Loe raamatut: «Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour», lehekülg 58

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CHAPITRE XXI

Cérémonie religieuse du mariage de Leurs Majestés.—Le lendemain de leur mariage.—Fêtes éblouissantes.—Les temples de la gloire et de l'hymen.—Présent de la ville de Paris à l'impératrice.—Frais de la toilette des deux impératrices.—Voyage dans les départemens du Nord.—Souvenirs de Joséphine.—Triomphe et isolément.—Arrivée à Anvers.—Froideur entre le roi de Hollande et l'empereur.—Défiance mutuelle au milieu des fêtes.—Emportemens de l'empereur.—Les deux souverains et les deux frères.—Quelques traits du caractère du prince Louis.—Erreur à son sujet.—Course sur mer à Flessingue.—Tempête.—Danger couru par l'empereur.—Souffrances de Sa Majesté.—Situation critique d'un huissier de service.—Mot de l'empereur.—Première leçon d'équitation de l'impératrice.—Sollicitude de l'empereur.—Progrès rapides.—Goût de l'impératrice pour les bals et les fêtes.—Plaisirs continuels.—Incendie de l'hôtel du prince de Schwartzenberg.—Heureuse présence d'esprit de l'empereur et du vice-roi d'Italie.—Les victimes de l'incendie.—Superstition de Napoléon.—Anecdotes sur madame la comtesse Durosnel.—Abdication du roi de Hollande.—Paroles de l'empereur.—Les trois capitales de l'empire français.

Le mariage civil de Leurs Majestés fut célébré au palais de Saint-Cloud, le dimanche 1er avril, à deux heures après midi. Le lendemain eut lieu dans la grande galerie du Louvre la cérémonie du mariage religieux. Une circonstance assez singulière, c'est qu'il faisait le dimanche au soir un assez beau temps à Saint-Cloud, tandis que les rues de Paris étaient inondées d'une pluie effroyable et continuelle. Le lundi il plut à Saint-Cloud, et le temps fut magnifique à Paris, comme pour ne rien ôter à la pompe du cortége et à l'éclat des merveilleuses illuminations de la soirée. «L'étoile de l'empereur, disait-on dans le langage de cette époque, l'a emporté deux fois sur les vents de l'équinoxe.»

La ville de Paris présentait le lundi au soir un spectacle tel qu'on pouvait s'y croire dans un lieu d'enchantemens. Je n'ai jamais vu d'aussi brillantes illuminations. C'était une suite de décorations magiques. Les maisons, les hôtels, les palais, les églises, tout était éblouissant; jusqu'aux tours des églises qui, illuminées aussi, semblaient des étoiles, des comètes suspendues dans les airs. Les hôtels des grands dignitaires de l'empire, des ministres, des ambassadeurs d'Autriche et de Russie, du duc d'Abrantès, rivalisaient d'éclat et de goût. La place Louis XV présentait un coup d'œil admirable. Du milieu de cette place, entourée d'orangers en feu, les yeux se portaient alternativement sur les magnifiques décorations des Champs-Élysées, du Garde-Meuble, du Temple de la gloire, des Tuileries et du Corps-Législatif. Le palais du Corps-Législatif figurait le temple de l'Hymen. Le transparent du fronton représentait la Paix unissant les augustes époux. À leurs côtés étaient deux génies portant des boucliers, où l'on voyait les armes des deux empires; et derrière ce groupe venaient des magistrats, des guerriers, le peuple, leur présentant des couronnes. Aux deux extrémités du transparent étaient la Seine et le Danube, entourés d'enfans; image de fécondité. Les douze colonnes du péristyle et le perron étaient illuminés. Les colonnes étaient réunies l'une à l'autre par des lustres. Les statues qui ornent le péristyle et le perron étaient éclairées. Le pont Louis XV, par lequel on se rendait à ce temple de l'Hymen, était lui-même une avenue dont la double rangée de feux, de verres de couleurs, d'obélisques, de plus de cent colonnes, surmontées chacune d'une étoile, et réunies par des guirlandes de verres de couleurs en spirale, produisait un éclat à peine supportable à la vue. La coupole du dôme de Sainte-Geneviève était aussi magnifiquement éclairée. Toutes les côtes étaient marquées par un double rang de lampions. Entre ces côtes étaient des aigles, des chiffres en verres de couleurs, des guirlandes de feu attachées à des torches de l'Hymen. Le péristyle du dôme était éclairé par des lustres disposés entre chaque colonne, et, ces colonnes n'étant pas éclairées, ces lustres paraissaient suspendus dans les airs. La lanterne était tout en feu, et toute cette masse éclatante était surmontée d'un trépied représentant l'autel de l'Hymen, d'où s'échappait une flamme immense produite par des matières bitumineuses. À une grande élévation au dessus de la plate-forme de l'observatoire, une immense étoile, isolée de la plate-forme, et que la variété des verres de couleurs qui la formaient faisait scintiller comme un vaste diamant, se détachait sur un ciel noir. Le palais du sénat attirait aussi un grand nombre de curieux. Mais je me suis déjà trop étendu dans cette description des spectacles merveilleux que l'on rencontrait à chaque pas.

La ville de Paris fit hommage à Sa Majesté l'impératrice d'une toilette encore plus magnifique que celle qu'elle avait offerte autrefois à l'impératrice Joséphine. Tout était en vermeil, jusqu'au fauteuil et à la psyché. Les dessins des diverses pièces de ce meuble vraiment admirable avaient été tracés par les premiers artistes, et l'élégance, le fini des ornemens surpassaient encore la richesse du métal.

Vers la fin d'avril, Leurs Majestés partirent ensemble pour visiter les départemens du Nord. Ce voyage fut la répétition de celui que j'avais fait en 1804 à la suite de l'empereur; seulement l'impératrice n'était plus la bonne et gracieuse Joséphine. En repassant par toutes ces villes où je l'avais vue accueillie avec tant d'enthousiasme, et dont les vœux et les hommages s'adressaient maintenant à une autre souveraine; en revoyant le château de Lacken, Bruxelles, Anvers, Boulogne, et tant d'autres lieux où j'avais vu Joséphine passer en triomphe, comme à présent Marie-Louise, je songeai avec chagrin et regret à l'isolement de la première épouse de l'empereur, et à la douleur qui ne pouvait manquer de la poursuivre jusque dans la retraite, lorsque arrivait jusqu'à elle la relation des honneurs rendus à celle qui lui avait succédé dans le cœur de l'empereur et sur le trône impérial.

Le roi et la reine de Westphalie et le prince Eugène accompagnaient Leurs Majestés. Nous vîmes lancer à Anvers un vaisseau de quatre-vingts canons, lequel reçut, avant de quitter les chantiers, la bénédiction de M. de Pradt, archevêque de Malines. Le roi de Hollande vint rejoindre l'empereur à Anvers. Ce prince était en froid avec Sa Majesté, qui avait exigé de lui tout récemment la cession d'une partie de ses états, et qui, bientôt après, mit la main sur tout le reste. Il s'était pourtant trouvé à Paris pendant les fêtes du mariage de l'empereur, qui même l'avait envoyé au devant de l'impératrice Marie-Louise; mais les deux frères n'avaient pas renoncé à leur défiance mutuelle l'un contre l'autre; et il faut convenir que celle du roi Louis n'était que trop bien motivée. Ce que j'ai trouvé de plus singulier dans leurs altercations, c'est que l'empereur, en l'absence de son frère, se livrait aux plus grands emportemens et aux menaces les plus violentes contre lui, tandis que, s'ils venaient à avoir une entrevue, ils s'abordaient amicalement et familièrement comme deux frères. Séparés, ils étaient, l'un empereur des Français, l'autre roi de Hollande, avec des intérêts et des vues opposés; ensemble ils n'étaient plus, s'il m'est permis de m'exprimer ainsi, que Napoléon et Louis compagnons et amis d'enfance.

Toutefois le prince Louis était habituellement triste et mélancolique; les contrariétés qu'il éprouvait sur le trône, où il avait été placé malgré lui, ajoutées à ses chagrins domestiques, le rendaient évidemment très-malheureux; et tous ceux qui le connaissaient le plaignaient sincèrement; car le roi Louis était un excellent maître, un homme de mérite et un honnête homme. On a dit que, lorsque l'empereur eut décrété la réunion de la Hollande à la France, le roi Louis résolut de se défendre jusqu'à la dernière extrémité dans la ville d'Amsterdam, et de faire rompre les digues pour inonder tout le pays et arrêter ainsi l'invasion des troupes françaises. Je ne sais si cela est vrai; mais, d'après ce que j'ai vu du caractère de ce prince, je suis bien sûr que, tout en ayant assez de courage personnel pour s'exposer de sa personne à toutes les chances de ce parti désespéré, sa bonté naturelle et son humanité l'auraient arrêté dans l'exécution d'un tel projet.

À Middelbourg, l'empereur s'embarqua à bord du Charlemagne pour visiter les bouches de l'Escaut, le port et l'île de Flessingue. Dans cette course sur mer, nous fûmes assaillis par un grain terrible. Trois ancres furent successivement cassées: nous eûmes encore d'autres avaries et courûmes un assez grand danger. L'empereur était très-malade; il se jetait à chaque instant sur son lit, et faisait beaucoup d'efforts pour vomir, sans pouvoir y parvenir, ce qui rendait son malaise plus pénible. J'eus le bonheur de n'être pas du tout incommodé et d'être ainsi en état de lui donner tous les soins que sa position exigeait. Toutes les personnes de sa suite étaient malades. Mon oncle, qui était huissier de service, et obligé par conséquent de se tenir debout à la porte de la cabine de Sa Majesté, tombait à chaque instant et souffrit horriblement. Pendant cette tourmente, qui dura trois jours, l'empereur bouillait d'impatience. «Je crois, dit-il lorsque nous pûmes enfin aborder, que j'aurais été un assez médiocre amiral.»

Peu de temps après notre retour de ce voyage, l'empereur voulut que Sa Majesté l'impératrice apprît à monter à cheval. Elle alla au manége de Saint-Cloud; plusieurs personnes de la maison étaient dans la tribune pour la voir prendre sa première leçon. J'étais de ce nombre, et je vis la tendre sollicitude que l'empereur témoignait pour sa jeune épouse. Elle était montée sur un cheval doux et fort bien dressé; l'empereur ne quittait pas sa main et marchait à côté d'elle, pendant que M. Jardin père tenait la bride du cheval. Au premier pas que fit sa monture, l'impératrice se mit à crier de frayeur; et l'empereur lui disait: «Allons! Louise, sois brave; que peux-tu craindre? ne suis-je pas là?» La leçon se passa en encouragemens d'une part et en frayeurs de l'autre. Le lendemain l'empereur donna ordre de faire sortir les personnes qui étaient dans les tribunes, parce que cela intimidait l'impératrice. Elle ne tarda pas toutefois à s'aguerrir, et finit par être fort bonne cavalière. Elle faisait souvent des courses dans le parc avec ses dames d'honneur et madame la duchesse de Montebello, qui montait aussi à cheval avec grâce. Une calèche suivait l'impératrice avec quelques dames. Le prince Aldobrandini, son écuyer, ne la quittait pas dans ses promenades.

L'impératrice était dans un âge où l'on a goût aux bals et aux fêtes, et l'empereur craignait par-dessus tout qu'elle s'ennuyât. Aussi les réjouissances et les divertissemens abondaient-ils à la cour et à la ville. Une fête offerte à Leurs Majestés par le prince de Schwartzenberg, ambassadeur d'Autriche, se termina par des malheurs affreux.

Le prince occupait l'ancien hôtel de Montesson dans la rue de la Chaussée-d'Antin. Pour donner son bal, il avait fait ajouter aux appartemens déjà existans une vaste salle et une galerie en bois, décorées avec une profusion de fleurs, de draperies, de candélabres, etc. Au moment où, après avoir assisté pendant deux où trois heures à la fête, l'empereur se retirait, un des rideaux, agité par un courant d'air, prit feu aux bougies qui se trouvaient trop près des fenêtres, et s'enflamma en un instant. Quelques jeunes gens firent de vains efforts pour éteindre le feu, en arrachant les draperies et en étouffant la flamme dans leurs mains. En un clin d'œil les rideaux, les papiers et les guirlandes furent consumés, et la charpente commença à brûler.

L'empereur fut un des premiers qui s'aperçurent des progrès de l'incendie et en prévirent les suites. Il s'approcha de l'impératrice, qui déjà s'était levée pour venir vers lui, et sortit avec elle, non sans quelque difficulté, à cause de la foule qui se précipitait vers les portes. Les reines de Hollande, de Naples, de Westphalie, la princesse Borghèse, etc., suivirent Leurs Majestés. La vice-reine d'Italie, qui était grosse de plusieurs mois, était restée dans la salle, sur l'estrade où s'était placée la famille impériale. Le vice-roi, craignant autant pour sa femme la presse que l'incendie, la sauva par une petite porte que l'on avait ménagée sur l'estrade pour apporter des rafraîchissemens à Leurs Majestés. On n'avait point songé à cette issue avant le prince Eugène; quelques personnes en profitèrent pour sortir avec lui. Sa majesté la reine de Westphalie, parvenue sur la terrasse, ne se crut point encore en sûreté, et, dans son effroi, elle s'élança dans la rue Taitbout, où elle fut relevée par un passant.

L'empereur accompagna l'impératrice jusqu'à l'entrée des Champs-Élysées; là il la quitta pour retourner au lieu de l'incendie, et ne rentra à Saint-Cloud que sur les quatre heures du matin. Depuis l'arrivée de l'impératrice, nous étions dans des transes affreuses; il n'était pas une âme au château qui ne fût en proie à l'inquiétude la plus vive au sujet de l'empereur. Enfin il arriva sans accident, mais très-fatigué, les habits en désordre et le visage échauffé de l'incendie; ses souliers et ses bas étaient noircis et brûlés par le feu. Il se rendit d'abord tout droit chez l'impératrice, pour s'assurer si elle était bien remise de la frayeur qu'elle avait éprouvée; ensuite il rentra dans sa chambre, et, jetant son chapeau sur son lit, se laissa tomber dans un fauteuil en s'écriant: «Mon Dieu, quelle fête!» Je remarquai que les mains de l'empereur étaient toutes charbonnées; il avait perdu ses gants au feu. Sa Majesté était d'une tristesse profonde. Pendant que je la déshabillais, elle me demanda si j'avais été à la fête du prince: je répondis que non; alors elle daigna me donner quelques détails sur le déplorable événement. L'empereur parlait avec une émotion que je ne lui ai vue que deux ou trois fois en sa vie, et qu'il n'éprouva pas pour ses propres infortunes. «L'incendie de cette nuit, dit Sa Majesté, a dévoré une femme héroïque. La belle-sœur du prince de Schwartzenberg, entendant sortir de la salle embrasée des cris qu'elle a crus poussés par sa fille aînée, s'est jetée au milieu des flammes. Le plancher, déjà réduit en charbon, s'est enfoncé sous ses pieds; elle a disparu. La pauvre mère s'était trompée! tous ses enfans étaient hors de danger. On a fait des efforts inouïs pour la retirer des flammes; mais on ne l'a eue que morte, et tous les secours de la médecine ont été vainement prodigués pour la rappeler à la vie. La malheureuse princesse était grosse et très-avancée dans sa grossesse; j'ai moi-même conseillé au prince d'essayer de sauver au moins l'enfant. On l'a retiré vivant du cadavre de sa mère; mais il n'a vécu que quelques minutes.»

L'émotion de l'empereur redoubla à la fin de ce récit. J'avais eu soin de lui tenir un bain tout prêt, prévoyant qu'il en aurait besoin à son retour. Sa Majesté le prit en effet, et, après ses frictions habituelles, elle se trouva, comme on dit, un peu remontée. Cependant je me souviens qu'elle exprima la crainte que le terrible accident de cette nuit ne fût l'annonce d'événemens funestes, et elle conserva long-temps cette appréhension. Trois ans après, pendant la déplorable campagne de Russie, on annonça un jour à l'empereur que le corps d'armée commandé par le prince de Schwartzenberg avait été détruit, et que le prince lui-même avait péri: il se trouva heureusement que la nouvelle était fausse; mais lorsqu'on vint l'apporter à Sa Majesté, elle s'écria, comme pour répondre à une idée qui la préoccupait depuis long-temps: «C'était donc lui que menaçait le mauvais présage!»

Vers le matin, l'empereur envoya des pages chez toutes les personnes qui avaient souffert de la catastrophe, pour les complimenter de sa part et demander de leurs nouvelles. On rapporta à Sa Majesté de tristes réponses: Madame la princesse de la Layen, nièce du prince primat, avait succombé à ses blessures. On désespérait des jours du général Touzart, de sa femme et de sa fille, qui moururent en effet dans la journée. Il y eut encore d'autres victimes de ce désastre. Au nombre des personnes qui y échappèrent, après de longues souffrances, se trouvèrent le prince Kourakin et madame Durosnel, femme du général de ce nom.

Le prince Kourakin, toujours remarquable par l'éclat autant que par le goût singulier de sa toilette, s'était paré pour le bal, d'un habit d'étoffe d'or; ce fut ce qui le sauva. Les flammèches et les brandons glissèrent sur son habit et sur les décorations dont il était couvert, comme sur une cuirasse. Cependant le prince garda le lit pendant plusieurs mois. Dans le tumulte causé par l'incendie, il était tombé sur le dos, avait été long-temps foulé aux pieds et meurtri, et n'avait dû son salut qu'à la présence d'esprit et à la force d'un musicien qui l'avait relevé et porté hors de la foule.

Le général Durosnel, dont la femme s'était évanouie dans la salle du bal, s'élança au milieu des flammes et reparut aussitôt, ayant dans ses bras son précieux fardeau; il porta ainsi madame Durosnel jusque dans une maison du boulevard, où il la déposa pour aller chercher une voiture dans laquelle il la fit transporter à son hôtel. Madame la comtesse Durosnel avait été cruellement brûlée, et elle en resta plus de deux ans malade. Dans le trajet que fit le général, de l'hôtel de l'ambassadeur au boulevard, il vit à la lueur de l'incendie un voleur qui enlevait le peigne de sa femme évanouie dans ses bras. Ce peigne était enrichi de diamans et d'un très-grand prix.

Madame Durosnel avait pour son mari une tendresse égale à celle de son mari pour elle. À la suite d'un combat sanglant de la seconde campagne de Pologne, le général Durosnel fut perdu pendant plusieurs jours, et l'on écrivit en France qu'on le croyait mort. La comtesse, désespérée, tomba malade de douleur, et fut sur le point de mourir. Quelque temps après, on apprit que le général, blessé grièvement, mais non mortellement, avait été retrouvé, et que sa guérison serait prompte. Lorsque madame Durosnel reçut cette heureuse nouvelle, sa joie alla jusqu'au délire; elle fit faire dans la cour de son hôtel, un tas de ses habits de deuil et de ceux de ses gens, y mit le feu, et vit brûler ces lugubres vêtemens avec des transports et des éclats de gaîté folle.

Deux jours après l'incendie de l'hôtel du prince de Schwartzenberg, l'empereur reçut la nouvelle de l'abdication de son frère Louis. Sa Majesté parut d'abord très-contrariée de cet événement, et dit à quelqu'un qui entrait dans sa chambre, à l'instant où elle venait d'en être informée: «J'avais bien prévu cette sottise de Louis, mais je ne croyais pas qu'il fût si pressé de la faire.» Néanmoins l'empereur en prit bientôt son parti, et à quelques jours de là, Sa Majesté qui, pendant sa toilette, n'avait pas ouvert la bouche, sortit tout d'un coup de sa préoccupation, au moment où je lui présentai son habit, et me donnant deux ou trois de ses tapes familières: «M. Constant, me dit-elle, savez-vous quelles sont les trois capitales de l'empire français?» Et, sans me donner le temps de répondre, l'empereur continua: «Paris, Rome, Amsterdam. Cela fait un bon effet; n'est-il pas vrai?»

CHAPITRE XXII

Les restes du maréchal Lannes transférés au Panthéon.—Cérémonie funèbre.—Aspect de l'église des Invalides le jour de cette cérémonie.—Inscription glorieuse.—Cortége.—Derniers adieux.—Larmes sincères.—Séjour à Rambouillet.—Duel entre deux pages de l'empereur.—Prudence paternelle de M. d'Assigny.—La Saint-Louis fêtée en l'honneur de l'impératrice.—Pronostics tirés après coup.—Revue de la garde impériale hollandaise.—Graves désordres.—Sollicitude de l'empereur.—Heureuse idée d'un officier.—Influence du seul nom de l'empereur.—Napoléon parrain et Marie-Louise marraine.—Sage prévoyance de l'empereur.—Distraction de l'empereur pendant les offices de l'église.—Heureuse nouvelle annoncée par l'empereur.—Retard dans la grossesse de l'impératrice.—Inquiétude de Napoléon.—La cause du retard découverte.—Maux de cœur de Marie-Louise.—Joie universelle.

Dans les derniers jours de juillet, on se porta en foule à l'église de l'Hôtel des Invalides, où étaient déposés les corps du général Saint-Hilaire et du duc de Montebello. Les restes du maréchal étaient placés auprès du tombeau de Turenne. Les matinées étaient employées à la célébration de plusieurs messes qui se disaient sur un autel double, élevé entre la nef et le dôme. Pendant quatre jours on vit flotter sur la flèche du dôme une longue flamme, ou pavillon noir, bordé de blanc.

Le jour même de la translation des restes du maréchal, de l'église des Invalides au Panthéon, je fus envoyé de Saint-Cloud à Paris pour un message particulier de l'empereur. Ma commission faite, il me restait quelques instans de loisir, dont je profitai pour aller voir cette lugubre cérémonie, et dire un dernier adieu au brave guerrier que j'avais vu mourir. À midi, toutes les autorités civiles et militaires se rendirent à l'hôtel. Le corps fut transféré du dôme dans l'église, sous un catafalque formé par une grande pyramide d'Égypte, portée sur une estrade élevée, ouverte par quatre grands arcs, dont les cintres étaient entourés d'une guirlande de lauriers enlacés de cyprès. Aux angles étaient des statues dans l'attitude de la douleur, représentant la Force, la Justice, la Prudence et la Tempérance, vertus caractéristiques des héros. Cette pyramide était terminée par une urne cinéraire, surmontée d'une couronne de feu. Sur les faces de la pyramide étaient placés les armes du duc et des médaillons rappelant les faits les plus mémorables de sa vie, et soutenus par des génies en pleurs. Sous l'obélisque était placé le sarcophage renfermant le corps du maréchal; aux angles étaient des trophées composés de drapeaux enlevés sur les ennemis. Des candélabres en argent, et en très-grand nombre, étaient fixés sur les gradins qui servaient d'estrade à ce monument. L'autel, en bois de chêne, rétabli où il était avant la révolution, était double et à double tabernacle. Sur les portes du tabernacle étaient les tables de la loi; il était surmonté d'une grande croix sur le croisant de laquelle était suspendu un suaire. Aux angles de l'autel étaient les statues de saint Louis et de saint Napoléon. Quatre grands candélabres étaient placés sur des piédestaux aux angles des gradins. Le pavé du chœur, celui de la nef étaient revêtus d'un tapis de deuil. La chaire, drapée en noir, décorée de l'aigle impériale, et où fut prononcée l'oraison funèbre du maréchal, était placée à gauche en avant du catafalque; à droite était un siége en bois d'ébène, décoré des armes impériales, d'abeilles, d'étoiles, de galons, de franges et autres ornemens en placage d'argent. Il était destiné au prince archi-chancelier de l'empire, qui présidait la cérémonie. Des gradins étaient élevés dans les arcades des bas-côtés, et correspondaient aux tribunes qui étaient au dessus. En avant de ces gradins étaient les siéges et les banquettes pour les autorités civiles et militaires, les cardinaux, archevêques, évêques, etc. Les armes, les décorations, le bâton et la couronne de lauriers du maréchal, étaient placés sur le cercueil.

Toute la nef et le fond des bas-côtés étaient tendus de noir avec encadremens blancs; les fenêtres l'étaient aussi. On voyait sur les draperies les armes, le bâton et le chiffre du maréchal.

L'orgue était caché par une vaste tenture qui ne nuisait pas à la propagation de ses lugubres sons. Dix-huit lampes sépulcrales d'argent étaient suspendues, avec des chaînes de même métal, à des lances terminées par des guidons enlevés à l'ennemi. Sur les pilastres de la nef était fixés des trophées d'armes, composés des drapeaux pris dans les différentes affaires qui ont illustré la vie du maréchal.

Le pourtour de l'autel, du côté de l'esplanade, était revêtu d'une tenture de deuil; au dessus étaient les armes du duc, fixées par deux renommées tenant les palmes de la victoire; au dessus on lisait: Napoléon à la mémoire du duc de Montebello, mort glorieusement aux champs d'Essling, le 22 mai 1809.

Le conservatoire de musique exécuta une messe composée des plus beaux morceaux de musique sacrée de Mozart. Après la cérémonie, le corps fut porté jusqu'à la porte de l'église, et placé sur le char funèbre, orné de lauriers et de quatre faisceaux de drapeaux enlevés à l'ennemi dans les affaires où le maréchal s'était trouvé, et par les troupes de son corps d'armée. Il était précédé par un cortége militaire et religieux, et suivi d'un cortége de deuil et d'honneur. Le cortége militaire était composé de détachemens de toutes les armes, de cavalerie et d'infanterie légère et de ligne, d'artillerie à cheval et à pied; suivis de canons, de caissons, de sapeurs, de mineurs, tous précédés de tambours, de trompettes, de musique, etc.; l'état-major général ayant à sa tête le maréchal prince de Wagram, et composé de tous les officiers généraux et d'état-major de la division et de la place.

Le cortége religieux se composait des enfans et vieillards des hospices, du clergé de toutes les paroisses et de l'église métropolitaine de Paris, avec les croix et bannières, les chantres et la musique religieuse, l'aumônier de Sa Majesté avec les assistans. Le char portant le corps du maréchal, suivait immédiatement. Les maréchaux ducs de Conegliano, comte Serrurier, duc d'Istrie et prince d'Eckmühl, portaient les coins du poêle. Aux deux côtés du char, deux aides-de-camp du maréchal portaient deux étendards. Sur le cercueil étaient fixés le bâton de maréchal et les décorations du duc de Montebello.

Après le char venaient le deuil et le cortége d'honneur; la voiture vide du maréchal, ayant aux portières deux de ses aides-de-camp à cheval; quatre voitures de deuil destinées à la famille du maréchal; les voitures des princes grands dignitaires, des ministres, maréchaux, colonels généraux, premiers inspecteurs. Un détachement de cavalerie, précédé de trompettes et de musique à cheval, suivait les voitures et fermait la marche. Une musique accompagnait les chants, toutes les cloches des églises sonnaient, et treize coups de canon étaient tirés par intervalle.

Arrivé à l'entrée de l'église souterraine de Sainte-Geneviève, le corps fut descendu à bras par des grenadiers décorés et blessés dans les mêmes batailles que le maréchal. L'aumônier de Sa Majesté remit le corps à l'archiprêtre. Le prince d'Eckmühl adressa au duc de Montebello les regrets de l'armée; et le prince archi-chancelier déposa sur le cercueil la médaille destinée à perpétuer la mémoire de ces honneurs funèbres, du guerrier qui les recevait, et des services qui les avaient mérités. Alors toute la foule s'écoula, et il ne resta dans le temple que quelques anciens serviteurs du maréchal, qui honoraient sa mémoire, par les larmes qu'ils versaient en silence, autant et plus que ce deuil public et cette imposante cérémonie. Ils me connaissaient, pour nous être trouvés ensemble en campagne. Je restai quelque temps avec eux, et nous sortîmes ensemble du Panthéon.

Pendant ma courte excursion à Paris, Leurs Majestés avaient quitté Saint-Cloud pour Rambouillet. Je fis route pour aller les rejoindre avec les équipages du maréchal prince de Neufchâtel, qui avait momentanément quitté la cour pour assister aux obsèques du brave duc de Montebello.

Ce fut, si ma mémoire ne me trompe pas, en arrivant à Rambouillet que j'appris les détails d'un duel qui avait eu lieu le jour même entre deux de MM. les pages de Sa Majesté. Je ne me rappelle pas la cause de leur querelle; mais, assez frivole dans son origine, elle était devenue fort grave par suite des voies de fait qu'elle avait occasionées. C'était une dispute d'écoliers; mais ces écoliers portaient une épée, et se regardaient, non sans raison, comme plus d'aux trois quarts militaires: il fut donc décidé qu'on se battrait. Pour se battre, il fallait deux choses, du temps et du secret. Quant au temps, il était employé, depuis quatre ou cinq heures du matin jusqu'à neuf heures du soir, presque sans interruption. Le secret ne fut pas gardé.

M. d'Assigny, homme d'un mérite rare et d'une vertu parfaite, était alors sous-gouverneur des pages; ses soins, ses bontés et sa justice l'avaient fait chérir de ses élèves. Voulant prévenir un malheur, il appela devant lui les deux adversaires; mais ces jeunes gens, destinés à servir dans l'armée, ne pouvaient entendre à aucune autre réparation que celle du duel. M. d'Assigny avait trop d'esprit pour essayer de parler dans un sens opposé: il n'eût pas été obéi; mais il s'offrit pour témoin, fut accepté par les jeunes gens, et chargé de fixer le choix des armes. Il choisit le pistolet, et le rendez-vous fut donné pour le lendemain de grand matin. Tout se passa dans l'ordre accoutumé pour ces sortes d'affaires. Un des pages tira le premier, et manqua son adversaire; l'autre déchargea son arme en l'air. Aussitôt ils se précipitèrent dans les bras l'un de l'autre, et M. d'Assigny prit ce moment pour leur adresser une mercuriale toute paternelle. Du reste, le digne sous-gouverneur non-seulement leur garda le secret, mais il garda aussi le sien. Les pistolets, chargés par M. d'Assigny, ne contenaient que des balles de liége; ce que les jeunes gens ignorèrent toujours.

Quelques personnes voyaient arriver avec un sentiment de curiosité le 25 août, jour de la fête de Sa Majesté l'impératrice. Elles pensaient que, de peur d'exciter les souvenirs des royalistes, l'empereur remettrait cette solennité à une autre époque de l'année; ce qu'il aurait aisément pu faire en fêtant son auguste épouse sous le nom de Marie. Mais l'empereur ne s'arrêta point à de pareilles craintes. Il est même probable qu'il fut le seul dans tout le château à qui il n'en vint pas l'idée. Sûr de sa puissance et des espérances que la nation française fondait alors sur lui, il savait bien qu'il n'avait rien à redouter de princes exilés ni d'un parti qui paraissait mort, sans la moindre chance de résurrection. J'ai entendu dire depuis et très-sérieusement, que Sa Majesté avait eu tort de fêter la Saint-Louis; que cela lui avait porté malheur, etc.; mais ces pronostics, tirés après l'événement, n'occupaient alors la pensée de qui que ce fût, et la Saint-Louis fut célébrée en l'honneur de l'impératrice Marie-Louise avec une pompe et une allégresse extraordinaires.