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R A I S O N D E R E D O U T E R

(UN POLAR AVERY BLACK – TOME 6)

B L A K E P I E R C E

Blake Pierce

Blake Pierce est l’auteur de la série populaire de thrillers RILEY PAIGE, qui comprend douze tomes (et d'autres à venir). Blake Pierce a également écrit les séries de thrillers MACKENZIE WHITE, comprenant huit tomes, AVERY BLACK, comprenant six tomes, KERI LOCKE, comprenant cinq tomes et la nouvelle série de thrillers LES ORIGINES DE RILEY PAIGE, qui débute avec SOUS SURVEILLANCE.

Lecteur avide et admirateur de longue date des genres mystère et thriller, Blake aimerait connaître votre avis. N’hésitez pas à consulter son site www.blakepierceauthor.com afin d’en apprendre davantage et rester en contact.

Copyright © 2018 par Blake Pierce. Tous droits réservés. Sauf dérogations autorisées par la Loi des États-Unis sur le droit d’auteur de 1976, aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, distribuée ou transmise sous quelque forme que ce soit ou par quelque moyen que ce soit, ou stockée dans une base de données ou système de récupération, sans l’autorisation préalable de l’auteur. Ce livre électronique est réservé sous licence à votre seule jouissance personnelle. Ce livre électronique ne saurait être revendu ou offert à d’autres personnes. Si vous voulez partager ce livre avec une tierce personne, veuillez en acheter un exemplaire supplémentaire par destinataire. Si vous lisez ce livre sans l’avoir acheté, ou s’il n’a pas été acheté pour votre seule utilisation personnelle, vous êtes priés de le renvoyer et d’acheter votre exemplaire personnel. Merci de respecter le travail difficile de l’auteur. Il s’agit d’une œuvre de fiction. Les noms, les personnages, les entreprises, les organisations, les lieux, les évènements et les incidents sont le fruit de l’imagination de l’auteur ou sont utilisés dans un but fictionnel. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou mortes, n’est que pure coïncidence.

Image de couverture : Copyright Karuka, utilisé en vertu d’une licence accordée par Shutterstock.com.

PAR BLAKE PIERCE

LES ENQUÊTES DE RILEY PAIGE

SANS LAISSER DE TRACES (Tome 1)

RÉACTION EN CHAÎNE (Tome 2)

LA QUEUE ENTRE LES JAMBES (Tome 3)

LES PENDULES À L’HEURE (Tome 4)

QUI VA À LA CHASSE (Tome 5)

À VOTRE SANTÉ (Tome 6)

DE SAC ET DE CORDE (Tome 7)

UN PLAT QUI SE MANGE FROID (Tome 8)

SANS COUP FÉRIR (Tome 9)

À TOUT JAMAIS (Tome 10)

LE GRAIN DE SABLE (Tome 11)

LE TRAIN EN MARCHE (Tome 12)

LES ENQUÊTES DE MACKENZIE WHITE

AVANT QU’IL NE TUE (Tome 1)

AVANT QU’IL NE VOIE (Tome 2)

AVANT QU’IL NE DÉSIRE (Tome 3)

AVANT QU’IL NE PRENNE (Tome 4)

AVANT QU’IL N’AIT BESOIN (Tome 5)

AVANT QU’IL NE RESSENTE (Tome 6)

AVANT QU’IL NE PÊCHE (Tome 7)

AVANT QU’IL NE CHASSE (Tome 8)

LES ENQUÊTES D’AVERY BLACK

RAISON DE TUER (Tome 1)

RAISON DE COURIR (Tome2)

RAISON DE SE CACHER (Tome 3)

RAISON DE CRAINDRE (Tome 4)

RAISON DE SAUVER (Tome 5)

RAISON DE REDOUTER (Tome 6)

LES ENQUÊTES DE KERI LOCKE

UN MAUVAIS PRESSENTIMENT (Tome 1)

DE MAUVAIS AUGURE (Tome 2)

L’OMBRE DU MAL (Tome 3)

TABLE DES MATIÈRES

PROLOGUE

CHAPITRE UN

CHAPITRE DEUX

CHAPITRE TROIS

CHAPITRE QUATRE

CHAPITRE CINQ

CHAPITRE SIX

CHAPITRE SEPT

CHAPITRE HUIT

CHAPITRE NEUF

CHAPITRE DIX

CHAPITRE ONZE

CHAPITRE DOUZE

CHAPITRE TREIZE

CHAPITRE QUATORZE

CHAPITRE QUINZE

CHAPITRE SEIZE

CHAPITRE DIX-SEPT

CHAPITRE DIX-HUIT

CHAPITRE DIX-NEUF

CHAPITRE VINGT

CHAPITRE VINGT-ET-UN

CHAPITRE VINGT-DEUX

CHAPITRE VINGT-TROIS

CHAPITRE VINGT-QUATRE

CHAPITRE VINGT-CINQ

CHAPITRE VINGT-SIX

CHAPITRE VINGT-SEPT

CHAPITRE VINGT-HUIT

CHAPITRE VINGT-NEUF

CHAPITRE TRENTE

CHAPITRE TRENTE-ET-UN

CHAPITRE TRENTE-DEUX

CHAPITRE TRENTE-TROIS

CHAPITRE TRENTE-QUATRE

ÉPILOGUE

PROLOGUE

Pour un homme appelé Rosie, il n’y avait rien de délicat ni de charmant chez lui. Roosevelt “Rosie” Dobbs se dirigea vers le porche de l’appartement 2B avec son habituelle démarche pataude – et si quelqu’un avait été non loin de lui, il l’aurait peut-être entendu jurer dans sa barbe, une série d’obscénités qui le suivaient comme une ombre.

Avec un poing de la taille d’une tranche de jambon, Rosie martela la porte. À chaque coup, il voyait le visage de l’homme qui vivait au 2B. Un con prétentieux nommé Alfred Lawnbrook – le type de personne qui pensait toujours être meilleure que tous les autres, même s’il vivait dans un appartement de seconde zone dans l’une des pires parties de la ville. Il n’avait jamais payé son loyer dans les temps, avec toujours au moins une semaine de retard au cours des deux années qu’il avait passées là. Cette fois, trois semaines s’étaient écoulées. Et Rosie en avait assez. Si Lawnbrook n’avait pas son loyer d’ici la fin de la journée, Rosie allait l’expulser.

C’était samedi, juste après neuf heures du matin. La voiture de Lawnbrook était garée à son endroit habituel, donc Rosie savait qu’il était à la maison. Pourtant, malgré le tambourinement, Albert Lawnbrook ne répondait pas.

Rosie assena un dernier coup violent contre la porte avec son poing et utilisa ensuite aussi sa voix. « Lawnbrook, sors ton cul ici ! Et tu ferais mieux d’avoir ton loyer en main quand tu ouvriras la porte. »

Rosie essaya d’être patient. Il attendit dix secondes entières avant de l’appeler à nouveau. « Lawnbrook ! »

Quand il n’y eut toujours pas de réponse, Rosie décrocha l’énorme anneau de clefs qu’il portait à un mousqueton sur sa hanche. Il les fit défiler d’une main experte jusqu’à celle étiquetée 2B. Sans un autre avertissement, Rosie enfonça la clef dans la serrure, tourna la poignée et entra dans l’appartement.

« Alfred Lawnbrook ! C’est Rosie Dobbs, votre propriétaire. Vous avez trois semaines de retard et… »

Mais Rosie sut immédiatement qu’il n’allait pas avoir de réponse. Il y avait un silence et une quiétude dans les lieux qui l’informèrent que Lawnbrook n’était pas chez lui.

Non, ce n’est pas tout à fait ça, pensa Rosie. C’est autre chose…quelque chose a l’air de ne pas aller. C’est comme renfermé et…eh bien, de travers.

Rosie s’avança de quelques pas dans l’appartement, et s’arrêta quand il arriva au milieu du salon.

C’est alors qu’il s’avisa de l’odeur.

Au premier abord, elle lui rappela des pommes de terre qui se seraient avariées. Mais il y avait quelque chose de différent, quelque chose de plus subtil.

« Lawnbrook ? », cria-t-il encore, mais cette fois il y avait une vague de peur dans sa voix.

Une fois encore, il n’y eut pas de réponse…non pas que Rosie en attendait une. Il traversa le salon et jeta un coup d’œil dans la cuisine, pensant que de la nourriture avait peut-être été laissée dehors et commençait à pourrir. Mais la cuisine était assez propre et, de par sa petite taille, il était évident qu’il n’y avait rien qui clochait.

 

Appelle les flics, dit une partie plus sage de Rosie. Tu sais que quelque chose ne va pas ici alors appelle les flics et lave-t-en les mains.

Mais la curiosité est une sacrée drogue et Rosie ne put s’en détourner. Il commença à descendre le couloir et une intuition malsaine dirigea directement ses yeux vers la porte de la chambre. Après plusieurs pas dans le couloir, l’odeur évolua vers quelque chose de plus désagréable et il sut tout de suite vers quoi il se dirigeait. Mais malgré cela, il ne pouvait pas arrêter maintenant. Il devait savoir…devait voir.

La chambre d’Al Lawnbrook était dans un léger désordre. Quelques objets étaient tombés de sa table de nuit : portefeuille, livre, photo encadrée. Les stores en plastique de la fenêtre étaient légèrement inclinés, les plis du bas tordus.

Et ici, l’odeur était pire. Elle n’était pas trop puissante, mais ce n’était certainement pas quelque chose que Rosie voulait respirer plus longtemps.

Le lit était vide et il n’y avait rien de visible dans l’espace entre la commode et le mur. Avec une boule dans la gorge, Rosie se tourna vers le placard. La porte était fermée et ceci était en quelque sorte pire que l’odeur. Pourtant, sa curiosité morbide l’aiguillonnait et Rosie se retrouva à se diriger vers le placard. Il tendit la main, toucha la poignée et pendant un instant il crut pouvoir véritablement ressentir la terrible odeur, collante et chaude.

Avant de tourner la poignée, il vit quelque chose du coin de l’œil. Il baissa les yeux vers ses pieds, pensant que ses nerfs étaient juste à vif et lui jouaient des tours. Mais non…il avait vu quelque chose.

Deux araignées passèrent précipitamment sous la porte. Elles étaient toutes deux assez grandes, l’une de la taille d’une pièce de vingt-cinq cents et l’autre si grosse qu’elle passait à peine à travers la fente. Rosie bondit de surprise et un petit cri échappa de sa gorge. Les araignées fuirent sous le lit et quand il se retourna pour les regarder, il vit quelques araignées accrochées au lit. La plupart d’entre elles étaient petites, mais il y en avait une de la taille d’un timbre-poste qui courait le long de l’oreiller.

L’adrénaline le poussait. Rosie attrapa la poignée, tourna et ouvrit.

Il essaya de crier mais ses poumons semblaient paralysés. Rien de plus qu’un bruit sec sortit de sa gorge tandis qu’il s’éloignait lentement de ce qu’il contemplait dans le placard.

Alfred Lawnbrook était étendu contre l’angle dans le fond. Son corps était pâle et immobile.

Il était aussi presque entièrement recouvert d’araignées.

Il y avait plusieurs gros filaments de toile sur lui. L’un le long de son bras droit était si épais que Rosie ne pouvait pas voir sa peau. La plupart des araignées étaient petites et semblaient presque inoffensives, mais, comme celles qu’il avait vues jusqu’ici, il y en avait aussi de grosses mélangées au reste. Tandis que Rosie observait fixement avec horreur, une araignée de la taille d’une balle de golf passa sur le front de Lawnbrook. Une autre plus petite grimpa sur sa lèvre inférieure.

C’est ce qui tira Rosie de sa stupeur. Il faillit trébucher sur ses propres pieds tout en sortant de la pièce à toute vitesse en poussant des cris perçants, se frappant la nuque comme si des millions d’araignées grouillaient sur lui.

CHAPITRE UN

Deux mois plus tôt…

Tout en ouvrant un des nombreux cartons éparpillés dans sa nouvelle maison, Avery Black se demanda pourquoi elle avait attendu si longtemps pour s’éloigner de la ville. Elle ne lui manquait pas du tout et elle commençait vraiment à regretter le fait d’y avoir perdu tant de temps.

Elle jeta un coup d’œil à l’intérieur de la boîte, dans l’espoir d’y trouver son iPod. Elle n’avait rien étiqueté quand elle avait quitté son appartement de Boston. Elle avait tout jeté dans une série de cartons et avait déménagé en une journée. C’était il y a trois semaines de cela et elle n’avait toujours pas fini de déballer. En fait, ses draps étaient enchevêtrés quelque part dans ces boîtes mais elle avait choisi de dormir sur le canapé pendant les trois dernières semaines.

Le carton actuel ne contenait pas son iPod, mais quelques bouteilles d’alcool qu’elle avait presque oubliées. Elle sortit un verre, le remplit d’une bonne dose de bourbon et sortit sur la véranda. Elle plissa les yeux dans la lumière matinale et but un coup. Après avoir savouré sa chaleur, elle en prit un autre. Elle regarda ensuite sa montre et vit qu’il était à peine dix heures du matin.

Elle haussa les épaules et se laissa tomber sur le vieux fauteuil à bascule qui se trouvait sur le porche quand elle avait acheté les lieux. Elle contempla son nouvel environnement et fut chaleureusement rassurée de savoir qu’elle pourrait vivre le reste de sa vie ici assez confortablement.

La maison n’était pas tout à fait un chalet mais avait ce genre d’aspect rustique. C’était un endroit simple de plain-pied avec un intérieur moderne. En termes d’adresse postale, elle était proche de Walden Pond, mais juste assez hors des sentiers battus pour être considérée comme “au milieu de nulle part”. Son plus proche voisin était à un kilomètre de là et tout ce qu’elle pouvait voir au-delà de son porche et de la fenêtre arrière de la cuisine étaient des arbres.

Pas de klaxons. Pas de piétons pressés regardant en même temps leurs téléphones. Pas de circulation. Pas d’odeur constante d’essence et de pots d’échappement ou le bourdonnement des moteurs.

Elle avala une autre gorgée de son bourbon matinal et écouta ce qui l’entourait. Rien. Absolument rien. Enfin, ce n’était pas nécessairement vrai. Elle pouvait entendre deux oiseaux qui se répondaient et le léger grincement des arbres tandis qu’une fraîche brise de fin d’automne passait au travers.

Elle avait fait de son mieux pour que Rose vienne ici avec elle. Sa fille avait traversé beaucoup de choses et Dieu seul savait que rester en ville ne l’aiderait pas à guérir. Mais Rose avait refusé. Rose avait en réalité refusé avec véhémence. Après que le brouillard de la dernière affaire se soit dissipé, Rose avait eu besoin de faire porter la responsabilité pour la mort de son père sur quelqu’un. Et, comme d’habitude, cette faute était retombée sur Avery.

Même si cela faisait mal, Avery le comprenait ; elle se serait comportée de la même manière si les rôles avaient été inversés. Pendant son déménagement dans les bois, Rose l’avait accusée de fuir ses problèmes. Et Avery n’avait aucun scrupule à l’admettre. Elle était venue ici pour échapper aux souvenirs de la dernière affaire – des derniers mois de sa vie, si elle devait être totalement honnête.

Elles avaient été si proches de retrouver la relation qu’elles avaient autrefois. Mais quand le père de Rose était mort – ainsi que Ramirez, un homme qu’elle avait commencé à tolérer comme étant objet de l’amour de sa mère – tout s’était brusquement arrêté. Rose reprochait complètement à Avery la mort de son père, et Avery commençait lentement à s’en blâmer elle aussi.

Avery ferma les yeux et termina son verre de bourbon. Elle écouta les bruits tranquilles de la forêt et laissa la chaleur de l’alcool la réconforter. Elle avait laissé une chaleur similaire la réconforter au cours des trois dernières semaines, s’était saoulée une poignée de fois, à tel point qu’une fois elle avait perdu connaissance pendant plusieurs heures. Elle avait passé la nuit penchée au dessus de toilettes à se lamenter sur Ramirez et l’avenir qu’ils avaient été si près d’avoir.

En y repensant, Avery était embarrassée. Cela lui donnait envie de renoncer à boire pour de bon. Elle n’avait jamais été une grande buveuse, mais durant les trois dernières semaines, les spiritueux et le vin l’avaient aidée à surmonter.

À surmonter quoi, cependant ? se demanda-t-elle alors qu’elle se levait du fauteuil à bascule et retournait à l’intérieur.

Elle regarda le bourbon, tentée d’y aller et de s’enivrer d’ici à midi juste pour passer un autre jour. Mais elle savait que c’était de la lâcheté. Elle devait s’en sortir toute seule, avec la tête claire. Alors elle mit le bourbon et les autres bouteilles d’alcool dans un placard dans la cuisine. Elle passa ensuite au carton suivant dans ses tas, toujours à la recherche de l’iPod.

Une pile d’albums photo se trouvait en haut de la boîte. Parce que son esprit avait été concentré sur Rose pendant qu’elle était sur le porche, Avery les sortit rapidement. Il y en avait trois en tout, dont l’un était remplie de photos de son temps passé à l’université. Elle ignora complètement celui-ci et ouvrit le second.

Immédiatement, Rose la regarda fixement. Elle avait douze ans, était sur un traîneau avec son chapeau couvert de neige. Sous cette photo, Rose avait encore douze ans. Sur celle-ci, elle peignait ce qui ressemblait à un champ de tournesols sur un chevalet dans son ancienne chambre. Avery les feuilleta tous jusqu’à environ la moitié de l’album, où elle arriva à une photo qui avait été prise à peine trois Noël de cela. Rose et Jack, le père de Rose, dansaient comiquement devant un sapin de Noël. Ils souriaient tous deux à donner le vertige. Le chapeau de Père Noël de Jack était de travers sur sa tête et les décorations brillaient en arrière-plan.

Ce fut comme un coup de couteau dans son cœur, transperçant, vrillant. Le besoin de pleurer arriva comme une bombe. Elle n’avait pas ressenti ce besoin irrépressible une seule fois depuis qu’elle avait emménagé ici, car elle s’était assez bien débrouillé pour étouffer de telles choses au cours de sa carrière. Mais cela la frappa alors, surgi de nulle part, et avant qu’elle ne puisse le combattre, sa bouche s’ouvrit et une plainte agonisante en sortit. Elle se serra la poitrine comme si ce couteau imaginé était vraiment là, et s’effondra par terre.

Elle essaya de se lever, mais son corps semblait se révolter. Non, semblait-il dire. Tu vas te permettre ce moment et tu vas pleurer. Tu vas pleurer. Tu vas faire ton deuil. Et qui sais ? Tu pourrais vraiment te sentir mieux après.

Elle serra l’album photo, le pressant contre sa poitrine. Elle pleura éperdument, s’autorisant à être vulnérable juste pour un moment. Elle détestait que cela fasse tant de bien de tout laisser sortir, de se permettre de fondre en larmes. Elle gémit et pleura, sans rien dire – sans en appeler à personne, sans questionner Dieu ou offrir une prière. Elle fit simplement son deuil.

Et cela faisait du bien. Cela ressemblait presque à un exorcisme en quelque sorte.

Elle ignorait combien de temps elle était restée assise par terre parmi les cartons. Tout ce qu’elle savait, c’était que quand elle se leva, elle ne voulait plus s’anesthésier avec quelque chose venant d’une bouteille. Elle avait besoin d’avoir l’esprit clair, nécessaire pour mettre de l’ordre dans ses pensées.

Elle sentit une douleur familière dans ses mains, quelque chose d’encore plus fort que le besoin de boire pour chasser ses émotions. Elle serra mollement ses poings et pensa à des cibles en papier ainsi qu’aux longs champs de tir en intérieur.

Son cœur commença alors à s’alléger un peu en pensant aux quelques objets qu’elle avait dans la chambre qu’elle finirait par arranger et décorer un de ces jours. Il n’y avait pas grand-chose là-dedans, mais il y avait une certaine chose qu’elle avait presque oubliée dans le brouillard des derniers jours. Lentement, essayant de s’encourager elle-même pendant qu’elle traversait le salon plein de cartons, Avery entra dans la chambre à coucher.

Elle resta sur le pas de la porte pendant un moment et scruta l’arme qui était posée dans le coin.

Le fusil était un Remington 700 qu’elle possédait depuis l’obtention de son diplôme. Pendant sa dernière année, elle avait eu de grands projets, de déménager dans un endroit isolé afin de chasser le chevreuil pendant les hivers. C’était une chose que son père avait toujours fait et, bien qu’elle n’y fût pas particulièrement douée, elle l’avait bien aimé. Elle avait souvent été ridiculisée à ce sujet par ses amies et elle avait probablement effrayé un petit ami ou deux au lycée en raison de son affection pour ce sport. Quand son père était décédé, sa mère l’avait suppliée de prendre l’arme, pensant que son père aurait voulu qu’elle l’aie.

Elle avait été baladée, d’un déménagement à l’autre, habituellement rangée dans un placard ou sous un lit. Deux jours après avoir emménagé dans cette maison, elle l’avait emmenée chez un revendeur d’armes à feu local et l’avait faite nettoyer. Quand elle l’avait récupérée, elle avait également acheté trois boîtes de cartouches.

 

Pensant qu’elle pouvait aussi bien frapper tant que l’humeur la prenait, elle se déshabilla et se glissa dans des vêtements en Thermolactyl. Il ne faisait pas trop froid ce matin, un peu au-dessus de zéro – mais elle n’avait pas l’habitude d’être dehors dans les bois. Elle ne possédait rien en kaki, aussi se contenta-t-elle d’un pantalon vert foncé et d’un pull noir. Elle savait bien que ce n’était pas la tenue la plus sûre pour aller chasser le chevreuil, mais il faudrait faire avec pour l’instant.

Elle enfila une paire de gants fins (elle dut chercher dans un autre carton pour les trouver), enfila sa paire de chaussures la plus robuste et sortit. Elle monta dans sa voiture et conduisit trois kilomètres plus loin sur une route secondaire qui menait à une étendue de forêt appartenant à l’homme à qui elle avait acheté la maison. Il lui avait donné la permission de chasser sur ses terres, presque comme un détail sans importance ou un bonus pour avoir acheté la maison pour dix mille dollars au-dessus du prix demandé.

Elle trouva un endroit sur le bord de la route où il était évident que les chasseurs faisaient demi-tour ou s’arrêtaient depuis des années. Elle gara sa voiture là, le côté conducteur juste au bord de la route. Elle prit ensuite le fusil et partit dans la forêt.

Elle se sentait vraiment idiote, à parader dans les bois. Elle n’avait pas chassé depuis cinq ans – le week-end même où elle avait reçu l’arme des mains de sa mère. Elle n’avait pas l’équipement – les bonnes bottes, l’odeur du chevreuil à asperger sur les arbres, le chapeau ou le gilet orange fluorescent. Mais elle savait aussi que c’était un mercredi matin et que les bois seraient pratiquement vides d’autres chasseurs. Elle se sentait un peu comme l’enfant timide qui ne jouait au basket que seule et qui disparaissait lorsque les enfants plus doués entraient dans le gymnase.

Elle marcha pendant vingt minutes et arriva à une élévation du terrain. Elle marchait silencieusement, avec la même prudence experte qu’elle avait utilisée en tant qu’inspectrice à la criminelle. Le fusil dans ses mains était agréable, bien qu’un peu étranger. Elle était habituée à des armes beaucoup plus petites, son Glock en particulier, aussi le fusil donnait-il l’impression d’être assez puissant. En arrivant au sommet de la petite montée, elle aperçut un chêne tombé à quelques mètres. Elle s’en servit comme d’un piètre moyen de se cacher, s’assit par terre, puis se décala un peu dos contre le tronc d’arbre. Allongée, elle posa le fusil à côté d’elle et leva les yeux vers les cimes des arbres.

Elle s’installa là paisiblement, se sentant encore plus enveloppée par l’univers qu’elle ne l’avait été sur le porche il y avait une heure environ. Elle sourit quand elle imagina Rose avec elle. Rose détestait à peu près tout ce qui avait trait avec le fait d’être dehors et elle serait probablement folle si elle savait que sa mère était actuellement assise dans la forêt avec un fusil, cherchant à potentiellement tuer un chevreuil. En pensant à Rose, Avery fut capable de s’éclaircir un peu l’esprit, de se concentrer sur tout ce qui l’entourait. Et quand elle parvint à le faire, les réflexes issus de son travail entrèrent en action.

Elle entendit le bruissement des feuilles sur le sol ainsi que dans les arbres tandis que les dernières feuilles tenaces s’accrochaient face à l’hiver proche. Elle entendit un trottinement quelque part à sa droite et au-dessus d’elle, probablement un écureuil qui sortait pour vérifier le vent. Une fois acclimatée à son environnement, elle ferma les yeux et se laissa vraiment aller.

Elle entendait toutes ces choses mais elle vit aussi ses propres pensées commencer à se mettre en place. Jack et sa petite amie, tous deux morts. Ramirez, mort et parti. Elle pensait à Howard Randall, tombant dans la baie et probablement mort lui aussi. Et à la fin de tout cela, elle vit Rose…comment elle avait été constamment prise au piège en raison du travail de sa mère. Rose ne l’avait jamais mérité, ne l’avait jamais demandé. Elle avait fait de son mieux pour être une fille qui la soutenait à travers tout cela, et avait finalement atteint son point de rupture.

Honnêtement, Avery était impressionnée qu’elle ait duré aussi longtemps. Surtout après la dernière affaire, où sa vie avait littéralement été mise en danger. Et cela n’avait pas été la première fois.

Le craquement sec d’une brindille derrière elle tira Avery de ses pensées. Ses yeux s’ouvrirent brusquement et elle se retrouva de nouveau à fixer les branches les plus dégarnies au dessus de sa tête. Elle tendit lentement la main vers le Remington alors qu’un autre bruissement léger se faisait entendre quelque part derrière elle.

Elle tira le fusil vers elle et le prépara lentement. Elle se mouvait avec une furtivité experte tout en se mettant sur les coudes. Elle inspira et expira lentement, en s’assurant de ne pas souffler sur une feuille voisine. Ses yeux scrutèrent la zone en contrebas de la petite montée sur laquelle elle se cachait. Elle repéra le chevreuil à l’ouest, à environ soixante-dix mètres. C’était un mâle, un huit-cors d’après ce qu’elle pouvait voir. Ce n’était rien de considérable, mais c’était quelque chose, au moins. Elle en repéra un autre plus loin devant, mais il était partiellement couvert par deux arbres.

Elle se redressa un peu plus, et appuya le fusil sur le côté du chêne tombé. Elle plia son doigt quand il trouva la gâchette et affermit sa prise sur la crosse. Elle visa et trouva que c’était un peu plus difficile qu’elle ne l’avait anticipé. Quand elle aligna la mire et eut un angle de tir, elle saisit l’opportunité.

La détonation du fusil au moment du tir remplit la forêt. Le recul fut perceptible mais très léger. Au moment où elle tira, elle sut qu’elle était trop à droite ; son coude avait glissé de sa position sur l’arbre quand elle avait appuyé sur la gâchette.

Mais elle n’eut pas eu l’occasion de voir le mâle s’enfuir.

Quand le bruit du coup de feu emplit ses oreilles et les bois, quelque chose dans son esprit sembla trembler puis se figer. Pendant un moment paralysant, elle ne parvint plus bouger. Et à ce moment-là, elle n’était pas dans la forêt, à avoir échoué à abattre un cerf. Au lieu de cela, elle se tenait dans le salon de Jack. Il y avait du sang partout. Lui et sa petite amie avaient été tués. Elle n’avait pas été capable de l’empêcher et, à ce titre, elle avait l’impression qu’elle les avait tués. Rose avait raison. C’était de sa faute. Elle aurait pu l’arrêter si elle avait été plus rapide – si elle avait été meilleure.

Le sang rouge brillait et les yeux de Jack la regardaient, morts, et semblant supplier. S’il te plaît, disaient-ils. S’il te plaît, reprend-le. Arrange ça.

Avery laissa tomber le fusil. Son cliquetis par terre la fit émerger de sa fugue et une fois de plus, elle se retrouva à pleurer ouvertement. Les larmes montèrent, chaudes, et se déversèrent. Elles semblaient être comme de petites traînées de feu sur son visage autrement froid.

« C’est de ma faute », dit-elle à la forêt. « C’était de ma faute. Tout ça. »

Pas seulement Jack et sa petite amie…non. Ramirez aussi. Et tous les autres qu’elle avait été incapable de sauver. Elle aurait dû être meilleure, toujours meilleure.

Dans son esprit, elle vit l’image de Jack et Rose devant le sapin de Noël. Elle se roula en boule près du chêne abattu et commença à trembler.

Non, pensa-t-elle. Pas maintenant, pas ici. Ressaisis-toi, Avery.

Elle combattit la vague d’émotions et la ravala. Ce n’était pas trop dur. Après tout, elle était devenue assez douée pour cela au cours de la dernière décennie. Elle se remit lentement sur pieds, et ramassa le fusil sur le sol. Elle ne jeta qu’un léger regard vers l’endroit où les deux cerfs avaient été. Elle n’avait aucun regret à avoir manqué le coup. Elle s’en moquait, tout simplement.

Elle se retourna par là où elle était venue, portant le fusil sur son épaule et une décennie de culpabilité et d’échec dans son cœur.

*

En route pour retourner à la maison, Avery supposa que c’était une bonne chose qu’elle n’ait pas tué le chevreuil. Elle n’avait aucune idée de la manière dont elle l’aurait sortit de la forêt. Le traîner jusqu’à sa voiture ? L’attacher sur le toit de son véhicule et revenir lentement à la maison ? Elle en connaissait assez sur la chasse pour savoir qu’il était illégal de laisser une prise à pourrir dans les bois.

Une autre fois, elle aurait pu trouver l’image d’un chevreuil attaché au toit de sa voiture hilarante. Mais en cet instant elle n’y voyait rien de plus qu’une autre erreur. Juste une autre chose à laquelle elle n’avait pas bien réfléchi.

Juste au moment où elle était sur le point de tourner sur son chemin, le bruit de son téléphone portable la fit sortir de sa déprime. Elle l’attrapa sur la console et vit un numéro qu’elle ne reconnaissait pas, mais un code régional qu’elle avait vu pendant la plus grande partie de sa vie. L’appel venait de Boston.

Elle répondit avec scepticisme, sa carrière lui ayant appris que des appels de numéros inconnus pouvaient souvent mener à des problèmes. « Bonjour ? »

« Salut, est-ce madame Black ? Madame Avery Black ? », demanda une voix masculine.

« C’est elle. Qui est-ce ? »

« Je m’appelle Gary King. Je suis le propriétaire de l’endroit où votre fille habite. Elle vous a listée comme parent proche sur son papier et ― »

« Est-ce que Rose va bien ? », demanda Avery.

« Pour autant que je sache, oui. Mais j’appelle à cause de quelques autres choses. Tout d’abord, elle est en retard sur son loyer. Elle a deux semaines de retard et c’est la deuxième fois en trois mois. J’essaie de passer et de lui en parler mais elle n’ouvre jamais à la porte. Et elle ne rappelle pas. »