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Loe raamatut: «Les Merveilles de la Locomotion», lehekülg 6

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Leur trajet annuel est de 22 millions de kilomètres environ, ou plus de 65 fois la distance de la terre à la lune.

Il faut considérer les voitures de la Compagnie au point de vue de l'ingénieur pour bien comprendre la valeur de chacune des dispositions, en apparence insignifiantes, qui ont été adoptées. Les améliorations apportées à la construction de ces voitures depuis leur création sont considérables. La plus importante est la création de l'impériale. C'est par là que l'omnibus, presque exclusivement réservé, à cause du prix de ses places, à la classe bourgeoise, est devenu aussi la voiture du peuple. Tandis qu'au dedans on trouve souvent des toilettes parfumées, on voit sur l'impériale des ouvriers en blouse, la pipe à la bouche. On pourrait presque dire que l'agrandissement de Paris a eu pour conséquence la création des impériales, sans lesquelles la population ouvrière, reléguée dans les quartiers éloignés, n'aurait pu venir au centre où ses travaux l'appellent.

Ces impériales ont aujourd'hui 12 places; à l'origine, elles n'en avaient que 10. Il a fallu, pour placer deux nouveaux voyageurs, avancer le cocher, établir le passage d'arrière un peu en porte-à-faux. Le centre de gravité du véhicule s'est élevé lorsque le chargement a été réparti entre le dedans et le dehors. On ne pouvait abaisser les essieux sans diminuer le diamètre des roues: on les a coudés.

Les siéges ont été améliorés; les marchepieds, les mains courantes sont mieux établis. Il n'est pas jusqu'aux écriteaux, jusqu'au moindre boulon, qui n'ait été l'objet d'études spéciales, et que l'on n'ait modifié et perfectionné conformément aux indications de la pratique.

Les omnibus ont donc aujourd'hui 26 voyageurs: 14 au dedans, 12 sur l'impériale, soit 28 avec le cocher et le conducteur. La voiture pesant 1,700 kilog., et les voyageurs 70 kilog. en moyenne, l'ensemble pèse 3,660 kilog., c'est-à-dire 1,830 kilog. par cheval.

Il faut, pour remorquer de telles charges, dans les conditions difficiles de la circulation parisienne, des chevaux d'une vigueur exceptionnelle: la Normandie, le Perche, les Ardennes, la Bretagne, les fournissent, et leur ration revient à 2 fr. 35 par jour. Aussi bien que les voitures, les chevaux sont examinés avec soin et doivent avoir, pour être admis, des qualités spéciales, et surtout de bonnes jambes de devant, capables de résister longtemps à la fatigue de ces arrêts prompts et répétés de la voiture à laquelle ils sont attelés.

La Compagnie des Omnibus possède environ 8,300 chevaux. Son matériel roulant et sa cavalerie sont répartis dans 40 dépôts qui occupent une surface considérable. Il faut des cours très-vastes pour le lavage des voitures, des remises très-étendues pour les garer et des écuries très-spacieuses pour que les chevaux qui desservent (par dix) chaque voiture, s'y trouvent à l'aise et sainement: certaines écuries sont à deux étages. Il faut enfin des hangars, des greniers, des magasins très-vastes pour contenir les approvisionnements de grains et de fourrages nécessaires à la nourriture de tous ces animaux.

Leurs repas sont réglés, aussi bien que la durée de leur travail quotidien, qui est de 16 kilomètres en moyenne, – aussi bien que leur fatigue, car on leur adjoint des renforts pour gravir les rues trop rapides, – aussi bien que la vitesse de leur marche, car les cochers sont surveillés attentivement.

Comme la Compagnie des Petites Voitures, la Compagnie des Omnibus fabrique elle-même ses voitures. Elle les a ainsi à meilleur marché et est plus sûre de les avoir solides et bien construites. Chaque voiture revient à 3,500 francs environ.

Le tableau suivant donne, d'une manière succincte, une idée de l'importance de l'entreprise:


Le public réclame parfois la mise en service d'une voiture nouvelle ou la création d'une ligne. Les chiffres qui précèdent lui apprendront qu'une voiture nouvelle exige un capital de 56,810 francs, et une ligne de 20 voitures une somme de 1,100,000 francs.

L'existence d'une aussi vaste entreprise au dedans du mur d'octroi élève dans de très-fortes proportions les dépenses annuelles.




Qui croirait, à voir ces omnibus si souvent complets, que le revenu soit aussi faible? Les choses sont telles cependant et, fait remarquable, mais que le calcul démontre nettement, l'omnibus serait-il complet tout le jour de la station de départ à la station d'arrivée, la Compagnie serait en perte. Le renouvellement seul du voyageur durant le trajet produit un bénéfice.

La Compagnie des omnibus possède encore les grands omnibus sur rails qui font le service de la place du Palais-Royal à Sèvres; mais ce n'est là qu'une annexe d'une importance relative peu considérable. Nous ne nous y arrêterons donc pas.

Nous allons aborder la description de la locomotive sur les voie ferrées. Au lieu des rues limitées d'une cité, nous allons parcourir le territoire d'un pays tout entier; au lieu du souffle borné du cheval, nous aurons le souffle puissant d'une machine qui travaille presque aussi longtemps qu'elle a du charbon et de l'eau à digérer; au lieu de l'industrie de quelques habitants, nous allons servir l'industrie d'un peuple ou d'un continent. Les frontières s'abaisseront et la civilisation progressera.

CHAPITRE VI
LES CHEMINS DE FER

I. – IMPORTANCE DES CHEMINS DE FER

De toutes les découvertes de ce siècle qui comptera certainement parmi les plus féconds en productions nouvelles, il n'en est aucune qui soit plus importante dans son application, plus considérable dans ses résultats que celle des chemins de fer. Les rails sont aux produits de l'industrie humaine ce que les caractères de l'imprimerie sont à ceux de la pensée. Les noms de Stephenson et de Séguin doivent être inscrits à côté de celui de Gutenberg.

Tout instrument qui contribue à rendre le travail de l'homme plus parfait en multipliant les ressources dont il dispose et en associant de la manière la plus favorable les mérites et les aptitudes variés des peuples répandus à la surface de la terre est certainement appelé à en accroître la valeur dans de très grandes proportions. Or, tel est le résultat des chemins de fer que leur développement rapide rend chaque jour plus remarquable. Ces nouvelles voies unissent les intérêts des nations comme en un même faisceau et font entrevoir la base d'une alliance universelle. Ils effacent les frontières et contribuent bien plus que les traités de paix, – œuvres essentiellement fragiles, – à resserrer les liens sur lesquels repose l'union des membres de la grande famille humaine. Les pays déshérités changent de face sous leur influence régénératrice. L'ignorance disparaît et, où régnait la misère, apparaît le bien-être. La communauté des intérêts entraîne la communauté des affections: élévation matérielle, intellectuelle et morale, tel est le triple résultat de l'invention des chemins de fer.

Quelques chiffres suffisent à donner la mesure du développement actuel des voies ferrées:





Le tableau suivant indique la situation des chemins de fer exploités dans les différents États de l'Europe.


SITUATION DES CHEMINS DE FER EN EXPLOITATION DANS LES DIVERS ÉTATS DE L'EUROPE

(Annuaire officiel des chemins de fer, année 1871.)


Ces résultats nous rappellent les paroles que prononçait un ministre, à la tribune, après une visite qu'il venait de faire au chemin de Liverpool. «Il n'y a pas aujourd'hui, disait-il, huit ou dix lieues de chemins de fer en France, et, pour mon compte, si l'on venait m'assurer qu'on en fera cinq par année, je me tiendrais pour fort heureux… Il faut voir la réalité; c'est que, même en supposant beaucoup de succès aux chemins de fer, le développement ne serait pas ce que l'on avait supposé. – Vous voulez que je propose aux Chambres de vous concéder le chemin de Rouen, disait le même ministre un ou deux ans plus tard, je ne le ferai certainement pas; on me jetterait-en bas de la tribune!..»

On pouvait alors penser ainsi, mais heureusement, les économistes, les ingénieurs, les capitalistes, les Michel Chevalier, les Séguin, les Talabot, les Didion, les Clapeyron, les Flachat, les Perdonnet, les Pereire et les Rothschild entrevoyaient l'avenir réservé aux chemins de fer.

II. – LA CONSTRUCTION

L'étude d'un chemin de fer comprend deux parties distinctes: la voie, qui est le moyen de transport; le matériel roulant, véhicules et machines, qui sont les instruments du transport. L'un, en diminuant le frottement, produit l'économie; l'autre donne la vitesse; tous deux concourent d'ailleurs à ce double résultat:

Économie de temps et d'argent, et par suite:

Accroissement de vie et de capital.

À ces deux parties constitutives d'un chemin de fer se rapportent deux périodes distinctes de son existence: la construction et l'exploitation, toutes deux pleines du plus vif intérêt par les problèmes multiples qu'elles donnent tous les jours à résoudre.

Nous passerons rapidement en revue les faits qui se rapportent à la construction.

A. – Études. – Évaluation des dépenses et des produits

Une première période, période d'incubation, précède toujours le premier coup de pioche. C'est celle des études. Lorsque les deux points extrêmes d'une ligne ont été déterminés, il reste à fixer les points intermédiaires qu'elle doit desservir. Les considérations les plus diverses interviennent dans la solution de ce problème; les unes sont de l'ordre purement moral, les autres de l'ordre matériel, en ce qui touche, du moins, à la science de l'ingénieur, et si la nature du sol est l'un des premiers éléments du problème à résoudre, il n'est pas tel du moins qu'il impose d'une manière absolue le tracé qui doit être adopté.

Le tracé sera-t-il direct, sera-t-il indirect? Quelles sont les limites d'inclinaison et de courbure qu'il convient d'imposer à son exploitation; aura-t-il deux voies ou n'en aura-t-il qu'une seule et quelle sera la largeur de cette voie ou de ces voies? Quel sera le moteur? Toutes ces questions qui se rattachent à la question capitale du tracé exigent de la part de l'ingénieur une série d'études préliminaires très-délicates, qui sont la base de ce qu'on appelle un avant-projet. Auprès avoir reconnu le terrain et construit le futur chemin sur le papier, il doit se transporter par l'esprit au temps de l'exploitation, chiffrer les revenus, estimer l'importance du trafic et rapprocher la recette probable des dépenses approximatives de construction et d'exploitation. Ce n'est jamais qu'après de longs tâtonnements qu'il arrive à tracer la ligne qui répond de la manière la plus satisfaisante aux intérêts des populations traversées et à ceux des actionnaires qui ont engagé leurs capitaux dans l'entreprise.

Les études de chemins de fer, en France, où nous avons la superbe carte de l'état-major, et dans les pays dont la topographie a été bien représentée, sont généralement faciles; mais, dans les pays neufs, en Russie, en Espagne, en Afrique et dans tant d'autres qu'on a abordés sans aucun guide sûr, le travail est plein de difficultés. On part comme le soldat à la recherche de l'ennemi, bagages et instruments sur le dos, on campe en plein champ, on mange comme on peut, on boit quand on a de l'eau, on se repose quand on tombe de fatigue et on dort souvent à la belle étoile. On lance des lignes d'opération dans différentes directions et souvent, après avoir laissé sa peau et ses vêtements aux ronces du chemin, on vient se butter contre une montagne que les rampes les plus rapides ou les souterrains les plus longs ne pourront franchir. Force est de rebrousser chemin et de chercher un passage dans une nouvelle direction. Les pays de montagne fournissent souvent des accidents de ce genre. Nous pourrions citer telle chaîne dans l'Andalousie contre laquelle trois brigades d'études dirigées par des ingénieurs différents sont venues successivement se heurter et qu'une quatrième enfin a réussi à forcer; travaux pénibles, longs et difficiles, réclamant un coup d'œil juste, une précision rigoureuse et une grande persévérance.

Cette étude du sol qui doit porter l'édifice, n'exige pas des soins moins délicats que la recherche des éléments qui doivent servir à l'évaluation des produits de la future ligne. Partout où la circulation des gens et des choses a été notée d'une manière exacte, le travail est facile; mais, ailleurs, il faut se lancer dans le champ des tâtonnements et des hypothèses. En France, l'administration des ponts et chaussées a fait constater par des comptages, opérés à différentes époques de l'année, l'importance de la circulation sur les routes. Les relevés des contributions indirectes sont une autre source de renseignements précieux. Les octrois des villes et des communes sont aussi d'un puissant secours. Enfin, les indications fournies par les industriels, les grands négociants, complètent la série des documents sur lesquels on peut baser une évaluation sérieuse. Mais, si les premiers éléments d'information méritent une confiance absolue, les seconds, plus ou moins intéressés, réclament un contrôle minutieux et attentif. L'intérêt général disparaît devant l'intérêt privé chez l'usinier qui compte sur l'établissement du chemin de fer pour obtenir ses matières premières à meilleur marché et revendre ses produits à plus haut prix; chez l'agriculteur qui voit par avance monter le prix de ses propriétés et celui de ses récoltes. Luttes de villes, de communes, d'individus, réclamations de toutes sortes s'élèvent durant l'étude du tracé et au moment des enquêtes. L'ingénieur doit tout entendre et se constituer juge suprême du débat. L'administration souveraine prononce, mais sur les rapports qui lui sont fournis par les ingénieurs.

B. – Infrastructure. – Installations préliminaires. – Travaux. – Terrassements: l'homme, le cheval, la machine, les principales tranchées. – Ouvrages d'art: souterrains, tracé, percement, accidents; les principaux souterrains; le tunnel des Alpes. – Viaducs en pierre, en bois, en fer, en fonte. Principaux viaducs. – Principaux ponts. Pont du Niagara

Aux avant-projets généralement étudiés dans différentes directions, succèdent les projets; à l'esquisse, le tracé définitif. Les balises, les jalons, les piquets sont plantés, et sur le coteau ou dans la plaine on voit se dessiner la ligne future. Les études d'ensemble sont suivies des études de détail. Les ouvrages destinés au maintien de la circulation et à l'écoulement des eaux sont projetés aux traversées de chemins et de cours d'eau. Les souterrains et les viaducs sont étudiés. Les variantes du tracé aux abords des faîtes ou des cours d'eau à franchir sont étudiées et comparées au tracé primitif, les terrains sont reconnus par des sondages dans l'emplacement des tranchées à ouvrir, des souterrains à percer ou des ponts à établir, les matériaux de construction sont recherchés, les carrières ouvertes, les briqueteries et les fours à chaux montés.

L'œuvre se prépare: l'appareilleur dresse l'aire sur laquelle il dessine ses épures de coupes de pierres, le charpentier approvisionne ses bois, élève les baraques, met en train la construction des brouettes, des wagons de terrassement, des chariots, des chèvres, des grues, des engins et des échafaudages de toutes sortes, nécessaires à l'exécution des travaux de terrassement et des ouvrages en maçonnerie. Les magasins se garnissent, le fer arrive, voici des rails pour l'établissement des voies provisoires, puis des pompes pour les épuisements, des ventilateurs pour l'aérage des souterrains, des locomobiles pour la mise en marche de ce gros matériel, enfin des locomotives pour le transport rapide des terres déblayées.

Le travail va commencer. Les contre-maîtres envoyés dans différentes directions pour racoler des ouvriers, reviennent avec de nombreuses recrues: ce sont des terrassiers belges, des mineurs piémontais, des maçons ou des tailleurs de pierre d'Ivrée ou de Bielle (dans les États Sardes), des Limousins pour la construction des stations et des maisons de garde. Il a fallu prévoir l'arrivée de toute cette armée d'ouvriers. Les auberges des localités situées dans le voisinage du tracé sont ou trop rares, ou insuffisantes pour abriter tout ce monde. Des cantines sont construites, des baraquements installés, des magasins de vivres approvisionnés, des ambulances fournies de leur matériel et de leur personnel d'infirmiers, de sœurs de charité et de médecins, pour les premiers soins à donner en cas d'accidents, ou pour suppléer à l'absence ou à l'insuffisance des maisons de secours existantes. Enfin, on a dû penser aux besoins de la religion, construire une chapelle pour le culte le plus répandu et lui donner un desservant. Et comme le représentant du Dieu de paix est souvent impuissant à maintenir la bonne harmonie entre ces hommes venus de tous les points de l'horizon et qui trouvent dans l'alcool et dans des liqueurs frelatées le soutien de leurs forces, à côté de la chapelle, on a installé un corps-de-garde, forcés parfois de recourir à des moyens plus persuasifs, à des arguments plus énergiques que la parole.

Telles sont, en résumé, les installations que nécessite la construction d'un chemin de fer, installations préliminaires et qui ne laissent pas que d'avoir une influence notable sur la bonne et la prompte exécution des travaux.

Les tranchées sont attaquées et nos Belges à la grande encolure poussent la brouette. Dans un bon chantier, jamais la brouette pleine ne touche terre. Lorsqu'un rouleur arrive au relai, il ralentit sa marche, son camarade se présente de côté, prend la brouette pleine, fléchit les reins, souvent découverts jusqu'à la ceinture, et reçoit de la main de son camarade l'impulsion du départ. Même reprise au relai suivant, et ainsi de suite jusqu'à la décharge.

Lorsque la distance de transport atteint 100 mètres, les brouettes cèdent la place aux tombereaux, qui bientôt sont remplacés par des wagons traînés par des chevaux ou par la locomotive. Une plus grande activité se déploie sur le chantier, des pentes sont ménagées pour faciliter le transport des déblais, personne ne chôme. Depuis l'enfant qui porte le bidon à l'eau aromatisée de vinaigre, de café ou d'eau-de-vie, qui manœuvre l'aiguille et s'occupe du graissage des wagons, jusqu'au cheval au large poitrail, à la croupe solide et brillante, tout le monde rivalise d'ardeur. Avez-vous remarqué jamais l'intelligence de ces chevaux qui, sur les grands chantiers, leur ont fait attribuer des fonctions spéciales? Attelés au tombereau, ils vont sans guide de la charge à la décharge, sans jamais abandonner le chemin tracé sur l'étroit remblai qu'ils doivent parcourir. Arrivés au but, ils tournent; un homme ou un enfant culbute le véhicule et la bête revient chercher une nouvelle charge. Attelé au wagon, le cheval prend le nom de lanceur. À quelque distance de la décharge, il fait, sur un cri du charretier, un effort énergique, tend ses traits, raidit ses muscles, fléchit ses jarrets, et de tout son corps élevé sur ses jambes de derrière et buté sur les traverses de la voie, il entraîne sa lourde charge. Pendant quelques secondes, il chemine entre les deux rails. Mais l'impulsion donnée est déjà suffisante pour que le wagon atteigne seul les traverses formant barrage à l'extrémité de la voie; l'attelage est rompu au moyen d'une ficelle et d'une attache à ressort. D'un bond, le cheval escalade le rail et les traverses saillantes qui le portent, et se range sur le côté du remblai. Le wagon vidé, il se retourne et le reconduit à quelques pas sur une voie d'évitement. Tout cela se passe en moins de temps que nous n'en mettons à le dire. Le cheval entend, voit, suit toutes ces manœuvres et les exécute avec une intelligence merveilleuse.

Même docilité, même soumission dans les travaux souterrains. Une lanterne fixée à la joue de son collier, il passe dans les galeries les plus étroites, sur un sol constamment inégal, tantôt rocher, tantôt terre, tantôt poussière, tantôt flaque d'eau; il se glisse, tourne au milieu des étais, se heurte parfois, mais sans jamais refuser ses services. Il se met au manége, s'attelle à la corde d'une grue, se meut en ligne droite ou en cercle avec la même facilité. Admirable animal, que ne protégent pas assez nos lois contre la brutalité de ses gardiens!

Ne voulant pas faire de la technologie, nous n'entrerons dans aucun détail sur l'installation des grands chantiers de chemins de fer; nous nous contenterons de dire que, tandis qu'aujourd'hui l'exécution d'une voie ferrée est devenue familière à nos entrepreneurs, elle était à l'origine chose complétement neuve. L'ouverture d'un canal, que l'on mettait des années à creuser, s'opérait à de si rares intervalles et dans des conditions si différentes, quelle n'avait formé aucun ouvrier expert; aussi, les ingénieurs qui curent à construire les premiers chemins de fer durent-ils se façonner eux-mêmes à ce nouveau genre de travaux, en dressant leurs entrepreneurs comme leurs propres employés. Aucune difficulté n'existe plus de ce côté depuis longtemps.

Rappelons seulement les noms des plus grandes tranchées donnant passage à des voies ferrées:

La tranchée de Tring sur le chemin de Birmingham, mesurant 1,100,000 mètres cubes;

Gadelbach, sur le chemin d'Ulm à Augsbourg, de 1,000,000 de mètres;

Tabatsofen: 860,000 mètres cubes;

Cowran, sur le chemin de Carlisle: 700,000 mètres cubes;

Blisworth, sur le chemin de Birmingham: 620,000 mètres cubes;

Poincy, au chemin de Strasbourg: 500,000 mètres cubes;

Pont-sur-Yonne, au chemin de Lyon: 470,000 mètres cubes;

Clamart, sur le chemin de Versailles, rive gauche: 400,000 mètres environ.

Les tranchées n'ont jamais plus de 15 mètres de profondeur, à moins qu'elles ne soient très-courtes.

Si la voie doit être placée plus profondément dans le sol, on perce un souterrain: il y a économie. Quant aux talus des tranchées, leur inclinaison varie entre la verticale et une ligne inclinée à 45° sur l'horizon. On ne descend au-dessous de ce chiffre qu'à la traversée des terrains d'une très-mauvaise nature, sans consistance et dont les éboulements fréquents nécessiteraient un entretien trop coûteux.

Les remblais s'élèvent aux deux extrémités des tranchées avec les déblais qui en sont sortis. Si ces déblais sont en excès, on les met en dépôt; si, au contraire, ils sont insuffisants, on a recours à un emprunt, qui se fait, suivant les cas, en élargissement dans la tranchée ou sur les côtés du remblai à construire. La hauteur des remblais n'excède pas 20 mètres et l'inclinaison des talus est le plus souvent de 1½ de base pour 1 de hauteur.

L'ingénieur ne cherche pas, comme il le fait pour la construction d'une route, à équilibrer rigoureusement les volumes des déblais et des remblais. Les conditions de tracé d'un chemin de fer sont autrement impérieuses. Les questions de pente et de courbure dominent toute autre considération, et la compensation, même approximative, des terres à déblayer et à remblayer n'est pour lui qu'une préoccupation secondaire.

L'un des premiers travaux attaqués et celui qui exige de la part de l'ingénieur les soins les plus assidus au point de vue du tracé, au point de vue de la conduite des travaux, est le percement des souterrains. Qu'on se figure un trou de plusieurs kilomètres de longueur parfois, d'une section de 30 à 50 mètres carrés, percé sous le sol, tantôt en ligne droite, tantôt suivant une courbe régulière au moyen d'attaques multipliées dont le nombre a varié depuis 2 jusqu'à 50, et installés au fond d'une autre série de trous verticaux ou de puits, dont la profondeur atteint souvent 200 mètres, et au fond desquels on trouve tout d'abord un air vicié par la fumée de la poudre et par la respiration des ouvriers, des infiltrations plus ou moins abondantes, qu'une pierre, un caillou qui tombe peut faire dégénérer en ruisseaux envahissants.

Une ligne droite ou une courbe est dessinée à l'aide de jalons, de pieux au travers du faîte à franchir. Tantôt elle monte sur un mamelon, tantôt elle descend dans une crevasse; là elle traverse un bois, là elle plonge dans une source voilée sous un bouquet d'arbres, et ne ménage aucune habitation. Tous les points bas qu'elle a touchés, sont notés, espacés régulièrement, plus ou moins, selon les difficultés présumées du percement et la durée probable de leur exécution. En chacun de ces points se trouve l'ouverture d'un puits. On se met à l'œuvre. Le puits descend; le manége ou la locomobile s'installe, fait marcher le ventilateur et le treuil. Tout va bien: les premières couches tendres sont traversées sans difficultés; on blinde avec quelques planches, un peu de foin, des étais; parfois on a recours au cuvelage en maçonnerie; mais de légers suintements se produisent, il est nécessaire d'installer des pompes; on descend, l'eau augmente, les pompes sont insuffisantes, on en installe de nouvelles, la locomobile est doublée; on continue. Un caillou, comme une noix, se détache de la paroi du puits, un homme tombe pour ne plus se relever, première victime; – un éboulement survient, l'eau envahit le puits, plusieurs hommes sont ensevelis; du secours au plus vite, on ne retire que des cadavres. C'est une alerte permanente, qui se répète en dix, quinze, vingt points différents.

Enfin, on arrive à la profondeur voulue. Il faut indiquer la direction des attaques. Nouvelle opération et l'une des plus délicates, sinon la plus délicate, à accomplir. Les ouvriers sont écartés. La locomobile reste en feu, quelques hommes sont au fond du puits, quelques autres à la surface. On trace à l'orifice un petit élément, une petite fraction de cette grande ligne dessinée sur le faîte, et, à l'aide de plombs suspendus à de légers fils, on reproduit au fond du puits cette petite ligne tracée à son ouverture. Le plus grand calme, le plus grand silence règnent autour des opérations. Il semble que le bruit seul de la voix va troubler le repos attendu de ces deux fils ou agiter l'air au milieu duquel ils sont suspendus. Le plomb est trop léger, on en augmente le poids, le fil se rompt, et l'on recommence: les heures se passent et les ouvriers attendent. On fait plonger le grave dans un vase plein d'eau. Enfin les deux fils sont immobiles, ou leurs oscillations d'assez peu d'étendue pour qu'on puisse en prendre aisément la mesure et partager leur amplitude. Les points sont fixés et, sur ce petit tronçon de ligne comme base, on va construire toute une nouvelle ligne, la vraie cette fois, que maintes opérations nouvelles viendront encore contrôler, car la certitude en pareil cas ne résulte que de la multiplicité des tracés.

Souvent la difficulté est augmentée par la situation des puits en dehors de l'axe du souterrain, disposition adoptée pour faciliter les manœuvres futures, mais poursuivons notre description.

Les ouvriers reprennent possession de leur chantier souterrain, qui présente désormais deux attaques dirigées en sens contraire. L'activité s'accroît. La poudre et les bois descendent, les déblais remontent; les hommes se remplacent toutes les six heures, le travail ne chôme pas un moment. En avant, marche la petite galerie que le tracé accompagne et dirige. Derrière vient le battage au large, l'ouverture à grande section. Un muraillement ou un revêtement général est à faire; on procède alors par tronçons ou par chambres alternatives, les éventails sont établis, les cintres sont dressés, les maçons suivent les boiseurs, et chaque jour, à pas lents, au milieu d'incidents sans gravité ou d'accidents épouvantables, le travail s'avance. C'est un vrai trou de taupe, car dans certains terrains l'homme le creuse avec ses mains, tantôt sur le ventre, tantôt sur le côté, tantôt sur le dos. L'ouvrier des souterrains s'identifie à sa besogne; à la lumière du soleil, il préfère celle de sa lampe, au grand air l'atmosphère humide, fumeuse et parfois fétide de son chantier. Son visage a pris une teinte pâle uniforme; ses yeux, ses narines et ses lèvres sont d'un rose maladif et ses cheveux sont parfois décolorés. On croirait à la souffrance, si le soleil, l'air vivifiant du dehors, une nourriture plus forte et plus substantielle, ne venaient le transformer et lui donner la force brutale qu'il montre dans ces rixes qu'amènent parfois la jalousie ou la colère, et que termine trop souvent le couteau.

Les souterrains les plus remarquables sont:

La Nerthe, entre Avignon et Marseille, d'une longueur de 4,600 mètres;

Blaisy, entre Tonnerre et Dijon, de 4,100 mètres;

Le Credo, sur le chemin de Lyon à Genève, de 3,900 mètres;

Rilly, sur l'embranchement de Reims, de 3,500 mètres;

Le tunnel des Alpes ou du Mont-Cenis, de 12,220 mètres de longueur.

L'un des tunnels les plus connus est celui de Blaisy, à 288 kilomètres de Paris. Voici quelques détails sur sa construction: Sa longueur, avons-nous dit, est de 4,100 mètres, sa largeur entre les pieds-droits de 8 mètres et sa hauteur sous clef de 8 mètres également. On a percé 22 puits pour sa construction; le plus profond a 197 mètres de hauteur. Quinze de ces puits sont conservés pour l'aérage du souterrain. L'ensemble des 22 puits a coûté deux millions. Le cube des déblais extraits du souterrain est évalué à 350,000 mètres et celui des matériaux de construction à 150,000. On a employé plus de 150,000 kilogrammes de poudre. Ce souterrain a coûté, sans les puits, 1,900 francs par mètre courant, soit 7,900,000 francs pour l'ensemble.

Disons quelques mots encore du tunnel des Alpes. Ce qui le distingue essentiellement des autres souterrains construits jusqu'à présent, c'est sa grande longueur (12kil,220) et l'impossibilité où l'on a été, en raison de la grande hauteur de la calotte, de l'attaquer par des puits. Il n'y a donc eu que deux chantiers partis des deux têtes, de Modane et de Bardonèche, et allant à la rencontre l'un de l'autre. L'ouverture à l'exploitation remonte au mois d'octobre 1871. Il a fallu, en raison du nombre restreint des attaques, employer les moyens de perforation les plus rapides. Voici ce qu'on a fait: On a appliqué à la compression de l'air la force produite par la chute des cours d'eau descendant du faîte. L'air comprimé, à son tour, a servi à mettre en mouvement de petites machines perforatrices qui remplacent le travail lent et pénible des ouvriers. MM. Grandis, Grattone et Sommeiller sont les inventeurs de ces machines. Aujourd'hui, une voie nouvelle, franchie en 20 ou 25 minutes, remplace l'ancienne route de la montagne, que les chevaux de poste mettaient 10 à 12 heures à parcourir et que le chemin de fer Fell7, dont nous aurons bientôt à parler, a fait franchir en 5 heures seulement. Maintenant, une communion plus intime peut s'établir entre la France et l'Italie et permettre à notre industrie d'aller puiser de nouvelles et vivifiantes inspirations dans la péninsule; – à nos voisins de venir étudier nos procédés rapides et perfectionnés de fabrication.

7.Un chemin de fer, d'un système analogue, permet de monter au sommet du Righi.