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Le comte de Moret

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Mais là s'était, momentanément du moins, arrêté sa période croissante; Ferdinand cédait aux plaintes qui s'élevaient de tous côtés contre ce chef de bandits, cherchait un moyen de l'éloigner le plus possible de l'Autriche, du Danemark, de la Hongrie, de tous les points de l'Allemagne. Des recrues lui arrivaient en foule, il avait envoyé un corps en Italie, il venait d'en envoyer un autre en Pologne; une masse énorme, quarante mille hommes, restait sur la Baltique, mangeant un pays déjà mangé. Il lui fallait se faire conquérant ou périr; il lui fallait surtout retomber sur les riches villes impériales, sur Worms, Francfort, la Souabe, les environs de Strasbourg, et c'est ce qu'il avait fait. Son avant-garde avait occupé un fort dans l'évêché de Metz, et Richelieu n'ignorait pas que Monsieur, tandis qu'il était en Lorraine, s'était mis en rapport avec Waldstein, et qu'il avait été sérieusement question d'appeler en France les barbares, ostensiblement contre Richelieu, en réalité contre Louis XIII. Un général italien, avec deux chefs de bande, Galas et Aldungen, commandaient les troupes détachées vers l'Italie pour assiéger Mantoue et porter secours à Charles-Emmanuel.

A l'est, c'était Venise et Rome qui fixaient les regards du cardinal; Venise avait promis de faire une diversion en attaquant le Milanais, mais Venise n'en était plus au temps de ces coups de main hardis qui lui donnèrent Constantinople, Chypre et la Morée. Mais, d'un autre côté, les Vénitiens firent ce qu'ils avaient promis: ils pourvurent Mantoue de blé, y jetèrent des renforts et des munitions, fournirent de l'argent au duc et coupèrent les vivres aux assiégeants.

Privés de blé, de rafraîchissements, de fourrages, ne pouvant attaquer Mantoue qu'à l'aide du canon, atteints par les maladies qui se font les auxiliaires de la disette, les Allemands allaient lever le siége, lorsqu'ils retrouvèrent un secours là où ils s'attendaient le moins à le trouver. Le pape leur permit de s'approvisionner dans l'Etat ecclésiastique, à condition que l'un de ses neveux (celui-là n'était pas placé à ce qu'il paraît) se ferait marchand de pain, de vin et de paille. Ainsi, comme toujours, c'était le pape, et un pape italien, qui, comme toujours, trahissait l'Italie. Mais aussi c'était un Barberino, et ses neveux étaient ces fameux Barberini qui enlevèrent jusqu'aux plaques de bronze du Panthéon d'Agrippa.

Plus rapproché du cardinal, mais dans la même direction, c'était Spinola; le condottiere génois au service de l'Espagne, qui entrait dans le Montferrat en même temps que les Impériaux entraient dans le duché de Mantoue, et qui, sans faire précisément le siége de Cazal, se contentait de bloquer la ville. Il y avait six mille hommes de pied et trois mille chevaux. Il devait avec ces neuf mille hommes s'opposer aux Français, s'ils tentaient d'aller secourir Mantoue. Jusqu'au moment où Mantoue serait prise, les vingt-cinq ou les trente mille Impériaux qui l'assiégeaient, viendraient à son aide pour s'emparer de Cazal et chasser les Français d'Italie.

A l'Ouest, l'horizon était plus sombre encore, Colatto et Spinola étaient des ennemis visibles, faisant la guerre au grand jour, en bataille rangée, à visage découvert; mais du côté de la France, il n'en était pas ainsi: les ennemis du cardinal étaient de sombres mineurs qui creusaient souterrainement pour ébranler sa fortune et ne reparaissaient au jour qu'un masque sur le visage. Louis, qui sentait sa vie et sa renommée liés à celles de son ministre, se lassant de cette lutte incessante, était plus mélancolique qu'il ne l'avait jamais été; dégoûté de tout, même de la chasse, il vivait, lui, dans une inquiétude continuelle; tous ceux qui l'entouraient, mère, femme, frère, vivaient, eux, dans une espérance unique, la chute du cardinal, et chacune de leurs paroles, chacune de leurs actions était un ébranlement porté à cette conviction qui s'obstinait sourdement dans la cour de Louis, qu'il n'y avait pas de royauté, pas de grandeur pas d'influence sans le cardinal.

Il commençait, au reste, à s'apercevoir que le premier ministre n'était qu'une espèce d'ouvrage avancé qu'il fallait prendre, soit par ruse, soit d'assaut, pour arriver à le battre en brèche lui-même. Louis était donc disposé à défendre de tout son pouvoir le cardinal, convaincu que c'était se défendre lui même.

Depuis la fuite du duc d'Orléans à Nancy, fuite prévue par la lettre en chiffres traduite par Rossignol, depuis surtout les négociations impies échangées entre le prince de Waldstein, le roi comprenait qu'il arriverait un moment où Gaston, soutenu à l'extérieur par l'Autriche, l'Espagne et la Savoie, à l'intérieur par la reine Marie de Médicis, la reine Anne et les mécontents de tous les parties, lèverait l'étendard de la révolte.

En effet, les mécontents étaient nombreux.

Le duc de Guise était mécontent de n'avoir pas obtenu dans l'armée le commandement qu'il attendait, et ne cessait avec Mme de Conti et la duchesse d'Elbeuf, de cabaler contre Richelieu.

Les juges du Châtelet de Paris, soulevés par certaines taxes exigées cette année des officiers de judicature, étaient mécontents et, dans leur mécontentement, cessaient de rendre la justice.

Enfin le Parlement lui-même était si mécontent, qu'il offrait secrètement au duc d'Orléans de se déclarer en sa faveur, s'il voulait décréter l'abolition de quelques impôts qui lui seraient désignés.

Nous nous sommes étendus avec trop de détails sur la manière dont la police du cardinal était faite pour que nous ayons besoin de dire qu'il était au courant de toutes ces menées et suivait de l'œil tous ces mécontentements.

Mais il vivait dans cette rassurante conviction que le roi tiendrait la promesse qu'il lui avait faite de venir le rejoindre, et cette conviction était en lui pour deux raisons: la première, c'est qu'il était certain que cette incurable mélancolie, cet ennui de toute chose pousserait le roi du côté de l'armée, ne fût-ce que pour entendre se renouveler le bruit glorieux qui s'était fait une année auparavant autour de son nom; la seconde, c'est que, comme au départ du roi, Gaston devait être nommé lieutenant-général à Paris et commandant de l'armée de Champagne, Gaston, pour toucher les émoluments des deux grades, pousserait, avec l'aide de sa mère et de la reine, Louis XIII hors de Paris et même hors de France.

Il y avait bien la possibilité que Gaston profitât de l'absence du roi pour nouer quelque conspiration contre le cardinal et même contre le roi; mais, une fois Louis XIII près de lui, Richelieu ne craignait rien, et il connaissait assez Gaston pour être sûr qu'à la vue d'une armée commandée par le cardinal et par le roi en personne, non-seulement il abandonnerait alliés et complices, mais encore les livrerait quels qu'ils fussent, comme il avait fait jusqu'alors, contre son pardon et une augmentation de revenus.

Cette revue de l'Europe faite, le cardinal comprit que tous les dangers réels étaient dans le lointain et, plus tranquille, se tourna du côté de Turin et essaya de voir, malgré la distance, si Montmorency y suivait exactement ses instructions.

CHAPITRE XVII.
DEUX ANCIENS AMANTS

Le duc de Montmorency, sans lui faire part du vrai but de son voyage, avait offert à son ami le comte de Moret de l'accompagner à Turin, et celui ci avait accepté avec empressement, comme un moyen de distraction.

L'importance des événements que nous racontons et qui sont de grands faits historiques nous empêche parfois de suivre jusqu'au fond des cœurs de nos personnages le retentissement joyeux ou triste qu'apporte l'accomplissement de ces événements. C'est ainsi que nous avons raconté l'investissement de la ville de Mantoue par les Impériaux, sans avoir le temps de nous préoccuper du trouble que cet investissement jetait dans le cœur du fils de Henri IV.

Et, en effet, Isabelle près de son père allait subir toutes les conséquences funestes: misère, famine, dangers, qui s'attachent aux différentes périodes d'un siége fait par des bandits, tels que ceux qui formaient les hordes impériales.

Surtout, lorsqu'il avait su que M. de Pontis y avait été envoyé par M. de Richelieu comme ingénieur, il avait demandé à y aller, lui, comme volontaire, ne fût-ce que pour combattre, non point près d'Isabelle, mais près de M. de Lautrec, l'influence de l'homme qu'il savait être son rival.

Mais le cardinal n'avait point autour de lui assez d'esprits fermes et de cœurs loyaux dont il fût sûr pour se priver d'un homme qui, par son rang d'abord, devait rester là où étaient le roi et le cardinal; mais qui, par son courage et son adresse, lui ayant déjà rendu de grands services, pouvait dans les circonstances difficiles où l'on allait se trouver lui en rendre encore; pour rassurer d'ailleurs son jeune protégé, il lui assura, ce qui était vrai, qu'il avait écrit à M. de Lautrec pour l'inviter à rester dans la mesure de la promesse qu'il avait faite aux deux jeunes gens; et lui défendre, tant que le comte vivrait, de forcer l'inclination de sa fille.

Nous ne voulons pas faire notre héros meilleur qu'il n'était, et nous avons, sous le rapport, non pas de son infidélité, mais de son inconstance, fait la part qui revenait au sang de Henri IV. Nous aurions donc tort de dire que, tout en gardant religieusement à Isabelle son serment de n'avoir pas d'autre femme qu'elle, il avait, au fur et à mesure qu'il s'était rapproché de Paris avec le cardinal et son frère, vu reparaître, à travers un nuage qui allait toujours s'éclaircissant, certaine tête brune lui avait donné, à l'hôtel de la Barbe Peinte, deux si braves baisers, que lorsqu'il y pensait, les lèvres lui brûlaient encore. Ce n'était pas tout: on se rappelle aussi qu'un soir, en sortant de chez la princesse Marie de Gonzague, cette provocante personne, qui s'était improvisée sa cousine, avait échangé avec lui certaines promesses de rendez-vous que les circonstances avaient empêché d'avoir lieu, mais qu'il avait l'intention bien positive de rappeler à la personne qui l'avait faite, avec sommation de la tenir. Or, cette fois encore, le hasard avait remis à d'autres temps l'exécution de ce charmant projet. A l'arrivée du comte de Moret à Paris, Mme de Fargis, nous présumons que nos lecteurs ont deviné que c'est d'elle qu'il était question à l'arrivée du comte à Paris, Mme de Fargis l'avait quitté, expédiée par la reine Anne en mission secrète près de son mari, et peut-être même près d'un plus haut personnage, et comme au moment du départ du comte la belle ambassadrice n'était pas de retour dans la capitale, Jaquelino, à son grand regret, n'avait pas pu renouveler connaissance avec sa belle cousine Marina.

 

Mais à la cour élégante du duc de Savoie, où il était resté un mois quand nous l'avons vu revenir d'Italie, chargé d'un triple message pour les deux reines et pour Monsieur, il avait laissé quelques galants souvenirs qu'il se promettait bien de réchauffer au cas où l'occasion ne se présenterait point de cultiver et de cueillir de nouvelles amours.

Et, en effet, il y avait peu de cours aussi galantes et aussi adonnées aux plaisirs que celle du duc de Savoie. Extrêmement dissolu, Charles-Emmanuel, à force d'élégance, savait donner à la débauche ce laisser-passer charmant qui la fait pardonner. Si après ce que nous avons dit de lui, nous en étions encore à essayer de peindre son caractère, nous ajouterions qu'il était courageux, entêté, ambitieux et prodigue. Mais tout cela avait chez lui un tel air de grandeur et se masquait sous une si ardente hypocrisie, que sa profusion passait pour de la libéralité, son ambition pour un désir de gloire, son entêtement pour de la constance. Infidèle à ses alliances, avide du bien d'autrui, prodigue du sien, toujours pauvre et ne manquant jamais de rien, il eut successivement des démêlés avec l'Autriche, l'Espagne et la France, toujours l'allié de celui qui offrait davantage, et faisant la guerre à la puissance qui lui avait offert le moins avec l'argent de celle qui lui avait donné le plus. Tourmenté de la passion de s'agrandir, il faisait la guerre à ses voisins dès que l'occasion s'en présentait: forcé presque toujours de faire la paix, il avait besoin d'insérer dans ses traités quelques clauses équivoques qui lui servaient à les rompre. Temporisateur artificieux, c'était le Fabius de la diplomatie: il avait épousé Catherine, fille du roi Philippe, et avait fait épouser à son fils, Christine, fille du roi Henri IV; mais ces deux alliances furent insuffisantes à le protéger à cause de son éternelle versatilité. Cette fois il avait rencontré son plus redoutable adversaire, Richelieu, et il devait se briser contre lui.

Le duc de Savoie reçut admirablement ses deux visiteurs: Montmorency, précédé par son immense réputation de courage, d'élégance et de libéralité; le comte de Moret, suivi des souvenirs de galanterie qu'il avait laissés dix-huit mois auparavant: Mme Christine surtout fit un grand accueil au jeune prince qui, reconnu par Henri IV, jouissait près d'elle des priviléges d'un frère.

Connaissant les tendances galantes de Montmorency, Charles-Emmanuel, dans l'espérance de le détacher des intérêts de la France pour le mettre dans les siens, réunit à sa cour toutes les jolies femmes de Turin et des environs. Mais, au milieu de toutes ces jolies femmes, Antoine de Bourbon chercha vainement celle pour laquelle il était venu, la comtesse Urbain d'Espalomba.

C'était toute une histoire que celle de cette jolie comtesse, et comme cette histoire s'était passée avant que s'ouvrit la première page de notre livre, et qu'elle n'intéressait son action que comme détails de la vie de notre prince, nous n'avons pas jugé à propos d'en entretenir nos lecteurs.

Tout à coup Charles-Emmanuel avait vu paraître à la cour de Turin une étoile inconnue et brillante, devenue le satellite d'un astre pâle comme tout astre qui n'a pas sa lumière en lui-même. Quoique appartenant à la première noblesse du royaume, le comte Urbain d'Espalomba venait d'épouser Mathilde de Cisterna; une des plus belles fleurs de la vallée d'Aoste, comme dirait Shakspeare.

Nous l'avons dit, Charles-Emmanuel, quoique âgé de soixante sept ans, avait conservé les habitudes de galanterie qui, durant son long règne, lui avaient fait considérer sa cour comme un harem dans lequel il n'avait qu'à jeter son mouchoir ducal. Ebloui de la beauté de la duchesse d'Espalomba, il lui fit comprendre qu'elle n'avait qu'un mot à dire pour être la véritable duchesse de Savoie; mais ce mot la belle comtesse ne le dit point. Ses yeux et son cœur étaient tournés non point vers le phare vulgaire de l'ambition, mais vers le soleil ardent de l'amour.

Elle avait vu le comte de Moret, ses dix-huit ans avaient été attirés par les vingt-deux ans du jeune prince, avril et mai avaient volé l'un à l'autre, et les deux printemps s'étaient confondus dans un seul baiser.

Le comte d'Espalomba n'avait de soupçons que contre le duc; l'œil constamment fixé sur Charles-Emmanuel, il ne vit rien, ne se douta de rien, et, à l'ombre de cette jalousie du vieil époux, les deux amants furent heureux.

Mais le regard du souverain fut plus perçant que celui du mari. Il devina, non point ce qui était, mais craignit ce qui pouvait être, et comme le comte Urbain, peu riche et avare, était venu à la cour pour solliciter les faveurs du duc, il nomma le comte gouverneur de la citadelle de Pignerol, avec ordre de s'y rendre à l'instant même.

Là il tenait la comtesse, comme un riche bijou dans un écrin de pierres dont il avait la clef, et où il était toujours sûr de la retrouver.

Les deux amants avaient beaucoup pleuré en se quittant et s'étaient promis fidélité à toute épreuve; nous avons vu comment le comte de Moret avait tenu son serment.

Force avait été à la belle Mathilde de tenir le sien; les occasions d'aimer, surtout quand on avait aimé un jeune et beau fils du roi, étaient rares à Pignerol. Mathilde avait appris le départ du comte aussitôt son départ à elle. Elle avait su gré à son amant de n'avoir pas voulu rester dans une cour où elle n'était plus, et depuis dix-huit mois elle rêvait son retour.

Aussi, ce fut avec une joie infinie qu'elle apprit qu'à l'occasion des fêtes que la cour de Turin comptait donner aux deux princes, son mari était invité à quitter Pignerol et à venir passer quelques jours dans la capitale.

Les deux amants se revirent; apportaient-ils dans la joie de cette réunion une égale part d'amour, c'est ce que nous n'oserions affirmer, mais ils apportèrent une égale part de jeunesse, la chose qui ressemble le plus à l'amour.

Mais cette fois encore, cette lueur de félicité ne devait être qu'éphémère. Les princes n'avaient que quelques jours à passer à Turin, mais comme la campagne pouvait durer des mois et même des années, et que des occasions de se revoir, soit publiquement, soit en secret, pouvaient se présenter, les deux jeunes gens prirent leurs précautions et le comte de Moret put tracer, grâce aux renseignements que lui donna sa belle amie, un plan détaillé des logements du gouverneur de Pignerol, et en traçant ce plan il reconnut avec une joie infinie que la comtesse Urbain avait un appartement complétement séparé de celui de son époux et que leurs deux chambres à coucher particulièrement formaient le pôle arctique et le pôle antarctique du palais.

Les deux amants s'étaient en outre ménagé des intelligences dans la place. La jeune fille en quittant sa belle vallée d'Aoste, avait amené avec elle sa sœur de lait, Jacintha, âgée de quelques mois seulement de plus qu'elle, précaution qu'à tout hasard devrait prendre toute jeune femme épousant un vieux mari, les sœurs de lait étant les ennemies naturelles des mariages de convenance et des unions disproportionnées. Il fut convenu que comme Jacintha avait laissé à Salimo un frère plus âgé qu'elle de deux à trois ans, l'occasion se présentant, le comte viendrait voir sa sœur sous le nom de Gaëtano.

Or, rien de plus naturel qu'un frère qui vient voir sa sœur reste dans la maison qu'habite sa sœur, surtout quand cette sœur est commensale d'un palais qui, habité par dix ou douze personnes seulement, pourrait en loger cinquante.

Une fois dans le même palais, les amants seraient bien maladroits s'ils ne trouvaient moyen de se voir au moins trois ou quatre fois le jour et de se dire qu'ils s'aimaient au moins une fois la nuit.

Tout cela s'était fait dès le premier jour où nos amoureux s'étaient rencontrés, tant ils étaient gens de précaution, et tant à cet âge, que l'on dit si insoucieux de l'avenir, ils y pensaient au contraire et sérieusement.

Ajoutons que ces petits arrangements avaient été pris, tandis que le comte Urbain, n'ayant de défiance que contre le duc de Savoie, ne perdait pas un des mouvements de celui-ci, qui, soit qu'il eût perdu l'espoir de se faire aimer d'elle, soit qu'il eût, avec son caractère inconstant, renoncé à ses désirs sur la comtesse, ne donna cette fois au comte d'autres sujets de déplaisir que de lui refuser un surcroît d'appointements sous le simple prétexte que, ses finances étant horriblement obérées, le temps était venu pour lui d'en appeler au dévouement de ses sujets!..

De son côté, le duc de Montmorency était l'homme le plus heureux de la terre. Beau, jeune, riche, portant, après les noms royaux, le plus beau nom de France; bien venu des femmes, caressé par le souverain d'une des cours les plus polies et les plus aristocratiques de l'Europe, sa vanité n'avait rien à désirer, surtout lorsque le duc lui eut dit tout haut en sortant de table et en entrant dans la salle de bal:

– Monsieur le duc, depuis que vous êtes ici, nos dames ne s'occupent qu'à vous paraître belles, ce dont vous pouvez vous assurer en voyant les maris si inquiets et si mélancoliques.

Les huit jours que passèrent les deux ambassadeurs, soit à Turin soit au château de Rivoli, s'écoulèrent en dîners, en bals, en cavalcades et en fêtes de toute espèce, dont le résultat fut que le cardinal et le prince Victor-Amédée se verraient au château de Rivoli, ou, si mieux aimait le cardinal, au village de Bussolino.

Le cardinal choisit le village de Bussolino; comme il n'était qu'à une heure de Suze, c'était le prince de Piémont, qui venait à lui, et non lui qui allait au prince de Piémont.