Loe raamatut: «Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6 - (G - H - I - J - K - L - M - N - O)», lehekülg 18

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Toutefois, dans cette combinaison ingénieuse, des tâtonnements sont encore apparents, aucune méthode géométrique ne préside au point de départ du tracé. Nous allons voir que les architectes du même édifice arrivent bientôt à des méthodes sûres, à des règles données par des combinaisons géométriques.

Les fenêtres des chapelles du choeur de la cathédrale d'Amiens sont contemporaines de la Sainte-Chapelle de Paris, elles datent de 1240 à 1245; or, les meneaux de ces fenêtres sont tracés d'après un principe géométrique fort-simple et très-bon. Il faut dire que ces meneaux consistent en un seul faisceau central portant la claire-voie sous les archivoltes (voy. CHAPELLE, fig. 39 et 40).


Soit (5), en A, la section horizontale d'une de ces fenêtres avec son meneau central B. Soient les lignes BB'B'', axes du meneau central et des colonnettes des pieds-droits. On remarquera d'abord que le même profil est adopté pour le meneau central et les pieds-droits. Soit la ligne CD, la naissance de l'arc qui doit terminer la fenêtre. L'espace entre les deux axes E et F, demi-largeur de la fenêtre, est divisé en quatre parties égales Ef, fG, Gh, hF. Du point f, prenant la demi-épaisseur de la colonnette ou boudin, cette demi-épaisseur est portée sur la ligne de base en f. Du point h, on reporte également cette demi-épaisseur en h'. Prenant la longueur Eh', on la reporte sur la ligne de base en h''. Sur cette base h'h'', on élève le triangle équilatéral h'h''H. Sur la base f'h', on élève également le triangle équilatéral If'h', et du sommet H du grand triangle équilatéral on tracera le petit triangle équilatéral Hi'i, semblable à celui If'h'. Prenant alors la longueur ef' et les points If'h', Hii' comme centres, on décrit les trilobes. Prenant les points h' et h'' comme centres et la longueur h''O comme rayon, on décrit le grand arc OP. Pour trouver les centres des deux arcs tiers-points inférieurs, des points f' et h', on trace deux lignes parallèles à h'I et à f'I; ces deux parallèles rencontrent les arcs inférieurs du trilobe en l et l'. Sur ces deux lignes, de l en m et de l' en m', on prend une largeur égale à la colonnette ou boudin. De ces deux points m et m', on tire deux parallèles à mg' et à m'g; ces deux parallèles rencontrent les lignes internes des boudins en n et en n'; dès lors les deux triangles mng', m'gn' sont équilatéraux, et prenant les points g et g' comme centres et la longueur gn' comme rayon, on trace les arcs tiers-points inférieurs. En T, nous avons tracé la moitié des meneaux avec les épaisseurs des profils. Ainsi, toutes les sections normales aux courbes donnent la section génératrice du meneau central B.

L'appareil est simple, logique, solide, car toutes les coupes sont normales, comme l'indique le tracé T. Sans tâtonnements, le boudin, aux points de rencontre de deux figures courbes, conserve toujours sa même épaisseur, ce qui est la règle la plus essentielle du tracé des claires-voies des meneaux. À dater du milieu du XIIIe siècle, les meneaux sont toujours tracés d'après des méthodes géométriques délicates, au moins dans les édifices élevés dans l'Île de France, la Champagne et la Picardie. Parmi ces meneaux, ceux dont les dessins paraissent les plus compliqués sont souvent produits par un procédé géométrique simple et n'offrant aucune difficulté à l'appareilleur. Nous en fournirons la preuve. D'abord les architectes de cette époque évitent les meneaux à sections différentes dans la même fenêtre; ils adoptent une seule section, même pour des meneaux de fenêtres à quatre travées, comme celles supérieures de l'église abbatiale de Saint-Denis (voy. FENÊTRE, fig. 24). Dès lors, il ne s'agit plus que de tracer les compartiments au moyen des lignes d'axes de la section des meneaux. Ce principe permet d'ailleurs de garnir les fenêtres d'un, de deux, de trois, de quatre meneaux, sans difficulté, de tracer les compartiments à une petite échelle, suivant une méthode géométrique, et de laisser faire ainsi, sans danger d'erreurs, le tracé de l'épure sur le chantier.

Les meneaux des fenêtres de l'église de Saint-Urbain de Troyes, qui datent de la seconde moitié du XIIIe siècle (1260 environ), sont tracés conformément à ce principe, c'est-à-dire qu'avec le dessin que nous donnons ici de l'une de ces fenêtres et une section des meneaux, grandeur d'exécution, l'épure peut être faite pour couper les panneaux. C'était là un avantage considérable dans un temps où beaucoup de monuments s'élevaient dans les provinces françaises, et même à l'étranger, sur des dessins envoyés par nos architectes du domaine royal. L'influence extraordinaire que le style adopté par notre école laïque avait acquise sur toute l'étendue du territoire actuellement français, sur une partie de l'Allemagne et de l'Espagne, était telle que les architectes avaient dû forcément chercher des méthodes de tracés qui ne fussent pas sujettes à de fausses interprétations.

À l'article CONSTRUCTION, pages 197 et suivantes, à propos de la structure de l'église Saint-Nazaire de Carcassonne, nous avons fait voir que les combinaisons les plus compliquées de tracés pouvaient facilement être transmises à l'aide de dessins faits à une petite échelle; la supériorité que devraient nous donner sur nos devanciers de six siècles des connaissances plus étendues en géométrie et tant d'autres avantages n'est pas telle cependant que nous puissions aussi facilement aujourd'hui transmettre les détails de notre architecture avec une complète confiance dans la manière de les interpréter. L'architecture n'est digne d'être considérée comme un art qu'autant qu'elle sort tout entière du cerveau de l'artiste et qu'elle peut s'écrire. Un temps où l'on arrive à tâtonner pendant l'exécution et à effacer, pour ainsi dire, sur le monument même au lieu d'effacer sur le papier, ne peut avoir la prétention de posséder une architecture 199. Une pareille époque ne saurait montrer trop de respect pour les artistes qui savaient ce qu'ils voulaient et qui combinaient un édifice tout entier dans leur cerveau avant d'ouvrir les chantiers. Examinons donc les meneaux des fenêtres du choeur de Saint-Urbain de Troyes (6).



Soit AB la largeur de la fenêtre. Sur cette largeur, qui donne les axes des boudins ou colonnettes des pieds-droits ayant pour section une demi-section de meneau, on a tracé l'arc brisé CDE; donc la base CD et les deux arcs de cercle circonscrivent un triangle équilatéral. Divisant ce triangle équilatéral par l'axe EF et par les deux lignes CG, DH passant par les milieux des deux lignes DE, CE, on obtient la figure EKIL, dans laquelle nous inscrivons le cercle dont le centre est sur l'axe en M. Marquant sur les lignes LC, LD deux points M'M'' à une distance égale à la longueur LM, on trace les deux autres cercles à l'aide de rayons égaux à celui du cercle dont le centre est en M. Il est clair que ces trois cercles sont tangents et inscrits par le grand arc brisé. Divisant ensuite la largeur AB en trois parties égales A,ab,B et chacune de ces trois divisions en deux, nous élevons des points N et O deux verticales, soit celle OP qui rencontre la circonférence du cercle M'' en P. De ce point P, prenant une longueur égale à bB, nous formons le triangle équilatéral PbS. Alors nous avons la base RS de la claire-voie portant sur les meneaux. Prenant les points bS comme centres et la longueur bS comme rayon, nous traçons les trois arcs brisés inférieurs; nous cherchons sur cette base RS les centres T du second arc brisé milieu, partant des naissances a,b et devant être tangent aux deux circonférences M'M''. Toutes ces lignes forment les axes X des meneaux dont nous avons donné la section en Y. Le tracé plus sombre Z sur cette section Y donne la section des redents. L'axe p de ces redents est à une certaine distance de l'axe X et ne se confond pas avec lui. Pour tracer les redents, nous prenons donc cette distance à l'intérieur de la circonférence des cercles et des arcs brisés inférieurs. Pour les redents des cercles, m étant le point marqué sur l'axe à la distance Xp donnée par la section des meneaux, on divise la longueur mM en deux parties égales; du point m' milieu et prenant m'm comme rayon, nous traçons les redents à quatre lobes des cercles. Quant aux redents des arcs brisés inférieurs, ils sont tracés suivant un même rayon; les centres des branches inférieures étant placés sur la ligne de base RS. Les redents de l'espace Q sont de même inscrits dans un triangle équilatéral. En AA, nous avons tracé à l'échelle de 0m,05 pour mètre le détail des redents des cercles avec l'armature circulaire en fer pincée par les quatre extrémités des lobes et destinée à maintenir les verrières. L'appareil des meneaux est indiqué par les lignes g, etc. En BB est donné le détail des chapiteaux. Ces meneaux, qui n'ont que 0m,095 d'épaisseur sur 0m,23 de champ, suffisent pour maintenir les vitraux de fenêtres qui ont 4m,40 de largeur sur 9m,20 de hauteur de l'appui à la clef, et encore reposent-ils sur une galerie à tour (voy. CONSTRUCTION, fig. 103); ils sont taillés dans du beau liais de Tonnerre et sont bien conservés. Il était impossible de combiner et d'exécuter un châssis de pierre plus léger, mieux entendu et plus résistant eu égard à son extrême ténuité.

Les formerets de la voûte circonscrivent exactement les grands arcs brisés qui ont servi de cintre pour les bander; car ces arcs entrent en feuillure sous ces formerets, comme l'indique la section X'. Il n'est pas besoin de dire que les meneaux verticaux sont d'une pièce et que les ajours sont taillés dans de très-grands morceaux de pierre, ainsi que l'indique l'appareil tracé sur la figure 6.

Vers la fin du XIIIe siècle et le commencement du XIVe, on employa des méthodes encore plus précises et plus rationnelles. On remarquera, dans l'exemple précédent, qu'il y a encore certains tracés qui sont livrés au tâtonnement; ainsi, l'inscription du cercle du sommet, générateur des trois autres, dans la figure EKIL, ne peut guère être obtenue dans la pratique qu'en cherchant sur l'axe EF le centre M au moyen du troussequin; les tangentes de ce cercle avec les lignes CI, DH et les deux arcs CE, DE ne pouvant être connues d'avance que par des opérations géométriques compliquées que certainement il était inutile de faire, les architectes ont donc été amenés à chercher des méthodes géométriques qui pussent toujours être démontrées et par conséquent dont le tracé fût absolu.



Ce résultat est remarquable dans la partie de l'église de Saint-Nazaire de Carcassonne qui fut élevée au commencement du XIVe siècle. Le triangle équilatéral devient, dans cet édifice, le générateur de tous les compartiments des meneaux. Prenons d'abord les fenêtres du sanctuaire de cette église qui sont les plus simples, et qui ne sont divisées que par un meneau central supportant une claire-voie. Le tracé générateur est fait sur l'axe des colonnettes ou boudins. Soit (7) une de ces fenêtres. Les trois lignes verticales AA'A'' passent par les axes des colonnettes dont la section est donnée en B. Cet axe est tracé en a. La naissance de l'arc brisé étant en CC', sur cette base CC' on élève le triangle équilatéral CC'D, et prenant CC' comme centres on trace les deux arcs CD, C'D qui sont toujours les axes des boudins donnés en a sur la section B. Divisant les lignes CD, C'D en deux parties égales, des points dd' diviseurs et des points DCC'c, pris comme centres, nous traçons les trois angles curvilignes équilatéraux inscrits. Deux verticales abaissées des deux points dd' divisent les deux arcs Cc, cC' en deux segments égaux. Prenant alors à l'intérieur des deux travées des distances égales à la distance qu'il y a entre les axes générateurs a et les axes b des membres secondaires du faisceau dont la section est en B, soit en ee', la naissance de la claire-voie étant fixée au niveau E, sur cette naissance nous cherchons le centre de l'arc de cercle qui doit passer par les points e et f; centre qui s'obtient naturellement en faisant passer une ligne par les points e et f en élevant une perpendiculaire du milieu de cette ligne jusqu'à sa rencontre avec la ligne de niveau E. Dès lors, on considère les arcs C'D, C'd', cd', dd', etc., comme membres principaux, et les arcs cC', ef, e'f comme membres secondaires. Les centres des redents G sont pris sur les axes passant par le sommet des triangles curvilignes, ainsi que l'indiquent les rayons ponctués; ces redents sont membres secondaires. c'est-à-dire que leur section est celle donnée par la seconde section génératrice dont l'axe est en b. Mais les arcs Cc, cC' étant secondaires eux-mêmes, les axes des redents sont tangents à ces arcs, comme on le voit en g. Quant aux redents inférieurs h, ils sont tertiaires et prennent la section h' sous-division de la section génératrice B. Les chapiteaux des arcs sont placés au niveau CC'.

Le tracé F de la moitié de la claire-voie, sur une échelle de 0m,04 pour mètre, explique le tracé de cette épure de manière à faire comprendre la section de tous les membres. Souvent, comme dans le cas présent, la section des extra-dos M est simplifiée et donne la coupe N, mais cette disposition est rare; à dater de la fin du XIIIe siècle les sections sont uniformes aux intra-dos comme aux extra-dos des arcs des claires-voies. Sur ce tracé est donnée la section du formeret qui enveloppe exactement l'arc de la claire-voie lui servant ainsi de cintre. Les claires-voies de ces fenêtres sont d'une heureuse proportion; de l'appui à la naissance E des arcs inférieurs les colonnettes ont 7m,70 et sont composées de deux ou trois morceaux.

Les compartiments des claires-voies supérieures engendrés par des triangles équilatéraux se prêtaient parfaitement au système des meneaux disposés par trois travées, assez généralement adopté au XIVe siècle. Puisqu'on décorait les fenêtres par des vitraux, on voulait avoir un motif milieu; les fenêtres, par deux et quatre travées, étaient moins favorables à la peinture des sujets que la division par trois. Il y avait donc entente entre l'architecte et le peintre verrier. Dans la même église de Saint-Nazaire, les grandes fenêtres orientales du transsept sont, en effet, divisées en trois travées au moyen de deux meneaux; les compartiments surmontant ces meneaux, bien que variés entre eux; procèdent tous de combinaisons données par le triangle équilatéral. Voici (8) l'une de ces fenêtres.



Il est entendu qu'à dater du milieu du XIII siècle les compartiments des meneaux sont tracés en prenant les axes des colonnettes ou boudins. Soient donc aa' les axes de ces colonnettes dont la section est donnée en A, avec ses décompositions en membres secondaires et tertiaires; la ligne b étant l'axe du membre secondaire et celle c l'axe du membre tertiaire. La naissance du formeret étant en B, sur la ligne de base BB' on élève le triangle équilatéral BB'C. Les points BB' sont les centres des arcs principaux BC, B'C. Du même point B' et du point D, prenant BD comme rayon, nous décrivons les deux arcs B'e, De; du point e comme centre, nous décrivons le troisième arc DB', mais en diminuant le rayon de la distance qu'il y a entre les deux axes A et b. Il est clair que le centre e se trouve sur le côté B'C du grand triangle équilatéral. Prenant les points e et C comme centres, nous traçons le triangle équilatéral curviligne supérieur. Du point f de rencontre de l'arc de base avec l'axe de la fenêtre et prenant toujours la distance aa' comme rayon, nous obtenons les points de rencontre g qui sont les centres de l'arc brisé milieu fg. Ce sont là les axes des membres principaux du compartiment, ceux dont la section est la plus forte, celle A. Il s'agit maintenant de tracer les compartiments dont la section est donnée sur l'axe b secondaire. Prenant les points Ce comme centres, et ayant divisé l'arc Ce en deux parties égales, les longueurs ei, Ci, nous donnent les rayons des trois arcs formant le riangle curviligne concave à l'intérieur du triangle curviligne convexe supérieur. Ayant élevé les deux verticales ll' à une distance des axes aa' égale à la distance existant entre le grand axe A et l'axe secondaire b, du point n, prenant la distance ll' comme rayon, nous obtenons les points oo' qui sont les centres des arcs inférieurs on, o'n. Toujours en observant la distance entre les deux axes A et b de la section, nous traçons le trèfle milieu dont les centres sont posés aux angles d'un triangle équilatéral; puis, sur la ligne de niveau oo' prolongée, nous élevons l'arc brisé central inférieur tangent aux lobes du trèfle. Tous ces membres appartiennent à la section secondaire dont l'axe est en b. Les redents, les petits trèfles et les subdivisions tracées en P appartiennent à la section tertiaire c. En R est représentée la moitié des meneaux avec tous leurs membres, suivant l'épaisseur de chaque section, obtenus en portant à droite et à gauche des axes les demi-épaisseurs de ces sections. En S, nous figurons un des chapiteaux s des meneaux, et en T les goujons qui traversent les barres de fer placées à la naissance des claires-voies et qui sont destinés à maintenir dans leur plan et les colonnettes verticales et les compartiments. Ces scellements de goujons et tous les joints d'appareils sont coulés en plomb, précaution devenue nécessaire du jour où l'on avait réduit la section des meneaux à une très-petite surface. Si l'on veut apporter quelque attention à la disposition de cet appareil, on remarquera que les vides laissés au milieu des morceaux d'une grande dimension sont étrésillonnés par ces subdivisions de trèfles et de redents qui ajoutent à la solidité de ces claires-voies. Ces architectes de l'école gothique française sont de terribles logiciens, et la composition des meneaux de leurs grandes baies en est une nouvelle preuve.

Ainsi, par exemple, ces redents H que nous voyons apparaître vers le milieu du XIIIe siècle dans l'Île-de-France et d'abord à la Sainte-Chapelle de Paris, ces redents considérés comme une décoration, un agrément, sont primitivement indiqués par un besoin de solidité. Chaque fois qu'un inconvénient résultait d'une forme adoptée, on cherchait et on trouvait aussitôt un moyen d'y remédier, et ce moyen devenait un motif de décoration. On voit dans la figure 8 que la branche K est isolée et que le moindre tassement, qu'une pression inégale pourrait la briser en L; or, cette branche est consolidée au moyen du redent P formant lien en potence au-dessous. Il est clair que les trèfles X, inscrits dans les triangles évidés des plus grands morceaux de l'appareil, donnent une grande force aux branches de ces triangles. De même les redents M des branches des triangles curvilignes supérieurs et ceux N des trois étrésillons droits ajoutent singulièrement à la résistance de ces parties d'appareil. On ne fait pas autre chose aujourd'hui lorsqu'on veut donner une plus grande résistance à des pièces de fonte de fer, par exemple, sans augmenter sensiblement leur poids; mais il est vrai que l'on veut considérer ces moyens comme des innovations dues à la science moderne.

On nous permettra, tout en rendant justice à notre temps, de restituer cependant à chaque époque ce qui lui revient de fait; on est bien forcé, quand on veut étudier avec attention la composition de ces claires-voies de pierre adoptées par l'école laïque du moyen âge, de reconnaître que ces claires-voies, occupant des surfaces considérables relativement à celles données par les modes d'architecture antérieurs et modernes, sont tracées, combinées et appareillées de manière à présenter le moins de pleins et à offrir la plus grande résistance possible. Par le tracé des nerfs principaux et des coupes des joints, toutes les pesanteurs sont reportées sur les meneaux verticaux, mais principalement sur les jambages; quant aux panneaux ajourés, ils sont rendus presque aussi rigides que des dalles pleines au moyen de ces étrésillonnements tertiaires tels que les trèfles et les redents. Il fallait que ces combinaisons fussent assez bonnes, puisque la plupart de nos grands édifices gothiques ont conservé leurs meneaux, et que quand ils ont souffert des dégradations, il est facile de les restaurer ou de les remplacer comme on remplace un châssis de fer ou de menuiserie. Les meneaux de pierre ont même cet avantage qu'ils peuvent être réparés en partie s'il s'est fait quelques brisures, tandis qu'un châssis de bois ou de fer, une fois altéré, doit être refait à neuf.

Ajoutons que ces meneaux de pierre supportent des vitraux d'un poids énorme et les armatures de fer destinées à les attacher. Ne considérant ces membres d'architecture qu'au point de vue de l'effet qu'ils produisent, ils nous paraissent former des dessins d'un aspect agréable, rassurants pour l'oeil et heureusement composés. C'est dans l'Île-de-France qu'il faut toujours aller chercher les meilleurs exemples de cette architecture au moment où elle se développe pour arriver aux formules. On trouve au sein de cette école, la plus pure et la plus classique de l'art du moyen âge, une sobriété, une application de principes vrais, obtenue à l'aide des méthodes les plus simples, une délicatesse dans les proportions, dans le choix des profils qui laissent au second rang les oeuvres des autres provinces 200.



Nous donnons (9) une des fenêtres des chapelles du choeur de Notre-Dame de Paris, élevées en même temps que le choeur de l'église de Saint-Nazaire de Carcassonne, c'est-à-dire vers 1320.

On voit ici l'absence de toute combinaison compliquée, c'est toujours le dessin des meneaux des fenêtres de la Sainte Chapelle du Palais, mais allégé. Ces fenêtres se divisent encore en quatre travées au moyen d'un meneau central dont la section est donnée par l'axe A, et de deux meneaux secondaires dont la section dérivée de la principale est donnée par l'axe b. Soient a et a' les axes de la section principale A. Du point B, prenant a'a'' comme rayon, on décrit l'arc concentrique au formeret CB. Donc, BC est le côté d'un triangle équilatéral. De ce même point B et du point I, milieu de la base du triangle, prenant BI comme rayon, nous traçons les arcs BE. Or, BE est égal à EC. On trace le cercle supérieur tangent aux arcs BC,IE. Tels sont les axes des membres principaux, ceux dont la section est donnée par le profil dont l'axe est A. Reportant en dedans de la fenêtre et des points aa' une distance égale à la distance qu'il y a entre les axes A et b, en ee' et divisant la ligne de base ee' en deux parties égales, prenant ef comme rayon, nous traçons les arcs inférieurs efg, fe'g', puis nous traçons le sous-arc secondaire concentrique à l'arc brisé IBE. Nous inscrivons un second cercle dont le centre est en F, tangent aux deux arcs inférieurs et à l'arc secondaire IBE. Prenant à l'intérieur de ce cercle et des arcs inférieurs une distance égale à la distance qu'il y a entre l'axe b de la section secondaire et l'axe c de la section tertiaire, nous traçons les axes des redents.

L'épure de ces meneaux est donc facile à faire, la composition est heureuse, claire, solide et d'un appareil solide, ainsi qu'on peut le voir en G. En K est donnée la section du pied-droit h, portant le formeret de la voûte formant archivolte à l'extérieur. En L est donné le profil de l'appui dont l'extérieur est en l avec la pénétration des bases. Le tracé m donne la projection horizontale des tailloirs des chapiteaux, celui n la projection horizontale des bases. C'est ici que la fonction des redents est évidente. Ces redents i donnent une grande force supplémentaire aux branches principales et secondaires des arcs, et on voit comme ils sont adroitement disposés pour ne pas gêner les coupes des joints. Le meneau central et les deux meneaux secondaires verticaux sont d'un seul morceau chacun; quant à la claire-voie supérieure, elle se compose seulement de quinze morceaux, et cependant ces fenêtres ont 4m,00 de largeur sur 4m,50 environ de hauteur sous clef, dans oeuvre.

Une fois le principe logique admis dans la construction des meneaux comme dans les autres membres de l'architecture gothique, les architectes ne s'arrêtent pas. Bientôt ils renoncent totalement aux sections génératrice, secondaire et tertiaire; ils adoptent une seule section pour tous les membres des meneaux, sauf les redents qui prennent moins de champ. Vers la fin du XIVe siècle on cherche déjà même à éviter les arcs brisés. Les meneaux ne se composent que de courbes et de contre-courbes, de manière à ne former plus qu'un réseau d'une résistance uniforme. En théorie cela était logique; en pratique, ces formes étaient d'un aspect moins satisfaisant.

Pour ne pas charger cet article, déjà très-étendu, d'un trop grand nombre d'exemples, nous allons étudier les meneaux adoptés au XVe siècle, et dans la composition desquels on aperçoit cette tendance des constructeurs de cette époque de ne plus tenir compte que de la logique, souvent aux dépens du style et de la simplicité apparente.



Alors, dans la composition des meneaux, les architectes cherchent à résumer toutes les forces et pesanteurs en une pression verticale. Soit (10) une de ces fenêtres du XVe siècle 201. La section des trois meneaux de ces fenêtres est la même (voir le détail A), elle se reproduit également dans la claire-voie; les redents seuls ont moins de champ et prennent la section B. Au moyen des grandes contre-courbes des deux divisions principales, les pesanteurs sont amenées sur le meneau central C et sur les jambages D. Une partie de ces pesanteurs est même déviée sur les meneaux intermédiaires E par les courbes renversées a et par celles b. Les combinaisons de ces courbes et contre-courbes font assez connaître le but que s'est proposé d'atteindre le constructeur, savoir: une claire-voie formant un réseau dont les mailles se résolvent en des pressions verticales, un système d'étrésillonnement général et des renforts à tous les points faibles donnés par les redents. On comprend, par exemple, que la corne c se briserait sous la moindre pression, si elle n'était renforcée par le redent d. Les barres e destinées à maintenir les panneaux des vitraux viennent encore ajouter un étrésillonnement à celui donné par la combinaison de la claire-voie de pierre.

Si l'on veut examiner ces meneaux avec attention, on reconnaîtra que tous les points faibles, ceux qui doivent subir les plus fortes pressions, sont étayés ou étrésillonnés par des courbes qui tendent à rendre tous les membres solidaires; que ces courbes sont tracées en raison de la véritable direction des pressions, de manière à décomposer celles qui sont obliques et à les ramener à des pesanteurs agissant verticalement; que les joints d'appareil sont coupés perpendiculairement à la direction de ces pressions, afin d'éviter les joints maigres, sujets à glisser ou à causer des brisures. Nous n'avons pas pour ce genre d'architecture un goût bien vif, mais il nous est impossible de ne pas reconnaître là l'oeuvre de constructeurs très-expérimentés, très-savants, logiques jusqu'à l'excès et chez lesquels la fantaisie ou le hasard n'avait pas de prise. Quand l'abus d'un principe conduit à de pareilles conceptions, il faut déplorer l'abus, mais il faut équitablement constater la valeur du principe et tâcher d'en tirer profit en évitant ses excès. Ces gens-là connaissaient à fond les ressources de leur art, ne faisaient toute chose que guidés par leur raison. Il ne nous appartient pas aujourd'hui de leur jeter la pierre, nous qui, possesseurs de matériaux variés et excellents, ne savons pas en tirer parti, et qui montrons notre insuffisance lorsqu'il s'agit de combinaisons de ce genre en architecture. Dans ce dernier exemple, les meneaux verticaux sont d'une seule pièce chacun, de l'appui à la naissance des courbes. La barre G traverse la tête de ces meneaux et maintient les sommiers de la claire-voie au moyen de goujons en os 202. Quant aux barres H, ce sont des barlotières simplement engagées d'un centimètre ou deux dans les montants. Des vergettes maintenaient les panneaux des vitraux engagés dans les feuillures I. Les barres et barlotières, ainsi que les tringles e, sont garnies de pitons et de clavettes. Les architectes du XVe siècle se fiaient si bien à la combinaison de leurs meneaux qu'ils les taillèrent souvent dans de la pierre demi-dure, dans du banc royal, par exemple. Il faut dire aussi qu'ils leur donnaient une section relativement plus forte que celle adoptée pour les meneaux du XIVe siècle, qui sont toujours les plus délicats. Ces compartiments de meneaux furent conservés jusque vers le milieu du XVIe siècle. Cependant, à l'époque de la Renaissance, quelques tentatives furent faites pour mettre les meneaux en harmonie avec les nouvelles formes de l'architecture en vogue à cette époque. Témoin certains des meneaux de l'église de la Ferté-Bernard, qui présentent le plus singulier mélange des traditions du moyen âge et de réminiscences de l'antiquité romaine. On croirait voir des arabesques de Pompéii exécutées en pierre.



Voici (11)l'une de ces combinaisons. La fenêtre est divisée par deux meneaux verticaux G, son axe étant en M. L'appareilleur n'a pas ici cherché des coupes savantes pour assembler les morceaux de la claire-voie. Celle-ci ne se compose réellement que de trois linteaux ajourés, superposés, dont on voit les lits en LL'L'', les branches d'arcs O faisant partie de ces linteaux. On reconnaît encore cependant que l'architecte, par la disposition des arabesques, a voulu donner de la résistance aux points faibles des évidements. Les figurines, les enroulements n'existent qu'en dehors du vitrial, les panneaux de verre étant enchâssés dans les compartiments principaux. La colonnette K même ne porte que la demi-épaisseur des meneaux et n'existe que du côté du dehors. En A est tracée la section sur ab et en B la section sur cd. La partie la plus délicate de cette claire-voie n'est guère qu'une décoration extérieure qui ne maintient en aucune façon les panneaux de verre, mais qui cependant donne un peu plus de solidité à l'ouvrage. Ces meneaux produisent un assez bon effet et sont exécutés avec une finesse et une perfection remarquables. Les soffites rampants sous les corniches et frontons sont ornés de gravures délicates. Le système de linteaux ou d'assises ajourés adoptés ici ne pouvait convenir qu'à des fenêtres assez étroites, puisqu'il interdisait les joints verticaux. Dans la même église, les claires-voies des fenêtres ayant trois meneaux et quatre travées sont combinées dans le genre de celles données précédemment, fig. 10.

199
   Il n'est pas besoin ici de rappeler combien de fois, à Paris même, nous avons vu depuis peu défaire et refaire sur les monuments eux-mêmes; c'est une manière de chercher le bien ou le mieux quelque peu dispendieuse. Jadis on l'essayait sur le papier; mais, une fois l'exécution commencée, toutes les parties se tenaient, étaient solidaires, et ne pouvaient ainsi être changées sans qu'il fût possible de donner des raisons sérieuses de ces changements.


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200
   Il ne faut pas oublier que la construction du choeur de l'église Saint-Nazaire de Carcassonne est due à un architecte du domaine royal.


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201
   Celle que nous donnons ici vient du choeur de l'église d'Eu, dans lequel l'architecture du milieu du XVe siècle est pure et sagement entendue.


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202
   À dater du XVe siècle, les constructeurs qui avaient eu l'occasion de constater combien les goujons en fer, en gonflant par suite de l'oxydation, étaient préjudiciables aux travaux de pierre et les faisaient éclater, remplacèrent ces goujons de métal par des goujons en os de mouton ou en corne de cerf. Ces derniers ont conservé toute leur dureté.


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