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Loe raamatut: «Voyages loin de ma chambre t.2», lehekülg 8

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Le Panthéon. – Les Grands Magasins.
L’Hôtel des Ventes.
La «Famille Benoîton» à l’Odéon

Temps délicieux, tout m’a paru charmant sous le soleil d’or et le ciel bleu. Le soleil est l’émissaire de la gaîté. C’est incroyable l’influence qu’il exerce sur l’esprit; s’il se montre, tout sourit, s’il se cache tout devient triste.

Le Panthéon, chef-d’œuvre de l’architecte Soufflot, est bâti en forme de croix. L’entrée représente un temple grec; mais la coupole rappelle celle de Saint-Pierre de Rome. Louis XV en posa la première pierre en 1764. Cette église construite pour remplacer la vieille église Sainte-Geneviève qui tombait en ruines n’a pris le nom de Panthéon que sous la première Révolution, le 4 Avril 1791, à l’occasion de la mort de Mirabeau. Un instant, l’ignoble Marat reposa au Panthéon, mais bientôt le peuple justicier jeta ses restes à l’égout de Montmartre. Jusqu’en 1822, le Panthéon resta temple. A cette époque, il fut rendu au culte catholique. En 1832, il redevint temple; vingt ans après, il redevint église catholique. Enfin après la chute du second empire, il cessa d’être église pour devenir définitivement le temple de la gloire. Ces transformations sont absurdes; les athées auront beau faire, ils ne pourront jamais substituer le culte des grands hommes au culte du vrai Dieu. Enfin ils ont décrété que l’église souterraine contiendrait désormais les cendres de nos grands hommes. Victor Hugo y a pris place.

Ce temple, d’une architecture grandiose, est imposant, mais l’intérieur est bien froid. Si ce n’étaient les admirables fresques encore inachevées qui le décorent, il serait fort triste dans sa nudité rigide. Le long de ses hautes murailles se déroulent heureusement de belles peintures nous racontant l’histoire de sainte Geneviève, de saint Louis, la bataille de Tolbiac, le baptême de Clovis, le couronnement, par le pape, de Charlemagne, empereur d’Occident, le martyre de saint Denis. Et ces peintures sont signées: Puvis de Chavannes, Delaunay, Meissonnier. Ce sont là de grands souvenirs qui obligent ce temple à rester chrétien, malgré ses destinées profanes; d’ailleurs la croix domine toujours la coupole du Panthéon. On voudrait bien la faire disparaître, cette croix qui gêne les libres-penseurs du Conseil municipal; mais c’est difficile. Des architectes compétents ont déclaré qu’il serait à peu près impossible de la desceller sans enlever en grande partie la calotte de la lanterne, dans laquelle elle est fixée, et ce petit travail ne coûterait pas moins de trente à quarante mille francs. On songe à la scier, ce serait moins cher; mais comme on le voit, il en coûte de détruire presque autant que d’édifier.

L’après-midi nous sommes allées nous promener, c’est le mot, au Louvre, au Bon-Marché, au Printemps, au Gagne-Petit qui gagne gros sans sacrifier à la réclame, à Pygmalion, à la Samaritaine. Mon Dieu, oui, nous avons été faire un tour de magasins comme on fait un tour de place. Nous avons vu partout des étalages mirobolants, séduisants, provoquants et des choses pour rien.

Si j’avais été seule, je ne me serais pas plus facilement débrouillée au milieu de ces galeries immenses qui se croisent dans tous les sens, montent à tous les étages, que dans un labyrinthe inconnu. Ah! quelle lanterne magique que ces immenses magasins, où passent sans cesse, du matin au soir, des milliers de personnes. C’est très amusant à voir quand on n’a pas besoin d’acheter; car j’aime mille fois mieux faire mes emplettes tranquillement, chez moi, le catalogue en main, examinant et comparant les échantillons dont les magasins sont prodigues. Comme cela, à cent lieues du magasin on fait son choix; dans le magasin c’est impossible. Ces jours derniers, une de mes amies tenant à utiliser son voyage à Paris, s’achète une toilette toute faite. Les essayeuses lui assurent qu’elle lui va divinement. C’est une toilette chère mais qu’importe, mon amie a presque fait le voyage de Paris pour l’acheter. Elle revient enchantée, puis, voilà que dans le calme de sa chambre à coucher, en face de sa psychée, elle s’aperçoit que la fameuse robe ne lui va pas… divinement… mais indignement. Elle en a été quitte pour la retourner. Elle déclare à qui veut l’entendre, qu’on ne l’y reprendra plus.

Bousculé à perpétuité, à peine si l’on peut parler aux commis qui ne savent à qui entendre. Ce n’est peut-être pas toujours de même, il doit y avoir de temps en temps quelques jours de morte saison.

En rentrant pour dîner, nous avons été témoins sur les boulevards, d’un phénomène qui n’a été que plaisant, mais qui aurait pu être fort dangereux. Les câbles pour l’éclairage à l’électricité passent sous les rues. A la hauteur du café Napolitain, un courant par dérivation s’est, paraît-il, produit sous la chaussée, et une déperdition d’électricité se faisait à travers le pavage en bois (le pavage en bois, encore une innovation qui ne me plaît guère; chevaux et voitures sont près de vous avant que vous ne les ayez entendus); si bien que les chevaux, en arrivant à cet endroit, étaient tout à coup pris d’une danse folle; au moment même où leur sabot garni de fer touchait un certain point de la chaussée, les pauvres quadrupèdes subitement électrisés faisaient des bonds désordonnés, peu en rapport avec leur allure fatiguée généralement. Il y a eu bien vite rassemblement, c’était un spectacle inusité qui a duré jusqu’au moment où les gardiens sont venus interrompre la circulation, car on craignait de graves accidents. On est allé chercher des ouvriers électriciens pour couper les fils; mais on pense que tout cela va prendre du temps et que les boulevards courent risque d’être plongés dans une obscurité complète.

L’Hôtel des Ventes de la rue Drouot est un endroit «bien parisien.» Tout le monde y est entré au moins une fois dans sa vie pour voir ce que c’est, et j’ai voulu faire comme tout le monde. C’est l’hôtel du bric à brac, le très beau coudoie le très laid; et parfois de belles antiquités sont éclipsées par le moderne tapageur qui saute aux yeux. Je suis de l’avis de ce monsieur qui ne faisait collection que de porcelaines modernes. «Collectionner du nouveau, c’est insensé», lui disait un amateur qui n’aimait que le vieux. «Pardon, quand j’achète du moderne, je suis sûr de ne pas être trompé, on ne me vendra jamais de vieilles porcelaines pour des modernes, tandis que vous, collectionneur de pièces authentiques, vous risquez tous les jours d’acheter du neuf pour du vieux.»

C’est à l’Hôtel des Ventes qu’on peut philosopher et réfléchir aux vicissitudes humaines. Le mobilier de plus d’un personnage célèbre est venu s’échouer là. Ce dispersement des objets familiers qui lui furent chers est comme l’émiettement de sa vie. Que de souvenirs personnels jetés ainsi aux quatre vents de l’indifférence!..

L’Hôtel des Ventes est aussi un hôtel où la misère vient souvent frapper… Que de chose luxueuses vendues hier, pour acheter le pain de demain!.. Douloureuse étape pour la fortune devenue infortune. C’est ici que les cœurs sensibles peuvent venir s’attrister, les naïfs se faire voler, les malins trouver des occasions et les brocanteurs s’enrichir!

La famille Benoîton, avec Mademoiselle Réjane, une grande artiste, nous a fait passer une bien agréable soirée. Quoiqu’elle soit vieille d’un quart de siècle, cette pièce n’a pas vieilli. En effet, si j’ai bonne mémoire, c’est le 4 novembre 1865, qu’elle vit le jour, ou plutôt la lumière, sur la scène de l’ancien Vaudeville. Elle reste jeune, parce qu’elle est vraie et que Sardou a su peindre des caractères. Je pense cependant que ces caractères sont l’exception, et j’espère que les étrangers ne s’imaginent pas que toute la société parisienne ressemble au tableau qu’en a peint M. Sardou.

C’est une satire un peu exagérée de nos mœurs. Si les individus passent, l’humanité reste avec ses mêmes défauts et ses mêmes qualités, et à côté de tant de familles dignes et respectables, il y aura toujours des familles Benoîton. Des mères écervelées et sans cesse sorties, des jeunes femmes imprudentes, des jeunes filles légères et parlant argot, des pères uniquement occupés d’argent; en un mot, il y aura toujours des intérieurs dont la devise sera: luxe et plaisir.

Le théâtre de l’Odéon est le second théâtre français, c’est-à-dire qu’on y joue supérieurement, puisque tous ses artistes vont ensuite à la Maison de Molière chercher la consécration de leur talent. Comme au Théâtre Français la diction est donc parfaite, le style excellent, le naturel complet. On souligne le mot, juste ce qu’il faut pour qu’il ne soit pas trop accentué. On s’imagine qu’à la fin de la représentation tous les artistes doivent être bien fatigués. Ils se sont dépensés sans compter; identifiés à leur personnage, pénétrés de leur rôle, on pense que les émotions qui ont gagné tout l’auditoire, et qu’ils ont si bien rendues, ont dû les épuiser. Il paraît que non. Le talent doit être avant tout le fruit de l’étude, de l’effet cherché et voulu, pour chaque phrase, on pourrait dire pour chaque mot. C’était du reste un principe de Talma, que pour faire beaucoup d’effet, il ne faut plus que le rôle vous en fasse à vous-même, autrement qu’arrive-t-il? on joue suivant les dispositions du moment, on se laisse guider par les situations, entraîner par la passion et comme cela on est un jour bon et le lendemain mauvais. Le jeu ne peut être égal que si l’on est avant tout parfaitement maître de soi.

On raconte que Talma apprenant la mort de sa fille jeta une exclamation douloureuse. C’était le cri du père, mais presque aussitôt l’artiste reprit le dessus et il murmura: «Ah! si je pouvais retrouver ce cri-là sur la scène!» Si cela est vrai, la recherche de l’effet pourrait donc chez certains acteurs dominer tous les sentiments.

Samedi, 28 Septembre 1889.

Le Palais des Machines

Ah! ce Palais, il confond l’esprit, saisit l’imagination, éblouit les yeux, assourdit les oreilles. C’est un ensemble absolument indescriptible, c’est l’apothéose du métal; c’est la plus haute expression des arts mécaniques arrivés à leur apogée, sauf pour l’électricité, qui n’a pas dit son dernier mot et qui, jouant un rôle aussi important quoique plus nouveau que la vapeur, pourrait bien la détrôner un jour.

Les électriciens, ça ne doute de rien; ils assurent que l’électricité arrivera à tout faire, à éclairer la maison, à cuire le rôti, à faire rouler les voitures, etc., etc. La voilà déjà en Amérique qui remplace la corde et le couperet. D’un seul coup de baguette, c’est-à-dire d’une simple décharge, elle envoie de vie à trépas les condamnés, sans qu’ils s’en aperçoivent. Allons, encore quelques perfectionnements et elle sera capable de ressusciter les morts!

Ce colossal palais des machines est dans son genre d’une conception aussi audacieuse, aussi gigantesque que la Tour Eiffel. C’est une merveille d’équilibre et de hardiesse, de force et de légèreté. Le Palais des Machines a cent quinze mètres de largeur, sur quatre cent vingt mètres de longueur, sa hauteur est de quarante-huit mètres. L’Arc de Triomphe de l’Etoile pourrait s’y loger, aussi bien que la colonne Vendôme, qui n’atteindrait pas son sommet. En totalisant les espaces qu’offrent ce Palais et ses galeries, on arrive au chiffre étonnant de quatre-vingt mille quatre cents mètres carrés – huit hectares! Une armée de trente mille hommes pourrait y dormir à l’aise, chaque homme disposant de plus de deux mètres carrés, et les dégagements restant libres, quinze mille chevaux pourraient y être installés, pendant que leurs cavaliers coucheraient dans les galeries du premier étage. Voilà ses proportions!

Dans cet immense hall pas un coin n’est inoccupé. Partout le travail et le mouvement sans arrêt; partout des représentants des œuvres les unes géantes, les autres minuscules.

Il y a là des merveilles de mécanique. La métallurgie, la fonderie, ont fait d’immenses progrès. Nous revenons à l’âge de fer du monde civilisé; ce métal devient le roi des constructions et prend la place du bois et même de la pierre, il se plie à tous les besoins, gardant sous un petit volume une force énorme. Cet amoncellement fantastique de fer, de fonte, de bronze, de cuivre, donne bien cette impression de vacarme pétrifié dont parle Victor Hugo. Il y a des choses qui frappent même les moins compétents. Une scie sans fin, en acier, d’une longueur de trente-cinq mètres cinquante, des blindages extravagants, il y en a qui pèsent vingt-huit mille kilos; effrayant aussi le facsimile d’un lingot d’acier de cent mille kilos.

Il y a des machines charmantes qui font les plus jolies et les meilleures choses du monde. On dirait que les inventeurs de ces machines leur ont communiqué leur intelligence. Elles font tout ce qu’on veut: des dragées, des bonbons, des fleurs, des rubans et des dentelles; elles fabriquent des chaudières et tricotent des bas; elles ravaudent le linge et tissent merveilleusement le coton, la laine, la soie.

Ce sont des ouvrières incomparables!

Après les machines aimables, il y a les machines effrayantes qui hachent, coupent, brisent, broient tout et qui fabriquent de tels engins de destruction qu’elles finiront, j’espère, par rendre la guerre impossible.

A la hauteur de sept mètres, deux grands ponts roulants à l’électricité, marchent constamment d’un bout à l’autre de cette titanesque Galerie des Machines, ce qui permet aux visiteurs qu’ils promènent, d’embrasser d’un coup d’œil cet ensemble colossal, et l’on passe ébloui, fasciné de section en section, de galerie en galerie, de palais en palais, on admire, on admire encore, on admire toujours!.. mais l’on ne peut retenir que ce qui frappe davantage.

Dimanche, 29 Septembre 1889.

Grand’messe à Saint-Sulpice. – Exposition
Fontaines lumineuses
Embrasement de la Tour

C’est donc aujourd’hui le grand jour des récompenses: jour de joie pour les uns, jour de déception pour les autres.

La matinée est belle, le soleil luit sur les têtes et l’espérance dans les cœurs. Ce soir il y aura moins d’heureux.

Notre programme est arrêté: grand’messe à Saint-Sulpice; après le déjeuner, un tour aux Champs-Elysées, pour voir défiler le cortège se rendant au Palais de l’Industrie; dîner à l’Exposition, afin d’assister le soir aux jeux des fontaines lumineuses et à l’embrasement de la tour. Il faut nous hâter, les soirées deviennent de plus en plus fraîches.

Après la grand’messe officiée solennellement, j’ai parcouru cette belle église de Saint-Sulpice, dont le portail est de Servandoni. La chaire remarquable fut donnée par le cardinal de Richelieu, les bénitiers formés de deux gigantesques conques marines, par François Ier. J’ai surtout admiré les belles peintures de la chapelle des Anges, la lutte de Jacob; Héliodore, chassé du temple, saint Michel terrassant le démon, qui sont d’Eugène Delacroix. Ces peintures commencées en 1840 furent payées vingt mille francs au grand artiste. Deux autres églises seulement Saint-Denis du Saint-Sacrement et Saint-Paul-Saint-Louis, possèdent deux toiles de ce maître: La déposition de la Croix, peinture murale payée six mille francs, en 1843, et Jésus au Jardin des Oliviers, payée deux mille quatre cents francs, en 1827. Ces peintures sont aujourd’hui d’une valeur inestimable. L’église Saint-Sulpice fut fermée pendant la Révolution. Le gouvernement l’accorda ensuite aux Théophilantropes, qui l’appelèrent le Temple de la Victoire. Le 5 novembre 1799, il y fut donné un grand banquet au général Bonaparte.

L’église Saint-Sulpice, au dire des connaisseurs, n’est point un modèle d’architecture, peu m’importe. Avec ses tours, ses grandes baies, ses colonnes, son vaste perron, je lui trouve fort grand air et elle me plaît ainsi. La belle fontaine qui la précède semble faire partie de son ornementation, c’est ainsi que l’a compris son auteur Visconti, puisqu’elle abrite dans ses niches quatre maîtres de l’éloquence sacrée: Bossuet, Massillon, Fénelon et Fléchier.

Dès une heure, une foule compacte envahit les Champs-Elysées. C’est un enchevêtrement de piétons et de voitures, qui donne le frisson. On n’avance qu’à tour de roues, les moyeux se touchent et nous sentons sur nos épaules les naseaux du cheval traînant la voiture qui nous suit. Nous regardons de très loin le nombreux défilé qui escorte le carosse présidentiel. Après avoir entrevu le visage glacial de Monsieur Carnot, nous nous sauvons à l’Exposition.

Dans de pareilles foules, on peut dire qu’on ne se rend compte de rien, c’est en lisant le programme que l’on voit mieux la fête. Le voici:

La cérémonie des récompenses aura lieu au Palais de l’Industrie.

Vu l’exiguité de la nef, les récompensés ne seront admis que depuis les médailles d’argent jusqu’aux grandes médailles d’honneur. Les récompenses plus modestes seront remises ultérieurement; d’ailleurs on n’aurait pas le temps de tout distribuer en un jour.

Cinq mille hommes de troupes en grande tenue, cavalerie, infanterie et artillerie, occuperont une partie des Champs-Elysées, de la place de la Concorde et du Cours-la-Reine.

Sur le passage du Président de la République, les musiques joueront, les tambours, les clairons, les trompettes battront, sonneront aux champs.

A l’intérieur ce sera la même chose, l’éloquence et la musique complèteront cette fête superbe. On jouera la Marche héroïque de Saint-Saëns comme ouverture; La Marseillaise, à l’arrivée du Chef de l’Etat; pendant le défilé des groupes français et étrangers, le chœur des Soldats, de Faust, l’Apothéose de la Symphonie triomphale de Berlioz et le cortège du premier acte d’Hamlet; entre les deux discours officiels. Lux, paroles de Victor Hugo, musique de B. Godard.

La proclamation des récompenses sera divisée en trois parties, annoncées chacune par des Fanfares écrites spécialement pour la circonstance par M. Léo Delibes. Enfin, la cérémonie sera terminée par la finale du deuxième acte du Roi de Lahore, de M. Massenet, suivi d’une reprise de la Marseillaise. L’orchestre et les chœurs, composés des artistes de la Société des concerts, de l’Opéra, et de l’Opéra-Comique, auxquels seront adjointes les deux musiques de la garde républicaine et de l’école d’artillerie de Vincennes, formeront un total de huit cents exécutants, sous la direction de M. Jules Gracin, chef d’orchestre du Conservatoire.

Le défilé sera composé ainsi:

Les comités étrangers, classés par ordre alphabétique, ayant à leur tête, autour du drapeau, les gardiens de leur section ou de leur pavillon; un peloton de soldats français; les neuf comités français de groupe précédés de bannières; enfin, les commissariats de l’Algérie, de la Tunisie, des colonies et des pays de protectorat.

Il descendra par le grand escalier, traversera la salle dans sa partie centrale et dans toute sa longueur, puis faisant un crochet à droite, passera au pied de la tribune présidentielle en faisant doucement flotter les drapeaux et les étendards.

Ensuite, il pénètrera par une porte latérale sur la scène, où il prendra place.

Au moment de l’entrée du public, le rideau sera baissé. Il ne sera levé que lorsque l’orchestre aura attaqué son premier morceau. A ce moment, la scène sera déjà occupée par les gardiens français de classes portant leurs bannières. Ceux-ci ne prendront pas part au défilé.

Quand le cortège sera arrivé et placé, les groupes seront disposés sur la scène de la façon suivante:

Sur l’avant-scène, deux cent vingt-cinq places auront été réservées aux membres du jury. De chaque côté, quatre porteurs de bannière de groupes français prendront place. La neuvième bannière se tiendra au centre, derrière le jury. Sur les degrés qui conduisaient à l’autel de la Patrie, pour l’Ode triomphale, seront groupés les étrangers, ayant tout autour d’eux les gardiens français de classe. Au fond de la scène, figureront les colonies.

On le voit, rien n’a été négligé pour donner à cette cérémonie le plus d’apparat possible.

Le richissime M. Osiris offre un prix de cent mille francs. Ce prix est destiné à l’auteur de l’œuvre la plus utile figurant à l’Exposition.

Le comité a examiné successivement toutes les candidatures possibles, les inventeurs, les philantropes et même les gastronomes. Tout en rendant hommage aux architectes des autres constructions de l’Exposition, la majorité des membres du syndicat s’est accordée pour décerner le prix Osiris à tous les constructeurs de la Galerie des Machines. Ils ont jugé que leur œuvre, aussi imposante que la tour Eiffel et aussi saisissante par ses vastes dimensions, avait réalisé un immense progrès dans l’art des constructions utiles.

Le commissariat de la section des colonies françaises publiera, en même temps que le palmarès officiel, un palmarès spécial des récompenses accordées à nos exposants d’outre-mer.

Ces récompenses, au nombre de mille deux cent dix-sept, sont ainsi réparties:

Quinze grands prix,

Cent soixante-deux médailles d’or,

Trois cent vingt-et-une médailles d’argent,

Trois cent vingt-six médailles de bronze,

Trois cent quatre-vingt-treize mentions honorables.

En 1878, les exposants des colonies françaises n’avaient obtenu que sept cent soixante-cinq récompenses.

Plus on va à l’Exposition, plus on a envie d’y aller. Je déclare, en conscience, qu’il faudrait largement les six mois qu’elle durera pour tout voir, et encore… Aujourd’hui, cependant, nous n’avons fait que flâner. Nous nous sommes amusées à regarder passer les passants… qui passaient. Le spectacle des visiteurs eux-mêmes constitue la plus vaste section de l’Exposition; que de physionomies particulières, de types exotiques, de toilettes fantaisistes. Nous sommes allées prendre une glace ici, un bock là. Nous nous sommes assises pour écouter les musiques de toutes sortes qui se font entendre un peu partout. La musique étrange et pittoresque des Tziganes dans leurs costumes flamboyants m’a surtout frappée. C’est vraiment merveilleux de voir avec quelle volubilité et en même temps quelle perfection ces virtuoses, qui sont surtout musiciens d’instinct et n’ont fait aucune étude sérieuse, font résonner le violon, la flûte de Pan et leurs instruments nationaux. Leur chef, Miéhesi Nestulescou, un nom qui n’est pas facile à retenir, est un violoniste hors ligne; ses solos, pleins de couleur et d’originalité, admirablement soutenus par l’orchestre, m’ont paru délicieux. En revanche, le Cheval dans les Steppes, solo de musique imitative avec la flûte de Pan, m’a plus étonnée que charmée: c’est un peu trop roumain pour moi; mais c’est égal, un concert comme celui-là de temps en temps ferait plaisir. Nous avons aussi entendu le Xilophone et l’Ocarina: celui-ci est un petit instrument en terre, une petite poterie trouée et l’autre un instrument en bois, un petit clavier sur lequel on frappe avec deux baguettes de fer. Les artistes qui manient ces instruments, de la main ou des lèvres, en tirent des sons d’une douceur infinie et d’une justesse extrême. Orphée avait le don d’animer les pierres; ici c’est la terre et le bois qui parlent. On peut encore entendre la musique caractéristique du tambourin, du galoubet, du biniou, de la cornemuse, de la vielle, de la mandoline, de la guitare, sans oublier les instruments pittoresques propres à chaque peuple et les grandes auditions: concours, festivals et concerts.

Nous sommes allées dîner aux Bouillons Duval. Il y avait foule pour y arriver. Nous avons dû serpenter près d’une heure et nous armer de patience. Nous nous sommes mises à table à sept heures et demie; mais je pense que les derniers n’auront pas dîné avant neuf heures.

Puis, nous sommes allées prendre nos places aux Fontaines lumineuses. C’est un spectacle magique, difficile à décrire. Comment peindre la transparence, la limpidité de ces cascades aériennes, s’irradiant de toutes les couleurs du prisme, de ces gerbes lumineuses s’élançant dans la nue, semblables à des flocons de neige argentée, à des nappes d’or en fusion. Comment dépeindre et l’embrasement de la tour qui fait pâlir les étoiles et paraît tout en feu dans la nuit sombre, et ses projections électriques. De son phare, se détache un fil mince et lumineux qui, traversant l’espace vient envelopper d’une clarté céleste les groupes sculpturaux des jardins, ou couronner d’un nimbe vaporeux le génie triomphant.

Ces projections électriques s’étendent, par les nuits claires, jusqu’à dix kilomètres. Leur puissance lumineuse peut atteindre l’intensité de seize millions de becs Carcel. Les savants expliquent très bien tout cela et le jeu de ces fontaines multicolores et les projections lumineuses; moi, je me contente de les regarder sans chercher les explications, et c’est le conseil que je donne à tous les curieux: Venez et admirez.

Nouvelle de la dernière heure: on annonce la prochaine arrivée à Paris de cinq cents highlanders, qu’un de leurs compatriotes, le colonel écossais David White, conduit en corps visiter l’Exposition.

Voilà qui nous promet une triomphale exhibition de mollets!

Lundi, 30 Septembre 1889.