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Les compagnons de Jéhu

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– Quelqu'un qui probablement ne sait pas ce que c'est, mon cher Branche-d'or, dit Morgan (car il reconnaissait le messager de Cadoudal pour celui qui était déjà venu et qu'on avait reçu dans la chartreuse pendant la nuit où lui-même était arrivé à Avignon), et au nom duquel je vous fais des excuses.

Branche-d'or regarda le groupe de jeunes gens devant lequel il se trouvait, d'un air qui ne laissait pas de doute sur la répugnance avec laquelle il acceptait un certain genre de plaisanteries; mais, comme ce groupe n'avait rien d'offensif et qu'il était évident que sa gaieté n'était point de la raillerie, il demanda d'un air assez gracieux:

– Lequel de vous tous, messieurs, est le chef? J'ai à lui remettre une lettre de la part de mon général.

Morgan fit un pas en avant.

– C'est moi, dit-il.

– Votre nom?

– J'en ai deux.

– Votre nom de guerre?

– Morgan.

– Oui, c'est bien celui-là que le général a dit; d'ailleurs, je vous reconnais; c'est vous qui, le soir où j'ai été reçu par des moines, m'avez remis un sac de soixante mille francs: alors, j'ai une lettre pour vous.

– Donne.

Le paysan prit son chapeau, en arracha la coiffe, et, entre la coiffe et le feutre, prit un morceau de papier qui avait l'air d'une double coiffe et qui semblait blanc au premier abord.

Puis, avec le salut militaire, il présenta le papier à Morgan.

Celui-ci commença par le tourner et le retourner; voyant que rien n'y était écrit, ostensiblement du moins:

– Une bougie, dit-il.

On approcha une bougie; Morgan exposa le papier à la flamme.

Peu à peu le papier se couvrit de caractères, et à la chaleur l'écriture parut.

Cette expérience paraissait familière aux jeunes gens; le Breton seul la regardait avec une certaine surprise.

Pour cet esprit naïf, il pouvait bien y avoir, dans cette opération, une certaine magie; mais, du moment où le diable servait la cause royaliste, le Chouan n'était pas loin de pactiser avec le diable.

– Messieurs, dit Morgan, voulez-vous savoir ce que nous dit le

maître?

Tous s'inclinèrent, écoutant.

Le jeune homme lut:

«Mon cher Morgan,

«Si lon vous disait que j'ai abandonné la cause et traité avec le gouvernement du premier consul en même temps que les chefs vendéens, n'en croyez pas un mot; je suis de la Bretagne bretonnante, et par conséquent, entêté comme un vrai Breton. Le premier consul a envoyé un de ses aides de camp m'offrir amnistie entière pour mes hommes, et pour moi le grade de colonel; je n'ai pas même consulté mes hommes, et j'ai refusé pour eux et pour moi.

«Maintenant, tout dépend de vous: comme nous ne recevons des princes ni argent ni encouragement, vous êtes notre seul trésorier; fermez-nous votre caisse, ou plutôt cessez de nous ouvrir celle du gouvernement, et l'opposition royaliste, dont le coeur ne bat plus qu'en Bretagne, se ralentit peu à peu et finit par s'éteindre tout à fait.

«Je n'ai pas besoin de vous dire que, lorsqu'il se sera éteint, c'est que le mien aura cessé de battre.

«Notre mission est dangereuse; il est probable que nous y laisserons notre tête; mais ne trouvez-vous pas qu'il sera beau pour nous d'entendre dire après nous, si lon entend encore quelque chose au-delà de la tombe: Tous avaient désespéré, eux ne désespérèrent pas!

«L'un de nous deux survivra à lautre, mais pour succomber à son tour; que celui-là dise en mourant: Etiamsi omnes, ego non.

«Comptez sur moi comme je compte sur vous.

«GEORGES CADOUDAL»

«P.S. Vous savez que vous pouvez remettre à Branche-d'or tout ce que vous avez d'argent pour la cause; il m'a promis de ne pas se laisser prendre, et je me fie à sa parole.»

Un murmure d'enthousiasme s'éleva, parmi les jeunes gens lorsque

Morgan eut achevé les derniers mots de cette lettre.

– Vous avez entendu, messieurs? dit-il.

– Oui, oui, oui, répétèrent toutes les voix.

– D'abord, quelle somme avons-nous à remettre à Branche-d'or?

– Treize mille francs du lac de Silans; vingt-deux mille des Carronnières, quatorze mille de Meximieux; en tout, quarante-neuf mille, dit Adler.

– Vous entendez, mon cher Branche-d'or? dit Morgan; ce n'est pas grand-chose, et nous sommes de moitié plus pauvres que la dernière fois; mais vous connaissez le proverbe: «La plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu'elle a.»

– Le général sait ce que vous risquez pour conquérir cet argent, et il a dit que, si peu que vous puissiez lui envoyer, il le recevrait avec reconnaissance.

– D'autant plus que le prochain envoi sera meilleur, dit la voix d'un jeune homme qui venait de se mêler au groupe sans être vu, tant l'attention s'était concentrée sur la lettre de Cadoudal et sur celui qui la lisait, surtout si nous voulons dire deux mots à la malle de Chambéry samedi prochain.

– Ah! c'est toi, Valensolle, dit Morgan.

– Pas de noms propres, s'il te plaît, baron; faisons-nous fusiller, guillotiner, rouer, écarteler, mais sauvons l'honneur de la famille. Je m'appelle Adler et ne réponds pas à d'autre nom.

– Pardon, j'ai tort; tu disais donc…?

– Que la malle de Paris à Chambéry passerait samedi entre la Chapelle-de-Guinchay et Belleville, portant cinquante mille francs du gouvernement aux religieux du mont Saint-Bernard, ce à quoi j'ajoutais qu'il y avait, entre ces deux localités, un endroit nommé la Maison-Blanche, lequel me paraît admirable pour tendre une embuscade.

– Qu'en dites-vous, messieurs? demanda Morgan; faisons-nous l'honneur au citoyen Fouché de nous inquiéter de sa police? Partons-nous? Quittons-nous la France? ou bien restons-nous les fidèles compagnons de Jéhu?

Il n'y eut qu'un cri:

– Restons!

– À la bonne heure! dit Morgan; je nous reconnais là, frères; Cadoudal nous a tracé notre route dans l'admirable lettre que nous venons de recevoir de lui; adoptons donc son héroïque devise: Etiamsi omnes, ego non.

Alors, s'adressant au paysan breton:

– Branche-d'or, lui dit-il, les quarante neuf mille francs sont à ta disposition; pars quand tu voudras; promets en notre nom quelque chose de mieux pour la prochaine fois, et dis au général, de ma part, que, partout où il ira, même à l'échafaud, je me ferai un honneur de le suivre ou de le précéder; au revoir, Branche- d'or!

Puis, se retournant vers le jeune homme qui avait paru si fort désirer que l'on respectât son incognito:

– Mon cher Adler, lui dit-il en homme qui a retrouvé sa gaieté un instant absente, c'est moi qui me charge de vous nourrir et de vous coucher cette nuit, si toutefois vous daignez m'accepter pour votre hôte.

– Avec reconnaissance, ami Morgan, répondit le nouvel arrivant: seulement, je te préviens que je m'accommoderai de tous les lits, attendu que je tombe de fatigue; mais pas de tous les soupers, attendu que je meurs de faim.

– Tu auras un bon lit et un souper excellent.

– Que faut-il faire pour cela?

– Me suivre.

– Je suis prêt.

– Alors, viens. Bonne nuit, messieurs! C'est toi qui veilles,

Montbar?

– Oui.

– En ce cas, nous pouvons dormir tranquilles.

Sur quoi, Morgan passa un de ses bras sous le bras de son ami, prit de l'autre main une torche qu'on lui présentait, et s'avança dans les profondeurs de la grotte, où nous allons le suivre si le lecteur n'est pas trop fatigué de cette longue séance.

C'était la première fois que Valensolle, qui était, ainsi que nous l'avons vu, des environs d'Aix, avait l'occasion de visiter la grotte de Ceyzeriat, tout récemment adoptée par les compagnons de Jéhu pour lieu de refuge. Dans les réunions précédentes, il avait eu l'occasion seulement d'explorer les tours et les détours de la chartreuse de Seillon, qu'il avait fini par connaître assez intimement pour que, dans la comédie jouée devant Roland, on lui confiât le rôle de fantôme.

Tout était donc curieux et inconnu pour lui dans le nouveau domicile où il allait faire son premier somme, et qui paraissait être, pour quelques jours du moins, le quartier général de Morgan.

Comme il en est de toutes les carrières abandonnées, et qui ressemblent, au premier abord, à une cité souterraine, les différentes rues creusées pour l'extraction de la pierre finissaient toujours par aboutir à un cul-de-sac, c'est-à-dire à ce point de la mine où le travail avait été interrompu.

Une seule de ces rues semblait se prolonger indéfiniment.

Cependant, arrivait un point où elle-même avait dû s'arrêter un jour; mais, vers l'angle de l'impasse, avait été creusée – dans quel but? la chose est restée un mystère pour les gens du pays même – une ouverture des deux tiers moins large que la galerie à laquelle elle aboutissait, et pouvant donner passage à deux hommes de front à peu près.

Les deux amis s'engagèrent dans cette ouverture. L'air y devenait si rare, que leur torche, à chaque pas, menaçait de s'éteindre.

Valensolle sentit des gouttes d'eau glacées tomber sur ses épaules et sur ses mains.

– Tiens! dit-il, il pleut ici?

– Non, répondit Morgan en riant: seulement, nous passons sous la

Reyssouse.

– Alors, nous allons à Bourg?

– À peu près.

– Soit; tu me conduis, tu me promets à souper et à coucher: je n'ai à m'inquiéter de rien, que de voir s'éteindre notre lampe cependant… ajouta le jeune homme en suivant des yeux la lumière pâlissante de la torche.

– Et ce ne serait pas bien inquiétant, attendu que nous nous retrouverions toujours.

– Enfin! dit Valensolle, et quand on pense que c'est pour des princes qui ne savent pas même notre nom, et qui, s'ils le savaient un jour, l'auraient oublié le lendemain du jour où ils l'auraient su, qu'à trois heures du matin nous nous promenons dans une grotte, que nous passons sous des rivières, et que nous allons coucher je ne sais où, avec la perspective d'être pris, jugés et guillotinés un beau matin; sais-tu que c'est stupide, Morgan?

 

– Mon cher, répondit Morgan, ce qui passe pour stupide, et ce qui n'est pas compris du vulgaire en pareil cas, a bien des chances pour être sublime.

– Allons, dit Valensolle, je vois que tu perds encore plus que moi au métier que nous faisons; je n'y mets que du dévouement, et tu y mets de l'enthousiasme.

Morgan poussa un soupir.

– Nous sommes arrivés, dit-il, laissant tomber la conversation comme un fardeau qui lui pesait à porter plus longtemps.

En effet, il venait de heurter du pied les premières marches d'un escalier.

Morgan, éclairant et précédant Valensolle, monta dix degrés et rencontra une grille.

Au moyen d'une clef qu'il tira de sa poche, la grille fut ouverte.

On se trouva dans un caveau funéraire.

Aux deux côtés de ce caveau, deux cercueils étaient soutenus par des trépieds de fer; des couronnes ducales et l'écusson d'azur à la croix d'argent indiquaient que ces cercueils devaient renfermer des membres de la famille de Savoie avant que cette famille portât la couronne royale.

Un escalier apparaissait dans la profondeur du caveau, conduisant à un étage supérieur.

Valensolle jeta un regard curieux autour de lui, et, à la lueur vacillante de la torche, reconnut la localité funèbre dans laquelle il se trouvait.

– Diable! fit-il, nous sommes, à ce qu'il paraît, tout le contraire des Spartiates.

– En ce qu'ils étaient républicains et que nous sommes royalistes? demanda Morgan.

– Non: en ce qu'ils faisaient venir un squelette à la fin de leurs repas, tandis que nous, c'est au commencement.

– Es-tu bien sûr que ce soient les Spartiates qui donnassent cette preuve de philosophie? demanda Morgan en refermant la porte.

– Eux ou d'autres, peu m'importe, dit Valensolle; par ma foi, ma citation est faite; l'abbé Vertot ne recommençait pas son siège, je ne recommencerai pas ma citation.

– Eh bien! une autre fois, tu diras les Égyptiens.

– Bon! fit Valensolle avec une insouciance qui ne manquait pas d'une certaine mélancolie, je serai probablement un squelette moi- même avant d'avoir loccasion de montrer mon érudition une seconde fois. Mais que diable fais-tu donc? et pourquoi éteins-tu la torche? Tu ne vas pas me faire souper et coucher ici, j'espère bien?

En effet, Morgan venait d'éteindre sa torche sur la première marche de l'escalier qui conduisait à l'étage supérieur.

– Donne-moi la main, répondit le jeune homme.

Valensolle saisit la main de son ami avec un empressement qui témoignait d'un médiocre désir de faire, au milieu des ténèbres, un long séjour dans le caveau des ducs de Savoie, quelque honneur qu'il y eût pour un vivant à frayer avec de si illustres morts.

Morgan monta les degrés.

Puis il parut, au roidissement de sa main, qu'il faisait un effort.

En effet, une dalle se souleva, et, par louverture, une lueur crépusculaire tremblota aux yeux de Valensolle, tandis qu'une odeur aromatique, succédant à l'atmosphère méphitique du caveau, vint réjouir son odorat.

– Ah! dit-il, par ma foi, nous sommes dans une grange, j'aime mieux cela.

Morgan ne répondit rien; il aida son compagnon à sortir du caveau, et laissa retomber la dalle.

Valensolle regarda tout autour de lui: il était au centre d'un vaste bâtiment rempli de foin, et dans lequel la lumière pénétrait par des fenêtres si admirablement découpées, que ce ne pouvaient être celles d'une grange.

– Mais, dit Valensolle, nous ne sommes pas dans une grange?

– Grimpe sur ce foin et va t'asseoir près de cette fenêtre, répondit Morgan.

Valensolle obéit, grimpa sur le foin comme un écolier en vacances, et alla, ainsi que le lui avait dit Morgan, s'asseoir près de la fenêtre. Un instant après, Morgan déposa entre les jambes de son ami une serviette contenant un pâté, du pain, une bouteille de vin, deux verres, deux couteaux et deux fourchettes.

– Peste! dit Valensolle, Lucullus soupe chez Lucullus.

Puis, plongeant son regard, à travers les vitraux sur un bâtiment percé d'une quantité de fenêtres, qui semblait une aile de celui où les deux amis se trouvaient, et devant lequel se promenait un factionnaire:

– Décidément, fit-il, je souperai mal si je ne sais pas où nous sommes; quel est ce bâtiment? et pourquoi ce factionnaire se promène-t-il devant la porte?

– Eh bien! dit Morgan, puisque tu le veux absolument, je vais te le dire: nous sommes dans l'église de Brou, qu'un arrêté du conseil municipal a convertie en magasin à fourrage. Ce bâtiment auquel nous touchons, c'est la caserne de la gendarmerie, et ce factionnaire, c'est la sentinelle chargée d'empêcher qu'on ne nous dérange pendant notre souper et qu'on ne nous surprenne pendant notre sommeil.

– Braves gendarmes, dit Valensolle, en remplissant son verre. À leur santé, Morgan!

– Et à la nôtre! dit le jeune homme en riant; le diable m'étrangle si l'on a lidée de venir nous chercher ici.

À peine Morgan eut-il vidé son verre, que, comme si le diable eût accepté le défi qui lui était porté, on entendit la voix stridente de la sentinelle qui criait: «Qui vive?»

– Eh! firent les deux jeunes gens, que veut dire cela?

En effet, une troupe d'une trentaine d'hommes venait du côté de Pont-d'Ain, et, après avoir échangé le mot d'ordre avec la sentinelle, se fractionna: une partie, la plus considérable, conduite par deux hommes qui semblaient des officiers, rentra dans la caserne; l'autre poursuivit son chemin.

– Attention! fit Morgan.

Et tous deux sur leurs genoux, l'oreille au guet, loeil collé contre la vitre, attendirent.

Expliquons au lecteur ce qui causait une interruption dans un repas qui, pour être pris à trois heures du matin, n'en était pas, comme on le voit, plus tranquille.

XL – BUISSON CREUX

La fille du concierge ne s'était point trompée: c'était bien Roland qu'elle avait vu parler dans la geôle au capitaine de gendarmerie.

De son côté, Amélie n'avait pas tort de craindre; car c'était bien sur les traces de Morgan qu'il était lâché.

S'il ne s'était point présenté au château des Noires-Fontaines, ce n'était pas qu'il eût le moindre soupçon de l'intérêt que sa soeur portait au chef des compagnons de Jéhu; mais il se défiait d'une indiscrétion d'un de ses domestiques.

Il avait bien reconnu Charlotte chez son père; mais celle-ci n'ayant manifesté aucun étonnement, il croyait n'avoir pas été reconnu par elle; d'autant plus qu'après avoir échangé quelques mots avec le maréchal des logis, il était allé attendre ce dernier sur la place du Bastion, fort déserte à une pareille heure.

Son écrou terminé, le capitaine de gendarmerie était allé le rejoindre.

Il avait trouvé Roland se promenant de long en large et l'attendant impatiemment.

Chez le concierge Roland s'était contenté de se faire reconnaître; là, il pouvait entrer en matière.

Il initia, en conséquence, le capitaine de gendarmerie au but de son voyage.

De même que, dans les assemblées publiques, on demande la parole pour un fait personnel et on l'obtient sans contestation, Roland avait demandé au premier consul, et cela pour un fait personnel, que la poursuite des compagnons de Jéhu lui fût confiée; et il avait obtenu cette faveur sans difficulté.

Un ordre du ministre de la guerre mettait à sa disposition les garnisons non seulement de Bourg, mais encore des villes environnantes.

Un ordre du ministre de la police enjoignait à tous les officiers de gendarmerie de lui prêter main-forte.

Il avait pensé naturellement, et avant tout, à s'adresser au capitaine de la gendarmerie de Bourg, qu'il connaissait de longue date, et qu'il savait être un homme de courage et d'exécution.

Il avait trouvé ce qu'il cherchait: le capitaine de gendarmerie de Bourg avait la tête horriblement montée contre les compagnons de Jéhu, qui arrêtaient les diligences à un quart de lieue de la ville, et sur lesquels il ne pouvait point arriver à mettre la main.

Il connaissait les rapports envoyés sur les trois dernières arrestations au ministre de la police, et il comprenait la mauvaise humeur de celui-ci.

Mais Roland porta le comble à son étonnement en lui racontant ce qui lui était arrivé, dans la chartreuse de Seillon, la nuit où il avait veillé, et surtout ce qui était arrivé, dans la même chartreuse, à sir John pendant la nuit suivante.

Le capitaine avait bien su par la rumeur publique que l'hôte de madame de Montrevel avait reçu un coup de poignard; mais, comme personne n'avait porté plainte, il ne s'était pas cru le droit de percer l'obscurité dans laquelle il lui semblait que Roland voulait laisser l'affaire ensevelie.

À cette époque de trouble, la force armée avait des indulgences qu'elle n'eût point eues en d'autres temps..

Quant à Roland, il n'avait rien dit, désirant se réserver la satisfaction de poursuivre, en temps et lieu, les hôtes de la chartreuse, mystificateurs ou assassins.

Cette fois, il venait avec tous les moyens de mettre son dessein à exécution, et bien résolu à ne pas revenir près du premier consul sans l'avoir accompli.

D'ailleurs, c'était là une de ces aventures comme les cherchait

Roland. N'y avait-il pas à la fois du danger et du pittoresque?

N'était-ce point une occasion de jouer sa vie contre des gens qui, ne ménageant pas la leur, ne ménageraient probablement pas la sienne?

Roland était loin d'attribuer à sa véritable cause, c'est-à-dire la sauvegarde étendue sur lui par Morgan, le bonheur avec lequel il s'était tiré du danger, la nuit où il avait veillé dans la chartreuse et le jour où il avait combattu contre Cadoudal.

Comment supposer qu'une simple croix avait été faite au-dessus de son nom, et qu'à deux cent cinquante lieues de distance ce signe de la rédemption l'avait protégé aux deux bouts de la France?

Au reste, la première chose à faire était d'envelopper la chartreuse de Seillon et de la fouiller dans ses recoins les plus secrets; ce que Roland se croyait parfaitement en état de faire.

Seulement, la nuit était trop avancée pour que cette expédition pût avoir lieu avant la nuit prochaine.

En attendant, Roland se cacherait dans la caserne de gendarmerie et se tiendrait dans la chambre du capitaine, afin que personne ne soupçonnât à Bourg sa présence ni la cause qui l'amenait. Le lendemain, il guiderait l'expédition.

Dans la journée du lendemain, un des gendarmes, qui était tailleur, lui confectionnerait un costume complet de maréchal des logis.

Il passerait pour être attaché à la brigade de Lons-le-Saulnier, et, grâce à cet uniforme, il pourrait, sans être reconnu, diriger la perquisition dans la chartreuse.

Tout s'accomplit selon le plan convenu.

Vers une heure, Roland rentra dans la caserne avec le capitaine, monta à la chambre de ce dernier, s'y arrangea un lit de camp, et y dormit en homme qui vient de passer deux jours et deux nuits, en chaise de poste.

Le lendemain il prit patience en faisant, pour l'instruction du maréchal des logis, un plan de la chartreuse de Seillon à l'aide duquel, même sans l'aide de Roland, le digne officier eût pu diriger l'expédition sans s'égarer d'un pas.

Comme le capitaine n'avait que dix-huit soldats sous ses ordres, que ce n'était point assez pour cerner complètement la chartreuse, ou plutôt pour en garder les deux issues et la fouiller entièrement, qu'il eût fallu deux ou trois jours pour compléter la brigade disséminée dans les environs et attendre un chiffre d'hommes nécessaire, le capitaine, par ordre de Roland, alla dans la journée mettre le colonel des dragons, dont le régiment était en garnison à Bourg, au courant de l'événement, et lui demander douze hommes qui, avec les dix-huit du capitaine, feraient un total de trente.

Non seulement le colonel accorda ces douze hommes, mais encore, apprenant que l'expédition devait être dirigée par le chef de brigade Roland de Montrevel, aide de camp du premier consul, il déclara qu'il voulait, lui aussi, être de la partie, et qu'il conduirait ses douze hommes.

Roland accepta son concours, et il fut convenu que le colonel – nous employons indifféremment le titre de colonel ou celui de chef de brigade qui désignait le même grade – et il fut convenu, disons-nous, que le colonel et douze dragons prendraient en passant Roland, le capitaine et leurs dix-huit gendarmes, la caserne de la gendarmerie se trouvant justement sur la route de la chartreuse de Seillon.

Le départ était fixé à onze heures.

À onze heures, heure militaire, c'est-à-dire à onze heures précises, le colonel des dragons et ses douze hommes ralliaient les gendarmes, et les deux troupes, réunies en une seule, se mettaient en marche.

 

Roland, sous son costume de maréchal des logis de gendarmerie, s'était fait reconnaître de son collègue le colonel de dragons; mais, pour les dragons et les gendarmes, il était, comme la chose avait été convenue, un maréchal des logis détaché de la brigade de Lons-le-Saulnier.

Seulement, comme ils eussent pu s'étonner qu'un maréchal des logis étranger aux localités leur fût donné pour guide, on leur avait dit que, dans sa jeunesse, Roland avait été novice à Seillon, noviciat qui l'avait mis à même de reconnaître mieux que personne les détours les plus mystérieux de la Chartreuse. Le premier sentiment de ces braves militaires avait bien été de se trouver un peu humiliés d'être conduits par un ex-moine; mais, au bout du compte, comme cet ex-moine portait le chapeau à trois cornes d'une façon assez coquette, comme son allure était celle d'un homme qui, en portant l'uniforme, semblait avoir complètement oublié qu'il eût autrefois porté la robe, ils avaient fini par prendre leur parti de cette humiliation, se réservant d'arrêter définitivement leur opinion sur le maréchal des logis d'après la façon dont il manierait le mousquet qu'il portait au bras, les pistolets qu'il portait à la ceinture, et le sabre qu'il portait au côté.

On se munit de torches, et l'on se mit en route dans le plus profond silence et en trois pelotons: l'un de huit hommes commandé par le capitaine de gendarmerie, l'autre de dix hommes commandé par le colonel, l'autre de douze commandé par Roland.

En sortant de la ville, on se sépara.

Le capitaine de gendarmerie, qui connaissait mieux les localités que le colonel de dragons, se chargea de garder la fenêtre de la Correrie donnant sur le bois de Seillon; il avait avec lui huit gendarmes.

Le colonel de dragons fut chargé par Roland de garder la grande porte d'entrée de la Chartreuse. Il avait avec lui cinq dragons et cinq gendarmes.

Roland se chargea de fouiller l'intérieur; il avait avec lui cinq gendarmes et sept dragons.

On donna une demi-heure à chacun pour être à son poste. C'était plus qu'il ne fallait.

À onze heures et demie sonnantes à l'église de Péronnaz, Roland et ses hommes devaient escalader le mur du verger.

Le capitaine de gendarmerie suivit la route de Pont-d'Ain jusqu'à la lisière de la forêt, et, en côtoyant la lisière, gagna le poste qui lui était indiqué.

Le colonel de dragons prit le chemin de traverse qui s'embranche sur la route de Pont-d'Ain et qui mène à la grande porte de la Chartreuse.

Enfin, Roland prit à travers terres, et gagna le mur du verger qu'en d'autres circonstances il avait, on se le rappelle, déjà escaladé deux fois.

À onze heures et demie sonnantes, il donna le signal à ses hommes

et escalada le mur du verger; gendarmes et dragons le suivirent.

Arrivés de l'autre côté du mur, ils ne savaient pas encore si

Roland était brave, mais ils savaient qu'il était leste.

Roland leur montra dans l'obscurité la porte sur laquelle ils devaient se diriger; c'était celle qui donnait du verger dans le cloître.

Puis il s'élança le premier à travers les hautes herbes, le premier poussa la porte, le premier se trouva dans le cloître.

Tout était obscur, muet, solitaire.

Roland, servant toujours de guide à ses hommes, gagna le réfectoire.

Partout la solitude, partout le silence.

Il s'engagea sous la voûte oblique, et se retrouva dans le jardin sans avoir effarouché d'autres êtres vivants que les chats-huants et les chauves-souris.

Restait à visiter la citerne, le caveau mortuaire et le pavillon ou plutôt la chapelle de la forêt.

Roland traversa l'espace vide qui le séparait de la citerne. Arrivé au bas des degrés, il alluma trois torches, en garda une et remit les deux autres, l'une aux mains d'un dragon, l'autre aux mains d'un gendarme; puis il souleva la pierre qui masquait l'escalier.

Les gendarmes qui suivaient Roland commençaient à croire qu'il était aussi brave que leste.

On franchit le couloir souterrain et l'on rencontra la première grille; elle était poussée, mais non fermée.

On entra dans le caveau funèbre.

Là, c'était plus que la solitude, plus que le silence: c'était la mort.

Les plus braves sentirent un frisson passer dans la racine de leurs cheveux.

Roland alla de tombe en tombe, sondant les sépulcres avec la crosse du pistolet qu'il tenait à la main.

Tout resta muet.

On traversa le caveau funèbre, on rencontra la seconde grille, on

pénétra dans la chapelle.

Même silence, même solitude; tout était abandonné, et, on eût pu le croire, depuis des années.

Roland alla droit au choeur; il retrouva le sang sur les dalles: personne n'avait pris la peine de l'effacer.

Là, on était à bout de recherches et il fallait désespérer.

Roland, ne pouvait se décider à la retraite.

Il pensa que peut-être n'avait-il pas été attaqué, à cause de sa nombreuse escorte; il laissa dix hommes et une torche dans la chapelle, les chargea de se mettre, par la fenêtre ruinée, en communication avec le capitaine de gendarmerie embusqué dans là forêt, à quelques pas de cette fenêtre, et, avec deux hommes, revint, sur ses pas.

Cette fois, les deux hommes qui suivaient Roland le trouvaient plus que brave, ils le trouvaient téméraire.

Mais Roland, ne s'inquiétant pas même s'il était suivi, reprit sa propre piste, à défaut de celle des bandits.

Les deux hommes eurent honte et le suivirent.

Décidément, la chartreuse était abandonnée.

Arrivé devant la grande porte, Roland appela le colonel de dragons; le colonel et ses dix hommes étaient à leur poste.

Roland ouvrit la porte et fit sa jonction avec eux.

Ils n'avaient rien vu, rien entendu. Ils rentrèrent tous ensemble, refermant et barricadant la porte derrière eux pour couper la retraite aux bandits, s'ils avaient le bonheur d'en rencontrer.

Puis ils allèrent rejoindre leurs compagnons, qui, de leur côté, avaient rallié le capitaine de gendarmerie et ses huit hommes.

Tout cela les attendait dans le choeur.

Il fallait se décider à la retraite: deux heures du matin venaient de sonner; depuis près de trois heures, on était en quête sans avoir rien trouvé.

Roland, réhabilité dans lesprit des gendarmes et des dragons, qui trouvaient que l'ex-novice ne boudait pas, donna, à son grand regret, le signal de la retraite en ouvrant la porte de la chapelle qui donnait sur la forêt.

Cette fois, comme on n'espérait plus rencontrer personne, Roland se contenta de la fermer derrière lui.

Puis, au pas accéléré, la petite troupe reprit le chemin de Bourg.

Le capitaine de gendarmerie, ses dix-huit hommes et Roland rentrèrent à leur caserne après s'être fait reconnaître de la sentinelle.

Le colonel de dragons et ses douze hommes continuèrent leur chemin et rentrèrent dans la ville.

C'était ce cri de la sentinelle qui avait attiré lattention de Morgan et de Valensolle; c'était la rentrée de ces dix-huit hommes à la caserne qui avait interrompu leur repas; c'était enfin cette circonstance imprévue qui avait fait dire à Morgan: «Attention!»

En effet, dans la situation où se trouvaient les deux jeunes gens, tout méritait attention.

Aussi le repas fut-il interrompu, les mâchoires cessèrent-elles de fonctionner pour laisser les yeux et les oreilles remplir leur office dans toute son étendue.

On vit bientôt que les yeux seuls seraient occupés.

Chaque gendarme regagna sa chambre sans lumière; rien n'attira donc l'attention des deux jeunes gens sur les nombreuses fenêtres de la caserne, de sorte qu'elle put se concentrer sur un seul point.

Au milieu de toutes ces fenêtres obscures, deux s'illuminèrent; elles étaient placées en retour relativement au reste du bâtiment, et juste en face de celle, où les deux amis prenaient leur repas.

Ces fenêtres étaient au premier étage; mais, dans la position qu'ils occupaient, c'est-à-dire sur le faîte des bottes de fourrage, Morgan et Valensolle non seulement se trouvaient à la même hauteur qu'elles, mais encore plongeaient dessus.

Ces fenêtres étaient celles du capitaine de gendarmerie.

Soit insouciance du brave capitaine, soit pénurie de l'État, on avait oublié de garnir ces fenêtres de rideaux, de sorte que, grâce aux deux chandelles allumées par l'officier de gendarmerie pour faire honneur à son hôte, Morgan et Valensolle pouvaient voir tout ce qui se passait dans cette chambre.