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Loe raamatut: «Les enfants des bois», lehekülg 11

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CHAPITRE XXX
LES GNOUS

«Un malheur, dit le proverbe, n'arrive jamais seul.»

En approchant du camp, les chasseurs purent s'apercevoir que tout n'était pas en règle, Totty, Gertrude et Jan étaient en haut de l'échelle, et leurs regards inquiets n'annonçaient rien de bon.

Ou était Hans?

Dès que les chasseurs furent en vue, Jan et Gertrude descendirent les échelons et vinrent confirmer les tristes conjectures qu'on avait formées.

Hans était absent depuis plusieurs heures.

– Où est-il allé? demanda Von Bloom.

– Nous ne savons pas, répondit Jan; nous craignons qu'il ne lui soit arrivé quelque malheur.

– Mais dans quelles circonstances a-t-il quitté le camp?

– Un grand nombre de bêtes de forme étranges sont venues boire dans le lac. Vite Hans a pris son fusil et s'est mis à les poursuivre; il nous a recommandé de nous tenir dans l'arbre, de ne pas bouger avant son retour, en disant qu'il allait revenir de suite. Il s'est en allé au bas du lac; mais les buissons nous l'ont bientôt caché, et nous ne l'avons plus revu!

– Y a-t-il longtemps?

– Oh! très-longtemps, dit Gertrude. Il est parti presque aussitôt que vous. Ne le voyant pas revenir, nous nous sommes d'abord inquiétés, puis nous avons pensé qu'il vous avait rencontrés, qu'il vous aidait à chasser, et que c'était pour cela qu'il ne rentrait pas.

– Avez-vous entendu un coup de fusil?

– Non; les étranges bêtes avaient disparu avant que Hans eût eu le temps de se préparer. Nous supposons qu'avant de pouvoir les rattraper il a dû faire un bon bout de chemin, et voilà pourquoi nous n'avons rien entendu.

– Quelles étaient les bêtes dont vous parlez?

– De gros animaux d'un jaune brun, reprit la petite fille. Ils avaient des crinières hérissées; de longues touffes de poils pendaient de leur poitrail entre leurs jambes de devant.

– Ils étaient gros comme des poneys, ajouta Jan; ils gambadaient et caracolaient comme des poneys, auxquels ils ressemblaient beaucoup.

– Ils avaient plutôt l'air de lions, interrompit Gertrude.

– De lions! s'écrièrent Von Bloom et Hendrik, avec l'accent de la terreur.

– Oui, reprit Gertrude, il m'ont fait l'effet d'être de l'espèce des lions.

– Et à moi aussi, dit Totty.

– Combien étaient-ils?

– Au moins une cinquantaine. Nous n'avons pu les compter, car ils étaient sans cesse en mouvement, galopaient d'un lieu à l'autre et se donnaient des coups de cornes.

– Ah! ils avaient des cornes! s'écria Von Bloom, que cette affirmation rassurait.

– Certainement, répondirent à la fois Totty et les deux enfants.

– C'étaient, dit Jan, des cornes pointues qui descendaient en partant du front et remontaient ensuite tout droit. Ces animaux avaient aussi des crinières; leur cou se courbait comme celui d'un cheval; leur nez était garni d'une touffe de poils semblable à une brosse. Ils avaient les membres arrondis comme des poneys et de longues queues blanches qui balayaient la terre comme celle des poneys. Je vous le répète, sans leurs cornes, sans les longs poils dont leur nez et leur poitrine étaient garnis, je les aurais pris pour des poneys. Ils galopaient comme les poneys qui jouent dans les prairies; ils couraient en baissant la tête, secouaient leurs crinières, hennissaient, ronflaient, absolument comme des poneys. Parfois encore ils beuglaient comme des taureaux! et j'avoue que, par la tête, ils ressemblaient à des taureaux! j'ai remarqué aussi qu'ils avaient le sabot fendu comme celui des bœufs. Oh! je les ai bien vus, pendant que Hans chargeait son fusil! Ils étaient au bord de l'eau; mais quand il approcha, ils décampèrent tous à la file. Celui qui les guidait et celui qui fermait la marche étaient de la plus forte taille.

– C'étaient des gnous! s'écria Swartboy.

– Oui, dit Von Bloom; la description que fait Jan ne peut s'appliquer qu'à eux.

En effet, Jan avait exactement esquissé les particularités caractéristiques du gnou (catoblepas gnus), le plus singulier peut-être de tous les ruminants; il a le museau du bœuf, l'encolure du cheval, le cou massif et courbé, la queue blanchâtre et terminée par un flocon de poils. L'enfant avait parfaitement saisi ces traits distinctifs. Gertrude elle-même n'avait pas commis une erreur impardonnable, car les vieux gnous, avec leur robe fauve et leur crinière flottante, ont avec le lion des points d'analogie frappante quand on les aperçoit de loin, et les plus fins chasseurs s'y trompent quelquefois.

Cependant les observations de Jan étaient plus conformes à la vérité que celles de Gertrude. S'il avait été plus près, il aurait remarqué en outre que les gnous avaient l'air farouche, des cornes pareilles à celles du bison d'Afrique, les jambes effilées du cerf et la croupe ronde du poney. Il aurait vu encore que les mâles étaient plus gros et d'un jaune plus foncé que les femelles, que les petits étaient de couleur claire et blanchâtre comme du lait.

Les gnous qui étaient venus boire au lac faisaient partie de ceux que les colons hollandais appellent wildebeest (bœufs sauvages), et les Hottentots gnous. Ce dernier nom leur vient de ce qu'ils poussent parfois un gémissement sourd, exactement représenté par le mot gnou-o-ou.

Ils errent en bandes nombreuses dans les solitudes de l'Afrique australe; il sont inoffensifs, à moins qu'ils ne soient blessés; car alors, surtout quand ils sont vieux, ils frappent le chasseur avec les cornes et les sabots.

Les gnous courent avec une rare vitesse, mais l'aspect d'un ennemi ne les fait pas fuir au loin; ils se tiennent en observation à quelque distance, caracolent, décrivent des cercles autour du chasseur, le menacent en baissant la tête vers le sol, et soulèvent avec leurs pieds des tourbillons de poussière. Le cri qu'ils font entendre tient à la fois du beuglement du taureau et du rugissement du lion.

Pendant que le troupeau est au pâturage, les vieux gnous font sentinelle et le gardent en avant et en arrière; s'ils se met en marche, c'est presque toujours sur une seule ligne, comme Jan l'avait observé.

Les vieux gnous se tiennent à l'arrière, entre le troupeau et le chasseur, en se frappant réciproquement de leurs cornes, comme s'ils se livraient un combat sérieux; mais aussitôt que l'ennemi vient à portée, ils font trêve et partent au galop en décrivant les zigzags les plus capricieux.

Il existe une seconde espèce du même genre dans le sud de l'Afrique, et plus au nord une troisième dont les mœurs sont peu connues. Toutes deux sont de plus haute taille que le gnou vulgaire, qui atteint rarement plus de quatre pieds de hauteur, tandis que ses congénères en ont près de cinq. Les trois espèces sont distinctes, et ne se réunissent jamais, quoiqu'on les rencontre souvent en compagnie d'autres animaux. Elles sont particulières au continent de l'Afrique.

Le gnou moucheté (catoblepas gorgon) est connu des chasseurs et des colons du Sud sous le nom de bœuf sauvage bleu. Sa robe azurée est rehaussée sur les flancs par des stries d'une autre nuance; ses habitudes sont les mêmes que celles du gnou commun; mais il est plus lourd et sa forme est encore plus singulière.

Le catoblepas taurina, qui constitue la troisième espèce, est appelé kokoou par les indigènes. Il se rapproche du gnou moucheté par les mœurs et la configuration. Au reste on le connaît à peine, car il habite les parties de l'Afrique centrale qui ont été le moins explorées.

Ces trois espèces, qui diffèrent si complètement de tous les animaux connus, ont droit à former un genre séparé. Jusqu'à présent les naturalistes les ont placées parmi les antilopes léiocères, c'est-à-dire à cornes entièrement lisses, mais sans aucune raison plausible. Les gnous ont moins d'affinités avec l'antilope qu'avec le bœuf; c'est ce qu'ont bien compris les chasseurs et les cultivateurs des frontières, qui les ont qualifiés de bœufs sauvages.

La chair du gnou est recherchée, surtout quand il est jeune. Le cuir sert à fabriquer des harnais et des lanières; sa longue queue soyeuse est un objet de commerce. On voit autour des fermes du Cap de grands morceaux de cornes de gnous et de springboks, restes d'animaux tués à la chasse.

La chasse au gnou est l'exercice favori des jeunes colons. On cerne quelquefois dans les vallées des bandes considérables de ces animaux, que l'on décime à volonté. Parfois aussi on les attire en leur montrant un mouchoir rouge ou une pièce de drap écarlate, sur lesquels ils se jettent avec fureur, car ils ont pour ces couleurs une grande aversion. On les réduit facilement à l'état de domesticité; mais on ne les admet pas volontiers dans les fermes, à cause d'une maladie de peau qui les emporte chaque année par milliers, et qu'ils pourraient communiquer au bétail. On suppose sans peine que Von Bloom et ses compagnons ne s'amusèrent pas à disserter sur le gnou. Leur unique préoccupation était l'absence prolongée de Hans. Ils se disposaient à se mettre à sa recherche, quand il arriva courbé sous le poids d'un lourd fardeau.

Un cri de joie salua sa venue.

CHAPITRE XXXI
LA FOURMILIÈRE

Hans fut assailli d'une volée de questions:

– Ou êtes-vous allé? qui vous a retenu? qu'est-ce qui vous est arrivé? n'êtes-vous pas blessé?

– Je me porte à merveille, répliqua-t-il, et je vous raconterai mes aventures quand Swartboy aura écorché ce cochon de terre, que Totty fera cuire pour notre souper. En ce moment je suis trop affamé pour avoir le courage de parler.

En disant ces mots, Hans se débarrassa d'un animal qu'il portait sur les épaules, et qui était de la grosseur d'un mouton. Cet animal étrange, que Hans nommait improprement cochon de terre, était couvert de longues soies d'un gris teinté de rouge. Il avait une longue queue qui allait en s'amincissant comme une carotte, un museau de glabre d'environ un pied de long, la bouche très-petite, des oreilles droites et pointues comme une paire de cornes; un corps plat, des jambes courtes et musculeuses; ses griffes étaient démesurées, surtout aux pattes de devant, où, au lieu de s'étendre, elles se repliaient comme des poings fermés ou comme les mains d'un singe.

– Mon cher enfant, dit Von Bloom, nous t'accordons du repos, d'autant plus que notre appétit n'est pas moins vif que le tien. Mais nous pouvons réserver pour demain ton cochon de terre; nous avons ici une couple d'outardes qui seront plus faciles à accommoder.

– Soit, repartit Hans; avec la faim qui me dévore, je ne tiens pas à manger une chose plutôt qu'une autre, et je me régalerais même d'une tranche de vieux couagga si j'en avais. J'espère pourtant que Swartboy, s'il n'est pas trop las, voudra bien écorcher mon gibier. Prenez bien garde de l'abîmer, brave Swartboy; c'est un animal qu'on ne trouve pas tous les jours.

– Laissez-moi faire, mynheer Hans; je m'entends à écorcher un goup.

Le singulier animal que Hans appelait cochon de terre (aardvark), et que le Bosjesman connaissait sous le nom de goup, n'était ni plus ni moins que l'oryctérope ou mangeur de fourmis d'Afrique (orycteropus capensis).

Quoique les colons le désignent sous la qualification de cochon de terre, l'oryctérope du Cap n'a rien de commun avec l'espèce porcine. La forme de son museau, ses longues soies, l'habitude qu'il a de fouiller la terre, lui ont valu cette fausse dénomination. De tous les animaux qui creusent les terriers, c'est assurément le plus expéditif; il surpasse même le blaireau, et un jardinier armé d'une bonne bêche ne parviendrait pas à faire un trou en aussi peu de temps que lui. Sa taille, ses mœurs et sa conformation sont à peu près celles de son cousin de l'Amérique du Sud, le tamanoir (myrmecophaga gubata), que l'on considère comme le type des fourmiliers ou mangeur de fourmis. Mais l'oryctérope du Cap perce les murailles épaisses d'une fourmilière, et dévore les termès avec autant de facilité que le myrmécophage de la vallée des Amazones. Il a, comme le tamanoir, la queue et le museau longs, la bouche petite et la langue extensible. Cependant, les naturalistes, qui se sont occupés du tamanoir, ont presque entièrement négligé l'oryctérope.

Le premier figure avec honneur dans les muséums et les ménageries, tandis que personne ne se dispute la possession du second. D'où vient cette inégalité? Sans doute de ce que le cochon de terre est d'une colonie hollandaise que l'on a récemment calomniée. Je prétends faire cesser l'injustice dont le cochon de terre a été trop longtemps victime, et je soutiens qu'il n'a pas moins de droit que le tamanoir à être regardé comme le type des myrmécophages. Il faut voir comme il détruit des fourmilières, dont quelques-unes ont vingt pieds de haut; comme il allonge sa langue visqueuse pour la rentrer couverte de fourmis blanches. De même que le tamanoir, il engraisse et fournit une chair aussi salubre que délicate, quoiqu'elle sente légèrement l'acide formique. Ses jambons, convenablement préparés, sont supérieurs à ceux d'Espagne ou de Westphalie. Je vous conseille d'en essayer.

Swartboy, qui appréciait les qualités comestibles de cet étrange gibier, se mit à le dépecer avec empressement. Quoique commun dans l'Afrique australe, et même abondant dans certains districts, l'oryctérope est rare sur le marché. Il suffit pour le tuer de lui appliquer un coup sur le museau; mais il est difficile de le surprendre. Il est timide et prudent; ce n'est guère que la nuit qu'il sort de son terrier, et il fait si peu de bruit en marchant, il s'avance avec tant de précaution, qu'il est presque impossible de l'approcher. Il a les yeux d'une petitesse extrême, et sa vue n'est pas meilleure que celle de la plupart des animaux nocturnes; mais son odorat est d'une prodigieuse finesse, et ses longues oreilles saisissent les plus légers bruits.

Le cochon de terre n'est pas le seul myrmécophage de l'Afrique australe. Il a pour concurrent un quadrupède tout différent, le moris ou pangolin. Ce dernier est sans poils; mais son corps est couvert d'écailles imbriquées qu'il redresse à volonté. Il ressemble plutôt à un grand lézard ou à un petit crocodile qu'à un mammifère; mais ses habitudes sont exactement celles de l'oryctérope. Il se terre, ouvre pendant la nuit les fourmilières, darde sa langue au milieu des insectes et les dévore avidement.

Lorsqu'il est surpris loin de sa retraite souterraine, il se roule en boule comme le hérisson et quelques espèces de tatous de l'Amérique méridionale, auxquels il ressemble par sa cotte de mailles squammeuse.

Il y a plusieurs espèces de pangolins qui ne sont pas africaines: les unes se trouvent dans l'Asie méridionale, les autres dans les îles indiennes. Celle du sud de l'Afrique est connue des naturalistes sous le nom de pangolin à longue queue ou pangolin de Temminck.

Pendant que Swartboy, armé de son couteau, découpait avec soin l'oryctérope, Totty avait fait rôtir à la hâte une outarde. Il lui manquait peut-être un tour de broche; mais nos voyageurs étaient trop affamés pour être difficiles, et ils trouvèrent le dîner excellent.

Quand ils furent rassasiés, Hans commença l'histoire de sa journée.

CHAPITRE XXXII
DÉSAGRÉMENT D'ÊTRE POURSUIVI PAR UN GNOU

«Il n'y avait pas une heure que vous étiez partis, quand un troupeau de gnous s'approcha du lac. Ils étaient venus sur une seule file; mais ils l'avaient rompue pour s'ébattre dans l'eau avant que j'eusse la moindre velléité de les inquiéter.

»Je savais qu'ils étaient dignes d'un coup de fusil; pourtant leurs gambades me divertissaient tellement, que je les laissai boire en paix. Ce fut au moment où ils allaient se retirer que je songeai qu'il était bon de varier notre régime de biltongue. Remarquant dans la bande beaucoup de ces jeunes gnous, dont j'avais entendu vanter la chair, je résolus de m'en procurer un.

»Je montai à l'échelle pour aller prendre mon fusil. Quelle imprévoyance j'avais commise en ne le chargeant pas au moment de votre départ! Mais pouvais-je m'attendre à une pareille invasion?

»Les gnous sortaient de l'eau; je chargeai mon arme en toute hâte, et dès que j'eus mis la bourre, je descendis. Avant d'être au bas de l'échelle, je m'aperçus que j'avais oublié ma poire à poudre et ma carnassière; mais j'étais trop pressé pour remonter. Les gnous se mettaient en marche; je craignais d'arriver trop tard, et d'ailleurs mon intention n'était que d'en tuer un.

»Je courus vers eux en cherchant à me tenir caché dans les buissons; mais je reconnus bientôt que je n'avais pas besoin de tant de précautions. Loin d'être peureux comme ceux qui rôdaient autour de notre ancien kraal, ils avaient l'air de me narguer. Ils s'approchaient de moi à la distance de cent verges, sans que ma présence les gênât dans leurs évolutions. Plusieurs fois deux vieux gnous, qui semblaient former l'arrière-garde, s'avancèrent à la portée de fusil; mais je les dédaignais, sachant que leur chair était coriace. Je voulais atteindre un des jeunes veaux dont les cornes n'avaient pas encore commencé à se recourber.

»Quoique le troupeau ne se montrât point farouche, je ne pouvais parvenir à m'en approcher suffisamment. Les guides placés à la tête l'entraînaient hors de ma portée, et les protecteurs de l'arrière-garde le poussaient en avant à mesure que je gagnais du terrain.

»Il y avait plus d'une demi-heure que je me livrais à cette poursuite inutile, et l'animation de la chasse m'avait fait complètement oublier combien il était imprudent de m'éloigner ainsi du camp. J'avais toujours l'espoir de réussir et de rentrer avec une riche proie. Je persévérai donc, et j'arrivai dans un lieu dépourvu d'arbres, où se dressaient comme de grandes tentes de fourmilières placées à distance égale les unes des autres. Quelques-unes n'avaient pas moins de douze pieds de haut. Au lieu d'affecter, comme celles des fourmis communes, la forme hémisphérique d'un dôme, elles étaient coniques et flanquées de cônes plus petits qui s'élevaient à leurs pieds comme des tourelles. C'étaient les habitations de l'espèce de grosses fourmis blanches que les entomologistes appellent termès belliqueux (termes bellicosus).

»D'autres monticules, à la forme cylindrique, au sommet arrondi, ressemblaient à des paquets de linge surmontés chacun d'une cuvette renversée. Ils servaient de domicile à l'espèce dite termes mordax, quoiqu'une autre espèce (termes atrox) se bâtisse des nids presque identiques.

»Je ne m'arrêtai pas à examiner ces curieux édifices. Je n'en parle que pour vous faire comprendre ce qui va suivre.

»La plaine était couverte d'éminences coniques et cylindriques. En m'abritant derrière une d'elles, je crus pouvoir arriver sans difficultés à portée de fusil des gnous.

»Je fis un détour pour prendre les devants, et me glissai derrière une fourmilière conique près de laquelle paissait le gros du troupeau. Quel fut mon désappointement, lorsqu'on regardant entre les tourelles je vis les femelles et les petits emmenés loin de moi!

»Les deux vieux gnous restaient seuls de mon côté.

»Ma bile s'échauffait; je commençai à croire que les patriarches du troupeau avaient positivement l'intention de se moquer de moi. Leurs manœuvres étaient des plus inexplicables: tantôt ils gambadaient à travers la plaine, comme pour me braver, tantôt leurs têtes s'entrechoquaient comme s'ils eussent voulu se livrer bataille. Je dois vous avouer qu'avec leurs fronts hérissés de poils noirs, leurs cornes pointues, leurs yeux rouges et étincelants, c'étaient des voisins assez désagréables, et que même, en la supposant stimulée, leur animosité m'inquiétait.

»Ils se mettaient à genoux et se penchaient en avant jusqu'à ce que leurs têtes se rencontrassent: ils se relevaient ensuite, et chacun d'eux faisait un bond comme pour se rejeter sur son camarade et le fouler aux pieds. S'étant manqués réciproquement, ils étaient entraînés par l'impétuosité de leur course, revenaient sur leurs pas, et retombaient à genoux pour se livrer bataille.

»Ils m'exaspérèrent au point que je résolus d'en finir. – Ah! coquins, me dis-je, vous ne voulez pas me permettre de tuer vos camarades, eh bien, je vais me venger sur vous! Tremblez, vous payerez cher votre témérité et votre insolence.

»Au moment où j'allais les ajuster, les deux gnous se préparèrent à un nouveau combat. Jusqu'alors leurs luttes ne m'avaient semblé qu'un jeu; mais cette fois ils étaient réellement animés l'un contre l'autre: les armures de leurs fronts se choquaient avec fracas, leurs beuglements avaient quelque chose de sinistre, la fureur se peignait dans leurs yeux.

»Un d'eux fut abattu à plusieurs reprises. Chaque fois qu'il essayait de se relever, son antagoniste se précipitait sur lui et le renversait de nouveau. Les voyant sérieusement aux prises, je n'hésitai pas à marcher vers les combattants. Aucun d'eux ne remarqua mon approche: le vaincu ne songeait qu'à se garantir des coups terribles qui pleuvaient sur lui, le vainqueur ne s'occupait que de compléter son triomphe.

»Quand je fus à trente pas, j'ajustai; je choisis le gnou qui avait le dessus, tant pour le punir d'avoir manqué de générosité en frappant un antagoniste à terre que parce qu'il me prêtait le flanc.

»Je tirai.

»La fumée me cacha les deux gnous; quand elle se dissipa, je vis le vaincu toujours agenouillé; mais, à ma grande surprise, celui que j'avais visé était debout, aussi solide qu'auparavant. Je devais pourtant l'avoir touché; j'avais entendu sa chair grasse frissonner sous la balle; mais je ne l'avais nullement estropié.

»Où l'avais-je blessé?

»Je n'eus pas le temps d'y réfléchir; car redressant sa queue et baissant son front velu, il accourut au galop sur moi. Le désir de la vengeance se peignait dans ses regards; ses rugissements étaient épouvantables. Je vous assure que je fus moins épouvanté l'autre jour quand je rencontrai le lion.

»Je ne sus que faire pendant quelque secondes. D'abord je m'étais mis sur la défensive, et j'avais involontairement pris mon fusil par le canon pour m'en servir comme d'une massue; mais il était facile de voir que mes faibles coups n'arrêteraient pas la course furieuse d'un animal aussi fort, et qu'il me renverserait infailliblement. Comment me soustraire à son ressentiment? En tournant les yeux autour de moi, j'aperçus par bonheur la fourmilière que je venais de quitter. En montant dessus, j'étais hors d'atteinte; mais aurais-je le temps d'y arriver?

»Je m'enfuis comme un renard dépisté. Vous, Hendrik vous me dépassez à la course dans les circonstances ordinaires; mais je doute que vous eussiez pu gravir plus vite que moi cette fourmilière.

»Il n'était pas trop tôt. Au moment où, en m'appuyant sur les tourelles, j'escaladais le cône principal, la fumée qui sortait des naseaux du gnou montait jusqu'à moi.

»Heureusement j'étais en sûreté, et ses cornes acérées ne pouvaient m'atteindre.