Loe raamatut: «Correspondance, 1812-1876. Tome 4», lehekülg 9

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CDXXXIII
A MADEMOISELLE LEROYET DE CHANTEPIE, A ANGERS

Nohant, 5 juin 1858.

Il n'y a pas, je crois, d'âme plus généreuse et plus pure que la vôtre, et elle ne serait pas sauvée! Ce dogme catholique vous tue, et, si je vous dis qu'il faut en sortir, vous n'aurez peut-être plus ni amitié pour moi, ni confiance. Pourtant, c'est ma conviction, le dogme de l'enfer est une monstruosité, une imposture et une barbarie. Dieu, qui nous a tracé la loi du progrès et qui nous y pousse malgré nous, nous défend aujourd'hui de croire à la damnation éternelle; c'est une impiété que de douter de sa miséricorde infinie et de croire qu'il ne pardonne pas toujours, même aux plus grands coupables.

Je vous croyais autrefois heureuse par la foi catholique, et les croyances douces et tranquilles dans les belles âmes me paraissent si sacrées, que je vous disais: «Allez à tel prêtre, ou à tel philosophe chrétien, ou à tel ami qui vous semblera propre à vous rendre l'ancienne sérénité où vos nobles sentiments ont pris naissance et force.»

Mais voilà que le doute est entré en vous, et que la voix du prêtre vous jette dans une sorte de vertige. Quittez le prêtre et allez à Dieu, qui vous appelle, et qui juge apparemment que votre âme est assez éclairée pour ne pouvoir plus supporter un intermédiaire sujet à erreur.

Ou, si l'habitude, la convenance, le besoin des formules consacrées vous lient à la pratique du culte, portez-y donc cet esprit de confiance, de liberté et de véritable foi qui est en vous. Préservez-vous de cette idée fixe qui vous ronge et qui vous éloigne de Dieu. Dieu ne veut pas qu'on doute de soi-même, car c'est douter de lui. Votre pauvre Agathe était bien touchante et vous avez été son ange gardien. Pour cela seul, vous avez mérité que Dieu vous aime particulièrement et vous retire de vos doutes; mais il faut aider à la grâce, et c'est ce que vous ne faites pas quand vous laissez ces fantasmagories de néant et de perdition vous envahir. C'est cela qui est coupable, et non pas les actions de votre vie ni les élans de votre coeur.

Je vous disais, il y a quelques années: Allez à Paris! mais Paris est devenu un gouffre de luxe et de vie factice, et vous avez laissé passer du temps. Chaque année, a nos âges, rend plus pénible le changement de régime et d'habitudes. Seulement vous devriez aller à Paris de temps en temps, ne fut-ce que quelques jours chaque année. Vous aimez les arts, la musique, tout cela vous serait bon et dissiperait ces vapeurs que la vie monotone engendre fatalement. C'est de la distraction et l'oubli de vous-même qu'il vous faut.

Croyez bien, mademoiselle, que je suis reconnaissante et honorée de votre amitié et que je vous suis sincèrement et fidèlement dévouée.

GEORGE SAND.

CDXXXIV
A MAURICE SAND, A PARIS

Nohant, 10 juin 1858.

Mon enfant,

J'ai commencé ton album fantastique42 et j'ai reçu tes dernières lithographies. Il me faut savoir un dernier point: c'est si l'éditeur et toi avez adopté un ordre de classement pour les sujets. Dans ce cas, numérote de mémoire tes douze planches et envoie-moi cette liste. Sinon, j'aimerais mieux classer moi-même pour donner de la variété et une espèce de lien. Tu n'as pas répondu à Manceau pour les fac-similé43 sur lesquels il t'a écrit en te demandant réponse. Peut-être recules-tu devant le temps qu'il juge nécessaire et qui manque chaque jour davantage, à mesure que les pourparlers se prolongent. Moi, j'avoue que je ne vous verrais pas tous deux, sans un peu d'effroi, entreprendre ce piochage enragé, le couteau sur la gorge. Et puis, quoi qu'il en dise, lui, je crains qu'en travaillant comme deux forçats, vous n'arriviez pas; car il ne me paraît pas prévoir le chapitre des accidents, qu'il faudrait toujours faire entrer en ligne de compte. Je ne crois pas qu'il puisse faire toute la besogne sans ton aide, et ne seras-tu pas rebattu de ce même travail dont tu sors d'en prendre?

Émile me dit que l'on cherche des combinaisons. Eh bien, puisque ce n'est pas conclu, je pense aussi à ma part de travail. Je ne recule pas, pour te rendre service, devant l'ennui des recherches et le peu de plaisir de ce genre de récréation; mais, vu la quantité de texte que l'on demande, je suis très inquiète, et crains de ne pas arriver à bien. C'est déjà beaucoup qu'un album de moi, genre fantastique! Un second, si le premier n'a pas grand succès comme texte, ne sera-t-il pas mal accueilli? souviens-toi que le public m'a toujours assez peu secondée, et souvent lâchée tout à fait, dans les tentatives que j'ai faites pour sortir de mon genre.

Il a beaucoup sifflé Pandolphe, qui nous paraissait gai et gentil, et qu'il n'a pas trouvé amusant du tout. Cela ne m'a pas encouragée à reprendre cette veine. Depuis huit jours, je ne fais que penser à ce que je pourrai dire sur ces personnages44, qu'il faudrait si bien trousser, et je crois qu'il y faudrait un chic et une crânerie qui ne sont ni de mon sexe ni de mon âge. C'est Théophile Gautier ou Saint-Victor qui feraient le succès d'un pareil album. A leur défaut, Champfleury vaudrait encore mieux que moi. Le nom même vaudrait mieux. «Ah! un album de Champfleury? ça va être amusant!—Tiens, un album de madame Sand? Oh! madame Sand n'est pas gaie: ça va être aussi ennuyeux… que Pandolphe, Comme il vous plaira, etc. Ce n'est pas son affaire, les masques!»

J'entends cela d'ici, et, comme il ne s'agit pas de moi là dedans, que j'enterrerais ton travail sous la chute du mien; j'en suis très inquiète et je crains d'en être d'autant plus paralysée. Songes-y bien, la chose faite par un autre coûterait moins cher,—grande considération pour l'éditeur et pour toi!—et aurait, à coup sûr, beaucoup plus de succès. Réponds-moi sur tout cela. Champfleury a donné sa clientèle à Émile. Émile arrangerait ça tout de suite avec lui, ou avec Gautier, ce qui vaudrait encore mieux.

J'aime beaucoup les marins couverts de neige qui s'éventent avec leur chapeau. Ici, voilà enfin de la fraîcheur et un peu de pluie; beaucoup de bruit pour rien, c'est-à-dire quatre heures de tonnerre pour trois gouttes d'eau.

Bonsoir, mon Bouli; je te bige mille fois.

CDXXXV
A M. CHARLES PONCY, A TOULON

Nohant, 19 juin 1858.

J'ai reçu le Frère et la Soeur45, et cela m'a rappelé une grosse rancune que j'ai eue et qui me revient contre les directeurs de l'Odéon46; des amis pourtant, et de braves amis à tout autre égard, mais qui, après m'avoir positivement promis dix fois de faire jouer cette pièce, n'ont jamais su pouvoir, tandis qu'ils se laissaient imposer, par toute sorte de considérations de position et de camaraderie, une foule d'oeuvres infiniment moins bonnes. Et leur direction a fini sans qu'ils aient trouvé place pour cette chose si courte et si facile à monter! Ils sont à l'Opéra maintenant.

Enfin, voilà votre oeuvre imprimée! Merci de la dédicace, mon cher enfant. Je trouve la pièce très améliorée, et, en ne me plaçant plus au point de vue de la représentation, je retire ma critique et j'en trouve la lecture très attrayante. Vos personnages causaient avec un peu trop de recherche pour la scène. Dans un livre, c'est autre chose: on parle comme on veut parler, et c'est cette grande liberté du livre, ce grand esclavage de la mise en scène qui m'ont fait revenir au roman avec plaisir, sauf à essayer plus tard de retourner au théâtre si le coeur m'en dit.

Il y a bien longtemps que je ne vous ai donné de nos nouvelles. Nous avons eu de gros chagrins dans ce dernier coup de main qui nous a encore jeté hors de France plus d'un de nos meilleurs amis, coupables apparemment de s'être tenus tranquilles.—J'en ai été malade de chagrin et d'indignation.—Mais on ne doit pas parler de cela, si on veut que les lettres parviennent. Je présume d'ailleurs que, chez vous, les choses se sont passées de même.

Maurice est encore à Paris, occupé de travaux que je donne au diable; car j'ai faim et soif de le voir. Il va arriver j'espère… Sol… est à Turin, où elle se remet très bien de sa santé détraquée. Emile est à Paris, créateur d'une agence excellente, dont il devait vous envoyer le prospectus. Vous ne m'en parlez pas; donc, je vous l'envoie et vous engage à lui donner votre clientèle. Je pense qu'il réussira et qu'il rendra de grands services aux artistes par son intelligence, son honnêteté et sa connaissance des affaires.

Bonsoir, chers enfants. Je vous embrasse tendrement tous trois. Je suis contente que Christian Waldo47 vous Amuse.

CDXXXVI
A M. FERRI-PISANI, A PARIS

Nohant, 28 juin 1858.

Monsieur,

Je suis chargée par Maurice, qui s'honore de votre sympathie, de vous parler d'une grande affaire que je viens de me faire expliquer par lui et par une personne fondée pour en poursuivre la réalisation.

C'est une très grande et importante question, qui déjà, je le présume, est à l'étude entre vos mains, si vos fonctions auprès du prince comportent maintenant, comme je l'espère, l'examen des questions vitales de l'Algérie. Je crois donc qu'il est absolument inutile que je vous en entretienne, d'autant que cinq minutes de votre attention sur les pièces vous auront donné plus de lumière qu'un volume de moi.

Cependant, si, au milieu du hourvari de l'installation et des importunités des solliciteurs, cette affaire ne se présentait pas vite, sous vos yeux, elle pourrait courir à la mauvaise solution qu'elle a déjà subie et qu'il appartient au prince de ne pas sanctionner sans un sévère examen.

Il s'agit des intérêts d'une population entière, d'une illégalité à ne pas consacrer, et des intérêts de l'État, engagés dans une dépense inutile de beaucoup de millions. Donc, il s'agit, avant tout cela, des intérêts moraux du prince et d'un des premiers devoirs de la mission qu'il vient d'accepter. Voilà pourquoi j'ai pris tout de suite à coeur cette question dès qu'elle m'a été exposée; et, comme il importe beaucoup qu'elle soit une des premières qu'il examine, je vous demande d'écouter, pendant dix minutes seulement, mon ami Émile Aucante, qui la connaît à fond et qui sait parfaitement la résumer en peu de mots. C'est un homme sérieux qui sait la valeur du temps et une conscience à l'abri de toute préoccupation personnelle. Ce qu'il est chargé de demander est un bienfait général, et non point une faveur particulière; c'est une enquête, c'est un travail et une décision ministérielle; c'est le redressement d'une erreur qui intéresse trente mille habitants de l'Algérie.

Les pièces ont été présentées à l'empereur, trop récemment pour avoir obtenu une solution. Il dépendra peut-être de vous qu'elles ne subissent pas l'agonie de leur numéro d'ordre, et qu'elles prennent la place qui leur appartient par leur importance.

Je vous demande pardon de ne pas mieux savoir me résumer moi-même, et de vous dire cela en trop de mots. Mais il n'en faut qu'un pour vous dire l'amitié qu'on se permet d'avoir ici pour vous.

GEORGE SAND.

CDXXXVII
A M. FRÉDÉRIC VILLOT, A PARIS

Nohant, 4 septembre 1858.

Cher monsieur,

On me prie de faire passer sous les yeux de Son Altesse une nouvelle note relative à l'affaire du chemin de fer de Blidah. Cette note me paraît trop sérieuse pour ne pas être soumise à ses réflexions, et j'espère que le grand événement administratif de la suppression du gouvernement général va donner au prince la liberté de faire justice.

Je me réjouis beaucoup, sous tous les rapports, de cette augmentation nécessaire de son autorité. J'espère qu'il pensera à mes pauvres amis littéralement déportés en Afrique. Parlez-lui, je vous en supplie, de Patureau-Francoeur, qu'il avait déjà sauvé, et que le farouche ministère de la dernière réaction a exilé, interné en Afrique, dans un climat impossible, où le plus courageux des ouvriers ne trouve pas à gagner sa vie. Pendant ce temps, sa femme et ses cinq enfants meurent de faim. Et c'est un homme d'élite, comme caractère et comme intelligence, que ce Patureau. Il haïssait l'attentat, il s'abstenait de toute opinion d'ailleurs, ayant tout sacrifié au devoir de nourrir sa famille. On l'a martyrisé dans un cachot, puis envoyé comme un ballot dans le plus rigoureux exil, à Guelma.

J'ai demandé au prince si je devais m'adresser au nouveau ministre ou à l'empereur lui-même, pour obtenir que cet ouvrier précieux, cet ami dévoué, nous fût rendu; ou, tout au moins, si on pouvait le faire libre sur la terre d'Afrique, afin qu'il pût trouver de l'ouvrage et faire venir sa famille auprès de lui. Le prince, ordinairement si exact et si bon pour moi, ne m'a pas répondu.

Je n'ose pas l'importuner. D'une part, il doit être très occupé; de l'autre, je lui ai peut-être déplu, en lui disant que je resterais l'amie d'une personne très affligée qui avait besoin, plus que jamais, des consolations de l'amitié. Je faisais pourtant avec impartialité, avec justice, je crois, la part des excès momentanés du dépit et du chagrin.

Je vous demande de m'éclairer sur ma situation auprès de Son Altesse. Je n'affiche pas une sotte fierté; mais j'ai l'amitié discrète, et, quand je crois m'apercevoir qu'elle ne l'est plus, je regarde comme un grand service qu'on veuille bien me le dire. Rien ne me fâche, parce que ma personnalité et mes intérêts ne sont jamais en jeu; mais j'avais mis mon devoir à obtenir du prince le salut de mes amis malheureux et brisés: c'est lui qu'il m'eût été doux de remercier et de faire bénir par leurs familles. Je ne croyais donc pas être importune. J'espère encore, parce que le prince a bien voulu dernièrement faire placer M. Gabelin, victime d'une affreuse injustice. Je l'en ai remercié aussitôt que je l'ai su. Mais je ne sais pas s'il reçoit les lettres qu'on lui adresse rue Montaigne.

Certes, je n'exige pas, pour avoir foi en lui, qu'il m'écrive quand il n'en a pas le temps; mais priez-le de me faire savoir, par un mot, ce que je dois tenter ou espérer pour mon pauvre Patureau. Et, si c'est vous qui me transmettez ce mot, je serai doublement contente de recevoir de vos nouvelles et un bon souvenir de votre amitié, sur laquelle, vous voyez, je compte toujours.

GEORGE SAND.

CDXXXVIII
AU MÊME

Nohant, 12 septembre 1858.

Merci de votre bonne réponse, cher monsieur. Son Altesse a bien voulu, par le même courrier, m'en confirmer les excellentes expressions. Je vous dois et je vous porte cordialement de la reconnaissance pour votre précieuse intervention à propos de mes amis. Mais vous voilà encore forcé de me répondre trois lignes. Dans la note que vous m'avez envoyée pour Patureau, je trouve une obscurité sur laquelle je voudrais éclaircie, avant de conseiller à celui-ci une localité en Afrique. La note dit bien: En quelle partie de l'Algérie veut-il aller? mais, dans l'offre généreuse de quarante-neuf hectares, il n'est pas dit qu'il peut les demander n'importe dans quelle province. Puisque, sur les versants du Ressalch, près Sidi-bel-Abbès, province d'Oran, il y a, d'après les renseignements fournis par mon neveu48, beaucoup de bonnes terres disponibles, j'aurais conseillé à Patureau de s'y rendre, et de demander de la terre par là, où mon neveu et lui, bien que ne se connaissant pas encore, eussent pu se rendre utiles l'un à l'autre. Mais j'ignore si je dois donner cet avis; cela dépendra du bon plaisir de Son Altesse, et je vous demande ce mot d'explication, qui ne vous coûtera qu'une question à faire et une réponse à transmettre.

Je considérerai comme un grand bonheur pour Patureau de pouvoir s'établir en Afrique, loin des passions de localité, et au sein d'une grande nature qu'il est capable d'apprécier et de seconder. C'est une véritable satisfaction de coeur que je dois là au prince et à vous, mon très gracieux avocat; je vous en remercie bien, bien, et vous prie de me pardonner mes redites. Pour tout le reste, merci encore, aussi et toujours! Quand j'irai à Paris, me demandez-vous? mon exil n'est pas volontaire. Mais la librairie agonise, et on ne peut pas se figurer la gêne et le surcroît de travail de ceux qui vivent de leur plume. Il faut dire cela en confidence à ses amis et qu'ils ne le redisent pas; car, malgré l'exemple d'un grand poète, je n'admets pas que les poètes ne sachent pas se résigner à manquer d'argent. N'est-ce pas leur état? Tout le chagrin de l'exil serait l'oubli de ceux que l'on aime; mais, pour votre part, vous me dites qu'il n'en sera pas ainsi, et je n'ai pas à me plaindre, du reste, des bonnes âmes que j'ai rencontrées sur mon petit chemin.

CDXXXIX
A M. VICTOR BORIE, A PARIS

Nohant, 13 octobre 1858.

Mon cher vieux, nous regrettons que tu n'aies pu rester davantage avec nous. Tâche de t'affranchir pour qu'on te voie plus souvent.

Lambert part vendredi. J'ai longuement causé avec lui. Il est fort abattu. Je suis d'avis qu'il essaye le théâtre, à condition qu'il ne renoncera pas à la peinture. Je lui ai offert de rester ici tant qu'il voudrait; mais il ne croit pas que cela lui soit utile.

J'aime beaucoup l'idée des vrais moutons sur la scène. Je présume qu'on leur mettrait un petit sac sous la queue; car ces animaux-là fonctionnent continuellement. Je n'aime pas le titre de Georgine pour une bergerie. Bref, je n'ai songé ni à cette pièce-là, ni à aucune autre. Embrasse Plouvier pour nous. Dis-lui que nous espérions le voir et qu'il devrait bien venir. Envoie-moi tout de suite le dictionnaire de Landry. Dis à Emile de te le solder.

Et des fleurs, envoies-en aussi; on les adore ici, et, moi, je m'abrutis à les regarder.

Je dis que je ne songe à aucune pièce. Si fait, je songe à un canevas pour le théâtre de Nohant; car on s'est décidé à jouer une fois, quand on serait arrivé à la moitié des gravures49, c'est-à-dire dans quinze jours; que n'es-tu là pour faire l'enchanteur ou le fort détachement de bleus!

Bonsoir, mon cher gros, tous les barbouilleurs t'embrassent, et moi aussi. J'espérais te retrouver à table à déjeuner le jour de ton départ, mais le Polonais50 t'a enlevé! Ne sois pas trente-sept ans sans me redonner de tes nouvelles.

G. SAND.

CDXL
A M. FERRI-PISANI, A PARIS

Nohant, 21 octobre 1858.

Cher monsieur,

Je vous expédie un petit ballot contenant deux puffs ou poufs (Dieu sait l'orthographe d'un pareil mot!) que je vous prie de confier à un tapissier, lequel, sur votre commande, les montera à mes frais, avec les franges assorties au meuble de Bellevue. Quand j'ai commencé ce travail avec l'intention de l'offrir au prince, je ne savais pas qu'il lui passerait par la tête d'avoir une maison d'Horace avenue Montaigne: autrement, j'aurais composé tout ce qu'il y a de plus romain. Mais, en terminant mon étude de fleurs au gros point, je me suis dit que des fleurs sont toujours à leur place à la campagne. Seulement j'ai vu le meuble de Bellevue couvert de housses, et je ne saurais pas dire à un tapissier comment il faut monter mon ouvrage pour qu'il s'harmonise tant soit peu avec le reste. Veuillez dire à Son Altesse; en lui faisant agréer mon travail d'aiguille, que j'ai fait tous ces points en pensant à lui et aux femmes de mes pauvres exilés dont il a séché les larmes.

Je vous envoie la demande en concession de Patureau. C'est vous qui avez bien voulu vous charger de faire expédier l'affaire le plus tôt possible et je la mets sous vos auspices. J'espère que la formule de considération de mon pauvre vigneronne paraîtra pas irrespectueuse au prince. C'est certainement ce que le brave homme a cru dire de plus respectueux. C'est décidément à Jemmapes qu'il désire se fixer; mais il eût fallu sans doute qu'il désignât la localité. Comment eût-il pu le faire? on ne lui a pas permis de voir et de s'informer. On l'a réexpédié en France tout de suite. Il a jeté, seulement en passant, un regard sur un beau pays, et on lui a dit qu'il y avait là les dix-huit vingtièmes des terres à concessionner. Que faut-il qu'il fasse pour mettre sa demande en règle?

Peut-être un mot de Son Altesse impériale, qui ordonnerait purement et simplement un très bon choix aux autorités locales compétentes, suffirait-il pour abréger et lever la difficulté. On a dit à Patureau qu'aux environs de Sidi-bel-Abbès (et il faut peut-être que vous sachiez incidemment ce détail), une masse de colons espagnols écartaient à coups de couteau les colons français. Le renseignement paraissait sérieux. Patureau, qui n'est pas guerrier, a donc reculé devant la lutte; c'est pourquoi il n'a pas persisté dans le désir d'être le voisin de mon neveu, l'ancien spahi, qui, lui, se moque des Espagnols comme des Arabes.

A cette demande de concession, je joins la demande du même Patureau au ministre, que Son Altesse a promis de vouloir bien appuyer, à l'effet d'un séjour de deux mois de notre exilé, dans sa famille. Si vous voulez bien la faire remettre à M. Hubaine 51, je crois que c'est lui qui est chargé de la faire tenir au ministre.

Il me reste à vous parler de l'affaire Sarlande, dont vous avez promis à Maurice et à moi de vouloir bien ne pas cesser de vous occuper. On m'écrit que le tracé du chemin de fer d'Alger à Blidah et Oran, soutenu par Sarlande, a été adopté. Je ne le crois pas encore, parce que, si cela était, sachant combien je m'intéresse à lui, je suis sûre que vous auriez eu l'obligeance gracieuse de me le faire savoir. Dans tous les cas, je suis toute disposée, par la connaissance que j'ai du caractère et de la position de M. Sarlande, à lui servir d'avocat auprès du prince pour qu'il obtienne la concession de ce chemin de fer. On m'écrit aussi qu'il y a de nombreux concurrents pour cette demande, voulant tous, avant tout, qu'on leur garantisse tout de suite l'intérêt de cinq pour cent sur soixante millions, tandis que Sarlande, qui est un des notables de l'Algérie, et qui a déjà fait plusieurs traités avec les chefs de bureau du ministère, offre à l'État cet avantage, de ne demander la garantie d'intérêts qu'au fur et à mesure de l'exécution des travaux. Enfin, comme c'est grâce à la persévérante et intelligente réclamation de M. Sarlande pour cette ligne, et pour les intérêts des populations qu'il représente, qu'elle l'a emporté dans un esprit sérieux et attentif comme celui du prince-ministre, je pense qu'il doit avoir bonne chance auprès de Son Altesse impériale, si vous voulez bien encore lui servir d'avocat et obtenir pour lui une audience de Son Altesse.

Cependant, il se peut que Son Altesse ait disposé déjà de cette concession, et vous me comprenez assez pour savoir qu'à aucun prix je ne voudrais faire le métier d'importun, qui consiste à demander ce qui ne peut être obtenu et à mettre une personne amie, si haut placée qu'elle soit, dans l'ennuyeuse nécessité de dire non.

Vous pouvez faire que je ne joue pas le rôle d'ennuyeuse et que celui d'ennuyé soit épargné au prince, en me disant, courrier par courrier, s'il est temps encore pour M. Sarlande de solliciter, et si son instance pourrait être écoutée, vu que, dans le cas contraire, je pourrais épargner aussi à mon client des démarches inutiles. M. Sarlande, ancien avocat, s'exprime très clairement et est si bien au courant des questions relatives à cette affaire et à l'Algérie en général, que, dans tous les cas, Son Altesse ne perdrait pas son temps à l'écouter une demi-heure.

Pardonnez cette longue lettre: je suis un auteur à longueurs; mais ma reconnaissance est aussi durable que mon style est durant. Endurez-le avec votre bienveillance ordinaire et croyez, cher monsieur, à mes sentiments bien affectueux.

Maurice vous prie d'agréer les siens, et, tous deux, nous vous prions de ne pas nous oublier auprès de notre cousine de Champrosay52, quand, plus heureux que nous, vous la verrez.

GEORGE SAND.

Je joins à la demande de Patureau au ministre, la demande au même effet qu'il a cru devoir adresser au préfet de l'Indre. Je pense que cette demande renvoyée par le ministre audit préfet, aura du poids, tandis qu'elle en perdra beaucoup en passant par mes mains.

42.Les Légendes rustiques.
43.A propos des gravures de Masques et Bouffons.
44.Ceux de Masques et Bouffons.
45.Pièce de Charles Poncy.
46.Alphonse Royer et Gustave Waëz.
47.L'Homme de neige.
48.Oscar Cazamajou.
49.Pour les Masques et Bouffons.
50.Charles-Edmond.
51.Alors secrétaire du prince Napoléon.
52.Madame Frédéric Villot.