Loe raamatut: «Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9 - (T - U - V - Y - Z)», lehekülg 17

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Dans quelques contrées du centre, sur les bords de la Loire, du Nivernais, du Poitou, on fabriquait aussi, vers la fin du XIIe siècle, des tuiles plates en forme d'écailles 301. Ces tuiles, plus étroites que les tuiles de Champagne et de Bourgogne, sont parfois émaillées et creusées sur le pureau de trois cannelures qui facilitent l'écoulement des eaux (fig. 9).


Elles sont percées de deux trous, sont munies, par-dessous, d'un crochet qui s'appuie sur la tête de la tuile inférieure, et étaient posées sur un endôlement de merrain. Ces sortes de tuiles sont épaisses (la terre de ces contrées n'étant pas très-dure), et n'ont pas résisté aux agents atmosphériques aussi complétement que les tuiles de Champagne et de Bourgogne. Toutes les tuiles dont nous venons de donner les formes et les dimensions étaient moulées sur sable, à la main, coupées au couteau, et non moulées dans des moules, comme le sont la plupart des tuiles façonnées modernes; leur cuisson (au bois) est régulière et complète. Les tuiles de Bourgogne anciennes sont inaltérables et aussi bonnes aujourd'hui qu'au moment de leur mise en place. L'émail qui les couvre (surtout l'émail noir brun) et la couverte transparente qui fait ressortir leur teinte rouge ont résisté au temps. Les émaux jaunes et verts sont ceux qui se sont le plus altérés. Dans les provinces du Nord-Est, dans les Flandres, on employait, dès le XVe siècle, la tuile en forme d'S, encore en usage aujourd'hui et connue sous le nom de tuile flamande. Cette tuile n'est bonne que pour des couvertures légères et qui n'ont pas à préserver absolument les parties sous-jacentes. Par les grands vents, elles laissent passer l'eau de pluie et se dérangent facilement. Dès une époque ancienne, peut-être le XIIIe siècle, on cessa d'employer dans les ouvrages ordinaires des provinces méridionales la tuile-canal avec couvre-joints, que donne la figure 1. On se contenta d'employer les tuiles creuses, c'est-à-dire que les tuiles formant couvre-joints, en les retournant, remplacèrent les tuiles-canal plates. Ce genre de couverture est encore usité dans tout le midi de la France, à partir du Lyonnais, de l'Auvergne, d'une partie du Limousin, du Périgord et en remontant jusqu'en Vendée; il n'est pas sans inconvénients. La tuile creuse étant moulée sur sable, la partie sablonneuse se trouve dans la concavité, c'est-à-dire dans le canal. Cette surface sablonneuse qui reçoit toute l'eau de pluie, est plus poreuse que la surface convexe; elle conserve l'humidité, arrête la poussière, et développe des végétations qui encombrent les rigoles, ce qui nécessite un entretien fréquent. Ce mode n'est bon que dans les contrées où la chaleur du soleil est assez puissante pour empêcher ces végétations de se former. En adoptant le système de tuiles plates pour les combles à fortes pentes, les constructeurs du Nord avaient évidemment reconnu les inconvénients du système antique romain et de ses dérivés, savoir: la persistance de l'humidité sur les charpentes et le développement des mousses dans les concavités des toitures. Le soin avec lequel ils ont fabriqué ces tuiles plates, l'emploi de l'émail qui empêchait la pénétration de l'humidité et la naissance des mousses, le système d'attaches, indiquent que les maîtres, en véritables architectes, ne dédaignaient pas ces détails importants de la construction. Les tuiles plates données dans les deux figures 5 bis et 6 font ressortir l'intelligence prévoyante de ces constructeurs des XIIIe et XIVe siècles. Il est à remarquer que cette industrie du tuilier ne fit que décroître à dater de la fin du XVe siècle jusqu'au commencement de celui-ci. Les tuiles de Bourgogne et de Champagne fabriquées pendant le dernier siècle sont relativement grossières et inégales de cuisson, et ce n'est guère que depuis une dizaine d'années que l'on s'est occupé en France de cette partie si intéressante de l'art de bâtir. Nous avons été poussés dans cette voie nouvelle de l'emploi de la terre cuite aux couvertures par nos voisins les Anglais et les Allemands, qui nous avaient devancés, ou plutôt qui n'ont jamais cessé de pratiquer ces utiles industries, dédaignées généralement chez nous par les artistes, trop préoccupés de leurs conceptions grandioses et peu pratiques pour entrer dans ces menus détails de la bâtisse.

TUYAU, s. m.--Voy. CONDUITE.

TYMPAN, s. m. Partie pleine comprise entre le cintre d'une porte (archivolte) et le linteau. On donne aussi le nom de tympan aux surfaces pleines comprises entre les extrados d'une arcature et le bandeau qui les couronne.



La surface A (fig. 1) est un tympan de porte; la surface B, un tympan d'entre-deux d'arcature. Les tympans de porte, étant posés sur le linteau, peuvent être faits de diverses manières; composés de petits matériaux en façon de remplissage, ou de grands morceaux de pierre parementés décorés de peintures ou de bas-reliefs. Il arrive aussi que les tympans de porte sont à claire-voie, donnent des jours d'impostes; mais cette disposition n'est guère adoptée qu'à dater du milieu du XIIIe siècle, notamment dans les monuments de la Champagne. La place occupée par le tympan, sous les archivoltes des portes, était particulièrement favorable à la sculpture. Dans cette position, les bas-reliefs ne pouvaient pas manquer de produire un grand effet, et n'avaient pas à redouter (protégés qu'ils étaient par la saillie des voussures ou des porches) l'action destructive de la pluie et de la gelée. Beaucoup de nos églises conservent encore de magnifiques tympans sculptés (voy. PORTE). Nous citerons parmi les plus remarquables, datant du XIIe siècle, ceux des portes des églises de Vézelay, de Saint-Benoît-sur-Loire, de Charlieu, du portail occidental de la cathédrale de Chartres, de la porte Sainte-Anne de Notre-Dame de Paris, de la porte centrale de la cathédrale de Senlis; parmi ceux du XIIIe siècle, les tympans des portes latérales des cathédrales de Chartres, de Reims, des portails des cathédrales de Paris, d'Amiens, de Bourges, etc. Jusque vers le commencement du XIIIe siècle, le tympan de porte, s'il est sculpté, ne comporte guère qu'un sujet; quelquefois, s'il est très-grand, il se compose de deux zones, ainsi qu'on peut le voir à la porte centrale et à la porte de la Vierge de Notre-Dame de Paris, rarement d'un plus grand nombre. À dater de 1240 environ, les tympans se composent généralement de plusieurs zones. Les sujets se superposent et se multiplient, ou bien ils sont enfermés dans des compartiments architectoniques. La statuaire perd ainsi de son importance magistrale, elle est soumise à une échelle plus petite. Au parti si large qui consistait à placer un linteau possédant sa sculpture, et au-dessus un grand bas-relief, on substitua une superposition de linteaux (voy. PORTE), plusieurs bandes de bas-reliefs dont les figures sont d'autant plus petites d'échelles que ces linteaux superposés sont plus multipliés. Au XIVe siècle, la sculpture des tympans est de plus en plus absorbée par les formes géométriques de l'architecture. Vers la fin du XVe siècle, les trumeaux se développent en avant des tympans, par des statues et des pinacles qui s'élèvent jusque sous la clef des archivoltes. Le trumeau n'est plus seulement alors un support, mais une sorte de contre-fort, de pilier très-orné qui coupe la porte, son linteau et son tympan en deux parts.

Malgré la rigidité de ses principes, l'architecture du moyen âge (et l'on a occasion de le reconnaître dans le cours de cet ouvrage) évite la monotonie, la banalité, ce qu'on appelle dans le langage des arts, les poncifs. Rarement trouve-t-on, dans les conceptions, même les plus vulgaires, ces chevilles, ces remplissages insignifiants, si fréquents dans les monuments que nous élevons aujourd'hui à grands frais. Le luxe des matériaux, l'exagération de la dépense, ne rachètent pas le défaut d'invention, la pauvreté de l'idée; nos maîtres des XIIe et XIIIe siècles étaient, semble-t-il, bien pénétrés de cette vérité. Aussi, tout en restant soumis aux principes fondamentaux de leur art, ils savaient en déduire les conséquences les plus variées; partant, les plus attrayantes, les plus nouvelles aux yeux du vulgaire.

À l'article PORTE, nous donnons d'assez nombreux types de tympans, disposés déjà d'une façon assez variée; mais, ici, force nous est de suivre une méthode, et d'exclure les cas exceptionnels qui, cependant, fournissent des exemples précieux de ce que le véritable génie sait tirer de l'application raisonnée d'un principe vrai. Nous allons procéder, à propos d'un de ces exemples, comme a dû procéder l'architecte du XIIIe siècle, afin de faire saisir la méthode critique de ces maîtres, auxquels on ne saurait refuser, avec le savoir, une modestie que nous n'avons pas le courage de leur reprocher 302.

On sait que pour soulager les linteaux des portes, les architectes terminaient les pieds-droits par des corbeaux qui diminuaient de toute leur saillie la portée de ces linteaux monolithes (voy. fig. 2).



Bien que ces linteaux A fussent déchargés par les archivoltes B, cependant ils avaient encore à porter le tympan C; parfois ils se brisaient sous cette charge, surtout lorsqu'ils ne pouvaient être faits de pierre résistante.

Si, à la place des corbeaux D, nous plaçons deux goussets de pierre E se contre-butant en F, il est évident que le linteau est complétement soulagé, que sa hauteur entre lits peut être singulièrement réduite au profit du tympan. C'est en raisonnant ainsi, que l'architecte auteur du portail méridional de l'église de Saint-Séverin à Bordeaux a dû procéder (fig. 3).



Le linteau de cette porte est en effet réduit à la hauteur d'un bandeau. Au-dessous, les corbeaux sont remplacés par une arcature trilobée avec demi-tympans couverts d'une délicate sculpture de ceps de vigne au milieu desquels se jouent des oiseaux. Une inscription qui donne la date de cette porte (1247) pourtourne l'orle du trilobe. Au-dessus se place, dans le linteau, le bas-relief du Jugement dernier; puis dans le tympan supérieur, le Christ assis sur un trône, montrant ses plaies, assisté des deux anges qui portent les instruments de la passion, et imploré par la Vierge et par saint Jean. Dans les voussures, des cordons de feuillages, les martyrs et les vierges. Sur les jambages en ébrasement, et développés latéralement entre les colonnettes, dans la hauteur, des demi-tympans de l'arcature, les Apôtres, l'Église et la Synagogue.

Cette porte est accompagnée de deux arcades aveugles avec tympans dans lesquels sont figurées des scènes de la vie de saint Séverin. L'ensemble de cette composition, que donne la figure 3, est fort remarquable et produit un grand effet. En A nous présentons, à une grande échelle, l'un des demi-tympans du trilobe, d'un dessin à la fois original et gracieux. La sculpture en est plate, en façon de broderie, mais délicatement traitée, et devait produire tout son effet, avant que ce portail eût été abrité sous un porche plus récent. Le programme est d'ailleurs celui de beaucoup de portes d'églises; on voit cependant que l'architecte, grâce à ce développement des corbeaux supportant le linteau, a su en tirer un parti entièrement neuf. L'auteur du portail de Saint-Pierre-sous-Vézelay n'avait-il pas aussi tiré un parti nouveau de la composition du tympan de la porte centrale (voy. PORTE, fig. 65), en supprimant cette fois le linteau et en le remplaçant par un développement des corbeaux? Plus tard, vers la fin du XIVe siècle, les linteaux supportant les tympans furent fréquemment remplacés par des arcs surbaissés. Les corbeaux étaient ainsi supprimés; ces arcs surbaissés s'appuyaient sur les jambages et sur le trumeau ayant une saillie prononcée et découpant son couronnement en avant du tympan, le plus souvent ajouré et garni de vitraux. Les sujets en ronde-bosse qui remplissaient ordinairement les tympans du XIIIe siècle faisaient ainsi place à un fenestrage garni de vitraux. Comme nous l'avons dit, la Champagne avait, la première, adopté ce parti dès le XIIIe siècle. Les portes de la façade occidentale de la cathédrale de Reims le prouvent. Dans ce cas, le linteau portait une véritable fenêtre avec ses vitraux colorés, à la place des bas-reliefs. Il semble toutefois que la disposition des tympans pleins, décorés de sujets en ronde bosse, est préférable à ces fenestrages. En effet, les voussures garnies de statuettes forment un entourage, une sorte d'assistance au sujet principal décorant le tympan; si ce tympan est vide, ces rangées de voussures n'ont plus de raison d'être au point de vue de l'iconographie. Les maîtres de la meilleure période du XIIIe siècle dans l'Île-de-France l'avaient compris ainsi. Mais les belles conceptions iconographiques s'altèrent déjà dans les provinces voisines dès le milieu de ce siècle, et les architectes n'admettent plus, souvent alors, la sculpture que comme un motif de décoration, sans trop se préoccuper de l'unité des compositions d'ensemble. Ce n'est pas à nous à leur en faire un reproche, car, dans les édifices religieux que nous élevons, il est rare que la statuaire sortie des ateliers de divers artistes et faite sur commandes isolées, présente un ensemble iconographique dirigé par une pensée. Admettant que chaque figure ou chaque bas-relief soit un chef-d'oeuvre, ce défaut dans la conception générale, ce manque d'unité dans l'intention produit un assez triste effet. Il faut dire que le clergé, peu familier avec ces questions, préoccupé d'autres intérêts, plus importants peut-être au point de vue religieux, ne donne plus ces beaux programmes d'imageries qui sont si complets et si largement conçus dans les grandes églises du domaine royal de 1180 à 1240. Son goût ne le porte plus à aimer la belle et grave statuaire si bien ordonnée pendant notre meilleure période du moyen âge. Le joli, un peu fade, inauguré au XVIe siècle par l'école des Jésuites, ou le style italien de la basse renaissance, dominent toujours dans l'esprit des personnages qui, par leur situation dans l'Église, pourraient contribuer à rendre aux ouvrages de statuaire religieuse la virilité et le beau style qu'ils ont perdus.

Il est cependant quelques-unes de ces compositions de tympans du XVe siècle qui ne manquent pas de grandeur. Nous citerons, entre autres, les tympans du portail principal de la cathédrale de Tours, qui date de la fin de ce siècle.



Celui de la porte centrale (fig. 4) est à claire-voie, avec une sorte de double linteau ou plutôt de double imposte en arcs surbaissés. Le trumeau central, saillant, découpe la statue, son dais et la croix archiépiscopale qui le surmonte, en avant de la claire-voie vitrée. C'est là, nous le répétons, un parti souvent adopté à la fin du moyen âge et jusqu'au XVIe siècle. On trouve, dans notre article PORTE, un assez grand nombre de compositions de tympans pour qu'il ne soit pas utile d'insister ici sur le système décoratif de ces membres de l'architecture du moyen âge. Nous ne dirons que quelques mots des tympans d'arcatures compris entre leurs archivoltes. La sculpture d'ornement ou la statuaire jouent un rôle important sur ces sortes de tympans, d'une petite dimension généralement. Ces sculptures, faites pour être vues de près, sont traitées avec amour et habilement composées en vue de la place qu'elles occupent. On voit de très-remarquables tympans d'arcatures: aux portails de l'église de Notre-Dame la Grande, à Poitiers; à la cathédrale d'Angoulême (XIIe siècle); à la sainte Chapelle du Palais, à Paris; aux portails des cathédrales de Paris, de Bourges, d'Auxerre (XIIIe siècle); dans les chapelles de la nef des cathédrales de Bordeaux et de Laon (XIVe siècle), etc. (voyez ANGE, ARCATURE, AUTEL, CLOÎTRE, SCULPTURE, TRIFORIUM). Souvent ces tympans, lorsqu'ils sont d'une petite dimension, sont remplis par des animaux fantastiques.

U

UNITÉ, s. f. Dans toute conception d'art, l'unité est certainement la loi première, celle de laquelle toutes les autres dérivent. En architecture, cette loi est peut-être plus impérieuse encore que dans les autres arts du dessin, parce que l'architecture groupe tous ces arts pour en composer un ensemble, pour produire une impression. L'architecture tend à un résultat suprême: satisfaire à un besoin de l'homme. La pensée de l'artiste, en composant un édifice quelconque, ne doit jamais perdre de vue ce but à atteindre, car il ne suffit pas que sa composition satisfasse matériellement à ce besoin, il faut que l'expression de ce besoin soit nette: or, cette expression, c'est la forme apparente, le groupement en faisceau, de tous les arts et de toutes les industries auxquels l'architecte a recours pour parfaire son oeuvre. Plus une civilisation est compliquée, plus la difficulté est grande de composer d'après la loi d'unité; cette difficulté s'accroit de la masse des connaissances d'arts antérieurs, des traditions du passé, auxquelles la pensée de l'artiste ne peut se soustraire, qui l'obsèdent, s'imposent à son jugement, et entraînent, pour ainsi dire, son crayon dans des sillons déjà tracés.

Un de nos prédécesseurs, dont les écrits sont justement estimés, a dit: «Aussi faut-il qu'un monument émane d'une seule intelligence qui en combine l'ensemble de telle manière qu'on ne puisse, sans en altérer l'accord, ni en rien retrancher, ni rien y ajouter, ni rien y changer 303.» On ne saurait mieux parler, mais on comprendra qu'il est difficile à un architecte qui, pour exprimer sa pensée, va puiser à des sources très-diverses, de remplir ce programme. Nous reconnaissons volontiers que beaucoup d'architectes, de nos jours, n'admettent pas la loi d'unité, qu'ils en nient la puissance, et préconisent une sorte d'éclectisme vague, permettant à la pensée de l'artiste d'aller chercher dans le passé, au nord et au midi, les expressions propres à donner une forme à cette pensée. Ces artistes affirment que, de cet amas de documents mêlés, il sortira l'architecture de l'avenir. Peut-être; mais, en attendant, celle du présent n'exprime le plus souvent que le désordre et la confusion dans les idées.

Nous ne sommes pas de ceux qui nient l'utilité de l'étude des arts antérieurs, d'autant qu'il n'est donné à personne d'oublier ou de faire oublier la longue suite des traditions du passé; mais, ce que tout esprit réfléchi doit faire en face de cet amas de matériaux, c'est de les mettre en ordre, avant de songer à les utiliser. Que fait celui qui hérite d'une riche bibliothèque, si ce n'est d'abord d'en classer les éléments suivant un ordre méthodique, afin de pouvoir s'en servir le jour où il en aura besoin? Faut-il encore, qu'après ce premier classement, il ait fait au moins un résumé analytique de chacun des ouvrages de cette bibliothèque, dans son cerveau, afin de pouvoir choisir et profiter judicieusement de ses choix. Parmi toutes les architectures qui méritent d'être signalées dans l'histoire du monde, il n'en est pas une qui ne procède d'après la loi d'unité. Sur quoi s'établit cette loi d'unité? C'est là d'abord ce qu'il convient de rechercher. Les besoins auxquels l'architecture se propose de satisfaire ne sont pas très-variés. Il s'agit toujours d'abriter l'homme, soit en famille, soit en assemblée, et de lui permettre, sous ces abris, de vaquer à des occupations, ou de remplir des fonctions plus ou moins étendues, suivant que son état social est plus ou moins compliqué. Si ces premières conditions diffèrent peu, la manière d'y satisfaire est très-variée. En effet, l'abri peut être fait de bois ou de pierre; il peut être creusé dans le tuf ou façonné en terre; il peut se composer de parties juxtaposées ou superposées; il peut n'avoir qu'une destination transitoire ou défier l'action du temps. C'est alors que l'art intervient et que la loi d'unité s'établit, et s'établit naturellement, parce que tout, dans l'ordre créé, n'existe que par l'unité d'intention et de conception. On veut faire une cabane de bois, on coupe des arbres: unité d'intention. On réunit ces arbres en utilisant leurs propriétés: unité de conception. Quoi qu'on puisse dire et faire, c'est donc sur la structure, d'abord, qu'en architecture la loi d'unité s'établit, qu'il s'agisse d'une cabane de bois ou du Panthéon de Rome. La nature n'a pas procédé autrement, et il est plus que téméraire de chercher des lois en dehors de celles qu'elle a établies, ou plutôt de nous soustraire à ces lois, nous qui en faisons partie. Les découvertes dans les sciences physiques nous montrent chaque jour, avec plus d'évidence, que si l'ordre des choses créées manifeste une variété infinie dans ses expressions, il est soumis à un nombre de lois de plus en plus restreint à mesure que nous pénétrons plus avant dans le mystère du mouvement et de la vie; et qui sait si la dernière limite de ces découvertes ne sera pas la connaissance d'une loi et d'un atome! En deux mots, la création, c'est l'unité; le chaos, c'est l'absence de l'unité.

Sur quoi établirait-on, en architecture, la loi d'unité, si ce n'était sur la structure, c'est-à-dire sur le moyen de bâtir? Serait-ce sur le goût? Mais le goût, en architecture, est-il autre chose que l'emploi convenable des moyens? Serait-ce sur certaines formes adoptées arbitrairement par un peuple, par une secte? Mais alors, si nous avons à côté de ces formes d'autres formes arbitrairement adoptées par un autre peuple ou une autre secte, nous aurons deux unités. Nous voyons l'architecture des Hellènes parfaitement conforme aux lois de l'unité, parce que cette architecture ne ment jamais à ses moyens de structure; de même, chez les Romains (quand il s'agit des monuments bâtis suivant le mode romain); de même chez les Occidentaux du moyen âge, pendant les XIIe et XIIIe siècles. Cependant ces monuments sont fort dissemblables, et ils sont dissemblables parce qu'ils obéissent à la loi d'unité établie sur la structure. Le mode de structure changeant, la forme diffère nécessairement, mais il n'y a pas une unité grecque, une unité romaine, une unité du moyen âge. Un chêne ne ressemble point à un pied de fougère, ni un cheval à un lapin; végétaux et animaux obéissent cependant à l'unité organique qui régit tous les individus organisés.

De fait, l'unité ne peut exister dans l'architecture que si les expressions de cet art découlent du principe naturel. L'unité ne peut être une théorie, une formule; c'est une faculté inhérente à l'ordre universel, et que nous voyons adaptée aussi bien aux mouvements planétaires qu'aux plus infimes cristaux, aux végétaux comme aux animaux. M. Quatremère de Quincy, dans son Dictionnaire d'architecture 304 distingue, dans l'art de l'architecture, «différentes sortes d'unités partielles, d'où résulte l'unité générale d'un édifice». Cet auteur divise ainsi ce qu'il appelle les unités partielles, sans définir, d'ailleurs, ce que peut être une unité partielle:

«Unité de système et de principe.

Unité de conception et de composition.

Unité de plan.

Unité d'élévation.

Unité de décoration et d'ornement.

Unité de style et de goût.»

L'illustre auteur du Dictionnaire d'architecture ne nous dit pas comment l'unité de système se distingue de l'unité de conception, ni comment ces deux unités peuvent se séparer de l'unité de style et de goût; comment l'élévation d'un édifice, qui semblerait dériver nécessairement du plan, possède cependant son unité distincte de celle qui régit la composition de ce plan. Nous pensions que l'unité possédait cette propriété de ne pouvoir être divisée, et que ce qu'on peut diviser est pluralité. Cette colonne de six unités (et nous ne voyons pas pourquoi on s'en tiendrait à ce nombre) précède le paragraphe où il est dit que l'unité de système et de principe ne permet pas de poser des arcs sur des colonnes, ni un chapiteau corinthien sur un style ionique. C'est, semble-t-il, un préambule bien solennel pour une mince conclusion. Plus loin, cependant, l'auteur du Dictionnaire, à propos de l'unité d'élévation, écrit ces lignes que l'on ne saurait trop soumettre aux méditations de l'architecte: «Ce qui constitue particulièrement, dans l'architecture, l'unité d'élévation, c'est d'abord une telle correspondance de l'extérieur de sa masse avec l'intérieur, que l'oeil et l'esprit y aperçoivent le principe d'ordre et la liaison nécessaire qui en ont déterminé la manière d'être. Le but principal d'une façade ou élévation de bâtiment n'est pas d'offrir des combinaisons ou des compartiments de formes qui amusent les yeux. Là, comme ailleurs, le plaisir de la vue, s'il ne procède pas d'un besoin ou d'une raison d'utilité, loin d'être une source de mérite et de beauté, n'est plus qu'un brillant défaut. Mais là, comme ailleurs, le plus grand nombre se méprend en transportant les idées, c'est-à-dire en subordonnant le besoin au plaisir. De là cette multitude d'élévations d'édifices, dont les formes, les combinaisons, les dispositions, les ordonnances, les ornements, contredisent le principe d'unité fondé sur la nature propre de chaque chose. Ce qui importe donc à l'unité dont nous parlons, ce n'est pas qu'une élévation ait plus ou moins de parties, plus ou moins d'ornements, c'est qu'elle soit telle que la veulent le genre, la nature et la destination de l'édifice; c'est qu'elle corresponde aux raisons, sujétions et besoins qui ont ordonné de sa disposition intérieure; c'est que l'extérieur de cet édifice soit uni par le lien visible de l'unité à la manière d'être que les besoins du dedans auront commandée.» Nous n'avons pas à essayer, heureusement, d'accorder les opinions de l'ancien secrétaire perpétuel de l'Académie des beaux-arts avec les enseignements qui découlent des oeuvres d'architecture laissées par les membres passés et présents de la docte assemblée. Ce sont affaires de famille; nous constatons seulement que cette définition de l'unité des élévations, quant au fond, peut s'appliquer à l'unité dans les oeuvres d'architecture, sans qu'il soit utile de diviser cette unité. Ne mentir jamais au besoin, à l'ordonnance qu'impose ce besoin, aux moyens que fournit la matière en oeuvre, aux nécessités de la structure, ce sont les premières conditions de l'unité en architecture, et ces conditions ne sauraient séparer le plan de l'élévation, la conception du style 305. Nous ne concevons pas plus un architecte faisant un plan sans prévoir les élévations que donne ce plan, que nous ne concevrions l'ombre sans la lumière, ou la lumière sans l'ombre. D'ailleurs qu'entend-on par l'unité de plan? Est-ce que chaque partie de l'édifice projetée sur un plan horizontal possède les dimensions nécessaires, qu'elles soient placées en raison des besoins exprimés, qu'elles satisfassent pleinement à ces besoins en même temps qu'aux nécessités de la stabilité, de l'économie, de la durée, de l'orientation, de l'aspect intérieur et extérieur? Que chaque partie ne puisse être arbitrairement augmentée, diminuée, changée, sans qu'il en résulte quelque chose de moins bon? Que les pleins soient en raison de ce qu'ils doivent porter et que le mode de bâtir soit en rapport avec les matériaux à employer et avec les usages locaux? Si c'est là ce que l'on entend par l'unité de plan, c'est fort bien, à notre avis; mais nous ne pourrions comprendre la conception d'un plan ainsi dressé sans la conception simultanée des élévations; car, à prendre les choses à la lettre, le plan n'est que la projection horizontale de ce qu'on appelle l'élévation: or, comment concevoir et tracer la projection horizontale d'une chose qui serait à créer, qui n'existerait pas? Mais si, par l'unité de plan, on entend une image tracée sur le papier suivant certaines données symétriques, une sorte de dessin de broderie plaisant aux yeux par certaines pondérations de masses, de pleins et de vides, en torturant d'ailleurs les besoins auxquels tout édifice doit satisfaire, afin de rendre cette image plus agréable, alors nous avouons ne rien comprendre à cette unité; mais nous comprenons que cette unité peut être distincte de l'unité d'élévation, puisqu'elle n'a rien à voir avec les nécessités auxquelles il faut satisfaire, avec le mode de bâtir, avec la nature des matériaux à employer, avec l'économie et le bon sens, qui commande, paraît-il, de ne rien faire en architecture qui n'ait une raison d'être et dont on ne puisse justifier.

Il est un seul moyen de donner à une oeuvre d'architecture l'unité: c'est le programme et les forces connues--nous entendons par forces les ressources en hommes, argent et matériaux,--de trouver les combinaisons qui permettent de satisfaire à ce programme, et d'employer ces forces de manière à leur faire produire le résultat le plus complet. Il est évident que si, pour satisfaire à sa fantaisie, l'artiste jette une notable partie des ressources dont il dispose sur un point d'un édifice pour produire un effet, au détriment des autres; que si son édifice présente des échantillons de tous les moyens de structure et d'ornementation par amour de l'éclectisme; que s'il ment à la structure que lui fournit son temps pour imiter des formes appartenant à un mode passé; que si le monument qu'il élève n'a aucun lien avec les moeurs du temps; s'il choque ces moeurs par des dispositions appartenant à une civilisation différente ou à un autre climat, son oeuvre ne peut prétendre à l'unité.

L'unité n'existe qu'autant qu'il y a relation intime entre l'architecture et l'objet. Un temple dorien présente un type de l'unité architectonique; mais, si vous faites d'un temple dorien une bourse ou une église, l'unité est détruite: car, pour approprier cet édifice à une destination autre que celle pour laquelle on l'a élevé, il faut torturer ses dispositions, détruire ce qui constitue son unité.

Nous ne saurions trop le répéter, ce n'est qu'en suivant l'ordre que la nature elle-même observe dans ses créations que l'on peut, dans les arts, concevoir et produire suivant la loi d'unité, qui est la condition essentielle de toute création. Si, dans l'ordre des choses créées, on a cru voir parfois des déviations au principe de l'unité, l'étude plus approfondie a fini toujours par faire connaître que l'exception, au contraire, confirme la règle; et c'est une des gloires de la science moderne d'avoir rattaché de plus en plus, par l'observation, l'organisme universel à la loi d'unité, ce qui ne fait pas et ne peut faire que cet organisme ne soit varié à l'infini.

301
   Sur les bas-reliefs de cette époque, on voit souvent représentées des tuiles de cette forme. On en rencontre parfois aussi sur les monuments et dans les débris.


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302
   Peu d'architectes du moyen âge en France ont gravé leurs noms sur les monuments qu'ils élevaient, contrairement à l'habitude de leurs confrères italiens. Cette indifférence, ou cet excès de modestie leur a été reproché par un célèbre critique comme un aveu d'infériorité. Cependant il semblerait que c'est l'oeuvre qui doit être jugée, et que le nom de son auteur ne fait rien à l'affaire.


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303
   Quatremère de Quincy, Dict. d'architect., UNITÉ.


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304
   Voyez l'article UNITÉ.


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305
   Voyez les articles GOÛT, STYLE.


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