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Le Speronare

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– Je l'ai su autrevois; mais che l'ai un beu ouplié.

– Tant pis, tant pis, dit le général, car je comptais sur vous pour le dire; mais si vous l'avez oublié, on s'en passera.

– On zen bassera, répondit le comte, qui était de bonne composition; on zen bassera.

Et le comte, effectivement, avala son potage sans Bénédicité, ce que firent aussi les autres moines. Lorsqu'il eut fini, le capitaine lui passa une bouteille.

– Goûtez-moi ce vin-là, lui dit-il.

Le comte, se doutant qu'il avait affaire à un vin de choix emplit un petit verre qui était devant lui, le prit par le pied, examina un instant, à la lueur de la lampe la plus rapprochée, le liquide jaune comme de l'ambre, puis il le porta à sa bouche, et le dégusta avec la voluptueuse lenteur d'un gourmet.

– C'est édonnant, dit le comte, moi qui groyais gonnaître tous les fins, che ne gonnais pas celui-là; à moins que ce ne soit du matère d'un noufeau gru.

– C'est du marsala, monsieur le comte, un vin qui n'est pas connu et qui mérite cependant de l'être. Oh! notre pauvre Sicile, elle renferme comme cela une foule de trésors oubliés.

– Comment tides-fous qu'il s'abbelle? demanda le comte en se versant un second verre.

– Marsala.

– Marzala…! Eh pien! c'est un pon fin; ch'en achèterai. Se fend-il cher?

– Deux sous la bouteille.

– Fous tides? reprit le comte, qui croyait avoir mal entendu.

– Deux sous la bouteille.

– Teux sous la pouteille! Mais fous habidez le baradis derrestre, cheneral; che ne m'en fas blus d'izi, moi, je me fais pénédictin.

– Merci de la préférence, comte; quand vous voudrez, nous vous recevrons.

– Teux sous la pouteille! reprit le comte en se versant un troisième verre.

– Seulement, je dois vous prévenir qu'il a un défaut, dit le supérieur.

– Il n'a bas de téfauts, répondit le comte.

– Je vous demande pardon; il est très capiteux.

– Gabiteux, gabiteux, dit le comte avec mépris; j'en poirais une binte qu'il n'y baraîtrait bas blus que si j'afais afalé un ferre de zirop de crozeille.

– Alors, ne vous gênez pas, dit le supérieur, faites comme chez vous; seulement, je vous préviens que nous en avons d'autres.

En vertu de la permission qui lui était accordée, le comte se mit à boire et à manger en véritable Allemand. Mais, il faut l'avouer, il soutint admirablement la réputation dont jouissent ses compatriotes. Les moines, excités par leur supérieur, ne voulurent pas, de leur côté, laisser un étranger en arrière, de sorte que bientôt on rompit le silence religieux qui avait régné au commencement du repas, chacun commença à parler à voix basse à son voisin, puis plus haut à tout le monde. Au second service, chacun criait de son côté et commençait à raconter les aventures les plus étranges qu'il fût possible d'entendre. Le comte, si peu qu'il comprît le sicilien, crut s'apercevoir qu'il était question surtout de coups hardis exécutés par des brigands, de couvents pillés, de gendarmes pendus, de religieuses violées. Mais il n'y avait rien là d'étonnant; la situation isolée des dignes bénédictins, leur éloignement de la ville, devaient les avoir rendus plus d'une fois témoins de pareilles scènes. Le marsala allait toujours, sans préjudice du syracuse sec, du muscat de Calabre et du malvoisie de Lipari. Si forte que fût la tête du comte, ses yeux commencèrent à se couvrir d'un brouillard et sa langue à s'épaissir. Alors les monologues succédèrent peu à peu aux conversations, et les chansons aux monologues. Le comte, qui voulait rester à la hauteur de ses hôtes, chercha dans son répertoire anacréontique, et, n'y trouvant rien pour le moment que la chanson des brigands de Schiller, il se mit à entonner à tue-tête le fameux Stehlen, morden, huren, balgen, auquel il lui sembla que les convives répondaient par des applaudissements universels. Bientôt tout parut tourner autour de lui; il lui sembla que les moines jetaient bas leurs habits religieux et se transformaient peu à peu en bandits. Ces figures ascétiques changeaient de caractère et s'illuminaient d'une joie féroce; le dîner dégénérait en orgie. Cependant on buvait toujours, et chaque fois qu'on buvait, c'étaient des vins nouveaux, des vins plus capiteux, des vins pris dans la cave du prince de Paterno, ou dans la cantine des dominicains d'Aci-Reale. On frappait sur la table avec des bouteilles vides pour en demander d'autres, et en frappant on renversait les lampes; le feu alors se communiquait à la nappe, et de la nappe à la table, et au lieu de l'éteindre on y jetait les chaises, les bancs, les stalles. En un instant la table ne fut plus qu'un immense bûcher, autour duquel les moines devenus bandits se mirent à danser comme des démons. Enfin, au milieu de tout ce sabbat infernal, la voix du capitaine retentit, demandant: Le monache! le monache! Un hourra général accueillit cette demande. Un instant après, une porte s'ouvrit, et quatre religieuses parurent, traînées par cinq ou six bandits; des hurlements de joie et de luxure les accueillirent. Le comte voyait tout cela comme dans un rêve, et comme dans un rêve il lui semblait qu'une force supérieure clouait son corps à sa place, tandis que son esprit était emporté ailleurs. En un instant les vêtements des pauvres filles furent en lambeaux; les bandits se ruèrent sur elles; le capitaine voulut faire entendre sa voix, mais sa voix fut couverte par les clameurs générales. Il sembla alors au comte que le capitaine prenait ses fameux Kukenreiter, qui ressemblaient si fort aux siens. Il crut entendre retentir deux coups de feu; il ferma les yeux, tout ébloui de la flamme. En les rouvrant, il vit du sang, deux brigands qui se tordaient en hurlant dans un coin, la plus belle des religieuses dans les bras du capitaine, puis il ne vit plus rien; ses yeux se fermèrent une seconde fois sans qu'il eût la puissance de les rouvrir, ses jambes manquèrent sous lui, enfin il tomba comme une masse; il était ivre-mort.

Lorsque le comte s'éveilla, il était grand jour; il se frotta les yeux, se secoua et regarda autour de lui; il était couché sous un arbre à la lisière du bois, avait à sa droite Nicolosi, à sa gauche Pedara, devant lui Catane, et derrière Catane la mer. Il paraissait avoir passé la nuit à la belle étoile, couché sur un doux lit de sable, la tête appuyée sur son porte-manteau, et sans autre dais de lit que l'immense azur du ciel. D'abord, il ne se rappela rien, et demeura quelque temps comme un homme qui sort de léthargie; enfin sa pensée, par une opération lente et confuse d'abord, se reporta en arrière, et bientôt il se rappela son départ de Catane, les hésitations de son muletier, son arrivée au couvent, son altercation avec le cuisinier, l'accueil que lui avait fait le général, le dîner, le vin de Marsala, les chansons, l'orgie, le feu, les religieuses et les coups de pistolets. Il regarda de nouveau autour de lui, et vit sa malle, son sac de nuit et son portemanteau. Il ouvrit ce dernier, y retrouva son portefeuille, sa pipe d'écume de mer, son sac à tabac et sa bourse, sa bourse qui, à son grand étonnement, lui parut aussi ronde que si rien ne lui était arrivé; il l'ouvrit avec anxiété; elle était toujours pleine d'or, et de plus il y avait un billet; le comte l'ouvrit vivement et lut ce qui suit:

«Monsieur le Comte,

Nous vous faisons mille excuses de nous séparer de vous d'une façon aussi brusque; mais une expédition de la plus haute importance nous attire du côté de Cefalu. J'espère que vous n'oublierez pas l'hospitalité que vous ont donnée les bénédictins de Saint-Nicolas-le-Vieux, et que, si vous retournez à Rome, vous demanderez à monsignor Morosini de ne point oublier de pauvres pécheurs dans ses prières.

Vous retrouverez tout votre bagage, à l'exception des Kukenreiter, que je vous demande la permission de garder comme un souvenir de vous.

DOM GAËTANO, Prieur de Saint-Nicolas-le-Vieux.

16 octobre 1806.»

Le comte de Weder compta son or, il n'y manquait pas une obole.

Lorsqu'il arriva à Nicolosi, il trouva tout le village en révolution: la veille, le couvent de Sainte-Claire avait été forcé, l'argenterie du monastère pillée, et les quatre plus jeunes et plus belles religieuses enlevées, sans qu'on pût savoir ce qu'elles étaient devenues.

Le comte retrouva son muletier, remonta sur sa mule, revint à Catane, et, ayant appris qu'un bâtiment était prêt à mettre à la voile pour Naples, il s'y embarqua et quitta la Sicile la même nuit.

Deux ans après, il lut dans l'Allgemeine Zeitung que le fameux chef de bandits Gaëtano, qui s'était emparé du couvent de Saint-Nicolas-le-Vieux, sur l'Etna, pour en faire un repaire de brigands, après un combat terrible soutenu contre un régiment anglais, avait été pris et pendu à la grande joie des habitants de Catane, qu'il avait fini par venir rançonner jusque dans la ville.

L'ETNA

Le lendemain de notre arrivée à Catane, nous devions, on se le rappelle, tenter une ascension sur l'Etna. Je dis tenter, car c'est surtout à l'occasion des projets que les voyageurs font à l'endroit de cette montagne qu'on peut appliquer le proverbe: l'homme propose et Dieu dispose. Rien de plus commun que les curieux partis de Catane pour gravir le Ghibello, comme on appelle l'Etna en Sicile; rien de plus rare que les privilégiés arrivés jusqu'à son cratère. C'est que, pendant neuf ou dix mois de l'année, la montagne est véritablement inaccessible: jusqu'au 15 juin, il est trop tôt; passé le 1er octobre, il est trop tard.

Nous étions sous ce rapport dans les conditions voulues, car nous étions arrivés à Catane le 4 septembre; de plus, toute la journée avait été magnifique; aucune vapeur, aucun brouillard, ne voilaient l'Etna. De toutes les rues qui y conduisaient, nous l'avions vu, la veille, calme et majestueux. La légère fumée qui s'échappait du cratère suivait la direction du vent, flottant comme une banderole; enfin, le soleil, que nous avions vu se coucher du haut de la coupole des Bénédictins, avait glissé dans un ciel sans nuage et disparu derrière le village d'Aderno, promettant pour le lendemain une journée non moins belle que celle qui venait de s'écouler.

 

Aussi, à cinq heures du matin, notre guide nous éveilla-t-il en nous annonçant un temps fait exprès pour nous. Nous courûmes aussitôt à nos fenêtres qui donnaient sur l'Etna, et nous vîmes le géant baignant sa tête colossale dans les blondes vapeurs du matin. On distinguait parfaitement les trois régions qu'il faut franchir pour arriver au sommet, la région cultivée, la région des bois, la région déserte. Contre l'ordinaire, son cône était entièrement dépouillé de neige.

Ce n'est que vers les quatre heures ordinairement que l'on part; mais nous voulions nous arrêter quelques heures à Nicolosi, et visiter le Monte-Rosso, un de ces cent volcans secondaires dont se hérisse la croupe de l'Etna. D'ailleurs il y avait, m'avait-on dit, à Nicolosi, un certain monsieur Gemellaro, savant modeste et aimable, qui demeurait là depuis cinquante ans, et qui se ferait un plaisir de répondre à toutes mes questions. J'avais demandé une lettre pour lui; on m'avait répondu que c'était chose inutile, son obligeante hospitalité s'étendant à tout voyageur qui entreprenait l'ascension, toujours pénible et souvent dangereuse, que nous allions tenter.

A cinq heures donc, après nous être munis d'une bouteille du meilleur rhum que nous pûmes trouver, nous enfourchâmes nos mules, et nous partîmes pour Nicolosi, où nous devions compléter nos provisions. Nous étions chacun dans notre costume ordinaire, auquel, malgré les recommandations de notre hôte, nous n'avions rien ajouté, ne pouvant croire qu'après avoir joui dans la plaine d'une température à cuire un oeuf, nous trouverions dix degrés de froid sur la montagne.

Je ne sais rien de plus beau, de plus original, de plus accidenté, de plus fertile et de plus sauvage à la fois que le chemin qui conduit de Catane à Nicolosi, et qui traverse tour à tour des mers de sable, des oasis d'orangers, des fleuves de lave, des tapis de moissons, et des murailles de basalte. Trois ou quatre villages sont sur la route, pauvres, chétifs, souffreteux, peuplés de mendiants, comme tous les villages siciliens; avec tout cela, ils ont des noms sonores et poétiques, qui résonnent comme des noms heureux: ils s'appellent Gravina, Santa-Lucia, Massanunziata; ils sont élevés sur la lave, bâtis avec de la lave recouverte de lave; ils sortent tout entiers des entrailles de la montagne, comme de pauvres fleurs flétries avant de naître, et qu'un vent d'orage doit emporter.

Entre Massanunziata et le mont Miani, à droite de la route, est la fosse de la Colombe. D'où vient ce doux nom à une excavation noire, ténébreuse, profonde de deux cents pieds, large de cent cinquante? Notre guide ne put nous le dire.

Nous arrivâmes à Nicolosi, espèce de petit bourg bâti sur les confins du monde habitable. Deux ou trois milles avant Nicolosi, on commence à entrer dans une région désolée, et cependant un demi-mille au-dessus de Nicolosi, on voit encore de belles plantations et un coteau couvert de vignes. Quelque feu intérieur remplace-t-il partiellement la chaleur du soleil, qui déjà à cette hauteur commence à se tempérer? C'est encore là un de ces mystères dont le guide ignare et le voyageur savant ne peuvent dire le mot.

Nous descendîmes dans un de ces bouges que la Sicile seule a l'audace de baptiser du nom d'auberge, et comme il était encore de bonne heure, nous envoyâmes, pendant qu'on préparait notre déjeuner, nos cartes à monsieur Gemellaro, en lui demandant la permission de lui faire notre visite. Monsieur Gemellaro nous fit répondre qu'il allait se mettre à table, et que, si nous voulions partager sa collation, nous serions les bienvenus. Quel que fût, à l'aspect du déjeuner qui nous attendait, notre désir d'accepter une offre si gracieuse, nous eûmes la discrétion de la refuser, et nous poussâmes la sobriété jusqu'à nous contenter du repas de l'auberge. C'était une action méritoire et digne d'être mise en parallèle avec les jeûnes les plus rudes des pères du désert.

Ce maigre déjeuner terminé, nous ordonnâmes à notre guide de se mettre en quête d'une paire de poulets ou d'une demi-douzaine de pigeons quelconques, de leur tordre le cou, de les plumer et de les rôtir. C'était nos provisions de bouche pour le déjeuner du lendemain; cette précaution prise, nous nous acheminâmes vers la maison de monsieur Gemellaro, la plus imposante de tout le village. Le domestique était prévenu et nous introduisit dans le cabinet de travail, où son maître nous attendait. En apercevant monsieur Gemellaro, je jetai un cri de surprise mêlé de joie: c'était le même qui, à Aci-Reale, m'avait si obligeamment indiqué le chemin de la grotte de Polyphème.

– Ah! c'est vous, nous dit-il en nous apercevant; je me doutais que j'allais revoir d'anciennes connaissances. Tout voyageur qui met le pied en Sicile m'appartient de droit; il faut qu'il passe par ici, et je le happe au passage. Avez-vous trouvé votre grotte?

– Parfaitement, monsieur, grâce à votre obligeance, que nous venons de nouveau mettre à l'épreuve.

– A vos ordres, messieurs, répondit monsieur Gemellaro en nous faisant signe de nous asseoir; et j'oserai dire que, si vous voulez des renseignements sur le pays, vous ne pouvez pas vous adresser mieux qu'à moi.

En effet, monsieur Gemellaro habitait depuis soixante ans le village de Nicolosi, où il était né, et l'occupation de toute sa vie avait été d'observer le volcan qu'il avait sans cesse devant les yeux. Depuis soixante ans, la montagne n'avait pas fait un mouvement que monsieur Gemellaro ne se fût mis aussitôt à l'étudier; le cratère n'avait pas changé pendant vingt-quatre heures de forme, que monsieur Gemellaro ne l'eût dessiné sous son nouvel aspect; enfin, la fumée ne s'était pas épaissie ou volatilisée une seule fois, que monsieur Gemellaro n'eût tiré de son assombrissement ou de sa ténuité des augures que le résultat n'avait jamais manqué de confirmer. Bref, monsieur Gemellaro est l'Empédocle moderne; seulement, plus sage que l'ancien, j'espère qu'on l'enterrera avec ses deux pantoufles. Aussi monsieur Gemellaro connaît-il son Etna sur le bout des doigts. Depuis trois mille ans, la montagne n'a pas jeté une gorgée de lave que monsieur Gemellaro n'en ait un échantillon; il n'est pas jusqu'à l'île Julia dont monsieur Gemellaro ne possède un fragment.

Nos lecteurs ont sans nul doute entendu parler de l'île Julia, île éphémère qui n'eut que trois mois d'existence, il est vrai, mais qui fit autant et plus de bruit pendant son passage en ce monde que certaines îles qui existent depuis le déluge.

Un beau matin du mois de juillet 1831, l'île Julia sortit du fond de la mer et apparut à sa surface. Elle avait deux lieues de tour, des montagnes, des vallées comme une île véritable; elle avait jusqu'à une fontaine; il est vrai que c'était une fontaine d'eau bouillante.

Elle était à peine sortie des flots, qu'un vaisseau anglais passa; en quelque endroit de la mer qu'apparaisse un phénomène quelconque, il passe toujours un vaisseau anglais en ce moment-là. Le capitaine, étonné de voir une île à un endroit où sa carte marine n'indiquait pas même un rocher, mit son vaisseau en panne, descendit dans une chaloupe, et aborda sur l'île. Il reconnut qu'elle était située sous le 38e degré de latitude, qu'elle avait des montagnes, des vallées, et une fontaine d'eau bouillante. Il se fit apporter des oeufs et du thé, et déjeuna près de la fontaine; puis, lorsqu'il eut déjeuné, il saisit un drapeau aux armes d'Angleterre, le planta sur la montagne la plus élevée de l'île, et prononça ces paroles sacramentelles: «Je prends possession de cette terre au nom de Sa Majesté britannique.» Puis il regagna son vaisseau, remit à la voile, et reprit le chemin de l'Angleterre où il arriva heureusement, annonçant qu'il avait découvert dans la Méditerranée une île inconnue, qu'il avait nommée Julia, en honneur du mois de juillet, date de sa découverte, et dont il avait pris possession au nom de l'Angleterre.

Derrière le bâtiment anglais était passé un bâtiment napolitain, lequel n'avait pas été moins étonné que le bâtiment anglais. A la vue de cette île inconnue, le capitaine, qui était un homme prudent, commença par carguer ses voiles, afin de s'en tenir à une distance respectueuse. Puis il prit sa lunette, et à l'aide de sa lunette, il reconnut qu'elle était inhabitée, qu'elle avait des vallées et une montagne, et qu'au sommet de cette montagne flottait le pavillon anglais. Il demanda aussitôt quatre hommes de bonne volonté pour aller à la découverte. Deux Siciliens se présentèrent, descendirent dans la chaloupe et partirent. Un quart d'heure après, ils revinrent, rapportant le drapeau anglais. Le capitaine napolitain déclara alors qu'il en prenait possession au nom du roi des Deux-Siciles, et la nomma île Saint-Ferdinand, en l'honneur de son gracieux souverain. Puis il revint à Naples, demanda une audience au roi, lui annonça qu'il avait découvert une île de dix lieues de tour, toute couverte d'orangers, de citronniers et de grenadiers, et dans laquelle se trouvaient une montagne haute comme le Vésuve, une vallée comme celle de Josaphat, et une source d'eau minérale où l'on pouvait faire un établissement de bains plus considérable que celui d'Ischia. Il ajouta comme en passant, et sans s'appesantir sur les détails, qu'un vaisseau anglais ayant voulu lui disputer la possession de cette île, il avait coulé bas le susdit vaisseau, en preuve de quoi il rapportait son pavillon. Le ministre de la marine, qui était présent à l'audience, trouva le procédé un peu leste; mais le roi de Naples donna raison entière au capitaine, le fit amiral, et le décora du grand cordon de Saint-Janvier.

Le lendemain, on annonçait dans les trois journaux de Naples que l'amiral Bonnacorri, duc de Saint-Ferdinand, venait de découvrir, dans la Méditerranée, une île de quinze lieues de tour, habitée par une peuplade qui ne parlait aucune langue connue, et dont le roi lui avait offert la main de sa fille. Chacun de ces journaux contenait en outre un sonnet à la gloire de l'aventureux navigateur. Le premier le comparait à Vasco de Gama, le second à Christophe Colomb, et le troisième à Améric Vespuce.

Le même jour, le ministre d'Angleterre alla demander des explications au ministre de la marine de Naples touchant les bruits injurieux pour l'honneur de la nation britannique qui commençaient à se répandre au sujet d'un vaisseau anglais que l'amiral Bonnacorri prétendait avoir coulé bas. Le ministre de la marine répondit qu'il avait entendu vaguement parler de quelque chose de pareil, mais qu'il ignorait lequel, du vaisseau napolitain ou du vaisseau anglais, avait été coulé bas. Loin de se contenter de cette explication, le ministre prétendit qu'il y avait insulte pour sa nation dans la seule supposition qu'un vaisseau anglais pût être coulé bas par un autre vaisseau quelconque, et demanda ses passeports. Le ministre de la marine en référa au roi de Naples, qui lui ordonna de signer à l'ambassadeur tous les passeports qu'il lui demanderait, et fit de son côté écrire à son ministre de Londres de quitter à l'instant même la capitale de la Grande-Bretagne.

Cependant le gouvernement britannique poursuivait la prise de possession de l'île Julia avec son activité ordinaire. C'était le relais qu'il cherchait depuis si longtemps sur la route de Gibraltar à Malte. Un vieux lieutenant de frégate, qui avait eu la jambe emportée à Aboukir, et qui depuis ce temps sollicitait une récompense quelconque auprès des lords de l'amirauté, fut nommé gouverneur de l'île Julia, et reçut l'ordre de s'embarquer immédiatement pour se rendre dans son gouvernement. Le digne marin vendit une petite terre qu'il tenait de ses ancêtres, acheta tous les objets de première nécessité pour une colonisation, monta sur la frégate le Dard, avec sa femme et ses deux filles, doubla la pointe de la Bretagne, traversa le golfe de Gascogne, franchit le détroit de Gibraltar, entra dans la Méditerranée, longea les côtes d'Afrique, relâcha à Pantellerie, arriva sous le 38e degré de latitude, regarda autour de lui, et ne vit pas plus d'île Julia que sur sa main. L'île Julia était disparue de la veille, et je n'ai pas entendu dire que jamais, au grand jamais, personne en ait entendu parler depuis.

Les deux puissances belligérantes, qui avaient fait des armements considérables, continuèrent à se montrer les dents pendant dix-huit mois; puis leur grimace dégénéra en un sourire rechigné; enfin, un beau matin, elles s'embrassèrent, et tout fut dit.

Cette querelle d'un instant, qui en définitive raffermit l'amitié de deux nations faites pour s'estimer, n'eut d'autre résultat que la création d'un nouvel impôt dans les royaumes des Deux-Siciles et de la Grande-Bretagne.

 

Laissons l'île Julia, ou l'île Saint-Ferdinand, comme on voudra l'appeler, et revenons à l'Etna, qu'on pourrait bien supposer l'auteur de cette mauvaise plaisanterie qui faillit troubler la tranquillité européenne.

Le mot Etna est, à ce que prétendent les savants, un mot phénicien qui veut dire mont de la fournaise. Le phénicien était, on le voit, une langue dans le genre de celle que parlait Covielle au bourgeois gentilhomme, et qui exprimait tant de choses en si peu de mots. Plusieurs poètes de l'antiquité prétendent que ce fut le lieu où se réfugièrent Deucalion et Pyrrha pendant le déluge universel. A ce titre, monsieur Gemellaro, qui est né à Nicolosi, peut certes réclamer l'honneur de descendre en droite ligne d'une des premières pierres qu'ils jetèrent derrière eux. Cela laisserait bien loin, comme on voit, les Montmorency, les Rohan et les Noailles.

Homère parle de l'Etna, mais sans le désigner comme un volcan. Pindare l'appelle une des colonnes du ciel. Thucydide mentionne trois grandes explosions, depuis l'époque de l'arrivée des colonies helléniques jusqu'à celle où il vivait. Enfin, il y eut deux éruptions à l'époque des Denis; puis elles se succédèrent si rapidement, qu'on ne compta désormais que les plus violentes.

[Note: Les principales éruptions de l'Etna eurent lieu l'an 662 de Rome, et pendant l'ère chrétienne, dans les années 225, 420, 812, 1169, 1285, 1329, 1333, 1408, 1444, 1446, 1447, 1536, 1603, 1607, 1610, 1614, 1619, 1634, 1669, 1682, 1688, 1689, 1702, 1766 et 1781.]

Depuis l'éruption de 1781, l'Etna a bien eu quelque petite velléité de bouleverser encore la Sicile; mais, comme ces caprices n'ont pas de suites sérieuses, il est permis de penser que ce qu'il en a fait, c'est uniquement par respect pour lui-même, et pour conserver sa position de volcan.

De toute ces éruptions, une des plus terribles fut celle de 1669. Comme l'éruption de 1669 partit du Monte-Rosso, et que le Monte-Rosso n'est qu'à un demi-mille à gauche de Nicolosi, nous nous mîmes en route, Jadin et moi, pour visiter le cratère, après avoir promis à monsieur Gemellaro de venir dîner chez lui.

Il faut avant tout savoir que l'Etna se regarde comme trop au-dessus des volcans ordinaires pour procéder à leur façon; le Vésuve, Stromboli, l'Hécla même, versent la lave du haut de leur cratère, comme le vin déborde d'un verre trop plein; l'Etna ne se donne pas tant de peine. Son cratère n'est qu'une espèce de cratère d'apparat, qui se contente de jouer au bilboquet avec des rocs incandescents gros comme des maisons ordinaires, et qu'on suit dans leur ascension aérienne, comme on pourrait suivre une bombe qui sortirait d'un mortier; mais, pendant ce temps, le fort de l'éruption se passe réellement ailleurs. En effet, quand l'Etna est en travail, il lui pousse alors tout bonnement sur le dos, à un endroit ou à un autre, une espèce de furoncle de la grosseur de Montmartre; puis le furoncle crève, et il en sort un fleuve de lave qui suit sa pente, descend, brûle ou renverse tout ce qui se rencontre devant lui, et finit par aller s'éteindre dans la mer. Cette façon de procéder est cause que l'Etna est couvert d'une quantité de petits cratères qui ont formé d'immenses meules de foin; chacun de ces volcans secondaires a sa date et son nom particulier, et tous ont fait, dans leur temps, plus ou moins de bruit et plus ou moins de ravage.

Le Monte-Rosso est, comme nous l'avons dit, au premier rang de cette aristocratie secondaire; ce serait, dans tout autre voisinage que celui des Andes, des Cordillières ou des Alpes, une fort jolie petite montagne de neuf cents pieds d'élévation, c'est-à-dire trois fois haute comme les tours de Notre-Dame. Le volcan doit son nom à la couleur des scories terreuses dont il est formé; on y monte par une pente assez facile, et, au bout d'une demi-heure d'ascension à peu près, on se trouve au bord de son cratère.

C'est une espèce de puits séparé dans le fond comme une salière, et qui s'offre maintenant aux regards avec un air de bonhomie et de tranquillité parfaite. Quoiqu'il n'y ait pas de chemin pratiqué, on y descendrait, à la rigueur, avec des cordes; sa profondeur peut être de deux cents pieds, et sa circonférence de cinq ou six cents.

C'est de cette bouche, aujourd'hui muette et froide, que sortit, en 1669, une telle pluie de pierres et de cendres, que littéralement, pendant trois mois, le soleil en fut obscurci, et que le vent la porta jusqu'à Malte. La violence de l'éjaculation était telle, qu'un rocher de cinquante pieds de longueur fut lancé à mille pas du cratère d'où il était sorti, et s'enfonça en retombant à vingt-cinq pieds de profondeur. Enfin, la lave parut à son tour, monta en bouillonnant jusqu'à l'orifice, déborda sur la pente méridionale, et, laissant Nicolosi à sa droite et Boriello à sa gauche, commença de s'écouler, non pas comme un torrent, mais comme un fleuve de feu, couvrit de ses vagues ardentes les villages de Campo-Rotondo, de San-Pietro, de Gigganeo, et alla se jeter dans le port de Catane, en y poussant devant elle une partie de la ville. Là commença une lutte horrible entre l'eau et le feu; la mer repoussée d'abord céda la place, et recula d'un quart de lieue, découvrant à l'oeil humain ses profondeurs. Des vaisseaux furent brûlés dans le port, de gros poissons morts vinrent flotter à la surface de l'eau; puis, comme furieuse de sa défaite, la mer à son tour revint attaquer la lave. La lutte dura quinze jours; enfin, la lave vaincue s'arrêta, et de l'état fusible commença de passer à l'état compact. Pendant quinze autres jours, la mer bouillonna encore, occupée à refroidir ce nouveau rivage qu'elle était forcée d'accepter, puis, peu à peu, le bouillonnement s'effaça. Mais la campagne tout entière était dévastée, trois villages étaient anéantis. Catane était aux trois quarts détruite, et le port à moitié comblé.

Du haut du Monte-Rosso ou plutôt des Monte-Rossi (car la montagne se partage en deux sommets comme le Vésuve), on voit cette traînée de lave, longue de cinq lieues, large parfois de trois, et que près de deux siècles n'ont recouverte encore que de deux pouces de terre. Du point où j'étais, à ma droite et à ma gauche, devant et derrière moi, dans l'horizon que mon oeil pouvait embrasser, je comptai en outre vingt-six montagnes, toutes produites par des éruptions volcaniques, et pareilles de forme et de hauteur à celle sur laquelle j'étais monté.

En promenant ainsi mes regards autour de moi, j'avais aperçu, au pied d'un autre volcan éteint, les ruines de ce fameux couvent de Saint-Nicolas-le-Vieux, où le comte de Weder avait été si bien reçu par dom Gaëtano; un lieu qui conservait de pareils souvenirs méritait à tous égards notre visite. Aussi, à peine descendus des Monte-Rossi, nous acheminâmes-nous vers le couvent.

C'est une construction élevée, selon Farello, par le comte Simon, petit-fils du Normand Roger, le conquérant le plus populaire de toute la Sicile, et connu encore aujourd'hui de tout paysan sous le nom del conte Ruggieri. Quelques savants prétendent que ce monastère est situé sur l'emplacement de l'ancienne ville d'Inesse; il est vrai que d'autres savants prétendent que l'ancienne ville d'Inesse s'élevait sur le revers opposé de l'Etna; il s'est échangé là-dessus force volumes entre les érudits de Catane, de Taormino et de Messine, et le fait est resté un peu plus obscur qu'auparavant, tant chacun avait apporté d'excellentes preuves à l'appui de son opinion. A mon retour à Catane, l'un d'eux me demanda ce qu'en pensait l'Académie des Sciences de Paris. Je lui répondis que l'Académie des Sciences, après s'être longtemps occupée de cette grave question, avait reconnu qu'il devait exister deux villes d'Inesse, bâties en rivalité l'une de l'autre, l'une par les Naxiens, et l'autre pas les Sicaniens d'Espagne; l'une sur le revers méridional, l'autre sur le revers septentrional du mont Etna. Le savant se frappa le front, comme s'il se sentait illuminé d'une idée nouvelle, courut à son bureau, prit la plume, et commença un volume qui, à ce que j'ai appris depuis, a jeté un grand jour sur cette importante question.