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Les affinités électives

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Le roman est une épopée subjective dans laquelle l'auteur s'arroge le droit d'arranger le monde à sa manière. Il ne s'agit que de savoir s'il a en effet une manière à lui, le reste va tout seul.

Il est des natures problématiques qui ne suffisent à aucune position et auxquelles aucune position ne saurait suffire, d'où il résulte une lutte dans laquelle la vie s'use sans plaisir et sans profit.

Le véritable bien se fait presque toujours clam, vi et precario.

Un ami joyeux est une chaise roulante pour le chemin de la vie.

Les ordures mêmes brillent quand le soleil les éclaire.

Le meunier s'imagine que le blé ne croit que pour faire marcher son moulin.

Il est difficile d'être juste envers l'instant actuel; s'il est insignifiant, il nous ennuie; s'il est heureux, il faut le soutenir; s'il est malheureux, il faut le traîner.

L'homme le plus heureux est celui qui peut mettre la fin de sa vie en rapport avec le commencement.

L'homme est tellement entêté et contrariant, qu'il ne veut pas qu'on le contraigne à être heureux, tandis qu'il cède au pouvoir qui le force à être malheureux.

Tant qu'on ne regarde que devant soi, on n'a qu'un seul point de vue; mais dès qu'on jette ses regards en arrière, on en a plusieurs.

Toute position qui nous cause chaque jour quelque chagrin nouveau, est fausse.

Lorsqu'on commet une imprudence, on se flatte toujours de la possibilité de s'en tirer par des détours.

Une vérité insuffisante se maintient pendant quelque temps; une brillante erreur la remplace, et le monde s'en contente et l'accepte. C'est ainsi qu'on s'aveugle et qu'on s'étourdit pendant une longue suite de siècles.

Il est fort utile dans les sciences de rechercher les vérités insuffisantes connues des anciens, pour les utiliser et les compléter.

Les opinions avancées ressemblent aux figures de l'échiquier par lesquelles on commence l'attaque; elles peuvent être forcées à la retraite, mais elles ont engagé la partie.

La vérité et l'erreur découlent de la même source; cette conformité, aussi singulière que certaine, nous fait un devoir de ménager plus d'une erreur, par respect pour la vérité qui périrait avec elle.

La vérité appartient aux hommes, et l'erreur au temps; voilà pourquoi on a dit d'un homme remarquable: «Le malheur des temps a causé son erreur, mais la force de son âme l'en a fait sortir avec gloire.»4

Chacun de nous a ses bizarreries dont il ne peut se débarrasser, et souvent les plus inoffensives de toutes causent notre perte.

Celui qui ne s'estime pas trop haut vaut plus qu'il ne croit.

Dans les arts, dans les sciences, comme dans la vie vulgaire, le point le plus important est de voir les objets tels qu'ils sont, et de les traiter selon leur nature.

Les hommes âgés, mais sages et raisonnables, ne dédaignent les sciences que parce qu'ils ont trop demandé d'elles et d'eux-mêmes.

Je plains sincèrement les hommes qui se plaignent sans cesse de l'instabilité des choses de ce monde, et du néant de la vie terrestre. Est-ce que nous ne sommes pas venus sur cette terre pour rendre le périssable impérissable? Et pourrions-nous remplir cette tâche, si nous ne savions pas apprécier l'un et l'autre?

Un phénomène, une expérience pris isolément, ne prouvent rien: c'est l'anneau d'une grande chaîne dont la valeur ne peut être déterminée que par son ensemble. Celui qui cherche à vendre un collier de perles, trouverait difficilement un acquéreur, s'il ne voulait montrer que la plus belle de ses perles, en soutenant que les autres, qu'il cache, sont de la même qualité.

Des images, des descriptions, des mesures, des nombres, des signes, ne seront jamais les équivalents d'un phénomène. Le système de Newton ne s'est si longtemps conservé intact, que parce que les erreurs qu'il contient ont été embaumées dans l'in-4° de la traduction latine.

On ne saurait répéter trop souvent sa profession de foi, et énoncer tout haut son approbation et son blâme; car nos adversaires usent toujours très-amplement de ce moyen.

A l'époque où nous vivons, on ne doit ni se taire ni céder; il faut parler et agir, non pour vaincre, mais pour se maintenir à sa place. Il importe peu que ce poste soit dans la majorité ou dans la minorité.

Ce que les Français appellent tournure, n'est qu'une prétention gracieuse. Chez les Allemands, la prétention est toujours rude et dure, et leurs grâces sont tendres et douces, c'est-à-dire, opposées à la prétention et par conséquent incapables de s'unir avec elle. On voit par là que les Allemands ne sauraient avoir de la tournure.

Quand l'arc-en-ciel se maintient pendant un quart d'heure seulement, personne ne le regarde plus.

Une oeuvre d'art au-dessus de ma portée me déplaît au premier coup d'oeil; mais le sentiment de sa valeur me pousse à l'examiner de plus près, ce qui me procure toujours un double plaisir; car je découvre des mérites nouveaux dans cette oeuvre et des facultés nouvelles en moi.

La foi est un capital secret et domestique, qui ne diffère que sur un point des fonds publics destinés à secourir des malheureux: dans les jours de calamités, chaque individu reçoit avec pompe la part des intérêts de ses fonds publics, tandis qu'on prend soi-même et en silence celle de son capital domestique.

Malgré ses apparences vulgaires et sa facilité à se contenter de la satisfaction des besoins les plus urgents, la vie a des exigences nobles et élevées qu'elle cherche toujours à satisfaire secrètement.

L'obscurantisme ne résulte pas des obstacles qui empêchent la propagation du vrai et de l'utile, mais des efforts que l'on fait pour accréditer le faux.

Depuis que je m'occupe de biographie, je me suis dit que, dans le grand tissu des événements généraux, les hommes remarquables sont la chaîne, et les hommes ordinaires la trame. Les premiers marquent la largeur de ce tissu, les seconds lui donnent de la solidité, et les ciseaux de la Parque en déterminent la longueur; arrêt auquel les uns et les autres sont forcés de se soumettre.

Les Allemands du dix-septième siècle désignaient leur bien-aimée par ce mot pittoresque: (mannrauschlein) petite ivresse d'homme5.

Chère petite âme bien lavée, est l'expression la plus tendre qu'à Hiodensée on puisse adresser à une femme.

Le vrai est un flambeau immense qui nous éblouit, et la crainte de nous brûler fait que nous cherchons à passer le plus vite possible et en clignant des yeux.

Le plus grand tort des hommes sensés, est de ne pas savoir mettre à leur place les paroles des personnes incapables d'exprimer nettement leurs pensées.

Quiconque parle, croit pouvoir raisonner sur les langues.

L'âge rend indulgent: Je ne vois plus aujourd'hui commettre une faute sans me dire que je m'en suis moi-même rendu coupable dans le cours de ma vie.

La chaleur de l'action étouffe les scrupules; la contemplation rend consciencieux.

Les gens heureux s'imagineraient-ils que les malheureux sont forcés de succomber sous leurs yeux, avec la grâce et la noblesse, que la populace de Rome demandait aux gladiateurs, qui devaient vaincre ou mourir pour l'amuser?

Un père de famille consulta Timon sur l'éducation qu'il devait donner à ses enfants, et Timon répondit: Fais-les instruire sur ce qu'ils ne pourront jamais concevoir.

Il est des personnes à qui je veux tant de bien, que je voudrais pouvoir leur en souhaiter davantage.

L'habitude nous fait jeter les yeux sur une horloge arrêtée, comme si elle marchait encore; c'est ainsi que nous regardons une infidèle comme si elle nous aimait toujours.

La haine est un mécontentement actif; l'envie n'est que le même sentiment dans un état passif; il ne faut donc pas s'étonner si l'envie dégénère si souvent en haine.

Le rythme a un pouvoir si magique, qu'il parvient à nous faire regarder le sublime comme une propriété individuelle.

Le dilettantisme pris au sérieux, et les sciences traitées machinalement dégénèrent en pédantisme.

Les maîtres seuls peuvent faire avancer les arts; les grands et les riches ne savent que protéger les artistes. Il est juste et bon de les protéger, mais cela ne tourne pas toujours au profit des arts.

La clarté consiste dans une sage distribution de là lumière et des ombres.

Il n'est point d'erreur plus folle, que celle qui pousse les jeunes gens à croire qu'ils renonceraient à leur individualité, s'ils admettaient des vérités reconnues par leurs prédécesseurs.

 

Lorsqu'un savant réfute une opinion erronée, il prend presque toujours le ton de la haine; car il est dans sa nature de voir un ennemi personnel dans l'homme qui se trompe.

Il est plus facile de reconnaître une erreur que de découvrir une vérité. La première glisse sur la surface que l'on peut mesurer sans peine, la seconde dort dans des profondeurs qu'il n'est pas donné à tout le monde de sonder.

Nous vivons du passé et le passé nous tue.

Dès qu'il s'agit d'apprendre quelque chose de grand, nous nous réfugions dans notre pauvreté innée, et cependant nous avons appris quelque chose.

Les Allemands tiennent beaucoup moins à l'union qu'à l'individualité. Chacun d'eux est pour lui-même une propriété à laquelle il ne renoncerait pas facilement.

Le monde moral empirique ne se compose guère que d'envie et de mauvais vouloir.

La superstition est la poésie de la vie, voilà pourquoi il est permis au poète d'être superstitieux.

C'est une chose bien singulière que la confiance! Un individu isolé peut nous tromper ou se tromper lui-même; parmi plusieurs individus réunis, l'un ou l'autre peut être en ce cas; au reste, chacun est presque toujours d'un avis différent, ce qui rend la vérité plus difficile à découvrir.

On ne doit pas désirer une position exceptionnelle; mais lorsque nous y avons été jetés malgré nous, elle devient la pierre de touche de notre caractère et de notre valeur morale.

L'honnête homme le plus borné, devin et fait échouer parfois les roueries du faiseur le plus habile.

Celui qui ne sait pas aimer, doit apprendre à flatter s'il veut arriver à quelque chose.

Il est impossible d'échapper à la critique: le seul moyen de la désarmer est de la braver.

La multitude ne saurait se passer d'hommes capables, et cependant ils lui sont presque toujours à charge.

Celui qui supporte mes défauts, lors même que ce serait mon domestique, est mon maître.

Il faut payer cher les gens, quand on leur impose des devoirs sans leur accorder des droits.

Une contrée est romantique quand elle éveille en nous le sentiment de la grandeur du passé, ou, en d'autres termes, quand elle nous donne de la solitude, des souvenirs et des regrets.

Le beau est la manifestation d'une loi secrète de la nature qui, sans cette manifestation nous serait resté inconnu.

On peut promettre d'être sincère; mais il ne dépend pas de nous d'être impartial.

L'ingratitude est une faiblesse; les caractères forts ne sont jamais ingrats.

Nos facultés sont tellement bornées que nous croyons toujours avoir raison; c'est ce qui explique l'opiniâtreté de certains esprits distingués, qui se plaisent dans l'erreur.

Il est difficile de trouver une coopération sincère pour l'accomplissement du bien; en ce cas, on ne rencontre presque jamais que le pédantisme qui veut nous arrêter, ou l'audace qui veut nous devancer.

La parole et l'image sont deux corrélatifs qui se cherchent sans cesse, comme les tropes et la comparaison; voilà pourquoi il serait utile de mettre sous les yeux ce que l'on dit aux oreilles, ainsi que cela se pratique dans les livres destinés à la première enfance, où les images et le texte se balancent; mais il faut se borner à peindre ce qui peut se dire, et dire ce qui ne saurait se peindre. Malheureusement on parle souvent quand il faudrait peindre, d'où il résulte des monstruosités à double face, parce qu'elles sont à la fois symboliques et mystiques.

Lorsqu'on se destine aux arts, il faut lutter d'abord contre le mauvais vouloir des hommes qui n'attachent jamais aucun prix à nos premiers travaux, et, plus tard, contre leurs prétentions orgueilleuses, qui les poussent à feindre que tout ce que nous pouvons faire de mieux leur était déjà connu.

Il n'y a pas de trésor plus précieux pour l'homme du monde, qu'un recueil d'anecdotes et de maximes; pourvu qu'il sache les placer à propos.

On dit à l'artiste: Etudie la nature! comme s'il était si facile de trouver le noble dans le vulgaire, et le beau dans le difforme.

La mémoire diminue avec l'intérêt que nous inspirent les hommes et les choses.

Le monde est une cloche fêlée; elle fait du bruit, mais elle ne résonne pas.

Il faut supporter avec patience les importunités des jeunes amateurs d'arts; en avançant en âge ils deviennent toujours des connaisseurs utiles, et des admirateurs zélés des artistes habiles.

Quand les hommes deviennent tout à fait méchants, ils n'ont plus d'autre plaisir que celui de faire ou de voir faire le mal.

Les hommes d'esprit sont les meilleurs dictionnaires de la conversation.

Il est des personnes qui ne se trompent jamais, parce qu'elles ne se proposent jamais rien de raisonnable.

Lorsque je connais parfaitement ma position envers moi-même et envers les autres, je dis que je suis dans la vérité. C'est ainsi que chacun peut avoir sa vérité à soi, qui n'est cependant que celle de tout le monde.

La spécialité se perd toujours dans la généralité, et la généralité est toujours forcée de s'adjoindre la spécialité.

Ce qui est véritablement productif, n'appartient à personne en particulier; on a beau faire, il faut souffrir que tout le monde en profite.

Dès que la nature commence à nous révéler ses secrets visibles, nous nous passionnons pour l'art, son digne interprète.

Le temps est un élément.

L'homme ne comprendra jamais jusqu'à quel point il est anthropomorphite.

Une différence qui ne prouve rien à la raison n'en est pas une.

On ne peut pas vivre pour tout le monde, et, surtout, pour les personnes avec lesquelles on ne voudrait pas vivre.

L'appel à la postérité, est le résultat de la conviction noble et pure qu'il existe quelque chose d'impérissable, qui, longtemps méconnu, puis senti par la minorité, finit par réunir la majorité.

Les secrets ne sont pas des miracles.

J'avais, dans ma jeunesse, le défaut d'accorder aux talents problématiques une protection inconsidérée et passionnée; et je n'ai jamais pu me corriger entièrement de ce défaut.

Les auteurs libéraux ont beau jeu par le temps qui court, le public tout entier est leur suppléant.

Les hommes ne prouvent jamais plus clairement qu'ils ne comprennent pas la valeur des mots dont ils se servent, que lorsqu'ils font l'éloge des idées libérales. Une idée ne doit pas être libérale, mais forte, énergique, arrêtée, afin qu'elle puisse remplir sa vocation divine, c'est-à-dire produire le bon, le vrai, l'utile.

L'intention elle-même ne doit pas être libérale, elle a une autre mission à remplir. C'est dans les sentiments qu'il faut chercher le libéralisme; et c'est précisément là qu'on ne le trouve presque jamais, car les sentiments sont personnels et découlent immédiatement de nos relations, de nos besoins.

Un homme d'esprit ne fera jamais une folie insignifiante.

Dans une oeuvre d'art, tout dépend de la conception.

Tout ce qui approche de la perfection, quel que soit l'usage qu'on en fasse, ne saurait être approfondi.

C'est en méditant sur la marche générale des événements, que j'ai appris à apprécier les services que chaque homme remarquable rend en particulier.

On ne sait quelque chose que lorsqu'on sait peu de chose; plus on sait, plus on doute.

Il est des hommes qui ne sont aimables que par leurs erreurs.

Certains caractères aiment et recherchent les caractères qui leur ressemblent; tandis que d'autres aiment et recherchent ceux qui leur sont opposés.

Celui qui aurait toujours vu le monde tel que les misanthropes le représentent, serait nécessairement devenu un misérable.

Quand la pénétration est guidée par la malveillance et par la haine, elle ne voit jamais que la superficie des choses; mais quand la bienveillance et l'amour la dirigent, elle approfondit les hommes et les choses, et il lui est permis d'espérer qu'elle pourra atteindre les mystères les plus élevés.

Il serait à désirer que chaque Allemand fût doué d'une certaine dose de poésie; ce serait le seul moyen de donner un peu de grâce et de valeur à sa position sociale.

La matière est à la portée de tout le monde; quiconque veut l'utiliser, apprend à en connaître les propriétés; la forme seule est le secret des maîtres.

Il est dans la nature de l'homme de fixer ses penchants sur ce qui vit; la jeunesse prend toujours la jeunesse pour modèle.

Nous avons beau apprendre à connaître le monde sous différents points de vue, il n'aura jamais que deux aspects bien tranchés: celui du jour et celui de la nuit.

Puisque l'erreur se répète toujours par les actions, ne nous lassons pas du moins de répéter le vrai par la parole.

Il y avait à Rome, non-seulement des Romains, mais encore tout un peuple de statues. C'est ainsi qu'au-delà du monde réel il y a un monde d'illusions tout-puissant, et dans lequel nous vivons presque tous.

Les hommes ressemblent aux flots de la mer Rouge; à peine la baguette du Prophète les a-t-il séparés, qu'ils se réunissent et se confondent.

Le devoir de l'historien est de séparer le vrai du faux, le certain de l'incertain, le douteux du mensonger.

Les chroniques n'ont été écrites que par des hommes qui attachaient beaucoup de prix au présent.

Les pensées renaissent, les convictions se transmettent, les événements seuls passent pour ne plus jamais revenir avec le même entourage.

De tous les peuples de la terre, les Grecs ont le plus noblement rêvé le rêve de la vie.

Les traducteurs sont des espèces d'entremetteurs; ce n'est jamais qu'à travers un voile qu'ils nous montrent la beauté dont ils nous vantent les attraits, et ils excitent ainsi en nous le désir irrésistible de connaître l'original.

Nous consentons volontiers à placer au-dessous de nous ce qui nous a précédés, il n'en est pas de même de ce qui doit nous survivre; un père seul n'envie jamais le talent de son fils.

Le difficile n'est pas de se subordonner à ce qui est au-dessus de nous, mais à ce qui est au-dessous.

Nos artifices se bornent à sacrifier notre existence au besoin d'exister.

Toutes nos actions, tous nos efforts, ne sont qu'une fatigue perpétuelle; heureux celui qui ne se lasse point.

L'espérance est la seconde âme des malheureux.

L'amour est un vrai recommenceur6.

Il y a quelque chose dans l'homme qui semble demander la servitude, voilà pourquoi il y avait du servage dans la chevalerie des Français.

Au théâtre, le plaisir de voir et d'entendre domine la réflexion.

L'expérience peut s'étendre à l'infini; l'univers s'ouvre devant elle avec ses routes innombrables; il n'en est pas de même des théories que les bornes de l'entendement humain entourent de toutes parts. Aussi, toutes les manières de voir, tous les systèmes reviennent-ils successivement; il arrive même parfois, quoique cela soit fort bizarre, que les théories les plus bornées s'accordent de nouveau au milieu de l'expérience la plus étendue.

Le monde, objet de nos contemplations et de nos pressentiments, est toujours le même; et ce sont toujours les mêmes hommes qui tantôt vivent dans le vrai, et tantôt dans le faux, et qui, dans cette dernière manière d'être, se sentent plus à leur aise.

La vérité est en contradiction avec notre nature; il n'en est pas de même de l'erreur, et par une raison fort simple: la vérité nous force à voir les limites de notre intelligence, tandis que l'erreur nous permet de croire que, sous quelques rapports du moins, cette intelligence est illimitée.

Voici bientôt vingt ans que les Allemands continuent à marcher sur la route du transcendantalisme; si, un jour, ils viennent à s'en apercevoir, ils se trouveront bien singuliers.

Il est bien naturel de croire que l'on sait encore ce qu'on a su autrefois; il est moins naturel, mais non moins rare, de s'imaginer que l'on sait ce qu'on n'a jamais su.

En tout temps ce sont les hommes et non l'esprit de l'époque qui ont fait faire des progrès aux sciences. C'est l'esprit de l'époque qui a fait boire la ciguë à Socrate; c'est l'esprit d'une autre époque qui a dressé un bûcher à Jean Hus. Tous ces esprits se ressemblent; c'est toujours le même.

Le véritable symbole est celui qui représente le général par le particulier, non comme un rêve, une ombre, mais comme une révélation vivante et spontanée de l'inconcevable.

 

Lorsque l'idéal veut prendre la place de la réalité, il la dévore et périt avec elle. C'est ainsi que le crédit et le papier-monnaie font disparaître l'argent, et finissent par perdre eux-mêmes leur valeur factice.

L'exercice du droit de maître, passe souvent pour de l'égoïsme.

Quand les bonnes oeuvres et ce qu'elles ont de méritoire disparaissent, on les remplace par la sentimentalité, ainsi que cela arrive chez les protestants.

Quand on vient de recevoir un bon conseil, on se sent assez fort pour le suivre.

Le despotisme favorise l'autocratie de tous; car en étendant la responsabilité des individus depuis le premier jusqu'au dernier, il développe un haut degré d'activité.

Les erreurs coûtent très-cher, quand on veut s'en débarrasser: heureux, cependant, celui qui peut y parvenir!

Lorsqu'autrefois un littérateur allemand voulait dominer sa nation, il lui suffisait de le dire; car cela l'intimidait au point qu'elle s'estimait heureuse d'être dominée par lui.

Les arts ont des dilettanti et des spéculateurs; les premiers les cultivent pour leur plaisir, les seconds, pour leur profit.

Je suis naturellement sociable; aussi ai-je toujours eu soin de me donner des collaborateurs, et de me faire le leur; c'est ce qui m'a valu le plaisir de me voir perpétuer par eux, et eux par moi.

L'action de mes forces intérieures s'est toujours manifestée comme une prophétie vivante, qui, admettant un principe inconnu, mais pressenti, cherche à le trouver dans le monde extérieur, pour l'y faire adopter et propager.

Il existe une réflexion enthousiaste qui est de la plus grande utilité, quand on ne se laisse pas entraîner par elle.

On ne se prépare à l'étude que par l'étude elle-même.

Il en est de l'erreur et de la vérité comme du sommeil et du réveil. J'ai toujours remarqué qu'on se sent revivre, lorsqu'on se réveille d'une erreur pour revenir à la vérité.

On souffre toujours quand on ne travaille pas pour soi. Celui qui travaille pour les autres veut en profiter avec eux.

Le concevable appartient à la sensation et à la raison, et il s'adjoint toujours le dû et le convenable, son proche parent. Le dû, cependant, n'est lui-même qu'une convention propre à certaines époques et à certaines circonstances déterminées.

Nous ne pouvons apprendre quelque chose que dans les livres que nos facultés intellectuelles ne nous permettent pas de juger; l'auteur d'un livre que nous sommes en état de juger, pourrait s'instruire auprès de nous.

La Bible n'est un livre éternellement utile, que parce qu'il ne s'est encore trouvé personne au monde qui ait pu dire: Je conçois l'ensemble et je comprends chaque détail. Quant à nous, nous disons humblement: L'ensemble est vénérable, et les détails sont d'une grande utilité pratique.

La mysticité consiste à s'élever au-dessus de certains objets qu'elle laisse derrière elle, et dont elle se détache complètement. Plus ces objets sont grands et importants, plus la mysticité se croit grande et importante.

La poésie mystique des Orientaux, a l'immense avantage de laisser toujours à la disposition de ses adeptes, les richesses de ce monde qu'elle leur apprend à dédaigner. C'est ainsi qu'ils se trouvent toujours dans l'abondance qu'ils veulent fuir, et profitent sans cesse des biens dont ils cherchent à se débarrasser.

Il ne devrait pas y avoir de mystiques chrétiens, car la religion elle-même a assez de mystères; voilà pourquoi ses mystiques tombent dans l'abstrus, et s'abîment au fond du sujet.

Un homme spirituel a dit «que la mysticité moderne était la dialectique du coeur, et qu'elle mettait en question des choses dont l'homme ne peut se faire aucune idée en suivant les routes intellectuelles et religieuses ordinaires.» Que celui qui se sent le courage de se livrer à une pareille étude, sans se donner des vertiges, s'enfonce, à ses risques et périls, dans cette caverne de Trophonios.

Les Allemands devraient s'abstenir, pendant trente ans, au moins, de prononcer les mots sentiments affectueux; alors, peut-être, ils renaîtraient. Maintenant on se borne à dire: indulgence pour les faiblesses! pour celles d'autrui comme pour les nôtres.

Les préjugés de chaque individu dépendent de son caractère, et sont étroitement liés à tout son être, c'est ce qui les rend invulnérables; l'évidence, l'esprit et la raison n'y peuvent rien.

Il est des caractères qui érigent la faiblesse en loi. Certains observateurs profonds du monde ont dit: «La sagesse qui se cache derrière la peur est seule invulnérable.» Les hommes faibles ont souvent des principes révolutionnaires; persuadés qu'ils seraient heureux si on ne les gouvernait pas, ils oublient qu'ils ne savent gouverner ni eux-mêmes, ni les autres.

Les artistes allemands modernes se trouvent en ce cas; car ils déclarent nuisibles les branches de l'art qu'ils ne possèdent pas, et conseillent de les abattre.

Le bon sens est né avec l'homme bien organisé; il se développe de lui-même et se manifeste par la connaissance du nécessaire et de l'utile. Cette connaissance est employée avec assurance et succès par les hommes et par les femmes; et quand le bon sens leur manque, les uns et les autres regardent comme nécessaire ce qu'ils désirent, et comme utile ce qui leur plaît.

Dès que les hommes parviennent à se rendre libres, ils mettent leurs défauts en évidence; celui des forts est de tout exagérer; celui des faibles est de tout négliger.

La lutte de l'ancien, du stable, du constant avec ses développements et ses transformations, est toujours la même. L'ordre engendre le pédantisme; pour se débarrasser de l'un on détruit l'autre, et l'on marche au hasard jusqu'à ce qu'on éprouve de nouveau le besoin de l'ordre. Le classique et le romantique, la maîtrise et la liberté du travail, la centralisation et le morcellement de la propriété foncière, ne sont qu'un seul et même conflit qui en produit plusieurs autres. La plus haute sagesse des gouvernants serait de modifier ce combat de manière à ce que les parties pussent se mettre en équilibre sans qu'aucune d'elles pérît. Mais il n'est pas donné à l'homme d'obtenir ce résultat, et Dieu ne paraît pas le vouloir.

Quelle est la meilleure méthode d'éducation? Celle des hydriotes. En leur qualité d'insulaires et de navigateurs, ils emmènent leurs enfants mâles avec eux sur leurs navires où ils les laissent grandir. Dès qu'ils peuvent se rendre utiles, ils ont leur part des bénéfices; aussi s'intéressent-ils de bonne heure au commerce, au butin, et deviennent des navigateurs savants, des négociants habiles, des pirates intrépides. D'un pareil peuple doit nécessairement sortir, parfois, un de ces héros qui lance de sa propre main la torche de l'incendie sur le vaisseau de l'amiral ennemi.

Toute innovation, lors même qu'elle serait excellente, nous gêne d'abord, parce que nous ne sommes pas à sa hauteur; elle ne devient utile et précieuse que lorsque nous l'avons introduite dans notre civilisation, et mis nos facultés intellectuelles à son niveau.

Nous nous plaisons tous plus ou moins dans le médiocre, parce qu'il nous laisse en repos, et nous procure cette douce satisfaction que l'on éprouve dans la société de son semblable.

Ne cherchons jamais rien dans le commun, il est toujours le même.

Quand nous nous trouvons en contradiction avec nous-mêmes, nous sommes toujours forcés de nous remettre d'accord; il n'en est pas ainsi quand les autres nous contredisent, cela ne nous regarde pas, c'est leur affaire à eux.

On se demande quel serait le meilleur des gouvernements? Je réponds:

Celui qui nous apprendrait à nous gouverner nous-mêmes.

Les hommes qui ne s'occupent que des femmes, finissent par ressembler à des fuseaux dont toute la poupée a été filée.

Les plus grandes probabilités de l'accomplissement d'un désir, ont toujours quelque chose de douteux; voilà pourquoi l'espérance la mieux fondée, quand elle devient une réalité, nous surprend malgré nous.

Il faut savoir pardonner quelque chose à tous les arts; c'est envers l'art grec seul qu'on reste éternellement débiteur.

La sentimentalité des Anglais est capricieuse et tendre, celle des Français populaire et pleureuse, celle des Allemands naïve et réalistique.

Quand on représente l'absurde avec goût, on excite à la fois de la répugnance et de l'admiration.

Lorsqu'on veut faire l'éloge d'une société, on dit que la conversation était instructive, et le silence convenable.

On ne saurait mieux louer les productions littéraires d'une femme, qu'en disant qu'il y a plus d'énergie que d'enthousiasme, plus de caractère que de sentiment, plus de rhétorique que de poésie; que le tout enfin a un cachet mâle.

Rien n'est plus effroyable qu'une ignorance active.

Il faut se tenir en garde contre l'esprit et contre la beauté, si l'on ne veut pas devenir leur esclave.

Le mysticisme est la scholastique du coeur, et la dialectique du sentiment.

On ménage les vieillards, comme on ménage les enfants.

Les vieillards ont perdu le plus beau privilège de l'humanité, celui d'être jugés par leurs semblables.

Il m'est arrivé dans les sciences, ce qui arrive à un homme qui se lève de très-bon matin; au milieu du crépuscule qui l'entoure, il attend le soleil avec impatience, et cependant il en est ébloui quand il paraît.

On a déjà beaucoup discuté et l'on discutera encore beaucoup sur le bien et sur le mal qui résultent de la propagation de la Bible. Quant à moi, je dis que si on la considère sous le rapport dogmatique et fantastique elle fera toujours beaucoup de mal; tandis qu'elle fera toujours beaucoup de bien, si on la prend didactiquement et sentimentalement.

Rien n'agit plus activement que les grandes forces primitives, et celles que le temps a développées; mais l'influence de cette action sur nos destinées, soit en bien soit en mal, est purement fortuite.

L'idée est unique, éternelle, et nous avons tort de nous servir du pluriel pour l'exprimer. Tout ce que nous voyons, tout ce dont nous pouvons parler, n'est qu'une des diverses manifestations de l'idée. Nous exprimons des intuitions, et, en ce sens, l'idée n'est qu'une intuition.

4Cette phrase est en français dans le texte.
5La traduction littérale de ce mot n'en donne qu'une idée très-imparfaite, une longue périphrase même serait insuffisante; une explication grammaticale remplira mieux ce but. On ne dit pas seulement en allemand. Je suis ou il est ivre; mais on dit encore, J'ai ou il a une ivresse, comme on dit en français: J'ai ou il a une indigestion. Aimer une femme et en être aimé, est donc pour l'homme une petite ivresse, c'est-à-dire un état où la raison, sans être entièrement troublée, n'est plus assez maîtresse d'elle-même pour nous montrer les dangers du bonheur que l'on convoite. On comprendra maintenant tout ce qu'il y a de gracieux et de fin dans ce nom de petite ivresse d'homme, appliqué à une maîtresse. (Note du Traducteur.)
6Cette phrase est en français dans le texte.