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Loe raamatut: «Les affinités électives», lehekülg 21

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CHAPITRE XVII

Quelle ne fut pas la surprise de Charlotte, lorsqu'elle vit entrer en même temps dans la cour du château la voiture qui ramenait Ottilie, et son mari qui la suivait à cheval. Sans se rendre compte de ce singulier événement, elle courut recevoir ces hôtes inattendus. La jeune fille s'avança vers elle avec Édouard, saisit les mains des époux, les unit avec un geste passionné, et s'enfuit dans sa chambre.

Le malheureux Édouard se jette au cou de sa femme, éclate en sanglots, la supplie d'avoir pitié de lui, et de secourir Ottilie. Charlotte s'empresse d'aller la rejoindre dans sa chambre; mais en y entrant elle frémit malgré elle. On en avait déjà emporté tous les meubles, à l'exception du magnifique coffre dont on ne savait que faire et qu'on avait laissé au milieu de l'appartement. Ottilie s'était jetée par terre à côté de ce fatal objet; elle y appuyait sa tête et l'entourait de ses bras. Charlotte la relève et l'interroge, mais en vain; la Jeune fille ne répond pas. Une femme de chambre vient apporter des sels et des fortifiants propres à la tirer de son état de stupeur, et Charlotte court près d'Édouard qu'elle trouve au salon, mais hors d'état de l'instruire de ce qui vient de se passer. Il se prosterne devant elle, baigne ses mains de larmes et finit par s'enfuir dans son appartement. En voulant le suivre, elle rencontre son valet de chambre qui lui en apprend enfin assez pour lui faire deviner le reste. Toujours maîtresse d'elle-même, elle s'occupe avant tout des exigences du moment, et fait rapporter les meubles dans les appartements d'Ottilie. Quant à Édouard, il a retrouvé les siens dans l'état où il les avait quittés; pas un meuble, pas un papier n'avait été dérangé.

Tous trois semblaient s'entendre et ne vivre que les uns pour les autres. Ottilie cependant persista à se renfermer dans un silence désespérant. Édouard continua à exhorter sa femme à la patience, car la sienne l'abandonnait à chaque instant. Charlotte envoya un messager à Mittler et l'autre au Major pour les appeler près d'elle; il fut impossible de trouver Mittler, mais le Major accourut en hâte. Édouard ouvrit son coeur à cet ami fidèle et lui raconta jusque dans les plus petits détails tout ce qui venait de se passer. Ce fut par lui que Charlotte apprit enfin à connaître les causes secrètes qui avaient de nouveau troublé leurs esprits et changé leur position. Entourant son mari des soins les plus tendres et les plus délicats, elle ne cessa de le supplier de ne pas importuner la malheureuse enfant en lui demandant une résolution qu'elle n'était pas en état de prendre.

Édouard apprécia plus que jamais la haute raison de sa femme, mais sa passion pour Ottilie le dominait toujours exclusivement. En vain Charlotte chercha-t-elle à entretenir ses espérances, en lui promettant de consentir au divorce, il soupçonna sa sincérité et s'abandonna aux conjectures les plus bizarres. Poussé par le doute et la défiance, il exigea qu'elle prît formellement l'engagement d'épouser le Major. Elle consentit à tout pour le conserver et le tranquilliser, car le désordre de son esprit tenait de la démence. Cependant elle mit, au consentement de son mariage avec le Major, la condition expresse qu'Ottilie deviendrait la femme d'Édouard, et que, pour l'instant, les deux amis feraient ensemble un voyage de quelques mois.

Cette derrière condition était facile à remplir, car le Major venait d'être chargé d'une mission secrète pour une cour étrangère, et le Baron promit de l'accompagner. On fit aussitôt les apprêts du voyage, ce qui leur procura à tous une distraction salutaire.

Malgré cette activité inquiète, on s'aperçut qu'Ottilie ne prenait presque plus de nourriture; ses amis lui firent les représentations les plus douces et les plus tendres, mais sans rompre le silence absolu qu'elle s'était imposé, elle trouva moyen de leur faire comprendre que leurs soins l'importunaient et l'affligeaient. Ils n'insistèrent plus, car, par une faiblesse inexplicable, nous craignons toujours de tourmenter les personnes que nous aimons, même lorsque nous sommes convaincus que c'est pour leur bien.

Après avoir longtemps cherché dans sa pensée un nouveau moyen d'action sur l'esprit malade d'Ottilie, Charlotte conçut l'idée de faire venir le Professeur, dont elle connaissait l'influence sur son ancienne élève. Déjà elle avait eu soin de l'instruire du retour de la jeune fille à la pension, et comme elle ne s'y était pas rendue, il avait écrit à Charlotte pour lui demander la cause de ce retard. Cette lettre qui exprimait la tendre inquiétude d'un véritable ami, était restée sans réponse.

Trop prudente pour vouloir surprendre la malade par une visite qui pouvait ne pas lui être agréable, elle parla devant elle du projet d'engager le Professeur à venir passer quelque temps au château. Un mécontentement douloureux se manifesta sur les traits d'Ottilie; elle devint pensive comme si elle cherchait à prendre une résolution, puis elle se leva et se retira en hâte dans sa chambre. Bientôt ses amis encore réunis au salon, reçurent le billet suivant:

OTTILIE A SES AMIS

«Pourquoi, mes bien-aimés, faut-il que je vous dise clairement ce que vous devez déjà avoir deviné? Je me suis laissée écarter de la route que je devais suivre, et je ne puis plus y rentrer. Le démon qui m'a égarée a pris tant d'empire sur moi, que j'ai beau être d'accord avec moi-même au fond de mon âme, il fait surgir des circonstances extérieures par lesquelles il m'empêche d'exécuter mes bonnes résolutions.

«Je m'étais sincèrement promis de renoncer à Édouard et de ne plus jamais le revoir. Le sort en a décidé autrement; nous nous sommes revus malgré moi, malgré lui-même. J'ai peut-être trop fidèlement tenu la promesse que j'avais faite de ne plus jamais lui parler. Dans l'agitation cruelle du moment terrible où je l'ai vu en face de moi, ma conscience m'a dit que je devais agir comme je l'ai fait. J'ai gardé le silence, je suis devenue muette devant mon ami, et je n'ai plus rien à dire à personne. Les voeux de certains ordres religieux peuvent, parfois, peser péniblement sur celui qui les a acceptés volontairement; le mien m'a été imposé par l'impression du moment, souffrez donc que j'y persiste tant que mon coeur m'y obligera. Ne mettez aucun médiateur entre nous, ne cherchez ni à me faire parler ni à me faire prendre plus de nourriture que je n'en ai rigoureusement besoin. Que votre indulgence, que votre bonté m'aident à sortir de cette cruelle époque de ma vie! je suis jeune, et la jeunesse se remet facilement et au moment où on s'y attend le moins. Supportez-moi dans votre cercle, consolez-moi par votre amour, éclairez-moi par vos entretiens, mais permettez à ma conscience de ne suivre que ses propres inspirations pour tout ce qui ne concerne qu'elle.»

* * * * *

Le voyage projeté des deux amis ne se réalisa point, car la mission du Major fut remise à une époque indéterminée. Ce contre-temps charma Édouard, car le billet d'Ottilie avait ranimé toutes ses espérances; se sentant de nouveau la force de persévérer et d'attendre, il déclara positivement que, sous aucun prétexte, il ne consentirait à s'éloigner du château.

– Il n'y a rien de plus extravagant, s'écria-t-il, qu'une renonciation volontaire et anticipée; quand un bien précieux est sur le point de nous échapper, ne vaut-il pas mieux chercher à le ressaisir? Une pareille folie ne peut découler que de la sotte prétention de conserver du moins les apparences de la liberté du choix. Trop de fois déjà je me suis laissé égarer par cette vanité insensée. Elle m'a fait fuir des amis qui m'étaient chers et dont je ne m'éloignais que parce que je savais que tôt ou tard je serais contraint de me séparer d'eux, et que je ne voulais pas avoir l'air de céder à la nécessité. Pourquoi m'éloignerais-je d'elle? Ne sommes-nous pas déjà que trop séparés? Je n'ose plus ni presser sa main ni l'attirer sur mon coeur, je ne puis pas même le penser sans tressaillir! Elle ne s'est pas détournée de moi, non, elle s'est élevée au-dessus de moi!

Ce fut ainsi que tout resta sur l'ancien pied. Rien n'égalait le bonheur d'Édouard lorsqu'il se trouvait près d'Ottilie, et la jeune fille aussi éprouvait une douce sensation qu'elle ne pouvait chercher à éviter, puisqu'elle lui devenait toujours plus indispensable. Le magnétisme mystérieux qu'ils avaient toujours exercé l'un sur l'autre, n'avait rien perdu de sa puissance. Quoiqu'habitant sous le même toit, ils ne pensaient pas toujours exclusivement l'un à l'autre, s'occupaient souvent d'objets différents et suivaient les impulsions opposées de leur entourage, et cependant ils se trouvaient et se rapprochaient toujours. Quand ils entraient au salon, on les voyait bientôt debout ou assis côte à côte: pour se sentir calmes et heureux, ils avaient besoin de se tenir ainsi le plus près possible; mais ce rapprochement leur suffisait, sans leur faire désirer les communications plus positives du regard et de la parole. Alors ce n'étaient plus que deux personnes réunies en une seule par le sentiment instinctif d'un bien-être parfait, et qui se sentaient aussi contentes d'elles-mêmes que du monde. Si l'un d'eux s'était trouvé retenu malgré lui à une extrémité de l'appartement, l'autre se serait aussitôt dirigé vers ce point, sans avoir la conscience de ce mouvement. La vie était pour eux une énigme dont ils ne comprenaient le mot que lorsqu'ils étaient ensemble.

Ottilie semblait avoir retrouvé un calme parfait et une entière sérénité d'esprit, au point que l'on croyait n'avoir plus rien à redouter pour elle. Jamais elle ne se dispensait de paraître aux réunions de la famille, la table seule exceptée. Elle avait si vivement manifesté le désir de manger seule dans sa chambre, qu'on s'était cru obligé de céder à cette fantaisie. Nanny seule était chargée de la servir.

Les choses qui arrivent ordinairement à tels ou tels individus, se représentent plus souvent que nous ne le croyons, parce qu'elles sont pour ainsi dire une conséquence de leur nature. Le sentiment de l'individualité, les penchants, les tendances, les localités, les entourages et l'habitude, forment un élément, une atmosphère où seuls nous vivons et respirons à notre aise. Voilà pourquoi nous retrouvons presque toujours, après une longue absence, les amis dont la versatilité nous a souvent désespérés, tels que nous les avons quittés.

C'était ainsi que nos amis semblaient, dans leurs rapports de chaque jour, se mouvoir dans le même cercle. Malgré son silence obstiné, Ottilie trouvait moyen de prouver par une foule de petites prévenances qu'elle était toujours serviable et bonne, et chacun avait repris ses allures et son caractère. Enfin, cet intérieur reflétait si parfaitement l'image du passé, qu'il était possible, permis même de croire que rien n'y était changé, ou que, du moins, tous s'y remettraient bientôt complètement sur l'ancien pied.

On était en automne et les jours ressemblaient par leur durée à ceux du printemps, où le Capitaine et Ottilie furent appelés au château. Les heures de promenades et celles des réunions au salon étaient les mêmes; et les fruits et les fleurs de la saison actuelle paraissaient être les produits de cet heureux printemps. On croyait les avoir cultivés et semés ensemble; tout ce qui s'était passé entre ces deux époques était tombé dans l'oubli.

Le Major allait et venait sans cesse du château à la résidence, et de la résidence au château; Mittler aussi venait souvent voir les amis. Les amusements des soirées avaient repris leur cours régulier. Édouard mettait, dans ses lectures habituelles, plus de feu et de sentiment que jamais, on aurait dit qu'il cherchait, tantôt par la gaîté et tantôt par le sentiment, à faire revenir Ottilie de son engourdissement et à triompher de son silence obstiné. Tenant comme autrefois son livre de manière à ce qu'elle pût y lire, il était inquiet, distrait chaque fois qu'il n'avait pas la certitude qu'elle devançait du regard chaque mot qu'il prononçait.

Les soupçons, les inquiétudes, les susceptibilités du passé s'étaient complètement évanouis. Le violon du Major s'unissait instinctivement au piano, quand Charlotte le tenait, et la flûte d'Édouard se mariait avec bonheur au jeu d'Ottilie, quand les touches de cet instrument vibraient sous les doigts de la jeune fille.

Ce fut dans cette disposition d'esprit qu'on vit approcher l'anniversaire de la naissance du Baron, pour laquelle l'année précédente on avait vainement espéré son retour au château. Cette fois on s'était promis de célébrer ce jour dans une douce et silencieuse intimité. A mesure qu'il approchait, Ottilie devenait plus grave et plus solennelle. Quand elle visitait les jardins, elle semblait passer les fleurs en revue, et faisait signe au jardinier de veiller avec soin sur elles, et, surtout, sur les marguerites, qui, cette année, donnaient avec une abondance extraordinaire.

CHAPITRE XVIII

Les amis ne tardèrent pas à s'apercevoir avec bonheur qu'Ottilie s'était décidée enfin à ouvrir le riche coffre, et à en tirer plusieurs objets et pièces d'étoffes qu'elle disposa et tailla elle-même, afin d'en composer un habillement aussi complet qu'élégant.

En aidant à sa maîtresse à replacer dans ce coffre les effets parmi lesquels se trouvaient beaucoup de gants, de jarretières, de bas, de souliers, Nanny s'aperçut qu'il serait difficile de les replier assez adroitement pour les faire tenir tous dans ce même coffre, et elle la pria de lui donner quelques-unes de ces bagatelles qui avaient vivement excité sa coquetterie et sa cupidité. Ottilie refusa positivement, mais elle lui fit signe de prendre dans sa commode tout ce qu'elle y trouverait à son goût. Charmée de cette permission, elle en usa avec autant d'indiscrétion que de maladresse, et courut aussitôt montrer son butin à tous les domestiques du château.

Pendant ce temps, Ottilie replaça si adroitement tous les dons d'Édouard dans le riche coffre, qu'ils ne paraissaient pas avoir été dérangés. Puis elle ouvrit le tiroir secret placé dans le couvercle, qui contenait divers billets d'Édouard, une boucle de ses cheveux, des fleurs sèches qu'ils avaient cueillies ensemble dans des moments de bonheur et d'espérance, et plusieurs autres souvenirs de ce genre. Elle y ajouta le portrait de son père, ferma le tiroir et le coffre, et passa son élégante clef à une petite chaîne d'or qu'elle portait au cou.

Les changements survenus dans les allures d'Ottilie, avaient fait naître les plus heureuses espérances chez ses amis. Charlotte surtout était convaincue que le jour de la fête d'Édouard elle se remettrait à parler, car elle avait cru reconnaître dans son sourire la joie secrète qu'on cherche vainement à cacher quand on prépare une heureuse surprise aux objets de ses affections. Personne ne savait que la pauvre enfant passait des heures entières dans un état voisin de l'anéantissement, et que la force qui la soutenait en présence de ses amis était factice.

Mittler venait souvent au château et s'y arrêtait plus longtemps qu'à l'ordinaire. Cet homme opiniâtre savait qu'il est des moments où l'exécution des projets les plus difficiles devient facile. Le refus d'Ottilie d'épouser Édouard et le silence qu'elle s'obstinait à garder étaient à ses yeux des augures favorables. Aucune démarche concernant le divorce n'avait été faite, il pouvait donc espérer encore que la jeune fille trouverait à se placer dans le monde sans troubler l'union des deux époux. Mais il se borna à observer, il céda même parfois et se contenta de laisser deviner, de donner à entendre; en un mot, il se conduisit assez sagement, du moins d'après son caractère.

Ce caractère cependant le dominait toutes les fois que l'occasion de raisonner sur des matières importantes se présentait. Depuis longtemps il vivait presque toujours seul, et lorsqu'il se trouvait en contact avec les autres, ce n'était que pour agir; mais lorsque dans un cercle d'amis il se laissait aller au plaisir de parler, sa parole, ainsi que nous avons déjà eu occasion de le voir, roulait comme un torrent, sans songer s'il blessait ou s'il guérissait, s'il faisait du bien ou du mal.

La veille de l'anniversaire de la naissance d'Édouard Charlotte et le Major étaient réunis au salon, en attendant le retour du Baron qui était allé faire une promenade à cheval. Ottilie était restée dans sa chambre, où elle travaillait à la parure du lendemain, secondée par Nanny, qui comprenait et exécutait à merveille les ordres muets de sa maîtresse.

Mittler, qui venait d'arriver au château, se promena d'abord à grands pas dans le salon, puis la conversation tomba sur un de ses sujets favoris. Selon lui, il n'y avait rien de plus barbare et de plus contraire à l'éducation des enfants, et même à celle des peuples, que de leur imposer des lois qui commandent ou défendent certaines actions.

– L'homme est naturellement actif, dit-il, et, pour le faire bien agir, il suffit de le bien diriger. Quant à moi, j'aime mieux supporter un défaut jusqu'à ce qu'il se soit converti en qualité, que de le faire disparaître pour ne rien mettre de bon à sa place. Nous aimons tous à faire ce qui est bien et juste, pourvu qu'on nous en fournisse l'occasion; alors nous le faisons, uniquement pour avoir quelque chose à faire, et sans y attacher plus d'importance qu'aux sottises et aux absurdités dont nous ne nous rendons coupables que pour échapper à l'ennui et à l'oisiveté.

– Quel avantage, par exemple, continua-t-il, les enfants peuvent-ils tirer des dix commandements de Dieu qu'on leur enseigne au catéchisme? Passe encore pour le quatrième commandement: Honore ton père et ta mère. Que l'enfant se pénètre bien de ce commandement pendant la leçon, il trouvera, le long du jour, le moyen de le mettre en pratique; mais le cinquième, à quoi bon: Tu ne tueras pas: comme si c'était une chose toute simple et très-récréative que de s'entre-tuer. Un homme fait s'abandonne à la colère, à la haine, à d'autres funestes passions, et peut, égaré par elles et par la force des circonstances, aller jusqu'à tuer son semblable; mais n'est-ce pas une atroce folie que de défendre à de pauvres enfants le meurtre et l'assassinat? Si on leur disait: Occupe-toi du bien-être des autres, cherche à leur procurer ce qui leur est utile, à éloigner d'eux ce qui peut leur nuire; expose ta vie pour sauver la leur, et songe que le mal que tu pourrais leur faire retomberait sur toi-même, ce serait là des enseignements tels qu'on doit en donner à des peuples civilisés, et cependant on leur accorde à peine une petite place dans les instructions supplémentaires du catéchisme.

– Et le sixième commandement! N'est-il pas horrible? Attirer la curiosité des enfants sur les mystères les plus dangereux, et enflammer leur imagination par des paroles énigmatiques, n'est-ce pas les jeter de force au milieu des écueils qu'on veut leur faire éviter? et ne vaudrait-il pas cent fois mieux abandonner au bon plaisir d'un tribunal secret le châtiment de pareils crimes, que d'en bavarder en pleine église devant la commune réunie?

Ottilie entra doucement et Mittler continua avec feu:

– Tu ne commettras point d'adultère! Que c'est grossier! Que c'est inconvenant! Est-ce que cela ne sonnerait pas mieux aux oreilles si l'on disait: Respecte les liens du mariage, et quand tu verras des époux heureux, réjouis-toi de leur bonheur comme de l'éclat d'un beau jour; s'il existe quelque sujet de mésintelligence entre eux, fais-les disparaître, rapproche leurs coeurs, réconcilie-les; fais-leur sentir les avantages de leur position avec un généreux désintéressement; fais-leur comprendre surtout que si l'accomplissement de chaque devoir est une source de bonheur, celui de ce devoir qui unit indissolublement le mari et la femme est la base de tous les autres devoirs, de tous les autres bonheurs de la vie sociale.

Charlotte était sur des charbons ardents, sa position était d'autant plus pénible qu'elle savait que Mittler n'avait pas la conscience de ce qu'il disait et devant qui il prononçait ces imprudentes paroles. Elle allait l'interrompre lorsque Ottilie, dont le visage avait tout à coup changé d'expression, se retira brusquement.

– J'espère, mon cher Mittler, dit Charlotte en s'efforçant de sourire, que vous me ferez grâce du septième commandement.

– Des neuf commandements, si vous voulez, pourvu que celui qui concerne le mariage soit respecté, car c'est le plus important de tous.

Au même instant Nanny se précipita hors d'elle dans le salon en poussant ces cris terribles:

– Au secours! au secours! mademoiselle va mourir, mademoiselle se meurt!

Ottilie était retournée dans sa chambre en se soutenant à peine, les vêtements dont elle voulait se parer le lendemain étaient encore étalés sur les chaises, et Nanny qui venait de les contempler de nouveau, avait exprimé son admiration à sa maîtresse en disant que c'était une véritable parure de fiancée. A peine avait-elle prononcé ces mots qu'Ottilie était tombée sur le canapé sans apparence de vie. Egarée par la terreur, la jeune villageoise s'était précipitée dans le salon pour appeler des secours.

Charlotte se rend en hâte chez sa nièce, accompagnée du Chirurgien qui, attribuant l'état de la malade à la faiblesse, fait apporter un consommé. Ottilie le repousse avec dégoût, presque avec horreur. Surpris de cette répugnance il demande quels aliments elle peut avoir pris dans le cours de la journée. Nanny hésite, se trouble, et finit par avouer que sa maîtresse à refusé toute espèce de nourriture. Son agitation excite les soupçons du Chirurgien; il l'entraîne dans une pièce voisine, Charlotte les suit. La jeune fille se jette à leurs pieds et confesse que depuis longtemps déjà c'était elle qui mangeait les mets qu'on apportait à Ottilie pour ses repas.

– Mademoiselle m'y a forcée par des gestes tantôt suppliants et tantôt menaçants, et puis, ajouta-elle dans toute l'innocence de son coeur, j'avais tant de plaisir à manger ces mets délicats!

Lorsque le Major et Mittler vinrent prendre des nouvelles de la malade, ils trouvèrent le Chirurgien et Charlotte autour d'elle. La céleste enfant, malgré sa pâleur mortelle, n'avait pas perdu connaissance; mais elle était toujours muette et immobile. On la pria de se coucher; elle refusa d'un geste et fit approcher le coffre sur lequel elle appuya ses pieds. Ainsi à demi étendue sur le canapé, elle paraissait plus à son aise, et son regard et sa physionomie annonçaient l'amour, la reconnaissance et le désir de dire à tous ses amis un dernier et tendre adieu.

En rentrant au château Édouard apprend ce qui vient de s'y passer; il se précipite dans la chambre d'Ottilie, se prosterne devant elle, saisit sa main et l'inonde de larmes. Après un long et terrible silence, il s'écrie tout à coup:

– N'entendrai-je plus jamais le son de ta voix? Ne peux-tu revenir à la vie pour m'adresser un mot, un seul? Eh bien! soit, je te suivrai! au-delà de la tombe nous parlerons un autre langage!

Ottilie lui pressa la main avec force et arrêta sur lui un regard plein de vie et d'amour; les lèvres s'agitèrent longtemps en vain, elle respira profondément et laissa enfin échapper ces paroles:

– Promets-moi de vivre …

Epuisée par ce dernier effort de sa tendresse, elle retomba sur ses coussins.

– Je le promets, murmura Édouard.

Cette promesse ne la rencontra plus sur la terre, elle la suivit dans un meilleur monde: Ottilie avait cessé de vivre!..

La nuit se passa dans les larmes, Charlotte se chargea du triste soin de faire ensevelir sa nièce. Le Major et Mittler la secondèrent de tout leur pouvoir. Le désespoir semblait avoir anéanti Édouard, il ne s'arracha à cet état que pour défendre positivement que l'on sortît sa bien-aimée du château; puis il donna des ordres afin qu'elle fût traitée comme une malade, car il soutenait qu'elle n'était pas morte, qu'elle ne pouvait pas l'être. Craignant de l'irriter par la contradiction, on laissa le corps d'Ottilie au château, et il ne demanda point à le voir.

Un nouvel incident se joignit bientôt à tant de sujets de douleur et d'alarmes, Nanny venait de disparaître. Après de longues recherches on la retrouva enfin, mais dans un état d'égarement qui tenait de la folie. Les reproches du Chirurgien lui avaient fait voir que, sous plus d'un rapport, elle avait contribué à la mort de sa maîtresse. On la ramena chez ses parents; les consolations et les procédés les plus doux restèrent sans effet, et pour l'empêcher de s'échapper de nouveau on fut obligé de l'enfermer.

On réussit peu à peu à arracher Édouard à la stupeur où il était tombé d'abord, et par là on augmenta son malheur; car il ne pouvait plus se dissimuler que tout espoir était à jamais perdu pour lui. Le voyant plus tranquille en apparence, on chercha à lui faire comprendre qu'il était indispensable de déposer dans la chapelle les restes d'Ottilie, en ajoutant, toutefois, que dans cette silencieuse et riante demeure qu'elle-même avait aidé à décorer, elle ne cesserait pas de compter parmi les vivants. Il y consentit, mais à la condition expresse qu'elle serait déposée dans un cercueil ouvert qui ne pourrait jamais être fermé que par un couvercle de verre, et qu'une lampe, toujours allumée, serait suspendue au plafond de la chapelle.

Le beau corps d'Ottilie fut revêtu de la parure qu'elle s'était préparée elle-même, et l'on entoura son front d'une couronne de marguerites, dont les nuances variées formaient autour de sa tête une auréole prophétique. Pour orner le cercueil, l'église et la chapelle, on avait dépouillé les jardins de toutes leurs parures; ils étaient sombres et déserts, comme si déjà l'hiver avait engourdi la végétation.

Dès les premiers rayons du jour, ou emporta Ottilie du château dans un cercueil découvert, et le soleil levant éclaira pour la dernière fois son beau visage et lui prêta les nuances de la vie. La foule se pressa autour d'elle; on ne voulait ni la devancer ni la suivre, mais la voir, la regarder et lui adresser un dernier adieu. L'émotion fut générale; mais les jeunes filles surtout, dont elle avait été la protectrice, étaient inconsolables. Nanny manquait au cortège; pour ne pas augmenter son irritation par des images douloureuses, on lui avait caché le jour et l'heure de l'enterrement. Quoique enfermée chez ses parents dans une chambre qui donnait sur le jardin, elle entendit le son des cloches qui lui fit deviner ce qui allait se passer. La garde chargée de veiller sur elle l'avait imprudemment quittée pour assister à la cérémonie. Restée seule, elle s'échappa par une fenêtre qui donnait sur le corridor, d'où elle monta au grenier, car toutes les autres portes de la maison étaient fermées.

En ce moment le cortège s'avançait lentement sur la route jonchée de feuilles et de fleurs qui traversait le village. Bientôt il passa sous la lucarne du grenier par laquelle Nanny voyait sa maîtresse mieux et plus distinctement que tous ceux qui suivaient le cortège. Il lui semblait qu'elle était portée sur des nuages et que, par un geste surnaturel, elle l'appelait, et la jeune fille éperdue, hors d'elle, se précipita par la lucarne.

La foule se dispersa de tous côtés avec des cris d'effroi, et les porteurs déposèrent le cercueil auprès duquel Nanny était tombée sans mouvement et comme si tous ses membres eussent été brisés. On la releva, et soit hasard, soit prédestination, on l'appuya sur le cadavre; car le dernier souffle de sa vie semblait vouloir rejoindre celui de sa maîtresse bien-aimée. Mais à peine ses membres flottants eurent-ils touché les vêtements d'Ottilie, qu'elle se redressa d'un bond, leva les bras et les yeux vers le ciel, s'agenouilla devant le cercueil et contempla la morte dans une pieuse extase. Puis elle se leva comme animée d'une vie nouvelle, et s'écria avec une sainte joie:

– Oui, elle m'a pardonné le crime dont personne en ce monde n'aurait pu m'absoudre, que je ne me serais jamais pardonné à moi-même, Dieu vient de me le remettre par son regard, par son geste, par sa bouche à elle!.. La voilà redevenue silencieuse et immobile; mais vous l'avez vue tous se redresser et me bénir les mains déjointes et levées sur moi! Vous l'avez vue me sourire avec bonté, vous l'avez entendue! Oui, vous êtes tous témoins qu'elle m'a dit: Tout est pardonné!.. Je ne suis plus une meurtrière parmi vous. Elle m'a absous, Dieu a confirmé ce pardon, personne n'a plus le droit de m'adresser le moindre reproche.

La foule qui s'était réunie de nouveau, se tint immobile; tout le monde était surpris; on prêtait l'oreille, on regardait çà et là, on ne savait plus que faire ni que devenir.

Portez-la maintenant à l'asile du repos, continua Nanny, elle a courageusement supporté sa part d'action et de souffrance; elle ne peut plus demeurer parmi nous.

Le cercueil se remit en marche, la jeune villageoise le suivit de près et arriva avec lui à la chapelle.

En déposant les restes d'Ottilie dans cette chapelle, on avait placé à sa tête le cercueil de l'enfant, et à ses pieds le magnifique coffre renfermé dans une caisse de chêne. Une garde spéciale devait pendant les premiers jours veiller sur le corps qui, à travers le couvercle de verre du cercueil, charmait encore tous les yeux. Mais Nanny ne voulait pas se laisser enlever ce qu'elle appelait son droit, elle demanda à rester seule auprès de sa maîtresse et à veiller sur la lampe qu'on alluma pour la première fois. L'accent passionné dont elle exprima ce désir, fit qu'on y céda dans la crainte de porter à sa raison une atteinte dangereuse.

Nanny cependant ne resta pas longtemps seule dans la chapelle. Dès que la nuit fut venue, et que la lumière vacillante de la lampe y répandit sa clarté lugubre, la porte s'ouvrit, et l'Architecte franchit le seuil de ce lieu dont les murs pieusement décorés par lui et doucement éclairés par la lampe nocturne, se présentaient à ses regards sous un aspect d'antiquité prophétique, dont il ne les aurait jamais crus susceptibles.

Nanny, assise près du cercueil, le reconnut aussitôt, et lui indiqua par un geste silencieux les restes inanimés de sa maîtresse. L'extérieur de l'Architecte annonçait la force et les grâces de la jeunesse, mais une puissance surnaturelle semblait l'avoir tout à coup refoulé sur lui-même. Muet, immobile, les regards fixés sur le corps d'Ottilie, il la contemplait en joignant ou plutôt en se tordant les mains avec un mouvement de désespoir compatissant.

Vanusepiirang:
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Ilmumiskuupäev Litres'is:
28 september 2017
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