette rencontre, une manière de l'amiral de Coligny, dont il avait remarqué l'utilité: ce fut de mettre des arquebusiers à pied à côté de chaque escadron. Leur emploi était d'attendre de pied ferme les escadrons ennemis, et de ne tirer sur eux que de vingt pas pour ne pas le faire inutilement. Ces petits bataillons étaient seulement de cinq de front et autant de file; les premiers étaient ventre à terre, les seconds sur un genou, les troisièmes penchés, et ceux de derrière debout, pour faire tous leurs décharges en même temps.

«Comme le bois de la droite était un poste très important, on avait mis de ce côté-là la plus grande partie de l'infanterie, et il n'en restait que très peu pour la gauche. D'Aubigné représenta fortement au roi le danger de ce défaut, mais il était difficile d'y remédier, car de faire marcher de l'infanterie, de la droite, par derrière l'armée, c'était lui faire prendre un chemin bien long, et il était fort hasardeux de la faire passer à la tête de l'armée, en présence de celle de l'ennemi qui se rangeait. Le parti que prit le roi de Navarre fut de tirer soixante arquebusiers de chacun des régiments de Valiraux, de Montgomery, des Bories, de Belzunce et de Salignac, et de les faire courir à la débandade entre les deux armées, ce qu'ils exécutèrent heureusement.

«La disposition de l'armée du duc de Joyeuse se fit de cette sorte. Il opposa au bois de la droite du roi de Navarre un gros d'infanterie, composé des régiments de Picardie et de Tiercelin, où il y avait environ dix-huit cents mousquetaires, et le fit soutenir de mille corcelets. Ceux-ci avaient à leur droite un escadron de quatre cents lances; suivait à côté un autre de cinq cents, opposé à celui du vicomte de Turenne; au delà, en tirant toujours vers la droite, était la cornette blanche du duc de Joyeuse, et dix des plus belles compagnies de gens d'armes qu'on eût vues depuis longtemps. Le gros était de treize à quatorze cents lances. La droite était fermée par un bataillon de Cluseaux et par sept cornettes d'arquebusiers à cheval; tout cela faisant en cet endroit environ deux mille cinq cents hommes. L'artillerie, qui n'était que de deux canons, fut placée entre la cornette du duc et l'escadron de cinq cents lances. Celle du roi de Navarre, qui n'avait non plus que deux canons et une coulevrine, arriva au moment qu'on était prêt de donner, et fut placée sur un petit tertre de sable, à la droite de l'escadron du comte de Soissons.

«Ces deux armées étaient à peu près égales en nombre d'infanterie, celle du duc étant de cinq mille fantassins, et celle du roi de Navarre de quatre mille cinq cents. Pour ce qui est de la cavalerie, ce prince n'avait que douze à treize cents chevaux, et le duc deux fois autant, beaucoup mieux équipés, et dans ce nombre beaucoup de gendarmerie.

«A en juger par ce qui paraissait à la vue, l'armée du duc de Joyeuse était une des plus lestes qui se fussent mises de longtemps en campagne. Grand nombre de seigneurs s'étaient à l'envi mis en dépense, pour briller dans cette expédition presque comme dans une fête, et avaient fourni libéralement aux frais des équipages d'une infinité de gentilshommes leurs amis ou leurs serviteurs, qui étaient à leur suite. On ne voyait de tous côtés que gens tout chamarrés d'or et d'argent, de magnifiques écharpes, des bouquets de plumes en forme d'aigrettes flottantes sur les casques, des armes luisantes et dorées, des chevaux richement harnachés; au lieu que, dans l'armée du roi de Navarre, les soldats, pour la plupart, étaient mal habillés, les chevaux sans housses, les princes et le roi de Navarre même fort simplement vêtus.»

Il était neuf heures. Les deux armées étaient complètement rangées, et l'artillerie commençait à jouer, lorsque le roi de Navarre, qui, à diverses reprises, avait adressé la parole aux officiers et aux soldats, se tourna vers les princes de Condé et de Soissons, et leur dit simplement: «Souvenez-vous que vous êtes du sang de Bourbon, et vive Dieu! je vous ferai voir que je suis votre aîné! – Et nous, répondit le prince de Condé, nous vous montrerons que vous avez de bons cadets!» Alors, sur un signal attendu, deux ministres, La Roche-Chandieu, qui était aussi un homme de guerre, et Louis d'Amours, firent la prière, à laquelle s'unirent de cœur le roi, les princes et toute l'armée protestante. A ce spectacle, des railleries éclatèrent parmi les jeunes gentilshommes de l'armée catholique. – «Ils se confessent, ils sont à nous! disaient-ils. – Ne vous y fiez pas, répliqua de Vaux (ou Lavardin), qui connaissait ces rudes adversaires: quand les huguenots font cette mine, ils ont envie de se bien battre.»

«Le premier succès des deux artilleries ne fut pas égal. Celle des catholiques, fort mal placée et mal tirée, ne tua qu'un cheval, et après quelques volées, on fut obligé de la changer de place, au lieu que celle du roi de Navarre, admirablement bien servie par l'habileté de Clermont d'Amboise, faisait un grand effet. Le premier coup donna dans la cornette blanche du duc de Joyeuse: ce qui parut à quelques-uns d'un mauvais présage. Elle fit un grand ravage dans la cavalerie et dans le régiment de Picardie, dont des files de dix-huit et vingt hommes furent emportées.

«Lavardin, voyant ce ravage, piqua vers le duc, et lui dit en colère: «Monsieur, nous perdons pour attendre, il faut jouer.» La permission lui ayant été donnée de charger, il se met à la tête de son escadron, fait sonner la charge, et partant en même temps avec le capitaine Mercure, commandant d'une troupe d'Albanais, ils donnent l'un et l'autre de furie, Lavardin sur l'escadron de La Trémouille, et Mercure sur celui de Harambure. Ils les rompirent, et les vainqueurs poursuivirent les fuyards jusque dans Coutras; ceux-ci, pour la plupart, ayant traversé la Drône, se sauvèrent à toutes jambes, et entre autres plus de vingt gentilshommes qui s'étaient signalés en plusieurs rencontres. Quelques-uns fuirent jusqu'à Pons, et y allèrent répandre la nouvelle de la déroute entière du roi de Navarre. La Trémouille, se voyant abandonné de ses gens, se retira à l'escadron du vicomte de Turenne, qui, dans le moment, fut enfoncé par Montigny, et aussi malmené: de sorte qu'il fut contraint de gagner, lui troisième, avec La Trémouille et le capitaine Chouppes, l'escadron du prince de Condé.

«Comme les fuyards de l'escadron de Turenne passaient auprès de celui du prince, Montausier et Vaudoré, qui étaient auprès de lui, crièrent de toutes leurs forces: «Au moins, Messieurs, ceux qui s'enfuient ne sont ni Saintongeois ni Poitevins». Ils parlaient de la sorte par la jalousie qu'ils avaient contre les Gascons, dont le roi de Navarre exaltait sans cesse la bravoure. Cette raillerie eut un très bon effet; car, se sentant piqués jusques au vif d'un tel reproche, au lieu de fuir vers Coutras, comme les autres avaient fait, quelques officiers gascons prirent à droite avec une partie de bons soldats, et ils firent, dans la suite de la bataille, très bien leur devoir.

«Tandis que la cavalerie légère du roi de Navarre était si maltraitée, le peu d'infanterie qu'il avait jetée à sa gauche fut attaquée par deux cents enfants perdus, détachés du régiment de Cluseaux qu'elle avait en tête. Les capitaines Saint-Jean-de-Ligoure et Caravez allèrent au-devant avec six-vingt de leurs gens, et les reçurent si bien, qu'ils les recognèrent jusqu'à leurs piquiers.

«Ce fut dans ce même temps que de cet endroit on vit fuir les escadrons de Turenne et de La Trémouille, et que l'on commença à crier victoire dans l'armée catholique. Il y a des moments dans lesquels tout dépend de la disposition d'esprit où se trouve le soldat. Ce premier malheur, qui devait naturellement décourager cette infanterie huguenote, lui inspira de la fureur. Les capitaines Montgomery et Belzunce leur crièrent: «Enfants, il faut périr; mais il faut que ce soit au milieu des ennemis; allons, l'épée à la main, il n'est plus question d'arquebuses». Et se mettant avec les autres officiers à la tête du bataillon, qui n'était pas de plus de trois cents hommes, ils marchent, tête baissée, à l'infanterie catholique plus nombreuse des deux tiers que la leur, se jettent au travers des piques, les écartant ou les arrachant aux piquiers, l'enfoncent et la mettent en une entière déroute.

«L'infanterie du roi de Navarre ne se comporta pas avec moins de bravoure à la droite de l'armée, où le capitaine Charbonnières chargea les régiments de Tiercelin et de Picardie, qui avaient gagné le fossé du bouquet de bois où ce prince avait mis le gros de ses fantassins. Ces deux régiments furent défaits à plate couture, et il se fit, à cet endroit, un grand massacre.

«Toutes ces trois charges se firent dans le même temps. Le duc de Joyeuse, ayant vu la déroute d'une partie de la cavalerie huguenote, ne tarda pas à s'ébranler, pour aller enfoncer les deux gros escadrons du roi de Navarre et du prince de Condé et celui du comte de Soissons, qui n'avaient point encore combattu. Ce fut là que l'on vit combien la valeur en de telles occasions est inutile sans l'expérience et la discipline militaire. La gendarmerie du duc de Joyeuse était aux premiers rangs, la lance en arrêt sur la cuisse, pour enfoncer et culbuter la tête des escadrons opposés. Dans ces sortes d'assaut de gendarmerie, deux choses étaient essentielles: la première, que les gendarmes marchassent serrés et sur la même ligne, afin que l'effort se fît en même temps de tout le front; la seconde, qu'ils ne prissent pas trop longue carrière, ainsi qu'on parlait alors, c'est-à-dire, qu'ils ne commençassent pas de trop loin à courir à bride abattue, pour ne se pas mettre hors d'haleine, ni eux ni leurs chevaux, et ne pas perdre une partie de leurs forces, étant extrêmement chargés du poids de leurs armes. La fougue qui emportait cette jeune noblesse l'empêcha d'observer ces deux règles. Plusieurs, en approchant des escadrons ennemis, étaient hors de rang de la longueur de leurs chevaux, et, ayant pris carrière de trop loin, cela fut cause que presque pas un d'eux ne désarçonna celui qu'il attaquait; mais ce qui les déconcerta le plus, fut la décharge qui se fit très à propos et de fort près par les arquebusiers que le roi de Navarre avait placés à côté de chaque escadron; une infinité en fut jetée par terre, et les escadrons de ce prince qui n'avaient pas branlé, jusqu'à ce que les ennemis fussent à dix pas d'eux, ayant piqué et enfoncé par les brèches avec des lances plus courtes et par conséquent plus fortes, les percèrent et les serrèrent de si près que la plupart ne purent se servir de leurs longues lances, et furent obligés de les lever en l'air, signe d'une prochaine déroute dans ces sortes de combats. Elle ne tarda pas, en effet: tout ce gros de cavalerie fut percé d'un bout à l'autre, pris par les deux flancs et bientôt dissipé; et comme l'infanterie des deux ailes était déjà en déroute, la bataille, qui ne dura pas une heure, fut entièrement gagnée par le roi de Navarre.

«Le roi de Navarre fit paraître en cette journée toute la conduite d'un très grand capitaine, et s'exposa dans le plus chaud de la mêlée, comme un simple soldat.» Au moment de la charge, des gentilshommes se jetaient à l'envi au-devant de lui, pour le couvrir de leurs corps: «A quartier! à quartier! s'écria-t-il; ne m'offusquez pas: je veux paraître!» Il avait dans son escadron des compagnons et des serviteurs de la première heure, tels que Jean de Pons, Plassac, Charles de La Boulaye, Jacques de Caumont-La-Force, Frédéric de Foix-Candale, etc. Plusieurs furent grièvement blessés à ses côtés, entre autres le baron d'Entraigues et Manaud de Batz, son indomptable Faucheur.

«Dès le commencement du combat, il fut attaqué par le baron de Fumel et par Châteaurenard, cornette de Sansac, qui s'attachèrent à lui. Il fut secouru par Frontenac, qui abattit Fumel d'un coup de sabre sur la tête. Le roi de Navarre saisit au corps Châteaurenard, lui criant: «Rends-toi, Philistin». Et, dans ce moment, il courut un grand risque de la part d'un gendarme de Sansac, qui, tandis que ce prince tenait Châteaurenard embrassé, lui donna plusieurs coups sur le casque, du tronçon de sa lance; mais le capitaine Constant l'en délivra en tuant le gendarme. Le prince de Condé et le comte de Soissons se signalèrent beaucoup durant toute l'action. Le premier eut son cheval tué sous lui, et le second fit plusieurs prisonniers de sa propre main. L'action par laquelle Saint-Luc se conserva la vie dans cette déroute est remarquable et fut beaucoup louée. Ayant rencontré le prince de Condé poursuivant les fuyards, il pique à lui et le renverse de son cheval du coup de lance qu'il lui porte, et en même temps, sautant de dessus le sien, lui présente la main pour le relever et le gantelet, en lui disant: «Monseigneur, je me fais votre prisonnier!» A quoi le prince répondit en l'embrassant, et le fit mettre en sûreté.

«Le duc de Joyeuse ne fut pas aussi heureux, car, voyant tout perdu sans aucune ressource, et se retirant seul vers son artillerie, il fut rencontré par Saint-Christophe et La Vignole, auxquels il jeta son épée, leur promettant une rançon de cent mille écus. Mais les capitaines Bourdeaux, Des Centiers et La Mothe-Saint-Héray survenant, dans ce moment, ce dernier le tua d'un coup de pistolet dans la tête.»

Telle fut l'issue de la bataille de Coutras. La victoire du roi de Navarre était complète. Les catholiques perdaient trois mille hommes de pied, une grande partie de leur cavalerie et plus de quatre cents gentilshommes, la plupart ayant préféré la mort à la fuite. On comptait parmi eux, outre le duc de Joyeuse et Saint-Sauveur, son frère, Piennes, Brézé, Aubigeous, La Suze, Gouvello, Pluviaut, Neuvy, Fumel, La Croisette, de Vaux, Tiercelin. Au nombre des prisonniers se trouvèrent Bellegarde, qui mourut de ses blessures, Saint-Luc, Cypierre, Montigny, Piennes l'aîné, Montsoreau, Châteauvieux, Chastellux, Villegombelin, Châteaurenard, Guy du Lude et Sansac. La perte des vainqueurs fut peu considérable: un petit nombre de soldats et cinq gentilshommes seulement furent tués. Cette disproportion avec la perte des vaincus s'explique par le caractère foudroyant de la bataille. En moins d'une heure, l'armée de Joyeuse fut rompue de tous côtés et en fuite. La plupart des victimes de cette journée tombèrent dans la déroute.

«Le roi de Navarre eut, en cette occasion, la gloire d'avoir, le premier, gagné une grande bataille à la tête d'un parti qui, jusque-là, avait presque toujours été battu dans les actions générales et sous les plus habiles capitaines, tels qu'avaient été le feu prince de Condé et l'amiral de Coligny. Il ne s'acquit guère moins d'honneur par la manière généreuse et peu usitée alors dont il accueillit les vaincus tombés entre ses mains. Il donna ordre qu'on eût grand soin des blessés; il fit rendre les honneurs funèbres à Joyeuse et à son frère; il relâcha presque tous les prisonniers sans rançon, fit des présents à quelques-uns des principaux et rendit leurs drapeaux à quelques autres, comme au sieur de Montigny.» La prise de Cahors avait rendu redoutable le roi de Navarre; la victoire de Coutras le marquait, pour l'avenir, de tous les signes de la conquête et du triomphe. Ce jour-là, il mérita la couronne de France.

La journée de Coutras provoqua, dans son temps, de vives discussions, que les historiens, aux deux siècles suivants, et même de nos jours, ont reprises en sous-œuvre, s'accordant presque tous sur ce point, que le roi de Navarre ne sut pas profiter de sa victoire, que même il en perdit tous les fruits par la légèreté de sa conduite. C'est un lieu commun qu'il est difficile de ne pas rencontrer sous la plume des écrivains qui ont raconté, autrefois ou récemment, la vie de Henri IV. Cette quasi-unanimité n'a pu nous convaincre: sans poser en principe l'infaillibilité du roi de Navarre, nous avons vu distinctement dans les faits historiques la preuve qu'il fit, après la bataille de Coutras, ce qu'il pouvait et ce qu'il devait faire.

Tous les reproches adressés au roi de Navarre pour n'avoir pas profité de la journée de Coutras se réduisent à deux points: il ne marcha pas vers la haute Loire, afin de s'y joindre à l'armée auxiliaire; cette première faute commise, il abandonna son armée pour aller présenter les trophées de sa victoire à la comtesse de Gramont. La plupart des historiens, se copiant les uns les autres, n'ont même pas pris la peine d'examiner les arguments dont se compose leur thèse. Il n'est pas nécessaire de les scruter profondément, pour s'apercevoir qu'ils se contredisent. Le roi de Navarre devait-il marcher vers l'armée auxiliaire? Il le devait, assurent ces historiens. Qu'on les lise donc, eux et leurs devanciers, et l'on reconnaîtra que le roi de Navarre ne put pas faire ce qu'on lui reproche de n'avoir point fait: d'abord, parce que son conseil s'y opposa, Turenne et le comte de Soissons en tête; et, en second lieu, parce qu'il ne pouvait disposer, pour une aussi longue campagne, de l'armée qui venait de détruire celle de Joyeuse: elle était composée, en grande partie, de troupes enrôlées pour quelques semaines, qui n'entendaient pas demeurer indéfiniment sous les drapeaux du roi de Navarre, et dont quelques-unes commencèrent à plier bagages pour le retour, le soir même de la bataille. Aller au-devant des auxiliaires, à travers deux armées, avec deux ou trois mille hommes, c'eût été un acte de folie. Voilà des faits certains. Mais, ne pouvant joindre les Allemands, le roi de Navarre devait, tout au moins, occuper la Saintonge, l'Angoumois et le Poitou. Sans doute, il eût fait preuve d'une extrême incurie, en laissant ces provinces dépourvues de toute défense: aussi ne furent-elles point abandonnées. Condé garda la Saintonge; les garnisons du Poitou reçurent des renforts; Turenne, avec une petite armée, parcourut le Périgord et surveilla le Limousin, de même qu'une partie de la Guienne et de la Gascogne. Le roi de Navarre s'en tint d'une façon générale à la guerre défensive, en attendant une meilleure fortune. L'étude des faits prouve qu'il ne put pas faire autrement. Ajoutons, sans hésiter, que, même avec toute latitude, sa conduite aurait dû être ce qu'elle fut.

Le roi de France, à la tête d'une armée, était sur la Loire, vers laquelle marchaient les auxiliaires allemands et suisses des calvinistes. Les recevoir et attendre avec eux le choc d'une armée commandée par un Joyeuse ou un prince lorrain, c'était une résolution à laquelle aurait pu s'arrêter le roi de Navarre; mais les mener, avec ses troupes françaises, contre Henri III en personne, contre le symbole vivant de la royauté, voilà ce que l'héritier présomptif du trône n'aurait pu faire sans devenir le premier des rebelles, sans démentir toutes ses déclarations, toute sa politique depuis l'année 1576. Henri n'eût pas laissé échapper l'occasion d'écraser l'armée de Guise ou toute autre armée de la Ligue; contre l'armée du roi, il ne devait que se défendre. C'est ce qu'il eût fait, si Henri III eût marché sur lui, et, en réalité, c'est ce qu'il fit toujours.

Quant aux historiens qui, d'après d'Aubigné, accusent naïvement Henri d'avoir «donné à l'amour» les fruits de la victoire de Coutras, en allant faire visite à la comtesse de Gramont, pendant son voyage en Gascogne et en Béarn, le bon sens suffit pour les réfuter: nous ne dirons rien de plus de leur fantaisie de dénigrement.

Le lendemain de la bataille, le roi de Navarre écrivit au roi de France une lettre dont le texte, avant de venir jusqu'à nous, a subi certainement quelques altérations, ne fût-ce que dans les formules usuelles, mais qui n'en est pas moins un document authentique. Voici cette lettre, que La Burthe, maître des requêtes du roi de Navarre, fut chargé de présenter à Henri III:

«Sire, mon seigneur et frère, remerciez Dieu: j'ai battu vos ennemis et votre armée. Vous entendrez de La Burthe si, malgré que je sois l'arme au poing au milieu de votre royaume, c'est moi qui suis votre ennemi, comme ils le vous disent. Ouvrez donc vos yeux, Sire, et connaissez qui sont-ils. Est-ce moi, votre frère, qui peux être l'ennemi de votre personne? Moi, prince de votre sang, de votre couronne? Moi, Français de votre peuple? Non, Sire; vos ennemis, ce sont ceux-là qui, par la ruine de notre sang et de la noblesse, veulent la vôtre, et au par-dessus votre couronne. Certes, si n'y eût Dieu mis la main, c'était fait de vous, en ce lieu de Coutras, et ils vous eussent en nous tué, Sire, comme en votre cœur ils nous ont tués. Car par après, tout seul resté de tant de rois et princes, de quel sommeil eussiez dormi entre ces épées rouges de votre sang, ou même entre pires choses que ces épées? Avisez promptement à cette besogne, si encore en est temps; car le tout est caché dans les abîmes de la volonté de Dieu. Mais devant lui je proteste de la justice de mes armes et de tout ce sang dont un jour vous faudra lui rendre compte. Bandez, Sire, cette plaie de votre peuple; baillez-lui la paix; baillez-la à Dieu, à vos Etats, à votre frère, à votre conscience. Vainqueur, c'est moi qui vous la demande; ou s'il faut guerre, laissez-la-moi rendre à ceux-là qui seuls vous la font et à nous, et me les baillez à mener, à cette heure qu'ils savent quel je suis. La Burthe, un des plus hommes de bien qui soient en la chrétienté, et que par devers vous je dépêche avec simple lettre de créance, pour ce qu'en sa fidélité du reste m'en assure, et aussi pour ce qu'autrement ne puis faire, vous fera entendre que je ne veux que le repos de tous et la conservation du mien. Et de quoi votre pape se mêle de me vouloir ôter ce que de Dieu je tiens? Par quoi lui a Dieu été et lui sera toujours contraire en si méchante œuvre. Lequel Dieu vivant je prie bien fort, Sire, qu'il vous rouvre le clair entendement qu'il vous a baillé, et qu'il a permis être troublé pour les grands péchés de ce royaume, et aussi celui de la grande part de votre brave noblesse, à tel point aveuglée par ces Lorrains; alors verriez à plein, Sire, qu'en toute cette pauvre France, n'est pas un seul cœur français ennemi de son roi; la grande source de ce poison serait découverte à tous; et vous, Sire, verriez qu'ici sommes, plus que ne pensez, vos véritables serviteurs et sauveurs de votre couronne.»