Lugege ainult LitRes'is

Raamatut ei saa failina alla laadida, kuid seda saab lugeda meie rakenduses või veebis.

Loe raamatut: «Le mystère de la chambre jaune», lehekülg 10

Font:

«Pour rien au monde, vous ne devez quitter ce poste, jusquau moment où je vous appellerai… Il y a cent chances sur cent pour que lhomme revienne à cette fenêtre et essaye de se sauver par là, quand il sera poursuivi, car cest par là quil est venu et par là quil a préparé sa fuite. Vous avez un poste dangereux…

– Quel sera le vôtre? demanda Fred.

– Moi, je sauterai dans la chambre, et je vous rabattrai lhomme!

– Prenez mon revolver, dit Fred, je prendrai votre bâton.

– Merci, fis-je, vous êtes un brave homme»

Et jai pris le revolver de Fred. Jallais être seul avec lhomme, là-bas, qui écrivait dans la chambre, et vraiment ce revolver me faisait plaisir.

Je quittai donc Fred, layant posté à la fenêtre 5 sur le plan, et je me dirigeai, toujours avec la plus grande précaution, vers lappartement de M. Stangerson, dans laile gauche du château. Je trouvai M. Stangerson avec le père Jacques, qui avait observé la consigne, se bornant à dire à son maître quil lui fallait shabiller au plus vite. Je mis alors M. Stangerson, en quelques mots, au courant de ce qui se passait. Il sarma, lui aussi, dun revolver, me suivit et nous fûmes aussitôt dans la galerie tous trois. Tout ce qui vient de se passer, depuis que javais vu lassassin assis devant le bureau, avait à peine duré dix minutes. M. Stangerson voulait se précipiter immédiatement sur lassassin et le tuer: cétait bien simple. Je lui fis entendre quavant tout il ne fallait pas risquer, «en voulant le tuer, de le manquer vivant».

Quand je lui eus juré que sa fille nétait pas dans la chambre et quelle ne courait aucun danger, il voulut bien calmer son impatience et me laisser la direction de lévénement. Je dis encore au père Jacques et à M. Stangerson quils ne devaient venir à moi que lorsque je les appellerais ou lorsque je tirerais un coup de revolver «et jenvoyai le père Jacques se placer» devant la fenêtre située à lextrémité de la galerie droite. (La fenêtre est marquée du chiffre 2 sur mon plan.) Javais choisi ce poste pour le père Jacques parce que jimaginais que lassassin, traqué à sa sortie de la chambre, se sauvant à travers la galerie pour rejoindre la fenêtre quil avait laissée ouverte, et voyant, tout à coup, en arrivant au carrefour des galeries, devant cette dernière fenêtre, Larsan gardant la galerie tournante, continuerait son chemin dans la galerie droite. Là, il rencontrerait le père Jacques, qui lempêcherait de sauter dans le parc par la fenêtre qui ouvrait à lextrémité de la galerie droite. Cest ainsi, certainement, quen une telle occurrence devait agir lassassin sil connaissait les lieux (et cette hypothèse ne faisait point de doute pour moi). Sous cette fenêtre, en effet, se trouvait extérieurement une sorte de contrefort. Toutes les autres fenêtres des galeries donnaient à une telle hauteur sur des fossés quil était à peu près impossible de sauter par là sans se rompre le cou. Portes et fenêtres étaient bien et solidement fermées, y compris la porte de la chambre de débarras, à lextrémité de la galerie droite: Je men étais rapidement assuré.

Donc, après avoir indiqué comme je lai dit, son poste au père Jacques «et ly avoir vu», je plaçai M. Stangerson devant le palier de lescalier, non loin de la porte de lantichambre de sa fille. Tout faisait prévoir que, dès lors que je traquais lassassin dans la chambre, celui-ci se sauverait par lantichambre plutôt que par le boudoir où se trouvaient les femmes et dont la porte avait dû être fermée par Mlle Stangerson elle-même, si, comme je le pensais, elle sétait réfugiée dans ce boudoir «pour ne pas voir lassassin qui allait venir chez elle!» Quoi quil en fût, il retombait toujours dans la galerie «Où mon monde lattendait à toutes les issues possibles».

Arrivé là, il voit à sa gauche, presque sur lui, M. Stangerson; il se sauve alors à droite, vers la galerie tournante, «ce qui est le chemin, du reste, de sa fuite préparée». À lintersection des deux galeries il aperçoit à la fois, comme je lexplique plus haut, à sa gauche, Frédéric Larsan au bout de la galerie tournante, et en face le père Jacques, au bout de la galerie droite. M. Stangerson et moi, nous arrivons par derrière. Il est à nous! Il ne peut plus nous échapper! … Ce plan me paraissait le plus sage, le plus sûr «et le plus simple». Si nous avions pu directement placer quelquun de nous derrière la porte du boudoir de Mlle Stangerson qui ouvrait sur la chambre à coucher, peut-être eût-il paru plus simple «à certains qui ne réfléchissent pas» dassiéger directement les deux portes de la pièce où se trouvait lhomme, celle du boudoir et celle de lantichambre; mais nous ne pouvions pénétrer dans le boudoir que par le salon, dont la porte avait été fermée à lintérieur par les soins inquiets de Mlle Stangerson. Et ainsi, ce plan, qui serait venu à lintellect dun sergent de ville quelconque, se trouvait impraticable. Mais moi, qui suis obligé de réfléchir, je dirai que, même si javais eu la libre disposition du boudoir, jaurais maintenu mon plan tel que je viens de lexposer; car tout autre plan dattaque direct par chacune des portes de la chambre «nous séparait les uns des autres au moment de la lutte avec lhomme», tandis que mon plan «réunissait tout le monde pour lattaque», à un endroit que javais déterminé avec une précision quasi mathématique. Cet endroit était lintersection des deux galeries.

Ayant ainsi placé mon monde, je ressortis du château, courus à mon échelle, la réappliquai contre le mur et, le revolver au poing, je grimpai.

Que si quelques-uns sourient de tant de précautions préalables, je les renverrai au mystère de la «Chambre Jaune» et à toutes les preuves que nous avions de la fantastique astuce de lassassin; et aussi, que si quelques-uns trouvent bien méticuleuses toutes mes observations dans un moment où lon doit être entièrement pris par la rapidité du mouvement, de la décision et de laction, je leur répliquerai que jai voulu longuement et complètement rapporter ici toutes les dispositions dun plan dattaque conçu et exécuté aussi rapidement quil est lent à se dérouler sous ma plume. Jai voulu cette lenteur et cette précision pour être certain de ne rien omettre des conditions dans lesquelles se produisit létrange phénomène qui, jusquà nouvel ordre et naturelle explication, me semble devoir prouver mieux que toutes les théories du professeur Stangerson, «la dissociation de la matière», je dirai même la dissociation «instantanée» de la matière.

XVI
Étrange phénomène de dissociation de la matière

Extrait du carnet de Joseph Rouletabille (suite)

Me voici de nouveau à la pierre de la fenêtre, continue Rouletabille, et de nouveau ma tête dépasse cette pierre; entre les rideaux dont la disposition na pas bougé, je mapprête à regarder, anxieux de savoir dans quelle attitude je vais trouver lassassin. Sil pouvait me tourner le dos! Sil pouvait être encore à cette table, en train décrire… Mais peut-être… peut- être nest-il plus là! … Et comment se serait-il enfui? … Est- ce que je nai pas son échelle»? … Je fais appel à tout mon sang-froid. Javance encore la tête. Je regarde: il est là; je revois son dos monstrueux, déformé par les ombres projetées par la bougie. Seulement, «il» nécrit plus et la bougie nest plus sur le petit bureau. La bougie est sur le parquet devant lhomme courbé au-dessus delle. Position bizarre, mais qui me sert. Je retrouve ma respiration. Je monte encore. Je suis aux derniers échelons; ma main gauche saisit lappui de la fenêtre; au moment de réussir je sens mon coeur battre à coups précipités. Je mets mon revolver entre mes dents. Ma main droite maintenant tient aussi lappui de la fenêtre. Un mouvement nécessairement un peu brusque, un rétablissement sur les poignets et je vais être sur la fenêtre… Pourvu que léchelle!…Cest ce qui arrive… je suis dans la nécessité de prendre un point dappui un peu fort sur léchelle et mon pied na point plutôt quitté celle-ci que je sens quelle bascule. Elle racle le mur et sabat… Mais déjà mes genoux touchent la pierre… Avec une rapidité que je crois sans égale, je me dresse debout sur la pierre… Mais plus rapide que moi a été lassassin… Il a entendu le raclement de léchelle contre le mur et jai vu tout à coup le dos monstrueux se soulever, lhomme se dresser, se retourner… Jai vu sa tête… ai-je bien vu sa tête? … La bougie était sur le parquet et néclairait suffisamment que ses jambes. À partir de la hauteur de la table, il ny avait guère dans la chambre que des ombres, que de la nuit… Jai vu une tête chevelue, barbue… Des yeux de fou; une face pâle quencadraient deux larges favoris; la couleur, autant que je pouvais dans cette seconde obscure distinguer, la couleur… en était rousse… à ce quil mest apparu… à ce que jai pensé… Je ne connaissais point cette figure. Ce fut, en somme, la sensation principale que je reçus de cette image entrevue dans des ténèbres vacillantes… Je ne connaissais pas cette figure «ou, tout au moins, je ne la reconnaissais pas»!

Ah! Maintenant, il fallait faire vite! … il fallait être le vent! la tempête! … la foudre! Mais hélas… hélas! «il y avait des mouvements nécessaires…» Pendant que je faisais les mouvements nécessaires de rétablissement sur les poignets, du genou sur la pierre, de mes pieds sur la pierre… lhomme qui mavait aperçu à la fenêtre avait bondi, sétait précipité comme je lavais prévu sur la porte de lantichambre, avait eu le temps de louvrir et fuyait. Mais déjà jétais derrière lui revolver au poing. Je hurlai: «À moi!»

Comme une flèche javais traversé la chambre et cependant javais pu voir qu»il y avait une lettre sur la table». Je rattrapai presque lhomme dans lantichambre, car le temps quil lui avait fallu pour ouvrir la porte lui avait au moins pris une seconde. Je le touchai presque; il me colla sur le nez la porte qui donne de lantichambre sur la galerie… Mais javais des ailes, je fus dans la galerie à trois mètres de lui… M. Stangerson et moi le poursuivîmes à la même hauteur. Lhomme avait pris, toujours comme je lavais prévu, la galerie à sa droite, cest-à-dire le chemin préparé de sa fuite…«À moi, Jacques! À moi, Larsan!» mécriai- je. Il ne pouvait plus nous échapper! Je poussai une clameur de joie, de victoire sauvage… Lhomme parvint à lintersection des deux galeries à peine deux secondes avant nous et la rencontre que javais décidée, le choc fatal qui devait inévitablement se produire, eut lieu! Nous nous heurtâmes tous à ce carrefour: M. Stangerson et moi venant dun bout de la galerie droite, le père Jacques venant de lautre bout de cette même galerie et Frédéric Larsan venant de la galerie tournante. Nous nous heurtâmes jusquà tomber…

«Mais lhomme nétait pas là!»

Nous nous regardions avec des yeux stupides, des yeux dépouvante, devant cet «irréel»: «lhomme nétait pas là!»

Où est-il? Où est-il? Où est-il? … Tout notre être demandait:

«Où est-il?»

«Il est impossible quil se soit enfui! mécriai-je dans une colère plus grande que mon épouvante!

– Je le touchais, sexclama Frédéric Larsan.

– Il était là, jai senti son souffle dans la figure! faisait le père Jacques.

– Nous le touchions!» répétâmes-nous, M. Stangerson et moi.

Où est-il? Où est-il? Où est-il? …

Nous courûmes comme des fous dans les deux galeries; nous visitâmes portes et fenêtres; elles étaient closes, hermétiquement closes… On navait pas pu les ouvrir, puisque nous les trouvions fermées… Et puis, est-ce que cette ouverture dune porte ou dune fenêtre par cet homme, ainsi traqué, sans que nous ayons pu apercevoir son geste, neût pas été plus inexplicable encore que la disparition de lhomme lui-même?

Où est-il? Où est-il? … Il na pu passer par une porte, ni par une fenêtre, ni par rien. Il na pu passer à travers nos corps! …

Javoue que, dans le moment, je fus anéanti. Car, enfin, il faisait clair dans la galerie, et dans cette galerie il ny avait ni trappe, ni porte secrète dans les murs, ni rien où lon pût se cacher. Nous remuâmes les fauteuils et soulevâmes les tableaux. Rien! Rien! Nous aurions regardé dans une potiche, sil y avait eu une potiche!

XVII
La galerie inexplicable

Mlle Mathilde Stangerson apparut sur le seuil de son antichambre, continue toujours le carnet de Rouletabille. Nous étions presque à sa porte, dans cette galerie où venait de se passer lincroyable phénomène. Il y a des moments où lon sent sa cervelle fuir de toutes parts. Une balle dans la tête, un crâne qui éclate, le siège de la logique assassiné, la raison en morceaux… tout cela était sans doute comparable à la sensation, qui mépuisait, «qui me vidait», du déséquilibre de tout, de la fin de mon moi pensant, pensant avec ma pensée dhomme! La ruine morale dun édifice rationnel, doublé de la ruine réelle de la vision physiologique, alors que les yeux voient toujours clair, quel coup affreux sur le crâne!

Heureusement, Mlle Mathilde Stangerson apparut sur le seuil de son antichambre. Je la vis; et ce fut une diversion à ma pensée en chaos… Je la respirai… «je respirai son parfum de la dame en noir… Chère dame en noir, chère dame en noir» que je ne reverrai jamais plus! Mon Dieu! dix ans de ma vie, la moitié de ma vie pour revoir la dame en noir! Mais, hélas! Je ne rencontre plus, de temps en temps, et encore! … et encore! … que le parfum, à peu près le parfum dont je venais respirer la trace, sensible pour moi seul, dans le parloir de ma jeunesse! … cest cette réminiscence aiguë de ton cher parfum, dame en noir, qui me fit aller vers celle-ci que voilà tout en blanc, et si pâle, si pâle, et si belle sur le seuil de la «galerie inexplicable»! Ses beaux cheveux dorés relevés sur la nuque laissent voir létoile rouge de sa tempe, la blessure dont elle faillit mourir… Quand je commençais seulement à prendre ma raison par le bon bout, dans cette affaire, jimaginais que, la nuit du mystère de la «Chambre Jaune», Mlle Stangerson portait les cheveux en bandeaux… «Mais, avant mon entrée dans la «Chambre Jaune», comment aurais-je raisonné sans la chevelure aux bandeaux»?

Et maintenant, je ne raisonne plus du tout, depuis le fait de la «galerie inexplicable»; je suis là, stupide, devant lapparition de Mlle Stangerson, pâle et si belle. Elle est vêtue dun peignoir dune blancheur de rêve. On dirait une apparition, un doux fantôme. Son père la prend dans ses bras, lembrasse avec passion, semble la reconquérir une fois de plus, puisquune fois de plus elle eût pu, pour lui, être perdue! Il nose linterroger… Il lentraîne dans sa chambre où nous les suivons… car, enfin, il faut savoir! … La porte du boudoir est ouverte… Les deux visages épouvantés des gardes-malades sont penchés vers nous… «Mlle Stangerson demande ce que signifie tout ce bruit.» «Voilà, dit-elle, cest bien simple! …» – Comme cest simple! comme cest simple! – … Elle a eu lidée de ne pas dormir cette nuit dans sa chambre, de se coucher dans la même pièce que les gardes- malades, dans le boudoir… Et elle a fermé, sur elles trois, la porte du boudoir… Elle a, depuis la nuit criminelle, des craintes, des peurs soudaines fort compréhensibles, nest-ce pas? … Qui comprendra pourquoi, cette nuit justement «où il devait revenir», elle sest enfermée par un «hasard» très heureux avec ses femmes? Qui comprendra pourquoi elle repousse la volonté de M. Stangerson de coucher dans le salon de sa fille, puisque sa fille a peur? Qui comprendra pourquoi la lettre, qui était tout à lheure sur la table de la chambre, «ny est plus»! … Celui qui comprendra cela dira: Mlle Stangerson savait que lassassin devait revenir… elle ne pouvait lempêcher de revenir… elle na prévenu personne parce quil faut que lassassin reste inconnu… inconnu de son père, inconnu de tous… excepté de Robert Darzac. Car M. Darzac doit le connaître maintenant… Il le connaissait peut-être avant! Se rappeler la phrase du jardin de lÉlysée: «Me faudra-t-il, pour vous avoir, commettre un crime?» Contre qui, le crime, sinon «contre lobstacle», contre lassassin? Se rappeler encore cette phrase de M. Darzac en réponse à ma question: «Cela ne vous déplairait-il point que je découvre lassassin?—Ah! Je voudrais le tuer de ma main!» Et je lui ai répliqué: «Vous navez pas répondu à ma question!» Ce qui était vrai. En vérité, en vérité, M. Darzac connaît si bien lassassin quil a peur que je le découvre, «tout en voulant le tuer». Il na facilité mon enquête que pour deux raisons: dabord parce que je ly ai forcé; ensuite, pour mieux veiller sur elle…

Je suis dans la chambre… dans sa chambre… je la regarde, elle… et je regarde aussi la place où était la lettre tout à lheure… Mlle Stangerson sest emparée de la lettre; cette lettre était pour elle, évidemment… évidemment… Ah! comme la malheureuse tremble… Elle tremble au récit fantastique que son père lui fait de la présence de lassassin dans sa chambre et de la poursuite dont il a été lobjet… Mais il est visible… il est visible quelle nest tout à fait rassurée que lorsquon lui affirme que lassassin, par un sortilège inouï, a pu nous échapper.

Et puis il y a un silence… Quel silence! … Nous sommes tous là, à «la» regarder… Son père, Larsan, le père Jacques et moi… Quelles pensées roulent dans ce silence autour delle? … Après lévénement de ce soir, après le mystère de la «galerie inexplicable», après cette réalité prodigieuse de linstallation de lassassin dans sa chambre, à elle, il me semble que toutes les pensées, toutes, depuis celles qui se traînent sous le crâne du père Jacques, jusquà celles qui «naissent» sous le crâne de M. Stangerson, toutes pourraient se traduire par ces mots quon lui adresserait, à elle: «Oh! toi qui connais le mystère, explique-le- nous, et nous te sauverons peut-être!» Ah! comme je voudrais la sauver… delle-même, et de lautre! … Jen pleure… Oui, je sens mes yeux se remplir de larmes devant tant de misère si horriblement cachée.

Elle est là, celle qui a le parfum de «la dame en noir»… je la vois enfin, chez elle, dans sa chambre, dans cette chambre où elle na pas voulu me recevoir… dans cette chambre «où elle se tait», où elle continue de se taire. Depuis lheure fatale de la «Chambre Jaune», nous tournons autour de cette femme invisible et muette pour savoir ce quelle sait. Notre désir, notre volonté de savoir doivent lui être un supplice de plus. Qui nous dit que, si «nous apprenons», la connaissance de «son» mystère ne sera pas le signal dun drame plus épouvantable que ceux qui se sont déjà déroulés ici? Qui nous dit quelle nen mourra pas? Et cependant, elle a failli mourir… et nous ne savons rien… Ou plutôt il y en a qui ne savent rien… mais moi… si je savais «qui», je saurais tout… Qui? qui? qui? … et ne sachant pas qui, je dois me taire, par pitié pour elle, car il ne fait point de doute quelle sait, elle, comment «il» sest enfui, lui, de la «Chambre Jaune», et cependant elle se tait. Pourquoi parlerais-je? Quand je saurai qui, «je lui parlerai, à lui!»

Elle nous regarde maintenant… mais de loin… comme si nous nétions pas dans sa chambre… M. Stangerson rompt le silence. M. Stangerson déclare que, désormais, il ne quittera plus lappartement de sa fille. Cest en vain que celle-ci veut sopposer à cette volonté formelle, M. Stangerson tient bon. Il sy installera dès cette nuit même, dit-il. Sur quoi, uniquement occupé de la santé de sa fille, il lui reproche de sêtre levée… puis il lui tient soudain de petits discours enfantins… Il lui sourit… il ne sait plus beaucoup ni ce quil dit, ni ce quil fait… Lillustre professeur perd la tête… Il répète des mots sans suite qui attestent le désarroi de son esprit… celui du nôtre nest guère moindre. Mlle Stangerson dit alors, avec une voix si douloureuse, ces simples mots: «Mon père! mon père!» que celui-ci éclate en sanglots. Le père Jacques se mouche et Frédéric Larsan, lui-même, est obligé de se détourner pour cacher son émotion. Moi, je nen peux plus… je ne pense plus, je ne sens plus, je suis au-dessous du végétal. Je me dégoûte.

Cest la première fois que Frédéric Larsan se trouve, comme moi, en face de Mlle Stangerson, depuis lattentat de la «Chambre Jaune». Comme moi, il avait insisté pour pouvoir interroger la malheureuse; mais, pas plus que moi, il navait été reçu. À lui comme à moi, on avait toujours fait la même réponse: Mlle Stangerson était trop faible pour nous recevoir, les interrogatoires du juge dinstruction la fatiguaient suffisamment, etc… Il y avait là une mauvaise volonté évidente à nous aider dans nos recherches qui, «moi», ne me surprenait pas, mais qui étonnait toujours Frédéric Larsan. Il est vrai que Frédéric Larsan et moi avons une conception du crime tout à fait différente…

… Ils pleurent… Et je me surprends encore à répéter au fond de moi: La sauver! … la sauver malgré elle! la sauver sans la compromettre! La sauver sans qu«il» parle! Qui: «il?» – «Il», lassassin… Le prendre et lui fermer la bouche! … Mais M. Darzac la fait entendre: «pour lui fermer la bouche, il faut le tuer!» Conclusion logique des phrases échappées à M. Darzac. Ai-je le droit de tuer lassassin de Mlle Stangerson? Non! … Mais quil men donne seulement loccasion. Histoire de voir sil est bien, réellement, en chair et en os! Histoire de voir son cadavre, puisquon ne peut saisir son corps vivant!

Ah! comment faire comprendre à cette femme, qui ne nous regarde même pas, qui est toute à son effroi et à la douleur de son père, que je suis capable de tout pour la sauver… Oui… oui… je recommencerai à prendre ma raison par le bon bout et jaccomplirai des prodiges…

Je mavance vers elle… je veux parler, je veux la supplier davoir confiance en moi… je voudrais lui faire entendre par quelques mots, compris delle seule et de moi, que je sais comment son assassin est sorti de la «Chambre Jaune», que jai deviné la moitié de son secret… et que je la plains, elle, de tout mon coeur… Mais déjà son geste nous prie de la laisser seule, exprime la lassitude, le besoin de repos immédiat… M. Stangerson nous demande de regagner nos chambres, nous remercie, nous renvoie… Frédéric Larsan et moi saluons, et, suivis du père Jacques, nous regagnons la galerie. Jentends Frédéric Larsan qui murmure: «Bizarre! bizarre! …» Il me fait signe dentrer dans sa chambre. Sur le seuil, il se retourne vers le père Jacques. Il lui demande:

«Vous lavez bien vu, vous?

– Qui?

– Lhomme!

– Si je lai vu! … Il avait une large barbe rousse, des cheveux roux…

– Cest ainsi quil mest apparu, à moi, fis-je.

– Et à moi aussi», dit Frédéric Larsan.

Le grand Fred et moi nous sommes seuls, maintenant, à parler de la chose, dans sa chambre. Nous en parlons une heure, retournant laffaire dans tous les sens. Il est clair que Fred, aux questions quil me pose, aux explications quil me donne, est persuadé – malgré ses yeux, malgré mes yeux, malgré tous les yeux – que lhomme a disparu par quelque passage secret de ce château quil connaissait.

«Car il connaît le château, me dit-il; il le connaît bien…

– Cest un homme de taille plutôt grande, bien découplé…

– Il a la taille quil faut… murmure Fred…

– Je vous comprends, dis-je… mais comment expliquez-vous la barbe rousse, les cheveux roux?

– Trop de barbe, trop de cheveux… Des postiches, indique Frédéric Larsan.

– Cest bientôt dit… Vous êtes toujours occupé par la pensée de Robert Darzac… Vous ne pourrez donc vous en débarrasser jamais?

… Je suis sûr, moi, quil est innocent…

– Tant mieux! Je le souhaite… mais vraiment tout le condamne… Vous avez remarqué les pas sur le tapis? … Venez les voir…

– Je les ai vus… Ce sont «les pas élégants» du bord de létang.

– Ce sont les pas de Robert Darzac; le nierez-vous?

– Évidemment, on peut sy méprendre…

– Avez-vous remarqué que la trace de ces pas «ne revient pas»? Quand lhomme est sorti de la chambre, poursuivi par nous tous, ses pas nont point laissé de traces…

– Lhomme était peut-être dans la chambre «depuis des heures». La boue de ses bottines a séché et il glissait avec une telle rapidité sur la pointe de ses bottines… On le voyait fuir, lhomme… on ne lentendait pas…»

Soudain, jinterromps ces propos sans suite, sans logique, indignes de nous. Je fais signe à Larsan découter:

«Là, en bas… on ferme une porte…»

Je me lève; Larsan me suit; nous descendons au rez-de-chaussée du château; nous sortons du château. Je conduis Larsan à la petite pièce en encorbellement dont la terrasse donne sous la fenêtre de la galerie tournante. Mon doigt désigne cette porte fermée maintenant, ouverte tout à lheure, sous laquelle filtre de la lumière.

«Le garde! dit Fred.

– Allons-y!» lui soufflai-je…

Et, décidé, mais décidé à quoi, le savais-je? décidé à croire que le garde est le coupable? laffirmerais-je? je mavance contre la porte, et je frappe un coup brusque.

Certains penseront que ce retour à la porte du garde est bien tardif… et que notre premier devoir à tous, après avoir constaté que lassassin nous avait échappé dans la galerie, était de le rechercher partout ailleurs, autour du château, dans le parc… Partout…

Si lon nous fait une telle objection, nous navons pour y répondre que ceci: cest que lassassin était disparu de telle sorte de la galerie «que nous avons réellement pensé quil nétait plus nulle part»! Il nous avait échappé quand nous avions tous la main dessus, quand nous le touchions presque… nous navions plus aucun ressort pour nous imaginer que nous pourrions maintenant le découvrir dans le mystère de la nuit et du parc. Enfin, je vous ai dit de quel coup cette disparition mavait choqué le crâne!

… Aussitôt que jeus frappé, la porte souvrit; le garde nous demanda dune voix calme ce que nous voulions. Il était en chemise «et il allait se mettre au lit»; le lit nétait pas encore défait…

Nous entrâmes; je métonnai.

«Tiens! vous nêtes pas encore couché? …

– Non! répondit-il dune voix rude… Jai été faire une tournée dans le parc et dans les bois… Jen reviens… Maintenant, jai sommeil… bonsoir! …

– Écoutez, fis-je… Il y avait tout à lheure, auprès de votre fenêtre, une échelle…

– Quelle échelle? Je nai pas vu déchelle! … Bonsoir!»

Et il nous mit à la porte tout simplement.

Dehors, je regardai Larsan. Il était impénétrable.

«Eh bien? fis-je…

– Eh bien? répéta Larsan…

– Cela ne vous ouvre-t-il point des horizons?»

Sa mauvaise humeur était certaine. En rentrant au château, je lentendis qui bougonnait:

«Il serait tout à fait, mais tout à fait étrange que je me fusse trompé à ce point! …»

Et, cette phrase, il me semblait quil lavait plutôt prononcée à mon adresse quil ne se la disait à lui-même.

Il ajouta:

«Dans tous les cas, nous serons bientôt fixés… Ce matin il fera jour.»

Vanusepiirang:
12+
Ilmumiskuupäev Litres'is:
21 juuli 2018
Objętość:
310 lk 1 illustratsioon
Õiguste omanik:
Public Domain