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Les nuits mexicaines

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XVIII
LE GUET-APENS

Pendant quelques minutes encore, après le départ du guérillero, la triste caravane continua silencieusement sa route.

Cependant les dernières paroles prononcées par Cuellar avaient porté; le comte et le vaquero se sentaient inquiets, malgré eux et sans oser se communiquer leurs sombres pressentiments, ils n'avançaient qu'avec une excessive prudence, humant l'air pour ainsi dire et tressaillant au moindre bruissement suspect dans les halliers.

Il était un peu plus de cinq heures du matin, on était à cette minute extrême, où la nature semble pour un instant se recueillir, et où le jour et la nuit luttant à force presqu'égale se fondent l'un dans l'autre et produisent cette lueur d'opale, dont les teintes vaporeuses prêtent aux objets une apparence vague et indéterminée qui leur donne quelque chose de fantastique, une vapeur grisâtre montait de la terre vers le ciel et produisait un brouillard transparent que les rayons de plus en plus forts du soleil déchiraient par place, illuminant une partie du paysage et laissant l'autre dans l'ombre; en un mot, ce n'était plus la nuit sans être encore le jour.

Au loin, les dômes nombreux des édifices de Puebla apparaissaient, se détachant en masses confuses sur le bleu sombre du ciel; les arbres lavés par l'abondante rosée de la nuit étaient plus verts; à chacune de leurs feuilles tremblotait une gouttelette d'eau cristalline et leurs branches agitées par la brise matinale s'entrechoquaient doucement avec de mystérieux murmures; déjà les oiseaux blottis sous la feuillée préludaient par de petits cris d'appel à leurs joyeux concerts, et les bœufs sauvages élevaient çà et là leurs têtes effarées au-dessus des hautes herbes en poussant de sourds mugissements.

Les fugitifs suivaient un sentier tortueux assez profondément encaissé à droite et à gauche par des soulèvements factices du terrain occasionnés par la culture des agaves qui limitaient l'horizon à un cercle excessivement restreint et empêchaient de surveiller les environs aussi sérieusement que peut-être il eût été nécessaire de le faire pour la sûreté générale de la caravane.

Le comte se rapprocha de Dominique et se penchant légèrement sur sa selle:

– Mon ami, lui dit-il d'une voix basse et étouffée, je ne sais pourquoi, mais je sens une inquiétude extrême; les adieux de ce bandit m'ont douloureusement frappé; ils me semblent nous présager un malheur prochain, terrible et inévitable, cependant nous ne sommes plus qu'à une faible distance de la ville et la tranquillité qui règne autour de nous devrait me rassurer.

– C'est cette tranquillité, répondit sur le même ton le jeune homme, qui comme toi me remplit d'une angoisse inexprimable; moi aussi j'ai le pressentiment d'un malheur, nous sommes ici dans un guêpier, l'endroit est des mieux choisis pour une embuscade.

– Que faire? murmura le comte.

– Je ne sais trop, le cas est difficile, cependant je suis convaincu qu'il nous faut redoubler de prudence. Place don Andrés et sa fille à l'avant-garde, avertis les peones de marcher la barbe sur l'épaule, le doigt sur la gâchette des fusils, sois prêt à la moindre alerte; pendant ce temps, j'irai, moi, à la découverte, et si l'ennemi est à notre poursuite, je saurai le dépister mais ne perdons pas un seul instant.

Tout en parlant ainsi, le vaquero avait mis pied à terre, et après avoir jeté à un péon la bride de son cheval, il avait mis son fusil sous son bras gauche, avait gravi la pente de droite, et presqu'aussitôt il avait disparu au milieu des buissons qui bordaient le sentier.

Demeuré seul, le comte se mit immédiatement en devoir de suivre les conseils de son ami; en conséquence, il forma des peones, les plus résolus et les mieux armés, une arrière-garde, en leur intimant l'ordre de surveiller attentivement les abords de la route, tout en leur dissimulant, de crainte de les effrayer, la gravité des événements qu'il prévoyait.

Le mayordomo, comme s'il eût deviné les inquiétudes du comte et eût partagé ses soupçons d'une attaque prochaine, avait placé don Andrés et sa fille au milieu d'un petit groupe de serviteurs dévoués dont il avait pris le commandement et pressant les chevaux il avait laissé entre lui et le gros de la caravane un intervalle d'une centaine de pas.

Doña Dolores, accablée par les émotions terribles de la nuit, n'avait prêté que fort peu d'attention aux dispositions prises par ses amis et avait suivi machinalement l'impulsion nouvelle qui lui avait été donnée, n'ayant pas selon toute probabilité conscience du nouveau danger qui la menaçait, et ne songeant qu'à une chose, veiller sur son père dont l'état de prostration devenait de plus en plus alarmant.

En effet, depuis son départ de l'hacienda, malgré les prières de sa fille, don Andrés n'avait pas prononcé une parole, le front pâle, les yeux fixes et sans regard, la tête inclinée sur la poitrine, le corps agité par un tremblement nerveux continu, plongé dans un sombre désespoir, il laissait à son cheval le soin de le conduire sans paraître savoir où il allait, tant la douleur avait brisé en lui toute énergie et toute volonté.

Leo Carral dévoué à son maître et à sa jeune maîtresse et comprenant combien au cas probable d'une attaque le vieillard serait incapable d'opposer la moindre résistance, avait surtout recommandé aux serviteurs qu'il avait choisis, pour servir d'escorte à don Andrés, de ne pas le perdre de vue et au moment du combat d'essayer par tous les moyens de le sortir de la mêlée et de le mettre autant que possible à l'abri du péril, puis, sur un signe que le comte lui avait fait, il avait tourné bride et avait été le rejoindre.

– Vous avez, je le vois, dit le comte, eu comme moi le pressentiment d'un danger.

Le mayordomo hocha la tête.

– Don Melchior n'abandonnera pas la partie, répondit-il, avant qu'elle soit définitivement gagnée ou perdue pour lui.

– Le soupçonnez-vous donc capable d'un aussi horrible guet-apens?

– Cet homme est capable de tout.

– Mais alors c'est un monstre?

– Non, répondit doucement le mayordomo, c'est un sang mêlé, un envieux, et un orgueilleux, qui sait que la fortune seule peut lui faire obtenir l'apparente considération qu'il convoite; tous les moyens lui seront bons pour obtenir cette considération.

– Même un parricide?

– Même un parricide.

– Ce que vous me dites-là est épouvantable.

– Que voulez-vous, señor? Cela est ainsi.

– Grâce à Dieu, nous approchons de Puebla, une fois dans la ville nous n'aurons plus rien à redouter.

– Oui, mais nous n'y sommes pas encore; vous connaissez aussi bien que moi le proverbe, seigneurie.

– Quel proverbe?

– Celui-ci: entre la coupe et les lèvres, il y a place pour un malheur.

– J'espère que cette fois vous vous tromperez.

– Je le souhaite, mais vous m'aviez appelé, seigneurie.

– En effet, j'avais une recommandation à vous faire.

– Je vous écoute.

– Au cas où nous serions attaqués, j'exige que vous nous abandonniez à nos propres forces, et que vous vous sauviez à toute bride vers Puebla, en emmenant avec vous don Andrés et sa fille, pendant que nous combattrons. Peut être aurez-vous le temps de les mettre en sûreté derrière les murailles de la ville.

– Je vous obéirai, seigneurie; on n'arrivera à mon maître qu'en passant sur mon cadavre. N'avez-vous rien de plus à me dire?

– Non, retournez donc à votre poste, et à la grâce de Dieu!

Le mayordomo salua et rejoignit au galop la petite troupe au centre de laquelle marchaient don Andrés et sa fille.

Presqu'au même instant Dominique reparut sur le bord du sentier; il reprit son cheval et vint se placer à la droite du comte.

– Eh bien? lui demanda celui-ci, as-tu découvert quelque chose?

– Oui et non, répondit-il à demi voix.

Son visage était sombre, ses sourcils froncés à se joindre; le comte l'examina attentivement pendant un instant, et sentit redoubler son inquiétude.

– Explique-toi, lui dit-il enfin.

– A quoi bon, tu ne me comprendrais pas.

– Peut-être! Parles toujours.

– Voici le fait, à droite, à gauche et en arrière la plaine est complètement déserte; j'en ai acquis la certitude. Le danger, si véritablement il existe, n'est donc pas à redouter de ce côté, si un piège nous est tendu, si des ennemis embusqués se préparent à fondre sur nous, ce piège est en avant, ces ennemis sont cachés entre la ville et nous.

– Qui te fait supposer cela?

– Des indices pour moi certains, et que ma longue habitude du désert m'a fait reconnaître du premier coup; dans les régions où nous sommes les hommes négligent généralement toutes ces précautions usitées dans les prairies, et dont l'oubli d'une seule entraînerait la mort immédiate de l'imprudent chasseur ou guerrier qui aurait dénoncé ainsi sa présence à ses ennemis; ici, les pistes sont faciles à reconnaître et plus faciles à suivre, car elles sont parfaitement visibles pour l'œil même le plus inexpérimenté; écoute bien ceci: depuis l'Arenal, nous avons été je ne dirai pas suivi, le terme n'est pas juste en cette circonstance, mais flanqué à notre droite par une nombreuse troupe de cavaliers qui à une distance d'une portée de fusil tout au plus galopait dans la même direction que nous; cette troupe, quelle qu'elle soit, a fait un crochet à une demi lieue d'ici, s'appuyant un peu sur la gauche, comme si elle voulait se rapprocher de nous, puis elle a redoublé de vitesse, nous a dépassés, et s'est engagé devant nous dans le sentier sur lequel nous sommes, de sorte que nous la suivons en ce moment.

– Tu conclus de cela?

– Je conclus que la situation est grave, critique même et que, quelles que précautions que nous prenions, je crains bien que nous ayons affaire à trop forte partie; remarques comme le sentier se rétrécit peu à peu, comme les bords de la route s'escarpent, nous nous trouvons maintenant dans un cañon, dans un quart d'heure, vingt minutes au plus, nous atteindrons l'endroit où ce cañon débouche dans la plaine: c'est là, sois-en sûr, que nous attendent ceux qui nous guettent.

 

– Mon ami, cela n'est que trop clair; malheureusement nous n'avons aucun moyen de nous soustraire au sort qui nous menace, il nous faut pousser en avant quand même.

– Je le sais bien, et c'est ce qui me chagrine, dit le vaquero, avec un soupir étouffé, en jetant à la dérobée un regard vers doña Dolores; s'il ne s'agissait que de nous la question serait bientôt tranchée, nous sommes des hommes et nous saurons bravement nous faire tuer, mais ce vieillard et cette pauvre innocente enfant, notre mort les sauvera-t-elle?

– Du moins nous tenterons l'impossible pour qu'ils ne tombent pas aux mains de leurs persécuteurs.

– Voici que nous approchons du point suspect, pressons le pas afin d'être prêts à toute éventualité.

Ils mirent leurs chevaux au galop.

Quelques minutes s'écoulèrent, ils atteignirent enfin un endroit où le sentier, avant que de déboucher dans la plaine, faisait un coude assez brusque.

– Attention, dit le comte à voix basse.

Chacun appuya le doigt sur la gâchette.

Le coude fut passé, mais soudain toute la cavalcade s'arrêta avec un frissonnement de surprise et de crainte.

L'entrée du cañon était barrée par une forte barricade faite avec des branches, des arbres et des pierres jetées en travers du sentier, derrière cette barricade une vingtaine d'hommes se tenaient immobiles et menaçants; aux rayons du soleil levant on voyait étinceler les armes d'autres individus qui à droite et à gauche couronnaient les hauteurs.

Un cavalier fièrement campé au milieu du sentier se tenait un peu en avant de la barricade.

Ce cavalier était don Melchior.

– Ah! Ah! dit-il avec un ricanement ironique, chacun son tour, caballeros, je crois que c'est moi en ce moment qui suis maître de la situation et en mesure d'imposer des conditions.

Le comte sans se déconcerter se rapprocha de quelques pas.

– Prenez garde à ce que vous voulez faire, señor, répondit-il; un traité a été loyalement conclu entre votre chef et nous, toute infraction à ce traité serait une trahison et le déshonneur en retomberait sur votre chef.

– Bon, reprit don Melchior, nous sommes des partisans nous autres, nous faisons la guerre à notre mode sans nous inquiéter de ce qu'on en pourra penser, au lieu d'entamer une discussion oiseuse et qui ne saurait avoir de résultat favorable pour vous, il serait il me semble plus sensé de vous informer à quelles conditions je consentirai à vous ouvrir passage.

– De conditions? Nous n'en accepterons aucune, caballero, et si vous ne consentez pas à nous laisser passer nous pourrons vous contraindre à le faire, si graves que doivent être pour vous et pour nous les conséquences d'une lutte.

– Essayez, répondit-il avec un sourire ironique.

– C'est ce que nous allons faire.

Don Melchior haussa les épaules et se tournant vers ses partisans:

– Feu, dit-il.

Une effroyable détonation se fit entendre et un ouragan de fer s'abattit sur la petite troupe.

– En avant! En avant! cria le comte.

Les peones s'élancèrent avec des hurlements de colère contre la barricade.

La lutte était engagée, lutte terrible, épouvantable, car les peones savaient qu'il ne leur serait pas fait quartier par leurs féroces adversaires et ils combattirent en conséquence, faisant des prodiges de valeur, non pas pour vaincre, ils ne le croyaient pas possible, mais pour ne pas tomber sans vengeance.

Don Andrés s'était arraché des bras de sa fille qui vainement avait essayé de le retenir, et armé seulement d'une machette il s'était résolument jeté au plus fort de la mêlée.

L'élan des peones avait été si impétueux que la barricade avait été franchie du premier bond et les deux partis s'étaient attaqués à l'arme blanche, trop rapproché, l'un de l'autre pour se servir de leur fusils ou de leurs pistolets.

Les partisans, placés sur les hauteurs, étaient forcément réduits à l'inaction par la crainte de blesser leurs amis, tant les deux troupes s'étaient confondues.

Don Melchior était loin de s'attendre à une si vigoureuse résistance de la part des peones; grâce à la position avantageuse qu'il avait choisie, il avait cru la victoire facile et il avait compté sur une soumission immédiate. L'événement dérangeait singulièrement ses calculs, les conséquences de son action commençaient à lui apparaître: Cuellar, qui aurait sans doute pardonné une trahison accomplie sans coup férir, ne lui pardonnerait pas d'avoir ainsi fait tuer sottement ses soldats les plus braves.

Ces pensées redoublaient la rage de don Melchior.

Cependant la petite troupe horriblement décimée ne comptait plus que quelques hommes en état de combattre, les autres étaient morts ou blessés.

Le cheval de don Andrés avait été tué, et le vieillard, bien qu'il perdît son sang par deux blessures, n'en continuait pas moins à combattre.

Tout à coup il poussa un cri terrible de désespoir: don Melchior s'était élancé, d'un bond de tigre, sur le groupe au milieu duquel doña Dolores était réfugiée. Renversant et abattant tous les peones qui se trouvaient sur son passage, don Melchior avait saisi la jeune fille; malgré sa résistance, il l'avait jetée en travers sur le cou de son cheval, et franchissant tous les obstacles, il s'était mis à fuir sans s'occuper d'avantage du combat soutenu par ses compagnons.

Ceux-ci, en se voyant ainsi abandonnés renoncèrent à continuer un combat désormais sans but pour eux et, sans doute par suite d'un ordre précédemment donné, ils se dispersèrent dans toutes les directions, laissant les peones libres de continuer leur chemin vers Puebla si tel était leur désir.

L'enlèvement de doña Dolores avait été si rapidement exécuté par don Melchior que nul ne s'en était aperçu dans le premier moment et que le cri de désespoir poussé pardon Andrés avait seul donné l'alarme.

Sans calculer le danger auquel ils s'exposaient, le comte et le mayordomo s'étaient lancés à la poursuite de don Melchior.

Mais le jeune homme, monté sur un cheval de prix, avait sur leurs chevaux fatigués une avance considérable qui s'accroissait d'instant en instant.

Dominique jeta un regard sur don Andrés gisant renversé sur le sol et le relevant doucement:

– Ayez bon espoir, señor, lui dit-il, je sauverai votre fille.

Le vieillard joignit les mains en le regardant avec une expression d'indicible reconnaissance, et il s'évanouit.

Le vaquero remonta sur son cheval et lui enfonçant les éperons aux flancs, il laissa don Andrés entre les mains de ses serviteurs et à son tour il se mit à la poursuite du ravisseur.

Cependant la poursuite continuait: il ne fallait qu'un instant au vaquero pour acquérir la certitude que don Melchior, mieux monté que lui et ses amis, ne tarderait pas à se trouver hors de portée.

Le jeune homme, qui jusque-là avait galopé en ligne droite à travers terre, fit soudain un brusque crochet comme si un obstacle imprévu s'était brusquement dressé devant lui et revenant sur la droite il changea de direction, pendant quelques minutes, il parut vouloir se rapprocher de ceux qui le poursuivaient. Ceux-ci essayèrent alors de lui barrer le passage; Dominique, lui, arrêta son cheval, mit pied à terre, puis il arma son fusil.

Don Melchior devait, d'après la direction qu'il suivait en ce moment, passer à environ cent mètres de lui.

Le vaquero fit le signe de la croix, épaula son arme et lâcha la détente.

Le cheval de don Melchior frappé à la tête, roula foudroyé sur le sol, entraînant son cavalier dans sa chute.

Au même instant, une trentaine de partisans apparurent au loin, se dirigeant à toute bride vers le lieu de l'embuscade.

Cuellar galopait à leur tête.

Quelque grande que fût la hâte, mise par le comte et le mayordomo pour se rendre à l'endroit où don Melchior était tombé, Cuellar arriva avant eux.

Don Melchior se releva tout froissé de sa chute, et se pencha vers sa sœur pour l'aider à se redresser; doña Dolores était évanouie.

– ¡Vive Dios! Señor, dit Cuellar d'un ton bourru, vous êtes un rude compagnon; vous pratiquez la trahison et le guet-apens avec un rare talent, mais je veux bien que le diable me torde le cou plus tôt qu'il ne doit le faire, si nous chevauchons plus longtemps de compagnie.

– Vous prenez mal votre temps pour plaisanter, señor, répondit don Melchior; cette jeune dame, qui est ma sœur, est évanouie.

– A qui la faute, s'écria brutalement le partisan, si ce n'est à vous qui, dans le seul but de l'enlever je ne sais dans quelle intention, m'avez fait tuer vingt des hommes les plus résolus de ma cuadrilla? Mais cela ne continuera pas ainsi, j'y mettrai bon ordre, je vous jure.

– Que voulez-vous dire? fit don Melchior avec hauteur.

– Je veux dire que vous me ferez désormais le sensible plaisir d'aller où vous voudrez pourvu que ce ne soit pas avec moi, et que je prétends, à compter de cet instant, ne plus rien avoir de commun avec vous. C'est clair, n'est-ce pas?

– Parfaitement clair, señor, aussi je n'abuserai plus longtemps de votre patience, fournissez-moi les chevaux nécessaires pour ma sœur et pour moi, et aussitôt je vous laisserai.

– Du diable si je vous fournirai rien; quant à cette jeune dame, voici venir plusieurs cavaliers qui, j'en ai peur, vous laisseront difficilement l'emmener avec vous.

Don Melchior blêmit de rage, mais il comprit que toute résistance de sa part était impossible; il croisa les bras sur la poitrine releva fièrement la tête et attendit.

Le comte, le mayordomo et Dominique accouraient en effet.

Cuellar fit quelques pas au devant d'eux, les jeunes gens étaient assez inquiets, ils ne connaissaient pas les intentions du partisan et appréhendaient qu'il ne se déclarât contre eux.

Mais Cuellar se hâta de les désabuser.

– Vous arrivez à propos, señores, leur dit-il amicalement; j'espère que vous ne m'avez pas fait l'injure de supposer que j'étais pour quelque chose dans le guet-apens dont vous avez failli être victime.

– Nous ne l'avons pas cru un instant, señor, répondit poliment le comte.

– Je vous remercie de la bonne opinion que vous avez de moi, señores; sans doute vous venez réclamer que cette jeune dame vous soit remise.

– C'est en effet notre intention, señor.

– Et si je refuse de vous la laisser enlever, dit fièrement don Melchior.

– Je vous brûlerai la cervelle, señor, interrompit froidement le partisan: croyez-moi, n'essayez pas de lutter contre moi, profitez plutôt de la bonne disposition dans laquelle je me trouve en ce moment pour gagner au pied; car je pourrais me repentir bientôt de cette dernière preuve de bonté que je vous donne et vous abandonner à vos ennemis.

– Soit, dit don Melchior avec amertume, je me retire puisque j'y suis contraint; et toisant le comte avec mépris: Nous nous reverrons, señor, ajouta-t-il, et alors, je l'espère, si la force n'est pas entièrement de mon côté, au moins les chances seront-elles égales.

– Déjà vous vous êtes trompé à ce sujet, señor; j'ai trop confiance en Dieu pour croire qu'il n'en sera pas toujours ainsi.

– Nous verrons! répondit-il sourdement en faisant quelques pas en arrière comme pour s'éloigner.

– Et votre père, ne désirez-vous pas savoir quel a été pour lui le résultat de votre guet-apens? lui dit alors Dominique d'un ton de sourde menace.

– Je n'ai pas de père, répondit haineusement don Melchior.

– Non! s'écria le comte avec dégoût, car vous l'avez tué.

Le jeune homme frissonna, une pâleur livide couvrit son visage, un sourire amer contracta ses lèvres minces, et jetant un regard venimeux sur ceux qui l'entouraient:

– Place! cria-t-il d'une voix étranglée; soit, j'accepte cette nouvelle injure, faites place au parricide.

Chacun se recula avec horreur, suivant, d'un œil épouvanté, ce monstre qui s'éloignait calme et paisible en apparence à travers la plaine. Cuellar lui-même le regarda se retirer eu hochant la tête.

– Cet homme est un démon, murmura-t-il, et il fit le signe de la croix.

Geste qui fut pieusement imité par ses soldats. Doña Dolores fut doucement soulevée dans les bras de Dominique, placée sur le cheval du comte et les jeunes gens escortés par Cuellar retournèrent auprès de don Andrés.

Les peones avaient pansé tant bien que mal les blessures de leur maître.

Sur l'ordre du comte, les peones confectionnèrent un brancard avec des branches d'arbres, ils le couvrirent de leurs zarapés, et le vieillard y fut placé côte à côte avec sa fille.

 

Cependant don Andrés était toujours sans connaissance.

Cuellar prit alors congé du comte.

– Je regrette plus que je ne saurais l'exprimer ce malheureux événement, dit-il, avec une certaine tristesse; bien que cet homme soit un Espagnol et, par conséquent, un ennemi du Mexique, cependant le fâcheux état dans lequel je le vois réduit me remplit de compassion.

Les jeunes gens remercièrent le rude partisan de cette preuve de sympathie et après avoir relevé leurs blessés, ils se séparèrent définitivement de lui et reprirent tristement la route de Puebla, où ils arrivèrent, deux heures plus tard, accompagnés de plusieurs des parents de don Andrés qui, avertis par un péon détaché en avant, étaient sortis à leur rencontre.