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Vie de Benjamin Franklin, écrite par lui-même – Tome II

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Dans nos colonies, un nègre esclave à qui son maître ordonne de voler et d'assassiner son voisin, ou de commettre quelqu'autre action criminelle, peut le refuser; et le magistrat le protége en applaudissant à son refus. L'esclavage d'un soldat est donc pire que celui d'un nègre! – Un officier, qui a de la conscience, peut donner sa démission, plutôt que d'être employé dans une guerre injuste, s'il n'est pas retenu par la crainte de voir attribuer sa démarche à une toute autre cause: mais les simples soldats restent dans l'esclavage toute la vie, et peut-être aussi ne sont-ils pas en état de juger de ce qu'ils doivent faire. Nous ne pouvons que déplorer leur sort, et plus encore celui d'un matelot, qui est souvent forcé de quitter des occupations honnêtes, pour aller tremper ses mains dans le sang innocent.

Mais il me semble qu'un marchand, étant plus éclairé par son éducation, et absolument libre de faire ce qu'il veut, devroit bien considérer si une guerre est juste, avant d'engager volontairement une bande de mauvais sujets à attaquer les commerçans d'une nation voisine, pour piller leurs propriétés et les ruiner avec leurs familles, s'ils se rendent sans combattre, ou à les blesser, les estropier, les assassiner, s'ils tentent de se défendre. Cependant ce sont des marchands chrétiens qui commettent ce crime, dans une guerre juste ou non; et il est difficile qu'elle soit juste des deux côtés. Elle est faite par des marchands anglais et américains, qui, malgré cela, se plaignent des vols particuliers, et pendent, par douzaines, les voleurs, à qui ils ont eux-mêmes donné l'exemple du pillage.

Il est enfin temps que pour le bien de l'humanité, on mette un terme à ces horreurs. Les États-Unis de l'Amérique sont mieux placés que les Européens, pour tirer des avantages de la course, puisque la plus grande partie du commerce de l'Europe avec les Antilles, se fait à leur porte; mais ils font tout ce qui dépend d'eux pour abolir cet usage, en offrant d'insérer, dans tous leurs traités avec les autres puissances, un article par lequel on s'engage solemnellement et réciproquement en cas de guerre, à ne point armer de corsaires, et à laisser passer, sans être molestés, les vaisseaux marchands qui ne seront point armés22.

Ce seroit un heureux perfectionnement de la loi des nations. Tous les hommes, qui ont des principes de justice et d'humanité, doivent désirer que cette proposition réussisse.

Recevez les assurances de mon estime et de mon inaltérable amitié.

B. Franklin.

OBSERVATIONS
SUR LES SAUVAGES
DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE

Nous appelons ces peuples des Sauvages, parce que leurs mœurs diffèrent des nôtres, que nous croyons la perfection de la politesse: ils ont la même opinion des leurs.

Si nous examinions, avec impartialité, les mœurs des différentes nations, peut-être trouverions-nous que quelque grossier qu'il soit, il n'y a pas de peuple qui n'ait quelques principes de politesse; et qu'il n'en est aucun de si poli, qui ne conserve quelques restes de barbarie.

Les Indiens sont, pendant leur jeunesse, chasseurs et guerriers. Quand ils deviennent vieux, ils sont conseillers; car ces peuples sont gouvernés par l'avis des sages. Il n'y a chez eux ni force coercitive, ni prisons, ni officiers qui obligent à obéir, ou infligent des châtimens. De là vient qu'en général ils s'étudient à bien parler. Le plus éloquent est celui qui a le plus d'influence.

Les femmes indiennes cultivent la terre, préparent à manger, nourrissent, élèvent les enfans, conservent et transmettent à la postérité le souvenir des événemens mémorables. Ces différens emplois des deux sexes sont regardés comme honorables et conformes aux lois de la nature. Avant peu de besoins factices, ils ont beaucoup de temps pour s'instruire en conversant entr'eux. Notre vie active leur paroît basse et servile auprès de la leur; et ils regardent les sciences, dont nous nous enorgueillissons, comme frivoles et inutiles. On en eut une preuve, lors du traité conclu à Lancastre, en Pensylvanie, en 1744, entre le gouvernement de Virginie et les six Nations.

Quand on fut convenu des principaux articles, les commissaires de la Virginie informèrent les Sauvages, qu'il y avoit au collége de Williamsbourg des fonds destinés à l'éducation de jeunes Indiens, et que si les chefs des six Nations vouloient y envoyer une demi-douzaine de leurs enfans, le gouvernement en prendroit soin et les feroit instruire dans toutes les sciences des blancs. Une des règles de la politesse de ces peuples est de ne jamais répondre à une proposition publique, le même jour qu'elle leur a été faite. Ils pensent que ce seroit la traiter avec trop de légèreté, et qu'ils montrent plus de respect en prenant du temps pour la considérer comme une chose importante. Ils différèrent donc de répondre aux Virginiens; et le lendemain après que l'orateur eût témoigné combien ils étoient sensibles à l'offre qu'on leur avoit faite, il ajouta: – «Nous savons que vous estimez beaucoup l'espèce de science qu'on enseigne dans ces colléges, et que tandis que nos jeunes gens seroient chez vous, leur entretien vous coûteroit beaucoup. Nous sommes donc convaincus que dans ce que vous nous proposez, votre intention est de nous faire du bien; et nous vous en remercions de bon cœur. Mais vous, qui êtes sages, vous devez savoir que les différentes nations voient les choses d'une manière différente; et vous ne devez pas être offensés, si nos idées sur l'éducation d'un collége ne sont pas les mêmes que les vôtres. Nous en avons déjà fait l'expérience. Plusieurs de nos jeunes gens ont été élevés dans les colléges des provinces septentrionales. Ils ont été instruits dans toutes vos sciences. Mais quand ils sont revenus parmi nous, à peine savoient-ils courir. Ignorant entièrement la manière de vivre dans les bois, incapables de supporter le froid et la faim, ils ne savoient ni bâtir une cabane, ni prendre un daim, ni tuer un ennemi: ils parloient imparfaitement notre langue; et par conséquent ils n'étoient propres ni à la chasse, ni à la guerre, ni aux conseils. Enfin, nous ne pouvions en rien faire. – Nous n'acceptons pas votre offre: mais nous n'en sommes pas moins reconnoissans; et pour vous le prouver, si les habitans de la Virginie veulent nous envoyer une demi-douzaine de leurs enfans, nous aurons le plus grand soin de leur éducation, nous leur apprendrons ce que nous savons; et nous en ferons des hommes

Les Sauvages ayant de fréquentes occasions de tenir des conseils publics, ils se sont accoutumés à maintenir beaucoup d'ordre et de décence dans ces assemblées. Les vieillards sont assis au premier rang; les guerriers au second, et les femmes et les enfans au dernier. L'emploi des femmes est de remarquer avec soin ce qui se passe dans les conseils, de le graver dans leur mémoire, et de l'apprendre par tradition à leurs enfans; car ces peuples n'ont point d'écriture. Elles sont les registres du conseil. Elles conservent le souvenir des traités, qui ont été conclus cent ans auparavant; et quand nous comparons ce qu'elles disent avec nos écrits, nous le trouvons toujours exact.

Celui qui veut parler se lève: les autres gardent un profond silence. Quand il a fini il se rassied, et on lui laisse cinq ou six minutes, pour qu'il puisse se rappeler s'il n'a omis rien de ce qu'il avoit intention de dire, et se lever de nouveau pour l'énoncer. Interrompre quelqu'un, même dans la conversation ordinaire, est regardé comme très-indécent. Ô combien cela diffère de ce qu'on voit dans la chambre polie des communes d'Angleterre, où il se passe à peine un jour, sans quelque tumulte qui oblige l'orateur à s'enrouer à force de crier à l'ordre! Combien diffère aussi la conversation des Sauvages, de la conversation de plusieurs sociétés polies d'Europe, dans lesquelles, si vous n'énoncez pas votre pensée avec beaucoup de rapidité, vous êtes arrêté au milieu d'une phrase par l'impatient babil de ceux avec qui vous vous entretenez, et il ne vous est plus possible de la finir!

 

Il est vrai que la politesse qu'affectent les Sauvages dans la conversation, est portée à l'excès; car elle ne leur permet pas de démentir, ni même de contredire ce qu'on énonce en leur présence. Par ce moyen, ils évitent les disputes: mais aussi on peut difficilement connoître leur façon de penser et l'impression qu'on fait sur eux. Les missionnaires qui ont essayé de les convertir au christianisme, se plaignent tous de cette extrême déférence, comme d'un des plus grands obstacles au succès de leur mission. Les Sauvages se laissent patiemment expliquer les vérités du christianisme, et y donnent leurs signes ordinaires d'approbation. Vous croiriez qu'ils sont convaincus. Point du tout. C'est pure civilité.

Un missionnaire suédois ayant assemblé les chefs Indiens des bords de la Susquehannah, leur fit un sermon dans lequel il développa les principaux faits historiques sur lesquels est fondée notre religion; tels que la chute de nos premiers parens quand ils mangèrent une pomme; la venue du Christ pour réparer le mal; ses miracles, ses souffrances, etc. – Quand il eut achevé, un orateur indien se leva pour le remercier. – «Ce que vous venez de nous faire entendre, dit-il, est très-bon. Certes, c'est fort mal que de manger des pommes; il vaut beaucoup mieux en faire du cidre. Nous vous sommes infiniment obligés d'avoir la bonté de venir si loin de votre pays, pour nous apprendre ce que vos mères vous ont appris. En revanche, je vais vous conter quelque chose de ce que nous tenons des nôtres.

»Au commencement du monde, nos pères ne se nourrissoient que de la chair des animaux; et quand leur chasse n'étoit pas heureuse, ils mouroient de faim. Deux de nos jeunes chasseurs ayant tué un daim, allumèrent du feu dans les bois pour en faire griller une partie. Au moment où ils étoient prêts à satisfaire leur appétit, ils virent une jeune et belle femme descendre des nues et s'asseoir sur ce sommet que vous voyez là bas, au milieu des montagnes bleues. Alors les deux chasseurs se dirent l'un à l'autre: C'est un esprit, qui peut-être a senti l'odeur de notre gibier grillé, et désire d'en manger. Il faut lui en offrir. Ils lui présentèrent, en effet, la langue du daim. La jeune femme trouva ce mets de son goût, et leur dit: Votre honêteté sera récompensée. Revenez ici après treize lunes, et vous y trouverez quelque chose qui vous sera très-utile pour vous nourrir vous et vos enfans, jusqu'à la dernière génération. Ils firent ce qu'elle leur disoit, et à leur grand étonnement, ils trouvèrent des plantes qu'ils ne connoissoient point, mais qui, depuis cette époque, ont été constamment cultivées parmi nous, et nous sont d'un grand avantage. Là où la main droite de la jeune femme avoit touché la terre, ils trouvèrent le maïs; l'endroit où avoit touché sa main gauche, portoit des haricots, et celui où elle s'étoit assise, du tabac».

Le bon missionnaire qu'ennuyoit ce conte ridicule, dit à celui qui le fesoit: – «Je vous ai annoncé des vérités sacrées: mais vous ne m'entretenez que de fables, de fictions, de mensonges». – L'Indien choqué lui répondit: «Mon frère, il semble que vos parens ont eu envers vous le tort de négliger votre éducation. Ils ne vous ont pas appris les premières règles de la politesse. Vous avez vu que nous, qui connoissons et pratiquons ces règles, nous avons cru toutes vos histoires. Pourquoi refusez-vous de croire les nôtres?»

Lorsque quelques-uns de ces Sauvages viennent dans nos villes, la foule s'assemble autour d'eux, on les regarde avec attention, on les fatigue dans les momens où ils voudraient être seuls. Ils prennent cela pour une grande impolitesse, et ils l'attribuent à ce que nous ignorons les véritables règles du savoir vivre. – «Nous sommes, disent-ils, aussi curieux que vous, et quand vous venez dans nos villages, nous désirons de vous regarder: mais alors nous nous cachons derrière les buissons, qui sont sur la route où vous devez passer, et nous ne nous avisons jamais d'aller nous mêler parmi vous.»

Leur manière d'entrer dans les villages les uns des autres a aussi ses règles. Ils croient qu'un étranger, qui voyage, manque de civilité lorsqu'il entre dans un village sans avoir donné avis de son arrivée. Aussi, dès que l'un d'eux approche d'un village, il s'arrête, crie, et attend qu'on l'invite à entrer. Ordinairement deux vieillards vont au devant de lui, et lui servent d'introducteurs. Il y a dans chaque village une cabane vide, qu'on appelle la Maison des Étrangers. On y conduit le voyageur, et les vieillards vont de cabane en cabane avertir les habitans qu'il est arrivé un étranger, qui probablement est fatigué et a faim. Chacun lui envoie aussitôt une partie de ce qu'il a pour manger, avec des peaux pour se reposer. Quand l'étranger a pris quelque nourriture et s'est délassé, on lui apporte du tabac et des pipes; et alors seulement commence la conversation. On demande au voyageur qui il est? où il va? quelles nouvelles il apporte? et on finit communément par lui offrir de lui fournir un guide et des vivres pour continuer son voyage. Mais on n'exige jamais rien pour la réception qu'on lui a faite.

Cette hospitalité, qu'ils considèrent comme une des principales vertus, est également pratiquée par chaque particulier. En voici un exemple, que je tiens de notre interprète, Conrad Weiser. Il avoit été naturalisé parmi les six Nations, et parloit très-bien la langue Mohock. En traversant le pays des Indiens, pour porter un message de notre gouverneur à l'assemblée d'Onondaga, il s'arrêta à l'habitation de Canassetego, l'un de ses anciens amis. Le sauvage l'embrassa, étendit des fourrures pour le faire asseoir, plaça devant lui des haricots bouillis, du gibier et de l'eau, dans laquelle il avoit mêlé un peu de rum. Quand Conrad Weiser eut achevé de manger, et allumé sa pipe, Canassetego commença à s'entretenir avec lui. Il lui demanda comment il s'étoit porté depuis plusieurs années qu'ils ne s'étoient vus l'un l'autre; d'où il venoit, et quel étoit l'objet de son voyage. Conrad répondit à toutes ces questions; et quand la conversation commença à languir, le sauvage la reprit ainsi: – «Conrad, vous avez long-temps vécu parmi les blancs, et vous connoissez un peu leurs coutumes. J'ai été quelquefois à Albany, et j'ai observé qu'une fois tous les sept jours, ils ferment leurs boutiques et s'assemblent tous dans une grande maison. Dites-moi, pourquoi cela? Que font-ils dans cette maison?

»Ils s'y rassemblent, répondit Conrad, pour entendre et apprendre de bonnes choses. – Je ne doute pas qu'ils ne vous l'aient dit, reprit le sauvage. Ils me l'ont dit de même: mais je ne crois pas que cela soit vrai; et je vais vous en dire la raison. – J'allai dernièrement à Albany, pour vendre des fourrures, et pour acheter des couvertures de laine, des couteaux, de la poudre et du rum. Vous savez que je fais ordinairement affaire avec Hans Hanson, mais cette fois-ci j'étois tenté d'essayer de quelqu'autre marchand. Cependant je commençai par aller chez Hans Hanson, et je lui demandai combien il me donneroit pour mes peaux de castor. Il me répondit qu'il ne pouvoit pas me les payer plus de quatre schellings la livre: mais, ajouta-t-il, je ne puis parler d'affaire aujourd'hui; c'est le jour où nous nous rassemblons pour apprendre de bonnes choses, et je vais à l'assemblée.

»Pour moi, je pensai que ne pouvant faire aucune affaire ce jour-là, je ferois aussi bien d'aller à l'assemblée avec Hans Hanson, et je le suivis. Un homme vêtu de noir se leva, et commença à parler aux autres d'un air très-fâché. Je ne comprenois pas ce qu'il disoit: mais m'appercevant qu'il regardoit beaucoup et moi, et Hanson, je crus qu'il étoit irrité de me voir là. Ainsi je sortis; je m'assis près de la maison, je battis mon briquet, j'allumai ma pipe, et j'attendis que l'assemblée fût finie. Il me vint alors dans l'idée que l'homme vêtu de noir avoit fait mention des peaux de castor, et que cela pouvoit être le sujet de l'assemblée. En conséquence, dès qu'on sortit de la maison, j'accostai mon marchand. – Eh bien! lui dis-je, Hans, j'espère que vous êtes convenu de payer les peaux de castor plus de quatre schellings la livre. – Non, répondit-il, je ne puis plus même y mettre ce prix. Je ne peux en donner que trois schellings six sous. – Je m'adressai alors à divers autres marchands: mais c'étoit par-tout la même chanson; trois schellings six sous, trois schellings six sous. Je vis donc clairement que mes soupçons étoient bien fondés; et que, quoique les blancs prétendissent qu'ils alloient dans leurs assemblées pour apprendre de bonnes choses, ils ne s'y rendoient, en effet, que pour se concerter, afin de mieux tromper les Indiens sur le prix des peaux de castor. Réfléchissez-y un peu, Conrad, et vous serez de mon avis. Si, en s'assemblant aussi souvent, leur dessein étoit d'apprendre de bonnes choses, ils devroient certainement en avoir déjà appris quelqu'une. Mais ils sont encore bien ignorans.

»Vous connoissez notre usage. Si un blanc voyage dans notre pays, et entre dans nos cabanes, nous le traitons toujours comme je viens de vous traiter. Nous le fesons sécher s'il est mouillé; nous le fesons chauffer s'il a froid, nous lui donnons de quoi bien satisfaire sa faim et sa soif, et nous étendons des fourrures devant lui, pour qu'il puisse se reposer et dormir. Mais nous ne lui demandons jamais rien pour la manière dont nous l'avons accueilli23. Mais si j'entre dans la maison d'un blanc à Albany, et que je demande quelque chose à manger et à boire, on me dit aussitôt: Où est ton argent? Et si je n'en ai point, on me dit: Sors d'ici, chien d'indien. – Vous voyez bien que les blancs n'ont point encore appris ce peu de bonnes choses que nous apprenons, nous, sans assemblées; parce que, quand nous sommes enfans, nos mères nous les apprenent. Il est donc impossible que leurs assemblées soient pour l'objet qu'ils disent. Elles n'ont d'autre but que d'apprendre à tromper les Indiens sur le prix des castors.»

SUR LES DISSENTIONS
ENTRE
L'ANGLETERRE ET L'AMÉRIQUE

à M. Dubourg.

Londres, le 2 octobre 1770.

Je vois, avec plaisir, que nous pensons à-peu-près de même au sujet de l'Amérique anglaise. Nous, habitans des colonies, nous n'avons jamais prétendu être exempts de contribuer aux dépenses nécessaires au maintien de la prospérité de l'empire. Nous soutenons seulement qu'ayant des parlemens chez nous, et n'étant nullement représentés dans celui de la Grande-Bretagne, nos parlemens sont les seuls juges de ce que nous pouvons et devons donner, et le parlement anglais n'a nul droit de prendre notre argent sans notre consentement.

L'empire britannique n'est pas un simple état. Il en comprend plusieurs; et quoique le parlement de la Grande-Bretagne se soit arrogé le pouvoir de taxer les colonies, il n'en a pas plus le droit qu'il n'a celui de taxer l'électorat d'Hanovre. Nous avons le même roi, mais non la même législature.

La dispute, qui s'est élevée entre l'Angleterre et les colonies, a déjà fait perdre à l'Angleterre plusieurs millions sterlings. Elle les a perdus dans son commerce, et l'Amérique en a gagné autant. Ce commerce consistoit principalement en superfluités, en objets de luxe et de mode, dont nous pouvons fort bien nous passer; et la résolution que nous avons prise, de n'en plus recevoir jusqu'à ce qu'on ait fait cesser nos plaintes, est cause que nos manufactures commencent à sortir de l'enfance, et à prendre quelque consistance. Il ne seroit même pas aisé d'engager nos colons à les abandonner, quand une amitié plus sincère que jamais succéderoit à la querelle qui nous divise.

 

Certes, je ne doute point que le parlement d'Angleterre ne finisse par abandonner ses prétentions, et ne nous laisse paisiblement jouir de nos droits et de nos privilèges.

B. Franklin.

SUR LA PRÉFÉRENCE
QU'ON DOIT DONNER
AUX ARCS ET AUX FLÈCHES
SUR LES ARMES À FEU

Au Major-Général Lee.

Philadelphie, le 11 février 1776.

Général,

Le porteur de cette lettre est M. Arundel, que le congrès adresse au général Schuyler, pour qu'il l'emploie dans le service de l'artillerie. Il se propose de vous voir en passant, et il me demande une lettre de recommandation pour vous. Il a servi en France, ainsi que vous le verrez par ses brevets; et comme il paroît attaché à notre cause, j'espère qu'il se rendra utile, en instruisant nos jeunes canonniers et nos matelots. Peut-être donnera-t-il quelque moyen de déboucher la lumière des canons encloués.

Je vous envoie ci-joint une lettre que m'a écrite un officier nommé M. Newland, qui a servi dans les deux dernières guerres. Il est connu du général Gates, qui m'en parla avantageusement, lorsque j'étois à Cambridge. Maintenant il désire de servir sous vos ordres, et je lui ai conseillé d'aller vous joindre à New-York.

Les Anglais parlent encore haut, et nous menacent durement: mais leur langage est un peu plus poli, ou du moins, il n'est pas tout-à-fait aussi injurieux pour nous. Ils sont rentrés peu-à-peu dans leur bon sens; mais j'imagine que c'est trop tard pour leurs intérêts.

Nous avons reçu cent vingt tonneaux de salpêtre, ce qui fait une grande quantité, et nous en attendons trente tonneaux de plus. À présent, nous manquons de moulins pour faire la poudre: mais malgré cela, je crois que l'ouvrage ira son train, et qu'on le fera à force de bras. – Je désirerois, cependant, comme vous, que nos armées se servissent de piques, et même d'arcs et de flèches. Ce sont de très-bonnes armes qu'on a follement négligées. On doit se servir d'arcs et de flèches:

1o. Parce qu'un homme peut ajuster son coup avec un arc, aussi bien qu'avec un fusil.

2o. Il peut faire partir quatre flèches dans le même temps qu'il lui faut pour tirer un coup de fusil et recharger.

3o. L'objet qu'il doit viser n'est point dérobé à sa vue, par la fumée du côté duquel il combat.

4o. Un nuage de flèches, que l'ennemi voit venir, l'intimide, le trouble, l'empêche d'être attentif à ce qu'il fait.

5o. Une flèche qui perce un homme en quelque partie de son corps que ce soit, le met hors de combat, jusqu'à ce qu'on la lui ait arrachée.

6o. On se procure plus aisément des arcs et des flèches, que des fusils, de la poudre et du plomb.

Polydore-Virgile, en parlant d'une bataille entre les Français et les Anglais, sous le règne d'Edouard III, fait mention du désordre dans lequel fut jetée l'armée française, par un nuage de flèches24, que lui envoyèrent les Anglais, et qui leur donna la victoire25. – Si les flèches fesoient tant d'effet quand les hommes étoient couverts d'une armure difficile à pénétrer, combien plus elles en feraient à présent, que cette armure est hors d'usage!

Je suis bien aise que vous soyez revenu à New-York: mais je voudrois que vous pussiez être au Canada. Ici, les esprits sont maintenant en suspens, dans l'attente des propositions que doit faire l'Angleterre. Je ne crois pas qu'elle en fasse une seule que nous puissions accepter. Quand on en aura une preuve évidente, les Américains seront plus d'accord entr'eux et plus décidés. Alors votre proposition de former une ligue solemnelle sera mieux accueillie, et peut-être adoptera-t-on la plupart de nos autres mesures hardies.

Vos lettres me font toujours un grand plaisir: mais j'ai de la peine à m'en croire digne, car je suis un bien mauvais correspondant. Mes yeux ne me permettent plus d'écrire que très-difficilement à la lumière; et les jours sont à présent si courts et j'ai tant d'affaires depuis quelque temps, que je suis rarement assis dix minutes, sans qu'on vienne m'interrompre.

Dieu vous donne des succès!

B. Franklin.

22Cette offre ayant été acceptée par le roi de Prusse, Frédéric II, il fut conclu entre ce monarque et les États-Unis, un traité d'amitié et de commerce, contenant un article dicté par l'humanité et la philantropie. Franklin, qui étoit l'un des plénipotentiaires américains, le rédigea de la manière suivante: Art. XXIII «Si la guerre a lieu entre les deux nation contractantes, les marchands de l'une qui résideront dans les états de l'autre, pourront y demeurer neuf mois pour se faire payer de leurs créances et régler leurs affaires, et partiront ensuite librement, emportant tous leurs effets sans aucun empêchement ou molestation quelconque. Toutes les femmes, les enfans, les gens de lettres de toutes les facultés, les agriculteurs, les artisans, les manufacturiers, les pêcheurs, et les habitans non armés des villes, des villages et autres places sans fortifications, et en général tous ceux qui travaillent pour la subsistance et le bien de l'humanité, pourront continuer à se livrer à leurs occupations, sans être molestés dans leur personne, sans qu'on brûle leurs maisons et leurs marchandises, ou qu'on les détruise en aucune manière, et sans que la force armée de l'ennemi ravage leurs champs, en aucun des lieux où elle pénétrera: mais si elle a besoin de prendre quelque chose pour son usage, elle le paiera à un prix raisonnable. Tous les vaisseaux marchands, employés à l'échange des productions des différens pays, et à rendre les objets de première nécessité et les commodités de la vie plus faciles à obtenir et plus communs, pourront passer librement et sans molestation; et ni l'une ni l'autre des puissances contractantes, ne délivrera des lettres de marque à aucun particulier, pour lui donner le pouvoir de prendre ou de détruire les vaisseaux marchands, ou interrompre leur commerce».
23C'est une chose très-remarquable, que dans tous les temps et dans tous les pays, l'hospitalité ait été reconnue pour la vertu de ceux que les nations civilisées se sont plu à appeler barbares. Les Grecs ont célébré les Scythes à cause de cette vertu. Les Sarrasins l'ont portée au plus haut degré, et elle règne encore chez les Arabes du désert. Saint-Paul nous dit, dans la relation de son voyage et de son naufrage sur l'île de Malthe: – «Les Barbares nous traitèrent avec beaucoup de bienveillance, car ils allumèrent du feu, et nous reçurent à cause de la pluie qui tomboit, et à cause du froid». – Cette note est tirée d'un petit recueil des Œuvres de Franklin, publié par Dilly.
24Sagittarum nube.
25Il conclut par ces mots: Est res profectò dictu mirabilis, ut tantus ac potens exercitus à solis ferè anglicis sagittariis victus fuerit; adeo anglus est sagittipotens, et id genus armorum valet.