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Mais l'extraction de cette cité n'était point facile; la cité était emboîtée dans son moule de lave; il fallait briser le bronze pour arriver à la pierre; on s'aperçut bientôt des frais énormes que nécessitait ce travail inconnu, et après quelques années on y renonça. Ces quelques années avaient cependant produit des trésors.

Il faut dire aussi que l'attention fut tout à coup détournée d'Herculanum et se reporta sur Pompeïa. Déjà, vers la fin du siècle précédent, on avait trouvé dans des ruines, sur les bords du fleuve Sarno, un trépied et un petit Priape en bronze; puis d'autres objets précieux avaient été le résultat d'une fouille particulière faite en 1689, à environ un mille de la mer, sur le flanc oriental du Vésuve; enfin, en 1748, des paysans creusent un fossé, quelque chose leur résiste; ils redoublent d'efforts, découvrent des monumens, des maisons, des statues; la ville ensevelie revoit le jour, la cité perdue est retrouvée; Pompeïa sort de son tombeau, morte il est vrai, mais belle encore, comme au jour où elle y est descendue. Jusqu'à cette heure on a évoqué l'ombre des hommes: de ce moment on va évoquer le spectre d'une ville. L'antiquité, racontée par les historiens, chantée par les poètes, rêvée par les savans, a pris tout à coup un corps: le passé se fait visible pour l'avenir.

Malheureusement, comme nous l'avons dit, une sensation peut être détruite, du moins en partie, par la progression. Ainsi est-il généralement de Pompeïa, qui, pour son malheur, a Herculanum sur son chemin. En effet, Herculanum, au lieu d'irriter la curiosité, la fatigue: on descend dans les fouilles d'Herculanum comme dans une mine, par une espèce de puits: ensuite viennent des corridors souterrains où l'on ne pénètre qu'avec des torches; corridors noircis par la fumée, qui de temps en temps laissent entrevoir, comme par la déchirure d'un voile, le coin d'une maison, le péristyle d'un temple, les degrés d'un théâtre; tout cela incomplet, mutilé, sombre, sans suite, sans ensemble, et par conséquent sans effet. Aussi, au bout d'une heure passée dans ces souterrains, le plus terrible antiquaire, l'archéologue le plus obstiné, le plus infatigable curieux, n'éprouvent-ils qu'un besoin, celui de respirer l'air du ciel, ne ressentent-ils qu'un désir, celui de revoir la clarté du jour. Ce fut ce qui nous arriva.

Nous nous remîmes en route après avoir visité cette momie de ville, et nous reprîmes la route qui conduit de Naples à Salerne. A une demi-lieue de la tour de l'Annonciation, une route s'offrit tracée sur le sable, s'enfonçant vers la gauche, et présentant à son entrée un poteau avec cette inscription: Via di Pompei. Nous la prîmes, et au bout d'une demi-heure de marche nous rencontrâmes une barrière qui s'ouvrit devant nous, et nous nous trouvâmes à cent pas de la maison de Diomède, et par conséquent à l'extrémité de la rue des Tombeaux.

Là, il faut le dire, malgré le tort qu'Herculanum fait à Pompeïa, l'impression est vive, profonde, durable; cette rue des Tombeaux est un magnifique péristyle pour entrer dans une ville morte; puis, tous ces monumens funèbres placés aux deux côtés de la route consulaire au bout de laquelle s'ouvre béante la porte de Pompeïa, ne dépassant pas la couche de sable qui les recouvrait, se sont conservés intacts comme au jour où ils sont sortis des mains de l'artiste: seulement le temps a déposé sur eux en passant cette belle teinte sombre, ce vernis des siècles, qui est la suprême beauté de toute architecture.

Joignez à cela la solitude, cette poétique gardienne des sépulcres et des ruines.

Que serait-ce donc, je le répète, si l'on n'avait point passé par Herculanum! Qu'on se figure, sous un soleil ardent, ou, si l'on aime mieux, sous un pâle rayon de la lune, une rue large de vingt pas, longue de cinq cents, toute sillonnée encore par les roues des chars antiques, toute garnie de trottoirs pareils aux nôtres, toute bordée, à droite et à gauche, par des monumens funéraires, au dessus desquels se balancent quelques maigres et tristes arbustes poussés à grand'peine dans cette cendre; offrant à son extrémité, comme une grande arche à travers laquelle on ne voit que le ciel, cette porte, par laquelle on allait de la ville des morts à la ville des vivans; qu'on entoure tout cela de silence, de solitude, de recueillement, et l'on aura une idée, bien incomplète encore, de l'aspect merveilleux que présente le faubourg de Pompeïa, appelé par les anciens le bourg d'Augustus Félix, et par les modernes la rue des Tombeaux.

Nous nous arrêtâmes, ne songeant plus à ce soleil de trente degrés qui tombait d'aplomb sur nos têtes, moi, pour prendre le nom de tous ces monumens, Jadin, pour faire un croquis de cette vue. On eût dit que nous avions peur de voir disparaître tout ce panorama d'un autre âge, et que nous voulions le fixer sur le papier avant qu'il s'envolât comme un songe ou qu'il s'évanouît comme une vision.

Au commencement de la rue s'ouvre la première maison déterrée. Par un hasard étrange, c'est une des plus complètes: cette maison était celle de l'affranchi Arrius Diomède.

Que notre lecteur se tranquillise, nous ne comptons pas l'entraîner dans une excursion domiciliaire. Nous visiterons trois ou quatre des maisons les plus importantes, nous entrerons dans une ou deux boutiques, nous passerons devant un temple, nous traverserons le Forum, nous ferons le tour d'un théâtre, nous lirons quelques inscriptions, et ce sera tout.

XIII
La Rue des Tombeaux

La première, la seule maison même, je crois, de la rue des Tombeaux qui soit découverte, est celle de l'affranchi Arrius Diomède; vaste tombeau elle-même, car, dans sa galerie souterraine, où l'on descend par le jardin, on retrouva vingt squelettes.

Arrius Diomède ne démentait pas le proverbe: Riche comme un affranchi. Sa maison est comme celle d'un millionnaire. A défaut de gravure, essayons de faire comprendre par la description ce que c'était que la maison d'un millionnaire romain.

Quand nous disons que celle-ci appartenait à Arrius Diomède, il ne faut pas prendre à la lettre ce que nous disons: depuis qu'un Florentin a fait contre moi un volume parce que j'avais écrit Corso Donati au lieu de Cocco dei Donati, et Jacob de Pazzi au lieu de Jacques de Pazzi, je deviens méticuleux en diable en matière de noms, et je mets plutôt deux points sur un i que de n'en pas mettre du tout.

Ce qui a fait donner à la belle villa que nous allons décrire l'appellation sous laquelle elle est connue, c'est que le tombeau le plus voisin d'elle est consacré à la famille de l'affranchi Diomède. Cette fois, il n'y avait pas à s'y tromper, car il portait l'inscription suivante:

M. ARRIUS. I. L. DIOMEDES SIBI. SUIS. MEMORIÆ MAGISTER. PAG. AUG. FELIC. SUB. URB.

Ce qui voulait dire: «Marcus Arrius Diomède, affranchi de Julia, maître du bourg Augustus Félix, près de la ville, a élevé ce tombeau à sa mémoire et à celle des siens.»

Or, après que la maison avait donné un nom au tombeau, le tombeau à son tour en donna un à la maison.

Non seulement c'était une maison de la plus suprême élégance, et bâtie à une des plus heureuses époques de l'art romain, c'est-à-dire sous le règne d'Auguste; mais encore c'était un des plus grands édifices particuliers de Pompeïa: deux étages restent debout; le troisième manque.

On monte quelques degrés, puis on entre par une petite porte dans une cour ouverte, environnée de quatorze colonnes: cette cour, comme toutes les cours antiques, avait la forme d'un cloître; ces colonnes soutenaient un toit dont l'inclinaison intérieure versait les eaux dans un petit canal; aussi cette cour s'appelait-elle l'impluvium.

C'est en côtoyant cette cour et en se promenant à l'abri de ce toit, lorsqu'ils n'étaient pas au forum ou lorsqu'il pleuvait, que les Romains, ces éternels promeneurs, passaient leur vie. Les murs de ces portiques étaient élégamment peints à fresque, ressemblance qu'ils avaient de plus avec les cloîtres des riches couvent de Saint-Marc, à Florence.

Cette cour faisait ordinairement le centre des maisons romaines; toute les portes des différens appartemens, depuis celles des esclaves jusqu'à celle du maître de la maison, s'ouvraient sous ces portiques. Le patron, en s'y promenant, voyait à peu près tout ce qui se passait chez lui.

Un petit jardin, qui devait être plein de fleurs, était au milieu de cette cour, traversée par le canal dont nous avons parlé, lequel recevait l'eau de pluie et la conduisait à deux citernes. Ces citernes avaient des margelles de pierres volcaniques, et dans une de ces pierres on retrouva la cannelure qui fixait la corde à l'aide de laquelle on tirait l'eau. Tout ce qui ne devait pas être planté était pavé avec des morceaux de mosaïque maintenus par un enduit de tuile pilée. Au dehors et sous le portique était une niche contenant une petite statue de Minerve.

A droite étaient les chambres pour les esclaves; au milieu de ces chambres, il y avait un petit escalier qui conduisait à l'étage supérieur. On retrouva dans cet étage, qui était probablement un grenier, de la paille et de l'orge. A côté de l'escalier étaient les amphores et une armoire; à gauche se trouvaient les bains. Les bains faisaient chez les Romains la jouissance suprême de la vie intérieure. Aussi, au contraire de chez nous, où l'on possède à grand'peine un simple cabinet de toilette, les bains, dans une maison romaine, occupaient-ils en général le sixième de l'appartement.

C'est que c'était une très grande affaire que de prendre un bain sous le règne des douze Césars.

Chez nous, on se blottit dans une baignoire plus ou moins courte.

Heureux ceux qui ont de petites jambes ou de grandes baignoires!

Puis, après une demi-heure passée à se tourner et à se retourner pour éviter les crampes, on sonne, on s'essuie avec du linge froid ou brûlant, on se rhabille et l'on sort.

 

Chez les Romains, c'était tout autre chose. Voyez plutôt les bains de l'affranchi Arrius Diomède.

Il y avait d'abord une première chambre. Dans cette première chambre, on trouva un bassin pour le bain froid. Ce bassin était entouré d'un joli petit portique avec des colonnes octogones, au fond duquel était un fourneau; sur ce fourneau étaient un chaudron et une poêle à deux anses encore noircis par la fumée, un gril de fer, plusieurs pots de terre et une casserole.

Il paraît que, comme nous, les Romains se faisaient quelquefois servir à déjeûner dans leurs bains froids.

Il y avait ensuite une seconde chambre: c'était celle où ceux qui voulaient prendre les bains chauds se déshabillaient; on l'appelait apodyterium. Puis il y avait une troisième chambre: c'était celle où étaient à la fois le bain chaud et la fournaise. La fournaise était une construction de brique pareille à un poêle; seulement sa forme était longue au lieu d'être élevée. Trois vases de cuivre contenaient de l'eau portée à des degrés différens: l'eau froide, l'eau tiède et l'eau chaude. Des tuyaux de plomb, qui servaient de conducteurs à cette eau, s'ouvraient par des robinets à peu près pareils aux nôtres, et permettaient au baigneur de hausser ou diminuer la température de son bain.

Alors on quittait le rez-de-chaussée et l'on montait au premier étage. Là, exactement au dessus de l'autre, se trouvait une petite chambre que l'on appelait l'étuve. On y pénétrait après avoir traversé une autre chambre, où l'on déposait les vêtemens dont on s'était couvert pour monter du rez-de-chaussée au premier étage. De cette première chambre, on traversait le tepidarium, où l'on ne s'arrêtait qu'au retour, et l'on entrait dans l'étuve. C'est dans cette étuve, située, comme nous l'avons dit, au dessus de la fournaise, qu'on prenait le bain de vapeur.

Une fenêtre s'ouvrant sur la petite cour servait à donner de l'air au baigneur quand il était sur le point d'étouffer. Une lampe était posée dans une niche qui donnait à la fois dans l'étuve et dans le tepidarium, et qui, lorsqu'on voulait prendre des bains le soir, éclairait les deux appartemens.

Aujourd'hui que les bains russes sont à la mode, il est inutile de décrire cette douleur graduée dont les anciens s'étaient fait une jouissance. Lorsqu'ils avaient passé dans l'étuve le temps qu'ils voulaient consacrer à fondre, ils repassaient dans le tepidarium. Là, un esclave attendait le baigneur; il tenait d'une main une fiole et de l'autre un frottoir. Le frottoir était composé de petites lames d'ivoire, d'argent ou d'or, pareilles, moins les dents, à celles d'une étrille, et s'appelait strigilis. La petite fiole contenait une huile parfumée et se nommait guttum. D'abord, l'esclave grattait le baigneur avec le strigilis, puis il inclinait au dessus de sa tête et de ses épaules le guttum, en laissait tomber quelques gouttes d'huile odorante qu'il lui étendait par tout le corps avec la main. Le tepidarium, comme l'étuve, avait une fenêtre; mais cette fenêtre l'emporte fort en célébrité sur la fenêtre sa voisine. Cela tient à ce que, dans ses châssis de bois réduits en cendre, on retrouva quatre carreaux de vitre.

Or, au moment où on les retrouva, un savant italien venait de prouver, dans un ouvrage en quatre volumes in-quarto, que les anciens ne connaissaient pas le verre.

Le libraire qui avait imprimé l'ouvrage fut ruiné, mais l'auteur n'en resta pas moins un savantissime.

Outre cette fenêtre, on retrouva dans le tepidarium des siéges en bois, et à terre, à côté de l'un d'eux, le fond d'un panier.

De cette chambre, où se terminait l'opération du bain, on repassait dans l'apodyterium, où l'on se rhabillait avec les vêtemens que les esclaves avaient montés, et tout était fini.

L'empereur Commode prenait par jour sept bains dans le genre de celui-ci. Il devait lui rester, comme on le voit, pour les soins de son empire, encore moins de temps qu'il n'en restait à Orosmane, lequel, s'il faut en croire M. de Voltaire, n'y donnait cependant qu'une heure.

Des bains nous passâmes dans une espèce de dépense attenante aux chambres à coucher. Dans cette dépense, on trouva à terre, et au pied d'une table de marbre soutenue par la statue d'une jeune prêtresse, plusieurs vases de cuisine.

Dans les chambres à coucher, on ne retrouva rien que des peintures encore fraîche, des mosaïques et des marbres. Au reste, toutes ces chambres à coucher, éclairées par la porte seulement, étaient petites et devaient être fort peu confortables.

Au milieu de ces chambres était une salle à manger, bâtie en forme d'hémicycle, et dans laquelle on voit encore la place de la table. On y retrouva des vases de terre et de bronze, des moules à pâtisserie de la forme des nôtres, deux petits trépieds destinés à soutenir les lampes quand on dînait ou soupait à la lumière; deux petits bassins à laver les mains; deux candélabres, dont l'un avait la forme d'un tronc d'arbre; deux couteaux avec des manches d'os; enfin, des anneaux avec de petites plaques pour les armoires. Tout autour des murailles étaient peintes des fresques représentant des poissons de toute forme et de toute couleur, lesquelles, outre la porte, étaient éclairées par trois fenêtres donnant sur la campagne, et s'ouvrant à l'orient et au midi.

Dans l'autre face du portique s'ouvrait l'exedra, ou le salon de réception. Quelques cabinets aboutissaient à ce salon; dans l'un d'eux on retrouva une table ronde en marbre blanc, ornée de deux têtes de tigre, dont chacune faisait jaillir l'eau par sa bouche; des médaillons de marbre représentant Vulcain près de son enclume; une femme ailée, tenant d'une main un papillon et de l'autre un flambeau qu'elle approche d'un autel, auquel elle va mettre le feu; un Hercule appuyé sur sa massue avec une peau de lion, un carquois et des flèches; des faunes avec un vase et un thyrse dans les mains; cinq petits masques troués à la place des yeux et de la bouche; enfin un lièvre qui grignote des fruits.

Puis, des étages supérieurs étaient tombés, dans ce salon et dans les cabinets voisins, des vases d'argent sculptés, un vase de cuisine en bronze, des pièces de monnaie, dont une était de Naples antique, c'est à-dire avait déjà près de cinq cents ans à cette époque; enfin, différens morceaux d'ivoire détachés d'une petite statue qu'ils recouvraient, et qui servaient d'ornement à un meuble.

De l'exedra on passe sur une terrasse; cette terrasse dominait le quartier des esclaves. Dans ce quartier on trouva une bouteille suspendue à un clou, des vases de terre cuite, une lampe, quatre bêches et un râteau de fer; un couteau à manche d'os, des vases de verre et des monnaies de bronze: c'était l'ameublement et la richesse de la pauvre petite colonie.

Près d'une porte étaient un squelette d'homme et un squelette de brebis: la brebis avait encore sa clochette.

Outre les pièces que nous avons décrites, il y avait encore un appartement d'été; on descendait dans cet appartement par un petit escalier; les pièces en étaient voûtées, ornées de fresques et pavées en mosaïque. Les peintures qui couvraient les murailles de la plus grande de ces pièces représentaient une Uranie, une Melpomène, une Minerve, un pédagogue assis, tenant un bâton à la main et ayant un coffre plein de papyrus à ses pieds; des génies et des bacchantes qui dansent en pinçant de la sambuca, ce qui fit croire que cette chambre était une bibliothèque. Un reste de tapis en couvrait le pavé.

De cette chambre, et en traversant le jardin, on descend dans une galerie souterraine; c'est dans celle galerie que s'étaient réfugiés les habitans de la maison. On y retrouva vingt squelettes appuyés au mur: deux de ces squelettes appartenaient à des enfans; un troisième était, selon toute probabilité, celui de la maîtresse de la maison, car on lui trouva au bras deux bracelets et aux doigts quatre anneaux. Tous avaient été étouffés par la cendre; et comme à cette cendre avaient succédé des torrens d'eau, elle avait été changée en un limon qui s'était séché lentement, enveloppant les cadavres comme un moule. Aussi, lorsqu'on les trouva, ces cadavres étaient-ils parfaitement conservés; mais à peine les toucha-t-on du bout du doigt qu'ils tombèrent réduits en poudre, et ne laissèrent debout que leurs ossemens. Le limon qui les emboîtait demeura plus solide, et l'on conserve au musée de Naples un fragment de cette terre dans lequel est empreint un magnifique sein de femme à la surface duquel on distingue les plis d'une robe de mousseline. Un second fragment garde le moule de deux épaules; un troisième, le contour d'un bras; tout cela jeune et arrondi, tout cela magnifique de forme.

En outre, on trouva à terre deux colliers d'or, dont l'un est orné de neuf plaques d'émeraudes, et dont l'autre portait une chaînette au bout de laquelle pendaient deux feuilles de pampre; deux anneaux d'argent, une grosse épingle, un candélabre dont le pied était formé par trois jambes d'homme, un paquet de clés, deux améthystes, sur l'une desquelles était gravée une Vénus Anadyomène, dans la même pose que la Vénus de Médicis; enfin trente-une pièces de monnaie presque toutes consulaires et quarante-quatre autres presque toutes impériales, parmi lesquelles étaient plusieurs Galba et plusieurs Vespasien.

Mais dans cette galerie funèbre n'étaient point renfermés tous les cadavres. Un autre squelette fut retrouvé près de la porte qui donnait du côté de la mer; celui-là, sans doute, était le squelette du maître de la maison, car il tenait dans une main une clé et dans l'autre une bague et un rouleau de dix pièces d'or à l'effigie de Néron et d'Agrippine, de Vitellius, de Vespasien et de Titus, quatre-vingt-huit pièces d'argent impériales et consulaires au nombre desquelles étaient un Marc-Antoine et une Cléopâtre, et enfin quelques sous en bronze à l'effigie d'Auguste et de Claude. A quelques pas du cadavre de cet homme, on trouva encore deux autres squelettes auprès desquels étaient cinq médailles de bronze; puis, hors de la porte et en s'avançant vers la mer, neuf autres squelettes encore, appartenant probablement à la famille d'Arrius Diomède. On sait que les anciens entendaient par famille cette innombrable troupe d'esclaves et de chiens attachée à toute riche maison.

Aux angles de ces appartemens inférieurs étaient deux cabinets, dans l'un desquels on trouva un squelette ayant au poignet un bracelet de bronze, au doigt un anneau d'argent, à la main une faucille de fer. Près de ces cabinets étaient deux enclos, qui, selon toute apparence, avaient été recouverts d'un treillage garni de vigne et qui devait servir de jeu de boules. Enfin, hors de la maison et s'étendant du côté de la mer, on retrouva un champ labouré à sillons, près duquel était une aire pour battre le blé.

Une vaste enceinte séparait du côté opposé la maison de la rue; elle était entourée d'un mur solide, appuyé à un terre-plain percé de tuyaux. Cette enceinte était le cimetière des esclaves. En la fouillant, on y trouva une grande quantité d'os humains, et les coquilles des limaçons qu'on avait l'habitude de manger aux repas mortuaires.

Quant au tombeau préparé par le maître de la maison pour lui et les siens, et dans lequel reposaient son frère aîné et Arria, sa huitième fille, nous avons déjà dit qu'il s'élevait sur la rue, et que cette demeure des morts rivalisait d'élégance et de richesse avec la demeure des vivans.

Parmi ces tombeaux qui bordent les deux côtés de la voie consulaire, les plus remarquables après celui de la famille Diomède sont les tombeaux des deux Tyché, et le cénotaphe de Calventius.

Le premier que l'on rencontre est celui de Nevoleïa Tyché, découvert en 1813. C'est un large piédestal formé par cinq rangs de longues pierres volcaniques que surmontent deux degrés soutenant un autel de marbre. Sur cet autel est placé le buste de Nevoleïa. Au dessous du buste on lit une inscription latine de laquelle nous nous contentons de donner une traduction: «Nevoleïa Tyché, affranchie de Julie, à elle-même, et à Caïus Munatius Faustus Augustal qui, avec le consentement du peuple, reçut des décurions le bisellium pour ses mérites. – Nevoleïa Tyché, de son vivant, a élevé ce monument à ses affranchis et affranchies et à ceux de Caïus Munatius Faustus.»

Ce tombeau est orné de trois bas-reliefs, tous trois assez curieux.

Le premier qui s'offre à la vue du côté de Naples est un navire qui entre dans le port. De petits génie en carguent les voiles; un homme est au gouvernail: la tête de Minerve orne la proue.

Dans un pays où, comme du temps de Figaro, on ne peut écrire sur rien qui touche au gouvernement, à la politique, à l'administration, à la littérature, ni à quelque chose que ce soit, on comprend combien l'on a écrit de volumes sur cette sculpture. Cette sculpture, c'était une bonne fortune. Les savans n'auraient donné pour rien au monde cette sculpture, c'était leur pain quotidien. Il a peut-être paru cinquante volumes sur cette bienheureuse sculpture. Dieu fasse paix à ceux qui les ont écrits! Dieu fasse miséricorde à ceux qui les ont lus!

 

Les uns y ont vu une allégorie, les autres une réalité.

Ceux qui ont vu une allégorie se sont extasiés sur la pensée qu'elle représentait. Le navire de la Vie, conduit par la Sagesse, touche au port de la Tombe, après avoir traversé les écueils des Passions.

Ceux-là se sont appuyés sur un passage de Pope, qui est venu seize siècles plus tard; mais cela ne fait rien: les grandes vérités sont de tous les temps.

Le passage disait: «Nous faisons voile de différentes manières sur le vaste océan de la vie. La Raison est la carte; la Passion est le vent.» Cela rappelle de la science rétrospective.

Ceux qui y ont vu une réalité ont dit tout bonnement que, comme Munatius exerçait le commerce maritime, ce bas-relief n'était rien autre chose que le prospectus posthume de sa profession. Ceux-ci se sont appuyés sur ce passage de Pétrone, où Trimalcyon, qui était marchand, dit à Albine: «Je te prie aussi que les navires que tu sculpteras sur mon tombeau aillent à pleines voiles, et que je sois assis au tribunal avec ma toge, avec cinq anneaux d'or et avec un sac rempli d'argent pour le jeter au peuple.» Ceci est de la science prospective; que les savans me permettent de risquer le mot.

On comprend que la question était grave. Aussi la lutte, commencée en 1813, existait-elle encore en 1815, plus acharnée que jamais. Positivistes et allégoristes en appelaient à toutes les académies italiennes, depuis celle de Naples jusqu'à celle de Saint-Marin. L'un d'eux, plus exaspéré que les autres, allait partir pour Paris afin de soumettre cette énigme à l'Institut. Il était venu, trois jours avant son départ, me proposer sérieusement de faire en français la traduction des deux volumes qu'il avait écrits sur cette question européenne. Je mis ce monsieur à la porte.

Le bas-relief opposé, c'est-à-dire celui qui regarde Pompeïa, représente le bisellium dont il est question dans l'épitaphe. Vous ne savez peut-être pas ce que c'est que le bisellium; je vais vous le dire. Depuis que j'habite l'Italie, je deviens savant à mon tour. Pardonnez-moi mes offenses comme je les pardonne à ceux qui m'ont offensé.

Le bisellium, dont la forme serait encore inconnue sans le précieux bas-relief que nous a conservé la tombe de Nevoleïa, est un banc oblong garni d'un coussin, orné de franges, avec un tabouret au dessous. Le citoyen qui avait eu le bonheur d'obtenir le bisellium avait le droit de s'asseoir tout seul dans les assemblées publiques sur ce siége où cependant on pouvait tenir à deux. Ces honneurs du bisellium étaient fort enviés des Pompéïens, qui, à ce qu'il paraît, aimaient par dessus toute chose à avoir les coudées franches. Cela ressemblait beaucoup aux gens vertueux de Saint-Just, à qui le jeune conventionnel voulait qu'on accordât le privilége de se promener le dimanche avec un habit gris-perle et un bouquet de roses au côté.

Quant au bas-relief du milieu, c'est-à-dire quant à celui qui donne sur la rue, il représente le sacrifice qui eut lieu aux funérailles mêmes de Munatius Faustus. Un jeune prêtre pose l'urne sur l'autel, tandis qu'un enfant l'assiste. A droite sont les décurions, les officiers du municipium et les sexviri augustales, dont Munatius avait l'honneur de faire partie, et qui viennent rendre leurs derniers devoirs à leur collègue. A gauche, un groupe d'hommes et de femmes s'avance vers l'autel et présente des offrandes. Parmi ces dernières, une jeune fille se renverse accablée de douleur. Les savans, de leur autorité privée, ont décidé que ce personnage était Nevoleïa elle-même. Je n'ai absolument rien à dire contre cette opinion.

Après avoir fait le tour de ce magnifique tombeau, et tandis que Jadin en faisait un croquis, je descendis dans le colombarium. C'était une petite chambre de six ou huit pieds carrés; une niche pratiquée dans la muraille contenait une grande urne d'argile, pleine de cendres et d'os. Les mêmes savans ont décidé que c'étaient les restes de Nevoleïa et de Munatius, sentimentalement réunis les uns aux autres pour l'éternité. D'autres urnes contenaient d'autres ossemens, et de plus les pièces de monnaie destinées à Caron. L'Académie de Naples s'occupe à décider en ce moment si ce n'est pas de cette coutume antique que vient l'habitude de payer un sou en traversant le pont des Arts.

En outre, on trouva sur le sol trois vases de terre renfermés dans trois vases de plomb; un de ces vases contenait de l'eau; les autres, de l'eau, du vin et de l'huile sur laquelle surnageaient des ossemens. Au fond, il y avait un précipité de cendres et de substances animales. C'étaient les restes des libations et des essences qu'on répandait d'ordinaire sur les reliques des morts, lorsqu'on les déposait dans le sépulcre après les avoir recueillis du bûcher.

Le sépulcre de la seconde Tyché n'était pas moins curieux que celui de la première. C'est un cénotaphe de la même forme à peu près que celui que nous venons de décrire, surmonté par un cyppe que couronne une tête humaine vue de face, portant des cheveux réunis en tresses et noués derrière le cou. Sur cette tête est gravée l'inscription suivante qui a donné force tablature aux savans, et qui cependant me paraît on ne peut plus simple:

JUNONI TYCHES JULIÆ AUGUSTAE VENER.

On voit que les anciens, sous le rapport de la courtisanerie, étaient encore plus avancés que nous. Tout titre qui les rapprochait des princes les honorait, quel que fût ce titre. Ouvrez Tacite, et vous verrez que Pétrone remplissait glorieusement près de Néron l'emploi que Tyché avait accepté près de Julie. Bref, après avoir gagné sa retraite, Tyché se retira à Pompeïa, où probablement elle fit pénitence pour sa vie passée, puisqu'en mourant elle se recommandait à Junon, la plus rogue de toutes les déesses. Il est vrai que les savans expliquent cette anomalie, en disant que les divinités protectrices des femmes s'appelaient junons, et celles des hommes génies; mais alors il me semble qu'il y aurait un pluriel au lieu d'un singulier, et qu'on lirait sur l'épitaphe Junonibus et non Junoni. Je soumets cette observation à MM. les archéologues avec toute l'humilité d'un néophyte.

Le tombeau de Calventius, découvert en 1813, est, comme celui des deux Tychés, du beau temps de l'architecture romaine. Aussi, comme pour le défendre des injures des passans, est-il environné de murailles sans ouverture. Sa matière est de marbre blanc, ses ornemens sont d'un beau style, et il se termine par deux enroulemens de palmes avec des têtes de béliers. C'était, comme Munatius Faustus, un augustal; comme Munatius Faustus, il jouissait des honneurs du bisellium.

Voici son épitaphe:

«A Caïus Calventius Quietus Augustal. L'honneur du bisellium lui a été décerné par le décret des décurions, et avec le consentement du peuple, à cause de sa magnificence.»

Le cénotaphe de Calventius est massif, c'est-à-dire que c'est un tombeau honorifique. Le mur qui l'entoure et le protége avait fait croire qu'en pénétrant dans l'intérieur, on y trouverait quelque trésor caché. En conséquence, on brisa le monument du côté qui regarde l'ouest. Mais alors on s'aperçut que l'on venait de commettre un sacrilége inutile.

Deux couronnes de chêne indiquent qu'à l'honneur du bisellium Calventius joignait l'honneur plus insigne encore d'avoir reçu la couronne civique.