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Légendes rustiques

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Le follet d'Ep-nell

Sous la pierre d'Ep-nell, un follet de mauvaise race se tient blotti. C'est un follet à queue: ce sont les pires. Au lieu de soigner et de promener les chevaux, ils les effraient, les maltraitent et les rendent poussifs.



Maurice SAND.


Georgeon

 était le diable de la partie du Berry que l'on appelle la vallée Noire. Je dis

était

, parce qu'il est fort oublié aujourd'hui et qu'il faut remonter au souvenir des vieillards morts depuis une trentaine d'années, pour repêcher dans le fleuve d'oubli qui passe si vite aujourd'hui, le nom mystérieux qui ne devait jamais être écrit, «ni sur papier, ni sur bois, ni sur ardoise, ni sur pierre quelconque, ni sur étoffe, ni sur terre, ni sur poussière ou sable, ni même sur neige tombée du ciel.» Ce nom terrible, qui présidait aux formules les plus efficaces et les plus secrètes, ne devait être confié aux adeptes de la sorcellerie que dans le

pertuis de l'oreille

, et il n'était pas permis de le leur dire plus de trois fois. S'ils l'oubliaient, c'était tant pis pour eux. Il fallait financer de nouveau pour obtenir de l'entendre encore.



Ce nom devait, en aucune circonstance, être révélé aux profanes et jamais prononcé tout haut, sinon dans la nuit noire et l'entière solitude. Celui qui me les confia l'avait surpris et

n'y croyait point

. Pourtant il se repentit de me l'avoir dit et revint me prier de ne pas le répéter. «J'ai mal rêvé cette nuit, disait-il; par trois fois ma fenêtre s'est ouverte toute grande, sans que personne autre que moi fût entré dans ma chambre.»



Quel était le rang et le titre de

Georgeon

 dans la hiérarchie des esprits de malice? C'est ce que je n'ai pu savoir. C'est lui qu'il fallait appeler aux

carrois

 ou carrefours des chemins, ou sous certains vieux arbres mal famés, pour faire apparaître l'esprit mystérieux. Avait-il pouvoir par lui-même sur certaines choses de la nature, ou n'était-il qu'un messager intermédiaire entre l'enfer et l'adepte? Je le croirais: un homme du nom de Georgeon avait été jadis emporté à Montgivray par le diable. C'est peut-être cette mauvaise âme qui faisait dès lors le métier de conduire les autres âmes à la perdition.



Georgeon était à moitié invisible, en ce sens qu'il n'apparaissait que dans les nuits sans lune ou à travers d'épais brouillards. On voyait alors une forme humaine plus grande que nature; mais l'habit, les traits, les détails de cette forme restaient toujours insaisissables, ou tellement vagues qu'il était impossible d'en conserver la mémoire aussi bien que de le reconnaître, même à la voix, quand on avait plusieurs entrevues avec lui. Il fallait chaque fois l'appeler par son nom, et lui dire: «Est-ce toi avec qui j'ai parlé telle nuit et en tel lieu?» S'il ne répondait pas

c'est moi

, il fallait se défier et ne rien lui raconter de ce qui s'était passé dans les précédents entretiens avec le diable, soit que Georgeon cachât son identité pour éprouver la discrétion et la prudence de son adepte, soit que le paysan pousse la prudence jusqu'à se méfier du diable, même après s'être donné à lui.



Il est certain, tout au moins, que le paysan a la prétention d'être aussi rusé que Satan et qu'en tout pays ses légendes merveilleuses sont pleines de malices attribuées à de bons gars qui ont su berner le démon et le prendre dans ses propres pièges. Parmi les plus jolies, il faut citer celle du fé

amoureux

 que rapporte l'auteur de la

Normandie merveilleuse

 et qui a toute la grâce du langage rustique. Le

 s'était épris d'une belle femme de campagne; chaque soir, pendant qu'elle filait auprès de son feu, il venait s'asseoir sur un escabeau, à l'autre coin de la cheminée. La femme s'étant aperçue de sa présence et de ses regards de convoitise, avertit son mari, qui prit ses vêtements, sa place et sa quenouille, et faisant mine de filer, attendit le lutin. Celui-ci arrive, regarde de travers l'étrange filandière et lui dit: «Où donc est la belle, belle, d'hier au soir, qui file, file, et

atourole

 toujours, car toi, tu tournes, tournes, et tu n'

atourole

 pas?» Le mari ne répond rien et attend que le

 se soit assis sur l'escabeau d'où il avait coutume de dévorer des yeux la femme du logis, et où l'on avait traîteusement placé la galetière

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  Espèce de gril en tôle pour faire cuire les galettes.



 rougie au feu. Le

 s'assied, en effet, brûle outrageusement sa queue et fait un grand cri, en disant: «Qui m'a fait cette mauvaise mauvaiseté? Est-ce la belle, belle, qui atourole toujours? – Non, répond le mari; c'est

moi, moi-même

, qui n'atourole jamais!» Le

 exaspéré s'envole par la cheminée pour appeler ses compagnons qui prenaient leurs ébats sur le toit. «Qu'as-tu donc à crier, crier? lui disent-ils. – Je me brûle, brûle! – Et qui t'a ainsi brûlé, brûlé? – C'est

moi, moi-même

, qui n'atourole jamais

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  Le paysan bas-normand, auteur de cette légende, dit l'auteur qui la rapporte, ne se doutait guère qu'il imitait Homère.





Cette réponse parut si stupide aux autres fés, qui sont des esprits très railleurs, que le mari de la belle fileuse les entendit rire comme des fous, huer, berner et chasser le pauvre amoureux, de quoi il fut fort aise, car il avait eu bien peur d'attirer contre lui toute la bande des lutins, et jamais plus l'amoureux de sa femme n'osa se présenter derechef en sa maison.



Cette légende normande a une sorte de pendant en Berry, ou plutôt c'est la même légende, avec des variantes qui caractérisent l'esprit local.



Ici le follet, ou fadet, l'histoire ne dit pas précisément à quel type d'esprits malins il appartenait, n'avait nullement l'amour en tête. Positif comme un diable berrichon, il ne songeait qu'à faire enrager la filandière, laquelle n'

atourolait

 pas le lin sur son fuseau, mais filait en faisant

virer

 de la laine sur un rouet, et, au lieu de la contempler avec des yeux tendres, il embrouillait et cassait méchamment son brin, afin de pouvoir, pendant qu'elle le raccommodait, se glisser dans l'

arche

 (la huche au pain) et d'y voler les galettes que la ménagère avait mises en réserve pour ses enfants.



S'étant aperçue de ce manège la bonne femme ne fit semblant de rien et feignant de se baisser, elle ramassa subtilement le fin bout de la longue queue du personnage, l'attacha avec son brin de laine et se mit à la

vironner

,

vironner

 sur son rouet, comme si ce fût un écheveau.



Le fadet ne s'en aperçut pas tout de suite, occupé qu'il était à se vautrer dans la galette au fromage. Mais quand le rouet eut roulé cinq ou six brassés de queue, il le sentit fort bien et se prit à crier:

Ma queue, ma queue

. La dévideuse n'en tint pas compte, et, toujours

vironnant

, se mit à chanter:

Pelotte, pelotte, ma roulotte

! d'une si bonne voix et menant si grand bruit avec sa roue, que les autres diables, embusqués sur le toit, n'entendirent pas les gémissements et les imprécations de leur camarade, lequel fut bien forcé de se rendre, et de jurer par le nom du grand diable d'enfer qu'il ne remettrait jamais les pieds dans la maison.



D'après certaines versions, le lutin qui s'amuse à

jouiller

 (embrouiller et mêler) les fils des dévideuses est un esprit femelle, une mauvaise

fade

. J'ai entendu, dans mon enfance, une vieille qui avait coutume de dire en pareille occasion, la

jouillarde s'y est mise

! et elle faisait une croix dans la main pour conjurer et chasser la diablesse.



Ce qu'ailleurs on appelle le

gobelin

, le

, le

lutin

, le

farfadet

, le

kobbold

, l'

orco

, l'

elfe

, le

troll

, etc., etc., en Berry, on l'appelle le plus souvent le follet. Il en est de bons et de mauvais. Ceux qui pansent les chevaux à l'écurie et dont tous les valets de ferme entendent le fouet et l'appel de langue, de même que ceux qui, la nuit, font galoper la chevaline au pâturage, et qui leur

jouillent

 le crin pour s'en faire des étriers (vu qu'ils sont trop petits pour se tenir sur la croupe de l'animal et qu'ils chevauchent toujours sur l'encolure), sont d'assez bons enfants et fuient à l'approche de l'homme. Toute leur malice consiste à faire mourir ou avorter les juments dont on se permet de couper la crinière quand il leur a plu de la tresser et de la nouer pour leur usage. On appelle les montures favorites du follet

chevaux bouclés

, et autrefois on les estimait comme les meilleurs et les plus ardents. Les juments

pansées du follet

 étaient recherchées en foire comme bonnes poulinières.



Ce follet des écuries existe encore chez nous dans la croyance de beaucoup de gens. Tous les paysans de quarante ans, qui se sont adonnés à l'élevage des chevaux, l'ont vu et en font serment avec une candeur impossible à révoquer en doute. Ils n'en ont jamais eu peur, sachant qu'il n'est pas méchant. Ils le décrivent tous de la même manière. Il est gros comme un petit coq et il en a la crête d'un rouge vif. Ses yeux sont de feu, son corps est celui d'un petit homme assez bien fait, sauf qu'il a des griffes au lieu d'ongles. On varie quant à la queue; selon les uns elle est en plumes, selon les autres, c'est une queue de rat d'une longueur démesurée, et dont il se sert, comme d'un fouet, pour faire courir sa monture.

 



Dans le nord de la France, certains de ces nains sont forts méchants et se plaisent à égarer les voyageurs. Dans la Marche, autour des dolmens, tout esprit est dangereux et hostile à l'homme parce qu'il est préposé à la garde des trésors cachés sous les grosses pierres. Malheur aux curieux et surtout aux ambitieux qui vont rôder la nuit autour de ces monuments où règne l'éternel mystère de la tradition. Ils sautent sur le cou du cheval, font tomber le cavalier et le rouent de coups. Pourtant on peut s'en préserver de plusieurs manières, quand on a été assez hardi pour étudier, à tout risque, leurs habitudes et leurs fantaisies. En général, ils ne sont pas intelligents et parlent avec difficulté la langue de l'homme. Comme ceux de la Normandie et comme les Korigans de la Bretagne, ils ont la manie ou plutôt l'infirmité de répéter deux fois le même mot, sans pouvoir arriver jusqu'à trois, ou s'ils dépassent ce nombre en le doublant, ils ne peuvent pas le dire une septième fois.



Un chercheur de trésors, qui voyait le nain sauter devant lui en l'entraînant dans une ronde magnétique et en lui disant sans cesse d'une petite voix aigre:

Tourne, tourne

, l'arrêta court en lui répondant: Je tourne, je retourne et je détourne. Le lutin ne comprit pas, et, pensant que c'était là une formule au-dessus de son savoir, il lâcha l'homme, sauta sur la pierre et la fit danser si fort et tourner si vite qu'il en sortait du feu. L'homme n'osa pas en approcher, mais il put se retirer sans être suivi. Seulement, le nain lui avait imprimé un tel mouvement de rotation, en le faisant valser avec lui autour de la pierre endiablée, qu'il rentra chez lui toujours tournant sur lui-même comme une toupie lancée, et alla tomber de fatigue à la porte de sa maison.



Le casseu' de bois

Malheur à la ramasseuse de bois qui rencontre sur son chemin l'homme de fer rouge! Ravageant les arbres de la forêt, il ne permet pas que les humains profitent de ses dégâts.



Maurice SAND.

Le pauvre paysan est quelquefois un charmant poète, témoin cette fable où il plaisante sa propre misère avec une si douce mélancolie:



«Au mois d'avril, la

ruiche

 (le rouge-gorge) et le

roi-Berthault

 (le roitelet) se rencontrèrent aux bois et se demandèrent

leurs portements

. – Ça va très bien, Dieu merci, dit la ruiche; j'ai passé un bon hiver. – Et moi de même, dit le roi-Berthault; j'ai passé l'hiver chez le bûcheron et je me suis diantrement chauffé! Ces gens-là font des feux, si vous saviez, ma chère! Ils vous font brûler des bûches aussi grosses que ma jambe! – Vrai? dit la ruiche émerveillée. Eh bien! moi, j'ai mangé mon saoul chez le laboureur! Il avait du blé dans son grenier, oh! mais du blé! Debout sur le plancher, j'en avais jusqu'au ventre!»



Les hallucinations du paysan qui, aussi bien que ses traditions, donnent souvent lieu à des croyances et à des légendes, prouvent que s'il est généralement privé du sens d'une clairvoyante observation, il a la faculté extraordinairement poétique de personnifier l'apparence des choses et d'en saisir le côté merveilleux. Les reflets embrasés du soleil couchant sous les grands ombrages ont donné naissance à l'homme de feu ou de fer rouge, ou tout simplement de

bois de vergne

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  Le vergne est l'aune des prairies. Quand on le coupe, son bois est d'un rouge de sang.



, qui court de tige en tige, brisant ou embrasant. C'est lui qui, dans la nuit, allume ces terribles incendies où sont dévorées des forêts entières et dont la cause, trop souvent attribuée à la malveillance, reste toujours très mystérieuse. Disons, en passant, que la chute des aérolites peut expliquer bien des choses et que le paysan de nos jours commence à s'en rendre compte. L'an dernier, une femme de la Berthenoux tricotait devant sa porte, quand elle vit une lumière à rendre aveugle et entendit un bruit à rendre sourd. En une minute, sa maison fut en feu; elle n'eut que le temps de sortir son enfant qui dormait, et vit brûler sa pauvre demeure avec une rapidité qui tenait du prodige. «Ce n'était pas, dit-elle, un feu comme un autre; j'ai bien vu quelque chose tomber du ciel; mais ce n'était pas le feu ordinaire du ciel; l'air était tranquille et il n'y avait pas d'orage du tout.» Le fait fut constaté par de nombreux témoins et personne ne songea à accuser la pauvre femme de s'être vouée au diable ou d'avoir encouru la colère du ciel. Il y a cent ans, les choses se fussent passées autrement. La malheureuse eût été maudite et repoussée de tous, ou bien ses voisins eussent été accusés de sortilège. Il y a deux cents ans, quelqu'un, à coup sûr, eût été brûlé pour ce fait, soit la victime de l'incendie, soit le premier passant qui eût éternué de travers au moment du sinistre.



L'homme de feu est aussi nommé

casseu' de bois

. Il prend diverses apparences et joue divers rôles, selon les localités. Il n'est pas toujours flamboyant et incendiaire et se fait entendre plus souvent qu'il ne se montre. Dans les nuits brumeuses, il frappe à coups redoublés sur les arbres, et les gardes-forestiers, convaincus qu'ils ont affaire à d'audacieux voleurs de bois, courent au bruit et aperçoivent quelquefois le pâle éclair de sa puissante cognée. Mais, chose étrange, ces grands arbres que l'on entendait crier sous ses coups et qu'on s'attendait à trouver profondément entaillés, n'en portaient pas la moindre trace. Le

casseu'

, ou le

coupeu'

, ou le

batteu'

, car le fantôme porte tous ces noms, est quelquefois le génie protecteur de la forêt qu'il a prise en affection. Il faut se garder de toucher aux arbres sur lesquels il a frappé pour avertir de sa prédilection.



On sait que des troncs pourris émane quelquefois une lueur phosphorescente. Cette lueur, bien réelle et bien visible, a donné lieu à une foule de prétendues apparitions. J'en ai vu une du plus bel aspect, et le paysan qui m'accompagnait me raconta l'histoire suivante:



«Un bon curé, qui n'avait crainte d'aucune chose, passait souvent, le soir, dans les bois, en revenant d'une paroisse voisine où il allait souper et faire la partie de cartes avec un confrère.



Il voyait toujours, au même endroit, une lueur blanche à laquelle il ne donnait pas grande attention, bien que son cheval fit, chaque fois, un petit écart et dressât les oreilles comme s'il eût vu ou senti quelque chose d'extraordinaire.



Un soir que la lueur lui parut plus vive que de coutume et que son cheval se montra plus inquiet, le curé résolut d'en avoir le cœur net et voulut entrer sous bois du côté où la clarté paraissait; mais son cheval s'en défendit si bien, qu'il y renonça et résolut d'aller voir, au jour, s'il y avait par là quelque charbonnière mal couverte qui menaçât de mettre le feu à la futaie.



Il y alla donc le lendemain matin, et ne trouva, à plus d'un quart de lieue à la ronde, aucune charbonnière allumée ou éteinte, aucune hutte, aucune trace de feu ni cause de lumière. Il n'y songea plus.



Mais une semaine plus tard, repassant là sur le minuit, il vit un grand rond de feu blanc qui flambait en travers de son chemin, et son cheval se cabra et refusa tout-à-fait d'avancer.



Le curé mit pied à terre, prit sa bête par la bride et avança résolument jusqu'au milieu du feu qui, non-seulement ne le brûla pas, mais ne lui fit sentir aucune chaleur.



Il en fut si étonné que, parvenu au milieu du cercle, il ne put s'empêcher d'en rire et de s'écrier: «Ah! par tous les diables, voici la première fois de ma vie que je rencontre du feu froid.»



Ce bon curé, ayant autrefois servi dans les armées, avait la mauvaise habitude de mêler quelques jurons à ses paroles, mais sans aucunement penser à mal.



Il n'eut pas plutôt lâché cette imprudente réflexion, qu'il entendit une voix

sifflante comme la graisse qui grésille dans une poêle

, et cette voix, qui semblait venir de dessous terre, disait: «

Si tu veux du feu chaud, on t'en donnera



A ce coup, le curé sentit la peur lui courir dans les cheveux; mais il ne perdit pas la tête et répondit fort à propos: «Merci, mon camarade d'en bas, je n'ai besoin de rien.»



Le feu cessa tout-à-coup et la voix parut se renfoncer sous terre en murmurant: «

Poltron de curé, va te coucher, va, poltron de curé!

»



Ce défi irrita l'ancien aumônier de régiment. «Poltron de curé! fit-il avec sa plus grosse voix, poltron de curé! Eh bien! viens donc un peut t'y frotter, toi, le beau flambeur qui te caches sous la terre?» Et du bout de son bâton, il fit un grand cercle autour de lui à l'endroit où il avait vu le cercle de feu blanc, riant toujours en disant: «Tu vois, je ne veux pas sortir de là, c'est là que je t'attends de pied ferme, homme ou diable!»



Et comme rien ne paraissait ni ne bougeait, il s'escrima de son bâton, frappant devant lui, à droite, à gauche, derrière, partout, et, chaque fois qu'il frappait, il entendait gémir et crier comme si trente diables invisibles eussent reçu la bonne

trempée

 qu'il leur administrait.



Or, comme ce jeu plaisait à son humeur courageuse, il y

prit goût et rage

 et battit ainsi le diable une heure durant, jusqu'à ce que les cris et les plaintes, qui allaient toujours s'amoindrissant, fissent place à de faibles soupirs et enfin au plus profond silence. Alors le curé, qui s'était mis tout en sueur, sortit du cercle et alla reprendre son cheval qui s'était sauvé non loin de là.



Quand il se fut essuyé le front et remis en selle, il reprit le chemin de son presbytère et jamais plus ne revit la lueur dans le bois.



Mais la veille de la fête des trépassés de la même année, il entendit, sur le minuit, frapper à sa porte. Il appela son sacristain, qui lui servait de domestique, et lui dit: On frappe en bas mon garçon. Va donc voir ce que c'est!



Le sacristain alla ouvrir et revint, disant: Foi d'homme, monsieur le curé, vous avez rêvé ça, il n'y a personne à la porte.



Le curé se rendormit; mais, entendant frapper pour la seconde fois, il se réveilla de nouveau. Il appela encore son valet, qui ne faisait que de se remettre au lit et qui lui jura qu'il se trompait. Pour son compte, il n'avait rien entendu.



Le curé retournait à son lit, lorsqu'on frappa encore. Jean, dit-il, es-tu devenus sourd ou si c'est un bruit que j'ai dans les oreilles?



– Vous l'avez au moins dans la tête, monsieur le curé, répondit Jean; je n'entends rien que l'horloge de l'église qui dit

tic-toc

, et la chouette qui dit

hou hou

 dans le clocher.



Le curé se figura que c'était peut-être un avertissement du ciel pour qu'il eût à se mettre en état de grâce avant de mourir. Mais, comme c'était un homme à vouloir être sûr de son fait, il alluma une lanterne et descendit ouvrir lui-même. —

Bonne nuit, monsieur le curé

, lui dit une voix qu'il connaissait, sans qu'il pût voir aucune figure.



– Bonne nuit, père Cadet, répondit le curé sans se déconcerter, et il referma sa porte,

s'imaginant

 beaucoup en lui-même, car il avait porté en terre le père Cadet il y avait environ une année.



Il allait remonter l'escalier de sa chambre, quand on frappa encore. Bon, dit-il, ce pauvre défunt aura oublier de me demander des prières; il ne faut pas lui en refuser; et il rouvrit la porte, disant: Est-ce encore vous, père Cadet?



– Non, monsieur le curé, c'est moi, fit une voix de femme; je viens vous souhaiter une bonne nuit.



– Et à vous pareillement, mère Guite, répondit-il, refermant sa porte; or, la mère Guite avait été enterrée chrétiennement environ six mois auparavant.



Mais on frappa encore, et, cette fois, le curé entendit une jeune voix douce qui lui disait: C'est moi, le petit enfant à la Jeanne Bonnine, que vous avez baptisé et enterré le même jour de l'été dernier. Je viens vous souhaiter la bonne nuit, monsieur le curé.



– Par ma foi, dit le curé, vous me la souhaiterez tant, qu'elle sera nuit blanche. Si vous avez des honnêtetés à me faire, ne pouvez-vous venir tous ensemble? ce sera plus tôt fini!



Aussitôt le curé vit clairement, devant sa porte, une douzaine de gens qu'il avait enterrés dans l'année, hommes, femmes, vieux et jeunes: le père Chaudy, qui était mort en moisson et qui tenait encore sa faucille; la Jeanne Bonnine, qui était morte en couches et qui tenait son pauvre nourrisson sur son bras; et ainsi des autres, voir la vieille Guite, qui était morte de la

grand'peur

 pour avoir vu

l'homme de feu rouge

 lui faire reproche et menace, un soir qu'elle ramassait du bois mort dans la taille.

 



– Ça, mes chers paroissiens, dit le hardi curé, je suis aise de vous voir debout; êtes-vous toutes en paradis, mes bonnes âmes?



– Nous nous mettons en route sur l'heure, monsieur le curé, répondit la Jeanne; nous étions en peine et en souffrance pour n