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Les affinités électives

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On ne devrait pas, en matière esthétique, se servir de cette locution: idée du beau, car par-là on isole le beau qu'on ne saurait concevoir isolément. Les notions sur le beau peuvent être complètes et transmissibles.

La manifestation de l'idée du beau est aussi fugitive que celle du sublime, du spirituel, du gai, du ridicule; voilà pourquoi il est si difficile d'en parler.

On pourrait être réellement esthétique dans le sens didactique, si on faisait glisser ses élèves sur tout ce qui concerne le sentiment, ou si on le leur faisait concevoir au moment où ils en sont le plus susceptibles. Mais comme il est impossible de remplir cette condition, l'ambition d'un professeur doit se borner à donner à ses élèves des notions d'un nombre suffisant de manifestations pour les rendre accessibles à tout ce qui est beau, grand et vrai, et les disposer à les recevoir avec joie quand ils l'aperçoivent au moment convenable. C'est ainsi que l'on poserait, à leur insu, la base des idées fondamentales d'où sortent tout les autres.

Plus on voit d'hommes distingués, plus on reconnaît que la plupart ne sont accessibles qu'à une seule manifestation des principes primitifs, et cela est suffisant. Le talent développe tout dans la pratique et n'a pas besoin de s'occuper des particularités théoriques. Le musicien peut, sans danger pour sa profession, ignorer l'art du sculpteur; il en est ainsi de tous les arts.

On devrait toujours penser pratiquement, cela établirait une étroite parenté entre les diverses manifestations de la grande pensée, qui doivent être mises en action et harmonisées entre elles par les hommes. La peinture, la plastique, la mimique, sont des arts inséparables, et cependant, l'artiste appelé à exercer un de ces arts, doit se garder de l'influence trop prononcée des autres. Le peintre, le sculpteur et le mimique peuvent s'égarer mutuellement au point de tomber tous les trois à la fois.

La danse mimique l'emporterait sur tous les autres arts si, par bonheur pour eux, l'effet qu'elle produit sur les sens, n'était pas si fugitif qu'elle est forcée d'avoir recours à l'exagération. C'est cette exagération qui effraie les autres artistes; mais s'ils étaient sages et prudents, la danse mimique leur fournirait de grands et utiles enseignements.

Lorsqu'on conduisit Mme Roland à l'échafaud, elle demanda de l'encre et du papier pour écrire les pensées qui pourraient se présenter à elle pendant ses derniers pas en ce monde. Il est fâcheux qu'on lui ait refusé cette faveur, car lorsqu'un esprit ferme touche à la fin de sa carrière, il conçoit des idées qui, jusque-là, étaient restées inimaginables pour lui-même. Ce sont des démons bienheureux qui viennent se poser avec éclat sur les points les plus élevés du passé.

On prétend qu'il ne faut pas trop varier ses occupations, et que, plus on avance en âge, moins on doit s'aventurer dans des affaires nouvelles. Mais on a beau dire, vieillir c'est commencer une affaire nouvelle; toutes les relations changent et il faut cesser d'agir, ou accepter volontairement et avec connaissance de cause ce rôle nouveau.

Vivre pour une idée, c'est traiter l'impossible comme s'il était possible. Quand la force de caractère se joint à celle de l'idée, il en résulte des événements qui remplissent le monde d'une stupéfaction de plusieurs siècles.

Napoléon ne vivait que par l'idée, et cependant il ne pouvait pas la saisir d'une manière déterminée, car il niait l'existence de l'idéalisme et cherchait à en paralyser les effets. Lui-même s'exprime avec autant d'originalité que de grâce sur cette contradiction perpétuelle qui révoltait sa raison, car cette raison est aussi juste qu'incorruptible.

Il considère l'idée comme une chose spirituelle, sans réalité et qui pourtant, lorsqu'elle s'est évaporée, laisse après elle un résidu auquel on ne saurait contester une certaine réalité. Un pareil raisonnement peut nous paraître sec et matériel, mais il n'en est pas de même quand il parle des conséquences de ses actions. Alors on sent qu'il a foi et confiance en lui; il convient que la vie engendre des choses vivantes, et que l'action d'une fructification fondamentale se perpétue à travers le temps. Il se plaît à avouer qu'il donne à la marche du monde une impulsion forte, une impulsion nouvelle.

La répugnance des hommes, dont l'individualité est toute dans une idée, pour ce qui est idéal, sera toujours un fait singulier et digne de notre attention. C'est ainsi que Hamann ne trouvait rien de plus insupportable que de parler des choses de l'autre monde. Il a exprimé cette opinion dans un certain paragraphe dont, sans doute, il n'était pas satisfait, puisqu'il l'a changé quatorze fois. Deux de ces variantes sont arrivées jusqu'à nous; j'ai moi-même osé en faire une troisième que les réflexions précédentes m'autorisent à insérer ici.

«L'homme est une réalité placée au centre d'un monde réel, il a été doué d'organes qui lui permettent de connaître l'arbitraire et le possible. Tout homme en état de santé a la conscience de son existence et de toutes les existences qui l'entourent; cependant il y a toujours une place creuse dans son cerveau, c'est-à-dire une place où ne se reflète aucun objet, comme il y a dans l'oeil un point qui ne voit point. L'homme qui s'occupe trop de cette place et prend plaisir à s'y perdre, s'attire ainsi une maladie d'esprit, et pressent des choses d'un autre monde, qui ne sont que des riens sans force et sans limites, et qui pourtant poursuivent, comme autant de fantômes terribles, celui qui n'a pas la force de s'arracher à leur nocturne empire.»

Il est inutile de demander si l'historien est au-dessus du poète, ou le poète au-dessus de l'historien, car ce ne sont ni des rivaux ni des concurrents; chacun d'eux a sa couronne qui lui est propre.

L'historien a un double devoir à remplir, d'abord envers lui-même, puis envers ses lecteurs. Pour se satisfaire lui-même, il est obligé de s'assurer que les faits qu'il rapporte sont réellement arrivés; pour satisfaire ses lecteurs, il est obligé de le prouver. La manière dont il agit envers lui-même est l'affaire de ses collègues, le public ne doit pas être initié dans le secret de la grande question qui est de savoir ce que l'on peut admettre comme incontestable dans l'histoire.

Il en est des livres nouveaux comme des connaissances nouvelles: au premier abord une conformité générale ou un rapprochement partiel sur un seul point de notre existence, nous suffisent; mais un commerce plus intime nous fait découvrir une foule de différences et d'oppositions. Alors il ne faut pas, à l'exemple de la jeunesse inconsidérée, reculer d'épouvante; la raison nous ordonne au contraire de fixer les conformités et de s'éclairer sur les différences, sans songer toutefois, à établir une union parfaite.

Lorsqu'on vit familièrement avec les enfants, on reconnaît que, chez eux, chaque impression extérieure est suivie d'une contre-impression, toujours passionnée et souvent énergique.

Voilà pourquoi les enfants jugent avec précipitation et avant l'événement. Le temps seul peut modifier cette précipitation et étendre sur les généralités, le jugement qui d'abord ne saisit qu'un seul côté. L'étude de cette particularité est le premier devoir de tous ceux qui se destinent à l'éducation.

On ne devrait opposer au travers du jour que la grande masse de l'histoire du monde.

On ne peut ni ne doit révéler les secrets du sentier de la vie, car il s'y trouve des pierres d'achoppement contre lesquelles chaque voyageur est forcé de butter. Le poète seul peut faire pressentir la place où elles se trouvent.

Si aux yeux de Dieu toute la sagesse humaine n'était que de la folie, ce ne serait pas la peine d'arriver jusqu'à l'âge de soixante-dix ans.

Le vrai est comme le divin, il ne nous apparaît pas immédiatement, et nous sommes forcés de le deviner dans ses manifestations.

Le véritable disciple apprend à développer l'inconnu du connu et s'approche ainsi du maître.

Mais il est fort difficile à la plupart des hommes de trouver l'inconnu dans le connu, car ils ne savent pas que leur entendement opère avec autant d'art que la nature elle-même.

Les Dieux nous ont appris à imiter leurs oeuvres; mais nous ne savons pas ce que nous faisons, et nous ne connaissons pas ce que nous imitons.

Tout est semblable et différent; tout est utile et nuisible; tout est muet et parlant; tout est sensé et déraisonnable; et les faibles notions que nous avons sur les choses, se contredisent sans cesse.

Les hommes se sont donné des lois sans savoir sur quoi ils les imposaient; la nature a été réglée par les Dieux.

Ce qui a été établi par les hommes, que ce soit juste ou injuste, ne cadre jamais assez bien pour rester toujours à la même place: ce qui a été établi par les Dieux, que ce soit juste ou injuste, est immuable.

Quant à moi je soutiens que les arts connus des hommes, ressemblent aux événements secrets ou visibles de la nature.

Il en est ainsi de l'art de prédire l'avenir. Il consiste à voir le caché dans le découvert, l'avenir dans le présent, le vivant dans le mort, le sensé dans l'insensé.

C'est ainsi que l'homme instruit juge toujours bien la nature de l'homme, tandis que l'ignorant la voit tantôt d'une façon et tantôt d'une autre; chacun d'eux l'imite à sa manière.

Quand un homme s'approche d'une femme et qu'il en résulte un enfant mâle, l'inconnu sort du connu; mais quand l'esprit, d'abord obscur et faible de l'enfant, commence à percevoir clairement les choses, il apprend à connaître l'avenir par le présent.

Ce qui est immortel ne saurait se comparer à ce qui ne vit que d'une vie mortelle, et cependant ce qui vit ainsi ne manque pas de raison; l'estomac, par exemple, sait fort bien quand il a besoin d'aliments.

Tels sont les rapports de l'art de prédire l'avenir avec la nature humaine. L'homme à vues élevées s'accommode de l'un et de l'autre.

 

Le forgeron amollit le fer en soufflant le feu qui enlève à ce fer des substances superflues; puis il le frappe et le contraint à redevenir fort en s'unissant aux substances de l'eau qui lui sont étrangères. Voilà ce que chacun de nous a éprouvé de la part de ses instituteurs.

Nous sommes convaincus que celui qui contemple le monde intellectuel, et y voit la véritable beauté intellectuelle, peut aussi voir le père de cette beauté, qui cependant est inaccessible à nos sens. Voilà ce qui nous engage à employer toutes nos forces pour comprendre et pour nous expliquer à nous-mêmes, autant que cela est possible, de quelle manière nous pouvons contempler la beauté de l'esprit et celle du monde.

Supposons que deux masses de pierre aient été placées l'une en face de l'autre. La première est restée brute; l'art a converti la seconde en une statue d'homme ou de dieu. Si cette statue représente une divinité, c'est une Muse ou une Grâce; si elle représente un homme, ce n'est pas un homme ordinaire, c'est un être exceptionnel, sur lequel l'art a réuni toutes les conditions de la beauté.

La pierre convertie en statue paraîtra la plus belle, non parce qu'elle est pierre, car alors l'autre masse ne pourrait lui être inférieure, mais parce qu'elle a une forme que l'art lui a donnée.

Cette forme cependant n'appartient pas à la matière; car avant de se manifester sur la pierre, elle était dans la pensée de l'artiste, non parce qu'il a des pieds et des mains, mais parce qu'il a le sentiment de l'art.

Il y avait dans cet art une beauté bien plus grande, car la pensée n'a pu faire passer sur la pierre la forme que l'art renfermait en lui; elle y est restée tout entière, et la manifestation sur la pierre n'est qu'une forme inférieure, même au désir de l'artiste, qui n'a fait qu'obéir aux principes de l'art.

Si l'art pouvait rendre tout ce qu'il est et tout ce qu'il possède, s'il pouvait rendre le beau avec la même raison qu'il agit, celui qui posséderait en lui-même une plus grande, une plus parfaite beauté artistique, serait toujours supérieur à toutes les manifestations extérieures.

La forme qui passe dans la matière se détend et devient plus faible que celle qui est restée enfermée dans la pensée; car tout ce qui dans cette pensée est susceptible d'éloignement, s'éloigne de soi-même. C'est ainsi que la force sort de la force, la chaleur de la chaleur, la beauté de la beauté. C'est ce qui explique pourquoi la faculté productive est toujours plus excellente que l'objet produit. Ce n'est pas la musique primitive qui fait le musicien, mais la musique; et la musique, qui est au-delà de nos sens, produit la musique accessible à nos sens.

Si quelqu'un voulait dédaigner les arts, parce qu'ils ne sont qu'une imitation de la nature, on pourrait répondre que les arts n'imitent pas simplement ce que voient nos yeux, mais qu'ils remontent aux lois de la raison qui font la stabilité de la nature et dirigent ses actes.

Les arts, au reste, puisent fort souvent dans leur propre fonds; ils prêtent à la nature des perfections qu'elle n'a pas et qu'ils possédaient, puisqu'ils ont en eux le vrai beau. C'est ainsi que Phidias a pu faire un dieu sans imiter ce qu'il avait matériellement vu; car sa pensée d'artiste avait conçu Jupiter, tel qu'il pourrait et devrait être, s'il apparaissait à nos yeux.

Il n'est pas étonnant que les idéalistes de tous les temps, insistent sur la conservation intacte de l'unité d'où découle toute chose et vers laquelle tout retourne; car le principe ordonnateur et producteur est serré de si près par les manifestations, qu'il ne sait plus que devenir. Cependant nous resserrons la portée de notre entendement, quand nous renvoyons à une unité inaccessible à nos sens extérieurs et intérieurs, non seulement ce qui produit la forme, mais la forme elle-même.

L'homme est forcé de se borner à l'extension et au mouvement; aussi est-ce par ces deux formes que se manifestent toutes les autres formes, surtout celles qui sont visibles et accessibles à nos sens. La forme spirituelle seule ne perd rien en se manifestant, en admettant, toutefois, que cette manifestation est réelle et viable. En ce cas, le produit n'est jamais inférieur au principe producteur, il peut même être plus excellent que lui.

Il serait bon, sans doute, de développer cette opinion, et de la rendre pour ainsi dire palpable, afin qu'elle pût passer dans la pratique; mais un pareil développement exigerait, de la part des lecteurs, une attention trop grande, et qu'il serait injuste de leur demander.

Nous avons beau vouloir jeter loin de nous ce qui nous est propre, nous ne parvenons jamais à nous en débarrasser.

La philosophie moderne de nos voisins de l'ouest, prouve que les individus comme les nations retournent toujours, quelle que soit leur résistance, à ce qui leur est inné. Comment en serait-il autrement, puisque ce qui est inné règle notre nature et nos manières d'être? Les Français ont renoncé au matérialisme et accordé plus d'intelligence et de vie aux points de départ primitifs. Ils se sont également détachés du sensualisme pour reconnaître qu'il y a dans les profondeurs de la nature humaine, quelque chose qui se développe par lui-même. Ils accordent enfin à cette nature humaine une force productive, et ne font plus consister l'art dans la simple imitation des objets extérieurs. Puissent-ils continuer à suivre cette direction.

Il ne peut pas y avoir de philosophie, mais des philosophes éclectiques.

Tout homme qui s'approprie dans son entourage ce qui convient à sa nature est éclectique. Ceci peut s'appliquer à tout ce qu'on appelle civilisation, progrès, soit qu'on le considère sous le point de vue théorique ou pratique.

Deux philosophes éclectiques peuvent devenir des adversaires passionnés, s'ils sont nés avec des dispositions différentes; car alors chacun prendra dans toutes les philosophies connues tout ce qui lui convient et ne convient pas à l'autre. Qu'on regarde autour de soi et l'on verra que la plupart des hommes en agissent ainsi, ce qui nous explique pourquoi il nous est si difficile de comprendre comment les autres ne peuvent pas se convertir à nos opinions à nous.

Il est rare que, dans un âge très-avancé, on consente à se regarder soi-même et les autres sous le point de vue historique; d'où il résulte qu'on ne veut et qu'on ne peut plus se mettre en harmonie avec personne.

En envisageant ce travers de plus près, on reconnaît que l'historien lui-même voit rarement l'histoire historiquement. Lorsqu'on raconte, on croit voir passer les faits sous ses yeux, et l'on oublie de se pénétrer de ce qui était et agissait à l'époque où se passaient ces faits. Quant au chroniqueur, il ne désigne que les limites, les particularités de sa ville, de son monastère, de son temps.

Plusieurs dictons des anciens, que l'on répète souvent, ont une tout autre signification que celle que nous leur donnons.

Par exemple, cette phrase: «Celui qui ne s'est pas familiarisé avec la géométrie, ne doit pas songer à se présenter à l'école de la philosophie;» ne veut pas dire qu'il faut être un mathématicien pour pouvoir devenir un sage.

La géométrie est prise ici dans le sens élémentaire, telle que nous la trouvons dans Euclide, et qu'elle convient à tous les commençants; en ce sens, elle est la meilleure étude préparatoire, la meilleure introduction possible à la philosophie.

Lorsque l'enfant commence à concevoir qu'un point visible doit être précédé par un point invisible, et qu'il faut avoir pensé la ligne la plus droite et la plus courte entre deux points, avant de la tracer avec le crayon, il est satisfait et fier de lui-même, et il en a le droit; car la route de la pensée vient de s'ouvrir devant lui. L'idée est la réalisation, potentia et actu, ne sont plus pour lui des mots vides de sens. Le philosophe n'a rien de nouveau à lui révéler; le géomètre lui a dévoilé la base de toutes les manières de penser.

Il ne faut pas interpréter dans le sens ascétique cette phrase: «Apprends à te connaître toi-même.» Elle veut dire tout simplement: Fais attention à toi-même, surveille-toi, afin que tu puisses toujours connaître ta position par rapport à tes semblables et par rapport au monde. Chaque individu sensé peut comprendre cela; c'est un bon conseil pratique dont il est facile de profiter sans se tourmenter par des subtilités psychologiques.

Les écoles des anciens, et surtout celle de Socrate, ne se perdaient pas en vaines spéculations, mais elles découvraient les sources de toute vitalité, de toute action, et apprenaient ainsi à vivre et à agir. Voilà ce qui les rendait réellement grandes et utiles.

Nos écoles modernes nous renvoient sans cesse aux anciens, et imposent l'étude des langues grecque et latine. Heureusement pour nous ce retour perpétuel au passé, n'a rien qui puisse imprimer à la civilisation une marche rétrograde.

Lorsque nous contemplons l'antiquité avec le désir sincère de la prendre pour modèle, il nous semble que, dès ce moment seulement, nous comprenons notre dignité.

Quand le savant parle latin ou écrit en cette langue, il a une plus haute opinion de lui-même, que lorsqu'il se renferme dans sa vie et dans sa langue de tous les jours.

Les intelligences poétiques et artistiques se croient, lorsqu'elles contemplent l'antiquité, transportées dans le plus noble et le plus idéal état de nature. Les chants d'Homère ont encore aujourd'hui l'avantage immense de nous débarrasser, momentanément du moins, du fardeau dont les traditions de plusieurs milliers d'années nous ont chargés.

Socrate s'était borné à appeler à lui l'homme moral, pour lui donner des notions simples et faciles sur sa propre essence; Platon et Aristote, se croyant des êtres privilégiés par la nature, se placèrent en face d'elle; l'un pour se l'approprier avec son coeur et son intelligence, l'autre pour la commenter par l'esprit d'observation et la méthode. Aussi toute relation d'ensemble ou de détail qui nous rapproche de ces trois hommes, sera-t-elle toujours un événement agréable à nos sensations intérieures, et un moteur puissant pour notre perfectionnement moral et intellectuel.

L'histoire naturelle moderne est tellement compliquée et morcelée, que pour revenir à une vérité simple on est obligé de se demander: Qu'aurait fait Platon de cette nature, telle que nous la considérons aujourd'hui, avec son unité fondamentale et ses immenses variétés?

Nous avons la conviction que la route que nous suivons nous conduira d'une manière organique jusqu'au dernier embranchement de l'entendement; et que, sur ce point fondamental, nous élevons par degrés le plus haut édifice possible de tout savoir. Cette conviction nous met dans la nécessité d'examiner chaque jour le degré d'assistance ou d'opposition que nous pouvons trouver dans l'esprit de notre époque, sans quoi nous serions exposés à repousser l'utile pour accepter le nuisible.

On vante surtout le dix-huitième siècle, parce qu'il s'est spécialement occupé d'analyses; la tâche du dix-neuvième siècle est donc de découvrir les fausses synthèses de son prédécesseur, et de les analyser de nouveau.

Il n'y a que deux véritables religions, celle qui laisse sans forme ce qu'il y a de sacré en nous, et celle qui ne le reconnaît et ne l'adore que sous la plus belle des formes; toutes les autres sont des idolâtries.

Il est certain que l'esprit humain a cherché à s'affranchir par la réformation. En nous éclairant sur les anciennes églises grecque et romaine, nous avons conçu le besoin d'une vie plus libre, plus élégante et plus gracieuse. Mais ce qui favorisa surtout ce changement, c'est que le coeur demande toujours à retourner à un certain état de nature simple et noble; et que l'imagination cherche sans cesse à se concentrer sur quelque chose digne d'elle.

Tous les saints furent tout à coup chassés du ciel, et le coeur, la pensée et les sens se dirigèrent vers une mère divine et un faible enfant, pour se fixer ensuite sur cet enfant devenu homme, modèle de morale, d'abord injustement persécuté, bientôt après vénéré comme un demi-dieu, finalement reconnu Dieu véritable et adoré comme tel.

Sur le fond qu'occupe ce Dieu, le Créateur étend l'univers, et l'action morale qu'il fait découler de lui s'étend de tous côtés. On s'appropria ses souffrances en les prenant pour exemple, et sa transfiguration devint le garant d'une vie éternelle.

L'encens réveille la vie d'un charbon prêt à s'éteindre; c'est ainsi que la prière réveille les espérances du coeur.

Je suis convaincu que la Bible s'embellit à mesure que nous apprenons à la comprendre, c'est-à-dire, à mesure que nous sentons que les passages que nous saisissons dans l'ensemble, et que nous nous appliquons particulièrement, avaient, d'après certaines circonstances de temps et de lieu, des rapports immédiats et individuels.

 

En nous examinant de près, nous reconnaissons que nous avons besoin chaque jour de nous réformer et de protester contre les autres, quoique ce ne soit pas toujours dans le sens religieux.

Nous éprouvons le besoin incessant, sérieux et sans cesse renaissant, de saisir la parole dans son accord immédiat avec tout ce que l'on a senti, pensé, éprouvé, imaginé et reconnu comme sensé.

Mais cela est plus difficile qu'on ne le croit; les mots ne sont pour l'homme que des surrogats; il sait et pense toujours mieux qu'il ne dit.

Il n'en faut pas moins persister dans le désir de faire disparaître, par la clarté et la probité de nos discours et de notre conduite, tout ce qui aurait pu s'introduire chez nous ou chez les autres de faux, de déplacé ou d'insuffisant.

Lorsque je suis contraint de cesser d'être convenable, je cesse d'être fort.

La censure et la liberté de la presse seront toujours en guerre ensemble. Le supérieur demande et exerce la censure, l'inférieur demande la liberté de la presse; car l'un ne veut pas être troublé dans ses projets et dans son activité par des observations et des contradictions prématurées; c'est de l'obéissance qu'il lui faut, tandis que l'autre éprouve le besoin de faire connaître publiquement les motifs par lesquels il compte légitimer sa désobéissance.

Il ne faut pas oublier cependant que lorsque le parti faible et opprimé conspire et craint d'être trahi, il cherche également à gêner, à sa façon, la liberté de la presse.

On n'est jamais trompé, mais on se trompe soi-même.

Nous ne demandons jamais de quel droit nous régnons, et si le peuple n'aurait pas le droit de nous destituer; tous nos efforts se bornent à le mettre dans l'impossibilité de le faire.

Si l'on pouvait abolir la mort, personne ne s'y opposerait; mais il sera toujours difficile d'abolir la peine de mort: si cela arrive parfois, on y revient tôt ou tard.

La société ne peut renoncer au droit d'infliger la peine de mort, sans rendre à la défense personnelle tous ses droits; et alors l'expiation du sang par le sang vient frapper à chaque porte.

Les lois ont été faites par les anciens et par des hommes; les adolescents et les femmes demandent des exceptions, les anciens s'en tiennent à la règle.

Ce n'est pas l'homme spirituel, c'est l'esprit; ce n'est pas l'homme raisonnable, c'est la raison qui gouverne.

On se compare toujours à la personne qu'on loue.

Il ne suffit pas de savoir, il faut vouloir; il ne suffit pas de vouloir, il faut faire.

Il n'y a ni sciences ni arts patriotiques; les unes et les autres appartiennent, ainsi que tout ce qui est souverainement bien, au monde entier, où ils ne peuvent se propager que par un échange perpétuel entre tous les contemporains. Il ne faut cependant jamais perdre de vue ce qui était déjà connu dans le passé, et ce qui nous en est resté.

La femme la plus digne du titre de femme de mérite, est celle qui, si ses enfants venaient à perdre leur père, serait capable de le remplacer.

Les étrangers qui se mettent aujourd'hui à étudier sérieusement notre littérature, ont l'avantage immense de passer par-dessus les maladies de développement que nous avons été forcés de supporter pendant près d'un siècle. S'ils savaient s'y prendre, notre exemple achèverait leur éducation littéraire de la manière la plus désirable.

Là où les Français du dix-huitième siècle détruisaient, Wieland raillait.

Le talent poétique a été accordé au paysan aussi bien qu'à son seigneur; la grande question est que chacun se renferme dans son état et s'y comporte dignement.

Les tragédies ne sont autre chose que la mise en vers des passions de certaines personnes, qui font de tous les objets extérieurs un je ne sais quoi.

Yoric Stern est un des meilleurs esprits qui ait jamais agi sur ses contemporains. Sa gaîté est inimitable, et toutes les gaîtés ne soulagent pas l'âme oppressée.

La vue est le plus noble des sens; les quatre autres ne nous instruisent qu'à l'aide du toucher; c'est par le toucher que nous entendons, que nous sentons, que nous goûtons; la vue s'élève plus haut; se purifiant pour ainsi dire de la matière, elle s'approche des facultés intellectuelles.

Si nous nous mettions à la place des personnes qui excitent notre jalousie et notre haine, nous cesserions de les envier et de les haïr; et si nous les mettions à la nôtre, elles auraient moins de présomption et d'orgueil.

La pensée et l'action peuvent se comparer à Rachel et à Lia; l'une était plus gracieuse et l'autre plus fertile.

Après la santé et la vertu, il n'y a rien de plus désirable que la connaissance et le savoir; et rien n'est plus facile à obtenir. Le travail consiste à se tenir tranquille, et la dépense se borne au temps, qu'en tout cas on ne saurait utiliser sans le dépenser.

Si l'on pouvait entasser le temps comme on entasse l'argent qu'on laisse dormir chez soi, les oisifs auraient du moins une excuse; mais elle serait toujours très-imparfaite, car, en ce cas même, leur conduite ressemblerait à celle d'un ménage qui vivrait aux dépens du capital, au lieu de chercher à lui faire rapporter des intérêts.

Les poètes modernes mettent beaucoup d'eau dans leur encre.

De toutes les bizarres absurdités des écoles, les discussions sur l'authenticité des vieux manuscrits me paraît la plus ridicule. Est-ce l'auteur ou le manuscrit que nous admirons ou que nous blâmons? Ce n'est jamais que le manuscrit que nous avons devant nous; et que nous importent les noms, quand il s'agit de juger une production de l'esprit?

Qui oserait dire qu'il voit Virgile ou Homère, quand nous lisons les écrits qu'on leur attribue? Nous voyons ces écrits, que nous faut-il davantage? Les savants qui mettent tant d'importance à une chose si insignifiante, me rappellent une jeune et belle femme qui me demanda un jour avec un de ses plus séduisants sourires, quel pouvait avoir été l'auteur des pièces de théâtre de Shakespeare.

Il vaut mieux s'occuper de la plus grande futilité du monde, que de regarder comme sans importance une demi-heure perdue.

Le courage et la modestie sont les moins équivoques de toutes les vertus, car l'hypocrisie ne saurait les imiter. Elles ont encore cela de commun entre elles, que toutes deux se montrent sous la même couleur.

Les fous sont les voleurs les plus dangereux, car ils nous volent le temps et les dispositions d'esprit nécessaires au travail.

L'estime que nous avons pour nous-mêmes décide de notre moralité; l'estime que nous avons pour les autres règle notre conduite.

L'art et la science sont des mots dont on se sert souvent, sans en connaître la véritable signification; aussi les emploie-t-on presque toujours l'un pour l'autre.

Les définitions qu'on nous donne de ces deux mots ne me plaisent pas. J'ai lu quelque part une comparaison de la science avec l'art; elle m'a donné une idée de la différence qui sépare l'une de l'autre, et non des propriétés qui les caractérisent tous deux.

Je crois qu'on pourrait appeler science, la connaissance générale, le savoir abstrait; tandis que l'art est la science en action. On pourrait ajouter que la science est la raison et l'art son mécanisme, c'est-à-dire la science pratique. Par là, la science deviendrait le théorème et l'art le problème.

On m'objectera peut-être que la poésie est un art, et que pourtant elle n'a rien de mécanique; mais je nie que la poésie soit un art et même une science. Les arts et les sciences s'apprennent par la pensée, et la poésie ne s'apprend jamais; elle est inspirée, et ses premiers mouvements se font sentir dans l'âme; voilà pourquoi il ne faudrait l'appeler ni une science ni un art, mais un génie.