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Le chat de misère

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Le chat de misère
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LE CHAT DE MISÈRE

L'autre jour, dans un salon qui ouvre de plein pied sur un jardin, on trouva, roulé en boule, un chat, mais quel chat! Un être efflanqué, galeux, si las de la vie qu'il semblait indifférent à tout, sauf à sa sensation du moment, qui était, fait inespéré, d'avoir réussi à avoir chaud par un jour de pluie. Il avait faim aussi, mais n'étant pas de ces chats qui n'ont qu'à se frotter à leur maîtresse pour obtenir des choses qui se lappent ou des choses qui se mangent, il n'y songeait pas. Son étonnement fut visiblement très grand quand il se vit entouré d'un groupe d'humains qui lui offraient du lait et des gâteaux. Il n'avait pas peur, il était surpris comme nous le serions sur une route déserte, si, ayant soif et faim, une table servie surgissait à nos pieds. Les gens ne l'effrayaient pas, parce qu'il n'en avait sans doute encore reçu aucun mal, mais ne l'attiraient pas, parce qu'il n'en avait reçu aucun bien. Les bêtes m'inspirent presque plus de pitié que les hommes, parce qu'elles sont encore plus effarées devant le malheur. Elles n'ont pas la ressource de maudire leurs frères et la société, ce qui est tout de même une distraction. Quelles réflexions un homme n'aurait-il pas faites, réduit à la condition errante et affamée de ce chat de misère! Je vois cependant un point où la condition du chat était meilleure. Si cela avait été un humain qui se fût glissé dans le salon et se fût affalé sur un fauteuil, il est probable qu'on ne lui eût offert ni lait ni gâteaux et qu'on ne se fût pas penché sur lui pour admirer l'éclat de ses yeux.

CHEVEUX ET CHAPEAUX

Les modistes passent en ce moment un vilain quart d'heure, car on se demande dans certains milieux mondains s'il ne conviendrait pas aux femmes de sortir nu-tête, de laisser voir leur chevelure le jour, comme elles la laissent voir au dîner et en soirée. Pourquoi un chapeau, généralement disgracieux, quand on a tant de cheveux? Les cheveux, tordus et relevés, sont quelquefois un fardeau pour une femme; pourquoi y ajouter encore le poids d'un chapeau? Les cheveux longs de la femme sont faits pour flotter librement sur ses épaules. Ceux de l'homme aussi, d'ailleurs, mais il ne les comprime pas, il ne les tresse pas, il les coupe, et cela justifie le chapeau et même le nécessite. Voyez quel mal ont les femmes pour faire tenir un chapeau sur une tête aussi encombrée. Elles n'y arrivent qu'au moyen de redoutables épées qu'elles s'enfoncent courageusement à travers la tête. Quand j'étais enfant, ce geste me faisait frémir. Ce qu'il y a de curieux, c'est que les femmes, déjà fort embarrassées de leurs authentiques cheveux, trouvent pourtant qu'elles n'en ont jamais assez et s'en offrent de supplémentaires, peut-être pour justifier le problème oriental: «Les femmes ont les cheveux longs et les idées courtes.» Il n'y a que les vraies féministes qui se les font couper, pour échapper au proverbe, pour qu'on dise d'elles, au contraire: «Cheveux courts, idées longues.» Mais ce n'est pas la question. Il s'agit de savoir si les femmes porteront ou non des chapeaux, et qui pourrait résoudre un problème aussi grave, si ce n'est la mode elle-même? Tout ce qu'on dira pour ou contre ne servira de rien. Il y a déjà des gens qui ont trouvé d'avance qu'il serait inconvenant pour une femme de sortir nu-tête. Inconvenant? Mais si c'est la mode? Et puis, qu'est-ce qu'une inconvenance qui varie avec les heures de la journée? Non, non, de beaux cheveux ne seront jamais inconvenants.

LA MACHINE A SIGNER

Ce n'est pas une épigramme, qui d'ailleurs serait sans sel, c'est une invention. Oui, on vient d'imaginer une disposition qui permet de donner d'un seul coup vingt signatures authentiques, parfaitement tracées à la main dont le geste, renforcé par un courant électrique, met en mouvement, du même effort, vingt porte-plume. Une revue scientifique en a donné l'image et cela a un petit air fantastique, quoique pas beau. Mais il s'agit d'aller vite et l'Amérique, d'où cela nous vient, ne tient pas beaucoup à la beauté. Quand elle en fabrique, par hasard, elle nous l'envoie pour s'en débarrasser. Elle nous envoie aussi des machines. Celle-là est ingénieuse. Reste à savoir si notre formalisme s'en accommodera. A vrai dire, les mauvais écoliers, ceux qui copient éternellement des pensums, avaient inventé depuis longtemps la plume à trois becs, qui vous expédie à la vapeur un livre de l'Enéide ou un chant de l'Art poétique. Je crois qu'un mauvais élève de génie arriva même un jour à édifier la plume à quatre ou cinq becs, mais c'est une construction difficile et qui demande de grandes connaissances mécaniques. Pour moi, je n'ai pas, dans mon jeune temps, dépassé la modeste trois becs. Tout le monde ne la réussit pas. La plus belle invention que j'aie vu faire dans cet ordre d'idées scripturaires, et encore n'entra-t-elle jamais dans la pratique, c'est le buvard à corriger les fautes d'orthographe. L'inventeur, un humoriste du nom de Brandimbourg, est mort sans avoir pu trouver un capitaliste. Il n'avait ébloui qu'une petite actrice de Montmartre qui lui avait dit: «Ah! ça sera bien commode. Tu m'en donneras un, dis?» Mais d'avoir ouï ce cri du cœur et de l'esprit, Brandimbourg se déclarait satisfait. On le serait à moins.

APRÈS L'ÉCLIPSE

Y pense-t-on encore? Ce fut extraordinaire, c'est le mot exact, mais ce ne fut guère émouvant. Franchement, la littérature astronomique s'est un peu moquée de nous. Quoi! Tant d'histoires mélodramatiques sur les fameuses «teintes livides» qui devaient se répandre sur les êtres et sur les choses, sur l'angoisse qui devait étreindre les cœurs sensibles, pour aboutir à la médiocre vue d'une atmosphère grisâtre, nullement troublante! Il est vrai qu'on vit dans le ciel, en cherchant bien, un petit croissant rougeâtre, assez curieux. Mais tout de même on se disait que les spectacles ordinaires, très communs, que nous donnent les astres, sont bien supérieurs à leurs spectacles exceptionnels. Allons voir se lever la lune, parmi les arbres, ou se coucher le soleil, dans une brume légère où il s'enfonce en grandissant, c'est d'une autre beauté que cette incertaine éclipse. Décidément, il en est de ces phénomènes rares, comme de presque tout ce qui est rare: c'est beaucoup moins attrayant que le phénomène quotidien. Je crois que s'il y avait encore une éclipse dans quelques années elle ne mobiliserait pas autant de curiosités que celle d'hier. Nous savons ce que c'est et que cela ne valait guère la peine de se monter la tête. Il paraît que les animaux du Jardin des Plantes ont manifesté une profonde inquiétude de voir s'amoindrir le soleil. J'en doute fort. Les animaux domestiques n'ont rien éprouvé, et il n'y avait pas moyen d'éprouver grand'chose, car à aucun moment, il n'a fait assez sombre pour empêcher de lire, ce qui pourtant arrive sans éclipse plusieurs fois par an. On pourra dire maintenant de toute littérature suspecte d'exagération, c'est de la «littérature d'éclipse»! Rappelez-vous, un ciel comme celui du 17 avril, vers midi, mais vous l'avez vu cent fois, et plus noir, sans la moindre surprise!

ÉLECTION ACADÉMIQUE

Il s'agissait de remplacer Henri Houssaye. Il y avait cinq candidats, il fallait dix-neuf voix, le plus favorisé n'en a eu que treize. Après des tours innombrables de scrutin, on a remis la chose à des temps lointains. Et si les académiciens s'entêtent encore, par petits groupes, dans leurs préférences, on remettra encore à des temps meilleurs l'auguste cérémonie. Que n'a-t-on tiré au sort, pour sortir d'embarras? Ce serait si simple. On ne se fâche pas, on ne se dépite pas contre le destin. Les vanités seraient sauves et cela aurait évité à l'ensemble des postulants environ deux cents visites qui n'amusent ni ceux qui les font ni ceux qui les reçoivent. Ce que Rabelais proposait pour les procès, id est le sort des dés, s'appliquerait merveilleusement aux élections académiques, du moins à celle où la sympathie des juges pour un des postulants n'est pas éclatante et péremptoire. Le public ne verrait aucun inconvénient à ce que ce fût le nom de M. Trois-Etoiles qui sortît de l'urne plutôt que celui de M. Trois-Ixes. Il est là-dessus de l'opinion des académiciens qui n'ont pas d'opinion ou qui ont trop d'opinions. Cependant puisque nous sommes dans un milieu littéraire et non judiciaire, je proposerais de substituer au pur et simple sort des dés, le jeu des sorts virgiliens, plus adéquat au milieu. La procédure des «sors virgilianes» est donnée par ledit Rabelais aux chapitres X, XI et XII du tiers livre de Pantagruel. M. Anatole France, j'en suis sûr, se ferait un plaisir de la mettre au point académique et cela lui serait une louable occasion de réintégrer la coupole. Que d'avantages et quelle séance charmante! On lirait d'abord le passage de Pantagruel pour se mettre au courant, non moins qu'en belle humeur, et le reste irait tout seul.

MUSIC-HALL

On m'entraîna un de ces derniers soirs dans un petit théâtre, qui tient aussi du music-hall, enfin un de ces établissements où quelques Parisiens résignés et des étrangers avides de joies viennent passer la soirée. On joua d'abord une sorte de farce tragique qui se terminait en blague montmartroise et on se serait cru assez bien dans une baraque de foire. Puis il y eut une revue, la sempiternelle revue où des plaisanteries sur les hommes au pouvoir alternent avec des exhibitions de petites femmes, qui toutes sourient à leurs amis nichés dans un coin de la petite salle. C'est pornographique et familial. Cependant, à propos des futuristes, que raille un couplet, on nous ménagea un tableau rare: Léda et le Cygne! Léda ressemble à une fille de maison vautrée à demi nue sur un canapé. Elle caresse un cygne en peluche qui remue maladroitement un long cou d'autruche. Quand on eut suffisamment exhibé cette merveille, le rideau retomba et les allusions politico-lubriques recommencèrent, amenées par la survenue d'un monsieur qui rédige les mémoires de Mme Steinheil, et tout cela est si vieillot que c'en est pénible. Nous ne vîmes pas plus avant, l'opportunité d'un entr'acte s'étant offerte à notre fuite. Et voilà six mois qu'on représente cette chose dans une salle, petite il est vrai, mais bondée de spectateurs. Elle doit donc avoir des mérites que je n'ai point très bien perçus, et répondre à un certain public. D'ailleurs, plusieurs des femmes montrées là avaient de jolies jambes, et c'est de ce côté que se portait l'attention générale. Est-ce pour autre chose que l'on va aux ballets de l'Opéra? Je crois bien qu'ici ou là, si l'on habillait trop les danseuses, il n'y aurait personne.

 

A LA NAGE!

Enfin, Burgess a traversé la Manche à la nage! Est-il le premier? On dit que le capitaine Webb avait légèrement triché, en s'appuyant sur un des bateaux qui le convoyaient. Tout le monde sera d'accord que voilà un bon nageur et capable de quelque endurance puisqu'il est resté dans l'eau pas loin de vingt-quatre heures. L'entêtement est souvent récompensé. Comme ce personnage est un Anglais naturalisé Français, les journaux britanniques, qui deviennent sentimentaux, ont déclaré que tout était pour le mieux et que cette victoire ne serait pas jalousée par un des deux pays. Burgess est l'anglo-français par excellence. Les échos de la Marseillaise l'ont, paraît-il, réconforté et ravigoté à mesure qu'il approchait de la côte française. C'est un brave homme. Sa position dans le monde est maintenant assurée. Il est, pour jusqu'à la fin de ses jours, celui qui a traversé la Manche à la nage. On citera son nom à la suite de Lord Byron qui traversa le Bosphore et de celui de Léandre, qui traversa l'Hellespont. Seulement nous ne sommes plus aux temps mythologiques ni même aux temps romantiques et les gens se demanderont à quoi un tel exploit peut bien servir. A rien du tout, et c'est peut-être pour cela qu'il restera, non pas émouvant, mais curieux, à une époque où l'on croyait que tous les actes devaient avoir des buts intéressés, tout au moins des buts utiles, des buts pratiques. Burgess a donné un bel exemple d'énergie et cela suffit. J'avoue que j'aimerais assez à accomplir seulement le quart de son trajet, mais comme je ne sais pas nager, le vœu est superflu. C'est très beau, tout de même, de pouvoir se tenir sur l'eau avec autant de sécurité que sur la terre. Un homme qui nage n'est jamais ridicule et une belle femme qui nage est un spectacle charmant. De toutes les nymphes, les naïades sont les plus séduisantes. Aucun exercice, d'ailleurs, ne développe plus harmonieusement les formes et ne permet de les montrer plus naïvement, plus chastement. Quelques femmes le savent bien.

LE POURPOINT

Ceux qui s'intéressent à la mode masculine n'ont pas renoncé, paraît-il, à nous imposer le pourpoint, le chapeau à plumes, le rabat de dentelles, le haut de chausse à canons, le bas de soie et la jarretière. Pour avoir une idée claire du costume qu'ils rêvent, il suffit d'aller voir jouer du Molière à la Comédie-Française. Chacun même pourra choisir la nuance dans laquelle il préférera apparaître aux yeux des femmes éblouies et vaincues. Il est assez curieux, en effet, que la vêture féminine ait évolué vers l'éclat, depuis le grand siècle, tandis que la vêture masculine évoluait vers le sombre. Seuls les bourgeois un peu pingres s'habillaient de noir ou de grosses couleurs éteintes; l'élégant rivalisait avec le papillon. La femme avait une tenue presque discrète, surtout si on la compare à celle d'aujourd'hui. Ce rapport changea au cours du XVIIIe siècle sous l'influence de la mode anglaise, qui n'a pas cessé depuis de régenter les Français. Les femmes devinrent extravagantes et les hommes presque sages, jusqu'au moment où, abandonnant la couleur et les étoffes fleuries, ils se vouèrent définitivement au noir et aux teintes neutres. Toutes les tentatives que l'on a faites pour éclaircir un peu le costume masculin ont échoué, probablement parce que le nombre des hommes soumis à la mode a considérablement augmenté et que la très grande majorité d'entre eux ne pourrait se plier à des vêtements salissants, fragiles et par conséquent très coûteux. L'homme a reporté presque tout entier sur la femme son goût de luxe, son désir de chatoiement, son besoin d'élégance. Cela satisfait mieux son œil, en même temps que son instinct; il s'est résigné à se vêtir vilainement pour que la femme soit plus belle. Je ne crois pas qu'il soit disposé à changer d'avis. Pour tout dire, je crois qu'en un pourpoint rose, il se ferait peur à lui-même.