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Ma mère sortit donc désespérée et voulut entraîner sa fille, mais Costanza l'arrêta:

– A mon tour, ma mère, dit-elle, à mon tour d'essayer de fléchir notre maître. Peut-être serai-je plus heureuse que vous.

Ma mère secoua la tête et tomba sur une chaise, elle n'espérait rien.

Ma soeur entra à son tour.

– Elle savait que cet homme l'aimait, s'écria la régente, et elle entrait chez cet homme!..

– Mon père allait mourir, madame, comprenez-vous? Isabelle d'Aragon grinça des dents, puis, au bout d'un instant:

– Continuez, continuez… dit-elle.

Dix minutes s'écoulèrent dans une mortelle anxiété, enfin un serviteur sortit un papier à la main.

– Monseigneur le comte fait grâce pleine et entière au coupable, dit-il, voici le parchemin revêtu de son sceau.

Ma mère jeta un cri de joie si profond, qu'il ressemblait à un cri de désespoir.

– Oh! merci, merci, dit-elle, et, baisant la signature du comte, elle se précipita vers la porte. Puis, s'arrêtant tout à coup:

– Et ma fille? dit-elle.

– Courez à la prison, dit le serviteur, vous trouverez votre fille en rentrant chez vous.

Ma mère s'élança, égarée de joie, ivre de bonheur; elle traversa les rues de Rosarno en criant: «Sa grâce! sa grâce! j'ai sa grâce!..» Elle arriva à la porte de la prison, où déjà elle s'était présentée deux fois sans pouvoir entrer. On voulut la repousser une troisième fois, mais elle montra le papier, et la porte s'ouvrit.

On la conduisit au cachot de mon père.

Mon père n'attendait plus que le bourreau; c'était la vie qui entrait à la place de la mort.

Il y eut au fond de cet asile de douleur un instant d'indicible joie.

Puis il demanda des détails: comment ma mère et ma soeur avaient appris l'accusation qui pesait sur lui, comment elles étaient parvenues au comte; comment, enfin, toutes choses s'étaient passées.

Ma mère commença le récit, mon père l'écouta, l'interrompant à chaque instant par ses exclamations; peu à peu il ne dit plus que quelques paroles et d'une voix tremblante, bientôt il se tut tout à fait, puis sa tête tomba dans ses deux mains, puis la sueur de l'angoisse lui monta au visage, puis la rougeur de la honte lui brûla le front; enfin, quand ma mère lui eut dit que, repoussée par le comte, elle avait permis à ma soeur de prendre sa place, il bondit en poussant un rugissement comme un lion blessé, et s'élança contre la porte, la porte était fermée.

Il prit la pierre qui lui servait d'oreiller, et la lança de toutes ses forces contre la barrière de fer qu'il croyait avoir le droit de se faire ouvrir.

Le geôlier accourut et lui demanda ce qu'il voulait.

– Je veux sortir, s'écria mon père, sortir à l'instant même.

– Impossible! dit le geôlier.

– J'ai ma grâce, cria mon père. Je l'ai, je la tiens, la voilà!

– Oui, mais elle porte que vous ne sortirez de prison que demain matin.

– Demain matin? fit le captif avec une exclamation terrible.

– Lisez plutôt, si vous en doutez, ajouta le geôlier.

– Mon père s'approcha de la lampe, lut et relut le parchemin. Le geôlier avait raison; soit hasard, soit erreur, soit calcul, le jour de sa sortie était fixé au lendemain matin seulement.

Le prisonnier ne poussa pas un cri, pas un gémissement, pas un sanglot. Il revint s'asseoir muet et morne sur son lit. Ma mère vint s'agenouiller devant lui.

– Qu'as-tu donc? demanda-t-elle.

– Rien, répondit-il.

– Mais que crains-tu?

– Oh! peu de chose.

– Mon Dieu! mon Dieu! que crois-tu, que crains-tu, que penses-tu?

– Je pense que Costanza est indigne de son père, voilà tout. Ce fut ma mère qui se leva à son tour, pâle et frissonnante.

– Mais c'est impossible.

– Impossible! et pourquoi?

– On m'a dit qu'elle allait sortir derrière moi. On m'a dit qu'elle allait nous attendre à la maison.

– Eh bien! va voir à la maison si elle y est, et, si elle y est, reviens avec elle.

– Je reviens, dit ma mère.

Et elle frappa à son tour et demanda à sortir. Le geôlier lui ouvrit.

Elle courut à la maison. La maison était déserte, Costanza n'était point reparue.

Elle courut au palais et redemanda sa fille. On lui répondit qu'on ne savait pas ce qu'elle voulait dire.

Elle revint à la maison. Costanza n'était pas rentrée.

Elle attendit jusqu'au soir. Costanza ne reparut point.

Alors elle pensa à son mari et s'achemina de nouveau vers la prison; mais, cette fois, d'un pas aussi lent et aussi morne que si elle eût suivi au cimetière le cadavre de sa fille.

Comme la première fois, les portes s'ouvrirent devant elle.

Elle retrouva son mari assis à la même place; quoiqu'il eût reconnu son pas, il ne leva même pas la tête. Elle alla se coucher à ses pieds et posa sans rien dire son front sur ses genoux.

– Comprenez-vous, madame, quelle nuit infernale fut cette nuit pour ces deux damnés!

Le lendemain, au point du jour, on vint ouvrir la prison et annoncer au condamné qu'il était libre. – Je vous l'ai déjà dit, ajouta l'inconnu en riant d'un rire terrible, oh! le comte Carracciolo est un noble seigneur, et qui tient religieusement sa parole!..

Les deux vieillards sortirent s'appuyant l'un sur l'autre. Une seule nuit les avait tous deux rapprochés de la tombe de dix ans.

En tournant le coin de la route d'où l'on aperçoit la maison, ils virent Costanza, qui les attendait agenouillée sur le seuil.

Ils ne firent pas un pas plus vite pour aller au devant de leur fille; leur fille ne se releva pas pour aller au devant d'eux.

Quand ils furent près d'elle, Constanza joignit les mains et ne dit que ce seul mot:

– Grâce!

Par un mouvement instinctif, ma mère étendit le bras entre son mari et sa fille.

Mais celui-ci l'arrêta doucement.

– Grâce, dit-il en tendant la main à Costanza, grâce, et pourquoi grâce, mon enfant? n'es-tu pas un ange? n'es-tu pas une sainte? n'es-tu pas plus que tout cela, n'es-tu pas une martyre?

Et il l'embrassa.

Puis, comme la mère, entraînant sa fille au fond de la chaumière, le laissa seul dans la pièce d'entrée, il détacha son arquebuse, la jeta sur son épaule, et s'achemina vers le château.

Il demanda à remercier le comte.

Le comte était parti depuis une heure pour Naples.

Il demanda à remercier Raymond.

Raymond était parti avec son frère.

Il revint alors vers la chaumière, accrocha son arquebuse à la cheminée. Puis Costanza et sa mère entendirent comme le bruit d'un corps pesant qui tombait; elles sortirent toutes deux et trouvèrent le vieillard étendu sans connaissance au milieu de la chambre.

Elles le posèrent sur le lit; ma soeur resta près de lui, tandis que ma mère courait chercher un médecin.

Le médecin secoua la tête; cependant il saigna mon père. Vers le soir, le vieillard rouvrit les yeux.

Comme il rouvrait les yeux, je mettais le pied sur le seuil de la porte.

Il ne vit ni ma mère ni ma soeur, il ne vit que moi.

– Mon fils, mon fils! s'écria-t-il, oh! c'est la vengeance divine qui te ramène.

Je me jetai dans ses bras.

– Allez, dit-il à ma mère et à ma soeur, et laissez-nous seuls. Ma mère obéit, mais ma soeur voulut rester.

Alors le vieillard se souleva sur son lit, et, montrant à Costanza sa mère qui s'éloignait:

– Suivez votre mère, dit-il avec un de ces gestes suprêmes qui veulent être obéis, suivez votre mère, si vous voulez que ma bénédiction vous suive.

Costanza baisa la main du moribond, se jeta à mon cou en pleurant et suivit sa mère.

Je déposai mon arquebuse, mes pistolets et mon poignard sur une table, et j'allai m'agenouiller près du lit du vieillard.

– C'est la vengeance divine qui te ramène, répéta-t-il une seconde fois. Écoute-moi, mon fils, et ne m'interromps pas; car, je le sens, je n'ai plus que quelques instans à vivre, écoute-moi.

Je lui fis signe qu'il pouvait parler.

Alors il me raconta tout.

Et, à mesure qu'il parlait, sa voix s'animait, le sang refluait à son visage, la colère remontait dans ses yeux, on eût dit qu'il était plein de force, de vie et de santé. Seulement, au dernier mot, lorsqu'il en fut au moment où, rentrant chez lui et remettant son arquebuse à sa cheminée, il avait cru qu'il lui faudrait renoncer à sa vengeance, il jeta un cri étouffé et retomba la tête sur son chevet.

Cette fois il était mort.

Je fus long-temps sans le croire, long-temps je lui secouai le bras, long-temps je l'appelai; enfin je sentis ses mains se refroidir dans les miennes, enfin je vis ses yeux se ternir.

Je fermai ses yeux, je croisai ses mains sur sa poitrine, je l'embrassai une dernière fois et je jetai par dessus sa tête son drap devenu un linceul.

Puis j'allai ouvrir la porte du fond, et faisant signe à ma mère et à ma soeur de s'approcher:

– Venez, leur dis-je, venez prier près de votre mari et de votre père mort.

Les deux femmes se jetèrent sur le lit en s'arrachant les cheveux et en éclatant en sanglots.

Pendant ce temps, je passais mes pistolets et mon poignard dans ma ceinture, et, jetant mon arquebuse sur mon épaule, je m'avançai vers la porte.

– Où vas-tu, frère? s'écria Costanza.

– Où Dieu me mène, répondis-je.

Et, avant qu'elle eût le temps de s'opposer à ma sortie, je franchis le seuil et je disparus dans l'obscurité.

Je vins droit à Naples.

On m'avait dit non seulement que vous étiez belle entre les femmes, mais encore juste entre les reines.

Je vins à Naples avec l'intention de vous demander justice.

– Comment ne vous l'êtes-vous pas faite vous-même? demanda Isabelle.

– Un coup de poignard n'était point assez pour un pareil crime, madame, c'était l'échafaud que je voulais. Antoniello Carracciolo a déshonoré ma famille, je veux le déshonneur d'Antoniello Carracciolo.

 

– C'est juste, murmura la régente.

– Mais, pour plus de sûreté encore, comme le long du chemin j'appris que la tête de Rocco del Pizzo était mise à prix, et comme, en arrivant à Naples, je lus, au coin du Mercato-Nuovo, le placard qui offrait quatre mille ducats à celui qui le livrerait mort ou vif; pour plus de sûreté, dis-je, je me présentai chez le ministre de la police, offrant de livrer vivant cet homme que vous cherchez partout et que vous ne pouvez trouver nulle part. Mais le ministre de la police ne voulut point m'accorder ce que je lui demandais, c'est-à-dire une audience de Votre Altesse. Alors je résolus d'arriver à mon but par un autre moyen; je volai sur la route de Résina à Torre del Greco.

– Alors c'était donc vous et non pas Rocco del Pizzo?..

– Alors je volai sur la route d'Aversa…

– C'était donc encore vous et non pas celui que l'on croyait?..

– Alors j'assassinai sur la route d'Amalfi. La mort de Raymond, c'était le commencement de ma vengeance, car j'étais résolu de recourir à la vengeance puisqu'on me refusait justice.

– C'est bien, dit la régente. Dieu a voulu que je vous retrouve, tout est donc pour le mieux.

– Tout est pour le mieux, dit l'inconnu.

– Et vous vous engagez toujours à livrer Rocco del Pizzo?

– Toujours.

– Vous savez où il est?

– Je le sais.

– Vous répondez de mettre la main dessus?

– J'en réponds.

– Et vous me le livrerez vivant?

– En échange de Carracciolo mort; vous le savez, c'est ma condition, madame.

– C'est chose dite, soyez tranquille. Mais qui me répondra de vous d'ici là?

– C'est bien simple: envoyez-moi en prison; seulement, vous me ferez conduire, par deux gardes, à quelque fenêtre d'où je puisse assister au supplice de Carracciolo. Puis, Carracciolo mort, je vous livrerai Rocco del Pizzo.

– Mais si vous ne me le livrez pas?

– Ma tête répondra pour la sienne; je l'ai déjà dit et je vous le répète.

– C'est juste, dit la régente, je l'avais oublié.

Elle frappa dans ses mains, le capitaine des gardes entra.

– Faites écrouer cet homme à la Vicairie, dit-elle.

Le capitaine remit l'inconnu aux mains de deux gardes et rentra.

– Maintenant, continua la régente, faites arrêter le comte Antoniello Carracciolo et conduisez-le au château de l'Oeuf.

Le capitaine se présenta au palais de Carracciolo; mais, soupçonnant sans doute quelque chose du danger qui le menaçait, Carracciolo avait disparu.

La régente, en apprenant cette nouvelle qui lui confirmait la culpabilité de son favori, ordonna aussitôt aux nobles du siége de Capouan, où les Carraccioli étaient inscrits, de lui livrer le coupable, leur donnant trois jours seulement pour obtempérer à cet ordre.

Les trois jours s'écoulèrent, et comme, à la fin de la troisième journée, le comte n'avait point reparu, Naples, en se réveillant, trouva, le lendemain, cinquante ouvriers occupés à démolir le palais d'Antoniello Carracciolo, situé en face de la cathédrale.

Quand le palais fut complètement rasé, on amena une charrue, on creusa des sillons à la place où il s'était élevé, et l'on sema du sel dans les sillons.

Puis on commença de démolir le palais situé à la droite du sien: c'était le palais du prince Carracciolo son père.

Puis on commença de démolir le palais de gauche: c'était le palais du duc Carracciolo son frère aîné.

Le palais démoli, il en fut fait autant sur son emplacement qu'il en avait été fait sur l'emplacement des deux autres.

La régente ordonna qu'il en serait ainsi des palais de tous les Carraccioli, jusqu'à ce que les Carraccioli eussent livré le coupable.

Dans la nuit qui suivit cette ordonnance, Antoniello Carracciolo se constitua de lui-même prisonnier.

Le lendemain, son père et ses deux frères se présentèrent au palais, mais la régente fit dire qu'elle n'était pas visible.

Le surlendemain, le prisonnier écrivit à la duchesse pour solliciter d'elle les faveurs d'une entrevue; mais la duchesse lui fit répondre qu'elle ne pouvait le recevoir.

Les uns et les autres renouvelèrent pendant huit jours leurs tentatives; mais ni les uns ni les autres n'obtinrent le résultat qu'ils poursuivaient.

Le matin du neuvième jour, les habitans du Mercato-Nuovo, avec un étonnement mêlé d'effroi, virent sur la place un échafaud qui n'y était pas la veille. La funèbre machine avait poussé dans l'ombre, sans que nul la vît croître, sans que personne l'entendît grandir.

Il y avait à l'une des extrémités de cet échafaud un autel, et à l'autre un billot; entre le billot et l'autel étaient, d'un côté, un prêtre, et de l'autre le bourreau.

Nul ne savait pour qui étaient cet échafaud, ce bourreau, ce prêtre, ce billot et cet autel.

Bientôt on vit arriver, par le quai qui va du môle au Mercato-Nuovo, un homme conduit par deux gardes. On crut d'abord que cet homme était le héros du drame qui allait être joué; mais il entra, suivi de ses deux gardes, dans une des maisons de la place. Un instant après, il reparut, toujours entre ses deux gardes, à la fenêtre de cette maison qui donnait en face de l'échafaud. On s'était trompé sur l'importance de cet homme, qui, selon toute probabilité, devait être simple spectateur de l'événement.

Un instant après, des cris se firent entendre à la fois sur le quai qui mène du pont de la Madalena au Mercato-Nuovo et dans la rue du Soupir. Deux cortéges s'avançaient, celui de la rue du Soupir conduisant un beau jeune homme, celui du quai conduisant une belle jeune fille. Le beau jeune homme, c'était Antoniello Carracciolo. La belle jeune fille, c'était Costanza.

Tous deux apparurent sur la place en même temps, tous deux s'approchèrent de l'échafaud du même pas, tous deux y montèrent ensemble; seulement, Costanza y monta du côté du prêtre, et Antoniello du côté du bourreau.

Arrivés sur la plate-forme, Antoniello fit un mouvement pour s'élancer vers Costanza, mais le bourreau l'arrêta; de son côté, Costanza fit un pas pour s'avancer vers Antoniello, mais le prêtre la retint.

Alors le greffier déploya un parchemin et le lut à haute voix. C'était le contrat de mariage du comte Antoniello Carracciolo avec Costanza Maselli, contrat par lequel le noble fiancé donnait à sa future épousée, non seulement tous ses titres, mais encore tous ses biens.

Quoique la place fût encombrée par la foule, quoique cette foule refluât dans les rues environnantes, quoique chaque fenêtre de la place parût bâtie de têtes, quoique les toits des maisons semblassent chargés d'une moisson vivante, il se fit, au moment où le greffier déploya le parchemin, un tel silence dans cette multitude, que pas un mot du contrat de mariage ne fut perdu.

Aussi toute cette foule, la lecture achevée, éclata-t-elle en applaudissemens. On commençait à comprendre que, malgré la différence des conditions, la régente avait ordonné que le comte rendrait à la paysanne l'honneur qu'il lui avait ôté.

Quant aux deux fiancés, qui jusque-là n'avaient probablement pas su eux-mêmes de quoi il était question, ils parurent reprendre courage; et lorsque le prêtre, qui était monté à l'autel, leur fit signe de s'approcher, ils allèrent d'un pas assez ferme s'agenouiller devant lui.

Aussitôt la messe commença, accompagnée de tous les rites du mariage. Le prêtre demanda à chacun des deux jeunes gens s'il prenait l'autre pour époux, et chacun d'eux, d'une voix intelligible, prononça le oui solennel. Puis l'homme de Dieu remit à Antoniello l'anneau nuptial, et Antoniello le passa au doigt de Costanza.

Alors tous deux s'agenouillèrent de nouveau et le prêtre les bénit. Tous les assistans pleuraient de joie et d'émotion à cet étrange spectacle et bénissaient à leur tour les deux jeunes époux, quand tout à coup le même ministre qui avait prononcé les saintes paroles du mariage entonna d'une voix sourde les prières des agonisans. A ce changement, toute cette multitude frissonna et laissa échapper un murmure de terreur, car elle comprenait qu'on n'en était encore qu'à la moitié de la cérémonie, et qu'une catastrophe terrible allait en faire le dénouement.

En effet, comme Antoniello, ignorant, ainsi que tous les autres, du destin qui l'attendait, jetait autour de lui un regard épouvanté, les deux aides de l'exécuteur s'emparèrent de lui, et, avant qu'il eût eu le temps de faire un mouvement pour se défendre, ils lui lièrent les mains, et, tandis que le bourreau tirait son épée hors du fourreau, ils conduisirent le condamné devant le billot qui, ainsi que nous l'avons dit, s'élevait à l'autre extrémité de l'échafaud en face de l'autel, et le forcèrent de s'agenouiller, devant lui.

Costanza voulut s'élancer vers Antoniello, mais le prêtre arrêta la jeune femme en étendant un crucifix entre elle et son époux.

Antoniello vit alors que tout était fini pour lui, et comprit qu'il était irrévocablement condamné; il ne songea donc plus qu'à bien mourir. Il releva le front, dit à haute voix une prière; puis se retournant vers Costanza à moitié évanouie:

– Au revoir dans le ciel, lui cria-t-il, et il posa son cou sur le billot.

Au même instant, l'épée de l'exécuteur flamboya comme l'éclair, et la foule, jetant un cri terrible, fit un mouvement en arrière; la tête de Carracciolo, détachée du corps d'un seul coup, avait bondi du billot sur le pavé, et roulait entre les jambes de ceux qui étaient les plus rapprochés de l'échafaud.

Deux confréries religieuses s'approchèrent alors de l'échafaud: une d'hommes, une de femmes. La première emporta le cadavre de Carracciolo décapité, la seconde emporta le corps de Costanza évanouie.

La foule s'écoula sur leurs traces, et au bout d'un instant la place se trouva vide; il n'y resta plus, solitaire, sanglante et debout, que la terrible machine, demeurée là pour attester sans doute à la population de Naples que tout ce qu'elle venait de voir était une réalité et non un rêve.

Quand la place fut vide, l'homme qui avait assisté à l'exécution entre ses deux gardes descendit avec eux et reprit le chemin du quai. Mais, au lieu de le ramener à la Vicairie, les soldats le conduisirent au palais royal.

Là, il fut introduit dans les mêmes appartemens que la première fois, et, conduit au même oratoire, il y retrouva la régente à la même place, debout près du prie-dieu et la main étendue sur les Évangiles. Les soldats entrèrent avec lui et demeurèrent de chaque côté de la porte.

– Eh bien! dit Isabelle d'Aragon, ai-je accompli mon serment?

– Religieusement, madame, répondit l'inconnu.

– Maintenant, à vous de tenir le vôtre.

– Je suis prêt.

– Où est l'homme dont la tête est à prix?

– Devant Votre Altesse.

– Ainsi, Rocco del Pizzo?..

– C'est moi, madame.

– Je le savais, dit Isabelle.

– Alors, reprit le bandit, qu'ordonne de moi Votre Altesse?

– Que vous serviez de père à l'orpheline et de protecteur à la veuve.

– Comment, madame?.. s'écria Rocco del Pizzo.

– Je ne sais faire ni justice, ni grâce à moitié, reprit la régente.

Puis se retournant vers les soldats:

– Cet homme est libre d'aller où il voudra, dit-elle: laissez-le donc sortir.

Et elle rentra dans ses appartemens d'un pas calme et assuré, d'un pas de reine.

Constanza retourna en Calabre avec son frère, car elle avait encore, comme on s'en souvient, sa pauvre mère à Rosarno.

Rocco del Pizzo la suivit.

Mais lorsque sa mère mourut, ce qui arriva la nuit suivante, elle revint à Naples, entra dans le couvent qui l'avait déjà recueillie, y paya sa dot et légua les restes de l'immense fortune qu'elle tenait de son mari à la pauvre communauté, qui se trouva enrichie d'un seul coup.

Rocco del Pizzo suivit sa soeur à Naples.

Mais le jour où elle prononça ses voeux, lorsqu'il comprit qu'elle n'avait plus besoin de lui et que le Seigneur l'avait remplacé près d'elle, il disparut, et personne ne le revit depuis, ni ne sut positivement ce qu'il était devenu.

On croit qu'il s'attacha à la fortune de César Borgia, et qu'il fut tué près de ce grand homme, en même temps que lui.